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l'oient les pays entre Iefquels s'établit le com-
merce tous en retirent deux avantages diftinéts.
11 en fait fortir cette partie furabondante du produit
de leurs terres ôt de leur travail, qui ne leur
ell plus neeeifaire', & y fait, entrer d’autres ehofes-
dont ils ont befoin. 11 dorine une valeur à leurs
fuperfluités , en les échangeant avec ce qui peut
Jes fatisfaire & augmenter leurs jouiffances. Par
fon entremife , les limites étroites du marché intérieur
ne s oppofent point à ce que la divifion du
travail dans'les branches particulières des arts &
des manufactures foit portée à la plus grande
perfedion. En ouvrant un marché plus étendu
pour les parties du produit de leur travail qui ne
fe' confemmeroient pas au dedans 3 il encourage à
perfectionner les facultés productives de ce même
trav a il, & à 'en augmenter le produit annuel
autant qu’ il eft poflible, d’où réfulre l’accroifle*
ment du revenu réel & de la richeffe de la fo-~
ciete. Tels font les grands & importans fervices
que1 le commerce étranger rend à tous les pays qui
le font entr’ eux. Tous en retirent ün grand bénéfice
; mais le plus grand eft pour celui où réfide
le commerçant, parce qir en général il fonge plus
à pourvoir aux befoins & à' l’exportation desTuper-
fluités de fon propre pays que de tout autre. Il appartient,
fans doute 3 au commerce étranger d’importer
l’or & l’argent dont on peut -avoir befoin
dans les pays qui n’ont pas de mines. Mais c’eft
la moindre de toutes fés fonctions. Un pays qui
ne feroit le commerce étranger que pour cet
objet i auroit à peine occafion de fréter un vaif-
feau dans un fiècle.
C e n’eft point par l’importation de l’or & de
1 argent, que la découverte de l ’Amérique a enrichi
l’Europèv L’ abondance des mines de l’Amérique
a diminué le prix de ces métaux. On peut
acheter aujourd’hui un fervice’ de vaiffelle , pour
environ la troifièmé p'artie du bled ou du travail'
qu’il auroit'coûté dans le quinzième fiècle. Avec
la même dépenfe annuelle de travail & de marchandifes,
l’Europe peut acheter annuellement environ
trois fois autant d’argenterie qu’elle en auroit
acheté dans ce tems là. Mais quand une mar-
chandife ne fe vend plus que le tiers de ce qu’ elle
a valu, non- feulement ceux qui l’achetoient auparavant
peuvent en acheter trois fois autant, mâîs':
elle fe met à la portée d’ un beaucoup plus grand
nombre d’acheteurs. Il y eh-aura peut-être dix,
peut-être vingt fois plus qu’ il -n’y eh avqit. Sur
ce pied l à , l ’Europe peut avoir aujourd’h u i,
non-feulement pîiis de trois* fo is , mais plus! de
vingt ou trente, fois plus de vaiffelle d’argent
qu’ elle n’en auroit eu , même dans fon état ac
tuel de progreftîon , fi l’Amérique-n’eût point été-
découverte. Il eft certain- que par-là’ l’Europe a
gagné une commodité réelle , mais très- minces
Le bon marché de ces métaux lesTénd d’ url aütre
coté moins propresjd fervir !en- qualité de mon-
noie. Pour faire les mêmes a c h a ts i l ; faut fè;
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charger d’une plus grande quantité d'argent, Si
porter un écu dans fa poche ' au lieu d'une pièce
de douze fois. Il eft. mal aifé de dire quel eft le
plus futile de cet inconvénient ou de la commodité
oppofée. Ni l'un ni l'autre ne pouvoient
faire un changement èflentiel dans l’état de l’Eu-'
rope. Mais la découverte de l'Ame'rique a fait
une révolution des plus effentielles. En ouvrant
a toutes les marchandifes d'Europe un marché
nouveau & inépuifable j elle àoccafionné de nouvelles
divilïons de travail, & la perfeaion des
arts, ce qui ne feroit point arrivé dans le cercle
étroit de l'ancien commerce, faute d'un -marché
pour enlever la plus grande partie de leur pro-‘
dnit. Les facultés productives du travail ayant'
beaucoup acquis 5 leur produit s'eft multiplié'dans
tous les pays de l'Europe , 8e avec lui les' habitons
ont vu augmenter leur revenu réel 8e leur
richeffe. Les marchandifes de l’ Europe étoient
prefque toutes nouvelles pour l’Amérique 3 8e la'
plupart de celles de l'Amérique l’éfoient pour
1 Europe. Il s’établit donc de nouveaux échanges
auxquels on îi’avoit jamais penfé , & qui dévoient
etre aufil avantageux pour le nouveau continent
qu’il l’a été pour l’ancien. Par lïnjuftice barbare
des Européens, un événement, qui devoit être
falutaire à tous , devint ruineux & deftruélif pour
une grande partie du Nouveau-Monde.
' La découverte d’un paffage aux Indes-Orien-,
taies par le cap^de Bonne - Efpérance , faite à-peu-
pres dans le meme tems, ouvrit peut-être au commerce
un champ encore plus vafte , mais plus
■ éloigné, que celui de l'Amérique. Il n’ÿ avoit,
dans le Nouveau-Monde, que deux nations fu-.
périe tires , à tous égards, aux Sauvages, & elles
furent détruites prefqp’aufli - tôt que découvertes.
Mais quoique lés empires de la Chine , de l’In '
doftan , du Japon, & plufîeurs autres des Indes-
Orientales , ne fuffent pas plus riches en mines
dor & d’argent, ils Tétoient beaucoup plus danslt
tout le reftèj ils etôient mieux cultivés , & ils
avoient fait plus de progrès dans les arts & les.
manüfa&ures que le Mexique ' ou le Pérou ,
quand on en jugeroit même fur les rapports exa-i
gérés & .peu dignes de foi que les écrivains efpa-
gnols ont fait de l’ancien état de ces empires. Oc
les nations riches & c.vilifées peuvent toujours
faire éntr’eUes des échanges d’une plus grande
valeur que ceux qu’ elles font avec des Sauvages
& des Barbares. Cependant , jufqu’à, préfent,
l’Europè a tiré moins d’avantage de fon commerce
avec les Indes-Orientales , que de fon commerce
avec l’AmérFque. Les Portugais s’emparèrent entièrement
de celui dés Indes -Orientales, & y
firent le‘ monopole pendant près d’un fiècle. C ’é-
tôit par leur Canal fèul que les autres nations pou-
voiefit y envoyer ou* en tirer des marchandifes,
Lorfque les hollandoi^ fe mirent à empiéter fur
les portugais,’ au commencement du dernier fié-'
c le , ils jnveftirent une compagnie exclufivé de
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tout le commerce de l’ Inde. Les angloîs , [es
françois , les fuédois & les danois ont toüs fuivi
cet exemple 5 de manière qu’aucune des grandes
nations de l’Europe n’ à joui jufqu’à préfent de
l’avantage d’un commerce libre avec lés Indes
orientales, On ne peut affigner d’autre raifon de
ce qu’il n’a pas été fi profitable, que celui de l’A mérique
, où- les fujets de prefque toutes les nations
de l’Europe peuvent commercer librement
avec leurs colonies refpeétives. Les privilèges ex-
clufifs de ces compagnies des Indes orientales,
leurs grandes richéfles, la haute faveur & la protection
que leur ont valu ces ri ch elfes de la part
de leurs gouvernemens refpeétifs , ont attiré
l ’envie. Cette pa filon a fouvent repréfenté leur
commerce comme abfolument pernicieux, à raifon
des groftesTommes d’argent qu’il exporte chaque
année des pays d’où il fe fait. Les parties
intéreffées ont réppndu qu’à la vérité leur commerce
pouvoit tendre à Tappauvriffement de l’Europe
en général -, par cette continuelle exportation
d’argent, mais non à celui de leur pays en particulier
, parce que s’il en fort une quantité quelconque
de métal, il en rentre beaucoup plus par l’exportation
d’uné partie des marchandifes de l’Inde qui
viennent en retour, & qui font vendues à d’autre
pays de l’Europe. L ’objeétion & la réponfe
font également fondées fur la notion populaire
que nous examinons ici. Il eft donc inutile de s’y
arrêter davantage. L’exportation d’argent, qui fe
fait annuellement aux Indes, a probablement un peu
renchéri la vaiflelle d’argent en Europe , & probablement
elle eft caufe qu’on peut acheter plus
de travail & de marchandifes avec la même
quantité d’ argent monnoyé. Le premier de ces
deux effets eft une perte fort légère, & le fécond
un avantage futile , & tous deux de fi peu
de conséquence , qu’ils ne méritent point, l’attention
du public. Le. commerce des Indes orientales
, en ouvrant un marché aux productions de.
l ’Europe, ou , ce qui revient à-peu-près au même,
à l’or & à l’argent qu’on achète avec ces marchandifes
, doit tendre à augmenter les productions
annuelles de l’Europe, & par conféquent
fon revenu réel & fa richeffe. S’il les a fi peu
augmentés, jufqu’à ce jour, c’eft probablement
à caufe des entraves qu’ on y a mifes par-tout.
Le leCteur peut juger maintenant fi cette notion
populaire , que la richeffe confifte dans l’or
& l’argent ou dans le numéraire , eft bien f<?n-
dée. Dans le langage ordinaire , l ’ argent fighifie
fouvent la richeffe. Cet-ufage nous a rendu fi familier
le préjugé dont nous nous occupons i c i ,
que ceux même qui font convaincus de Ton ab-
furdité , font fort fujets à oublier leurs principes
, & à l’ introduire dans leurs raifonnemens
cpmme une vérité certaine & inconteftable- Quelques
uns des meilleurs auteurs angloîs qui ont
écrit fur le commerce, débutent par obferver
que la richeffe d’un pays confifte non-feulement
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dans fon or & fon argent, mais dans fes terres *
fes maifons & fes marchandifes confommables de
toute efpèce* > & , dans le cours de leurs raifonnemens,
ils femblent oublier les terres, les maifons
& les ehofes de confommation. En continuant
de traiter leur fujet, ils fuppofenr fouvent
que toute. la richeffe confifte dans l ’or & l’argent,
& que le grand objet de l’induftrie nationale
& du commerce eft la multiplication de ces
métaux.
Dès qu’on eut admis les deux principes, que la
richefie confifte dans l’or & l’argent, & qu’ on ne
peut en introduire dans un pays dépourvu de mines
que par la balance du commerce , ou en exportant
pour plus de valeur qu’on n’importe, le grand
objet de l’économie politique devint néceffaire-
ment de diminuer, autant qu’il étoit poflible ,
rimpor^aîio.n des marchandifes étrangères pourla
confommation au - dedans, & d’augmenter, le
plus qu’il étoit poflible , l’exportation du produit
de l’indurtrie domeftique. Les deux grands moyens
pour enrichir le pays, furent donc de mettre des
entraves à l ’importation & d’encourager l’exportation.
' On mit des entraves à deux fortes d’importation.
i ° . A l’importation des marchandifes étrangères
, telles que le pays pouvoit les produire. On
gêna la liberté de cette importation, de quel-
qu’endroît qu’elle fe f î t , dès qu’ elle, avoit pour
objet la Confommation du pays même.
20. A l’importation de prefque toutes les espèces
de marchandifes venant des pays particuliers
, avec Iefquels on fuppofoit que la balance
du commerce étoit défavorable.
Ces entraves ont été quelquefois de gros droits,'
& quelquefois des prohibitions abfolties.
L ’exportation fut encouragée quelquefois par
des remifes , quelquefois par des traités avantageux
de commerce avec d’autres érats , & quelquefois
par l’établiffement des colonies dans les
pays lointains..
On accorda des remifes en différentes occa-
fions. Lorfque les manufactures du pays étoient
foumifes à'quelque droit ou excife, on reftituoit
Toüvent le tout ou une partie fur leur exportation
j ce qui fe pratiqua de même par rapport
aux marchandifes étrangères, fujettes à un droit
lorfqu’on les importoit pour les réexporter.
On donna des gratifications, pour encourager
des manufactures naiffantes bu d’autres efpèces
d’induftrie qu’ on croyoit dignes d’une faveur particulière.
Un peuple,par le® traités avantageux de commerce,
fe procura, dans quelques états étrangers, des privilèges
particuliers à fes marchands & à fes marchandifes
, c’eft-à-dire , des facilités que les autres
nations n’y trouvoient pas.
En établiffant des colonies, on procura non-
feulement des privilèges aux marchandifes & aux