
, Les moeurs.du prince contribuent autant à l’ad-
minifti;atibn que les loix 5 il peut , comme elles ,
faire des hommes, des bêtes, & des bêtes faire
des hommes. S'il aime les âmes libres ^ il aura des
iujets i s il aime les âmes baffes , il auta des ef-
claves. Veut - il fa voir le grand art de régner ?
qu'il approche de lui l'honneur & la vertu | qu'il
appelle le mérite perfonnel. Il doit aufli jetter les
yeux fur les talens. Qu'il ne craigne point ces
rivaux qu on appelle les hommes de mérite j il
èft leur égal d|s qu'il les aime. Qu'il gagne le
c 9ruri? mais ^û'il ne captive point l'efprit. Qu'il
fe rende populaire. Il doit, être flatté de l'amour
du moindre de fes fujets : ce font toujours' des
hommes. Le peuple demande fl peu d'égards ,
qu il eft jufte de le,s lui accorder : l'infinie dif-
tance qui eft entre le fouverain & lui, empêche
bien qu il ne le gêne. Q u’exorable à la prière ■,
|t foit,ferme contre les demandes 5 & qu'il fâche
que fon peuple jouit de fes refus, & fes eourti-
fans de fes grâces.
D m égards que les monarques' doivent a leurs
. / I fujets,
Il faut qu'ils foient extrêmement retenus fur la
raillerie. Elle flatte Joriqu'elie eft modérée, parce
qu'elle donne les moyens d'entr®r dans la familiarité
; rqais une raillerie. piquante leur eft bien
moins permife qu'au dernier de leurs fujets parce
qu'ils., font les feuls qui bleffent toujours mortelle-
pient. >.
Encore moins doivent-ils faire à un de leurs fujets
une infulte ,marquée : ils font établis;pour
pardonner, pour punir, jamais pour infulter.
. Lorfqu'iis infultent leurs fujets , ils les traitent
bien’ plus cruellement que ne 'traite les Tiens le
turc ou le mofcovite. Quand çes derniers infultent
, ils humilient & ne déshonorent point j mais
pour eux, ils humilient 8ç déshonorent.
T e l eft le préjugé des aflatiques qu'ils regardent
iin affront fait par le prince, comme l'effet d'une
bonté paternelle y & telle eft notre manière de
penfer, que nous joignons’au cruel fentiment de
l'affront, le défefppir de ne pouvoir nous en laver
jamais.
. Ils doivent être charmés d’avoir des fujets à qui
l’honneur eft plus cher que la vie , & n'eft pas
moins un motif de fidélité que de courage.
On peut fe fouvenir des malheurs arrivés aux
princes pour avoir infulté leurs fujets , des vengeances
de Chéréas, de l'eunuque Narsès & du
comte Julien i enfin de la ducheffe de Montpen-
fier, qui, outrée contre Henri III qui avoit révélé
quelqu'un de fes défauts fecrets, le troubla pendant
toute fa vie.
Comment les h ix font relatives a leur principe dans
la monarchie.
Une forte d’honneur étant plus ou moins le
principe de ce gouvernement, les loix doivent
s'y rapporter.
Il faut qu'elles y travaillent à foutenir cette.nobleffe,
dont l'honpeur^eft , pour ainfi dire, l'enfant,
& le père. Mais jufqù'à quel point doivent-
elles la foutenir ? C'eft ce qu'on n'a pas encore
bien expliqué j & c'eft un point fur lequel le grand
homme dont nous empruntons quelques maximes,
a.eu quelques préjugés : plufieurs de fes affertions
font conteftées, & plufieurs font fauffes. cc H faut,>
dit-il, qu'elles rendent la nobleffe héréditaire. ,
non pas -pour être le terme entre le pouvoir du
prince & la .foibleffe du peuple , mais le lien de
tous les deux ».
« Les fubftitutions qui confervent les biens
dans les familles, feront très-utiles dans ce gouvernement
, quoiqu'elles ne conviennent pas dans
les autres ».
« Le retrait lignager rendra aux familles nobles
les terres que la prodigalité dé leurs parens aura
aliénées».
« Les terres nobles auront des privilèges comme
les perfonnes. On.ne peut pas féparer la dignité
du monarque de celle du royaume > on ne
peut guère féparer non plus la dignité du noble
de celle de fon fief ».
. « Toutes c&s prérogatives feront particulières à
la nobleffe, & ne pafferont point au peuple , fi
l'otj ne. veut choquer; le principe du s gouvernement
, fl l’on ne veut diminuer la force de la nobleffe
& celle .du peuple ».
• « Les fubftitutions gênent le commerce 5 le retrait
lignager fait une infinité de procès néceffai-
res , & tous les fonds du royaume vendus font
au moins en quelque façon fans,maître pendant un
an. Des prérogatives attachées ;à des fiefs donnent
un pouvoir très , à .charge à ceux qui les
fouffrent. C e font des inconvénient particuliers
de la nobleffe, qui difparoiffent devant l'utilité
générale qu'elle procure. Mais quând on les communique
au peüple, on choque inutilement tous
les principes ».
« On peut,-, dans les monarchies , permettre de
laiffer la plus grande partie de fes biens à un fe.uï
de fes entans } cette permiffion n'eft même bonne
que là ». Nous croyons avoir établi des principes
plus fains & plus esaéts dans le cours de cet ouvrage,
& nous y renvoyons les. lèéteurs.
Dans toutes les monarchies qui ne font pas bien
confolidées, il eft de l'intérêt du monarque de
favôrifer, & de ne point avilir la nobleffe y car
elle eft toujours portée à la défendre.
La nobleffe angloife s’enfevelit avec Charles Iefl
fous les débris du trône $ & avant cela, lorfque
Philippe fécond fit entendre aiix oreilles des fran-
çois îe mot de liberté, la couronne fut toujours
foutenue par cette nobleffe qui tient à honneur
d'obéir à un r o i , mais qui regarde comme lafou-
veraine infamie de partager la puiffance »YCC le
peupler
On a VU la tnaifon d'Autriche, affez mal affermie
, travailler fans relâche à opprimer la nobleffe
hongroife. Elle ignôrôit de quel' prix elle lui fe-
roit quelque jour. Elle cherchoit chez ces peuples:
de l'argent qui n'y étoit pas ; elle ne voyôit- pas
dès hommes qui y étoient. Lorfque tant de prin-
‘ces partageoient entr'eux fes états, toutes les pièces
de fa monarchie y immobiles & fans aéti'on ,
tomboient, pour ainfi dire, les unes furies autres.
Il n'y- avoit de vie que dans cette nobleffe
qui s’indigna 3 oublia tout pour combattre, & crut
qu'il" etoit de fa gloire de périr & de pardonner.:
mais lorfque la foumiflion règne par-tout } lôrf
que la monarchie a pris de la Habilité, il n'eft
plus fi fféceffaire de ménager la nobleffe } elle doit
ceffer de jouir des privilèges onérëux au peuple, &
on doit ne lui laiffer que des diftin&ionshonorifiques.
maine , on traitoit lés peuples vaincus comme ont
fait fes anciens fujets, l'état feroit perdu 5 ce que
les provinces conquifes enyerroient de tributs à la
capitale, ne leur reviendrpit plus} les frontières
• feroieiit ruinées "& par confequent jffus ^bibles }
les peuples en fero'ient mai affectionnés } la lubfif-
tancé dès''armées, qui doivent y reftér & fS1- 3
feroit plus précaire. ‘ ■ . y r 1-. ^ .
Il faut que dans la monarchie , les loix favorifent
tout le commerce^ ( 1) que la conflit,uû°n de ce
gouvernement peut donner} afin que les fujets
puiffent, fans périr,, facisfaire au befoip toujours;,
renaiffant du prince & de fa cour.
Il faut qu’elles mettent de l'ordre dans la manière
de lever les tributs, afin qu'elle ne foit pas
plus pefante que les charges mêmes.
La pefanteur des charges produit d'abord le travail
, le travail l'accablement, l’accablement, l'ef-
prit de pareffe.
D'une monarchie qui conquiert autour d'elle.
Si une monarchie peut agir long-temps avant que
I fagrandiffement l’ ait affoiblie, elle deviendra^ redoutable
, & fa force durera tout autant quelle
fera preffée par les monarchies voifines.
Elle ne doit donc conquérir que pendant qu’elle
jefte dans les limites naturelles à fon gouvernement.
La prudence veut qu'elle s'arrête , fitôt
qu'elle paffe ces limites.
Dans cette forte de conquête, il faut d'abord
laiffer les chofes comme on les a trouvées} les mêmes
tribunaux, les mêmes loix, les mêmes coutumes
, les mêmes privilèges , rien ne doit être
changé, que l'armee & le nom du fouverain.
Lorfque la monarchie a étendu fes limites par la
conquête de quelques provinces voifines, il faut
qu’elle les traite avec une grande douceur.
Dans une monarchie qui a travaillé long temps
à conquérir, les provinces de fon ancien domaine
feront ordinairement très-foulées. Elles ont à fouf-
frir les nouveaux abus & les anciens} & fouvent une
vafte capitale, qui engloutit tout , les à dépeuplées.
O r , fi après avoir conquis autour de ce do- j
Tel eff l'état nëceffaire d’une monarchie conquérante
} une luxe affreux dans la capitale, la-
misère danS les provinces qui s'en éloignent, i'abon
dance ‘aux extrémités. 11 en eft comme de notre
I planète.} le feu eft' au. centre, la Verdure à la fur-
I face , une terre aride froide &c ftérilç , entre les
deux.
Des loix fomptiiàires dans les monarchies.
« \.t£Juions, nation germanique, rendent hon-
» neur aux richeflès, dit Tacite (2) ;. e t qui fait
» qu'ils vivent fous le gouvernement d'un feul ».
Cela fignifie bien que lé.luxe, eft fingulierement
propre aux monarchies'y mais comporte-t-il des
loix fomptuaires, & où doivent-elles s'arrêter ?
C 'eft une queftion qui n'eft pas encore réfolue.
Comme, parla cbnffitution des monarchies, les
richeflès y font inégalement partagées, il faut bietf
qu'il y ait du luxe. Si les riches n'y dépenfent pas
beaucoup, les pauvres mourront de faim. Il faut
même' que les riches ÿ dépenfent à proportion de
l'inégalité des fortunés, & que le luxe y augmente
dans ce.tte proportion.-Les richeflès particulières
n'ont augmente , que parce ‘qu elles ont ôté
à une partie des'citoyens le néceffaire phyfique}
il faut donc qu'il leur foit rendu.. < .
Ainfi, pour que l'état monarchique fe fou-
tienne, une forte de luxe doit aller en croiffant,
du laboureur à l'artifan, au négociant, aux nobles,
aux magiftrats, aux grands feigneurs, ‘ aux
traitans principaux, aux' princes > fans quoi tout
feroit perdu.
Dans le fénat de Rome, compofé de graves
magiftrats, de jurifeonfuites & d'hommes pleins"
de l'idée des premiers tems, on propofa fous Àu-
gufte la correction des moeurs & du luxe des ferai
mes. Il eft curieux de yoir dans Dion (3)', avec que
art il éluda les demandés importunes de ces féna*
teurs.C'eft qu'il fondoit uné monarchie 3 &, diffol.
voit une'république.
Sous T ib è re , les edits proposèrent dans le
fénat le rétabliffement des anciennes .loix fomptuaires
(4). C e prince s'y oppofa : » L'état ne
» pourroit fubfifter, difoit-il, dans la fituation
(1) Elle ne le permet qu’au peuple. Fbye^la loi trôifième au code de Çommi & Mercatoribus, qui eft pleine
de bon fens.
(a)- D e Morib. german.
(3) Dion Caflius , liv . LIV*
(4} Tacite, arm. liv. III.
Y j z