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on ne puiffe développer tous les procédés dans
un pamphlet de quelques pages , auffi complette*
ment & aufli diftin&ement qu'il eft poffible de
le faire avec des mots & des figures. Dans l'hif-
toire des arts que l'académie des fciences de Paris
publie , plufieurs d’entr’eux fe trouvent expliqués
de cette manière. D’ ailleurs la direction
d'opérations qui doivent varier félon le tems qu il
fa it , 8c félon bien d'autres circonftances , exige
beaucoup plus de jugement & de circonfpeétion
que celle d'opérations qui font toujours les mêmes
ou à-peuqprès les mêmes.
Auffi à la Chine & dans l'Indoftan , le rang &
le falaire des ouvriers de la campagne font-ils , à ce
qu’on d i t , fupérieurs à ceux de la plupart des
artifans & des manufacturiers , 8c il en feroit vrai-
femblablement de même par-tout 3 fans l’efprit &
les loix de corporations.
L ’avantage que l'induftrie des villes a fur celle
de la campagne dans toute l’Europe, n’eft pas
uniquement l'effet de leurs corporations & de leurs
loix. Il eft foutenu'par plufieurs autres régleraens.
Les gros droits fur les manufactures étrangères
& fur les marchandifes importées par les marchands
étrangers, tendent au même but. Les loix
des corps de métiers mettent les habitans des
villes dans le cas de haulfer leur prix, fans craindre
que. la concurrence de leurs concitoyens les
force à les diminuer. Les autres réglemens écartent
la concurrence des étrangers. Le furhauffe-
ment du prix occafionné par ces doubles entraves
, retombe "fur les propriétaires, les fermiers
& L e s ouvriers delà campagne , qui rarement fe
font oppofés à ces fortes de monopole. Ils n’ont
donc en général ni la volonté , ni la fermeté né-
ceffaires pour former une contreligue , 8c les clameurs
& les fophifme's des marchands & des
manufacturiers leur perfuadent aifément que l’intérêt
d’ une partie, & d’une partie fubordonnée,
eft l'intérêt du tout.
Les gens du même métier ne fe raffemblent
guères , même pour fe divertir , fans que leur entretien
aboutiffe à une confpiration contre le public
, ou a quelqu’ invention pour renchérir leur
travail. Il eft impoffible d'empêcher ces affem-
blées par aucune loi compatible avec la liberté &
la juftice. Mais fi les loix ne peuvent les empêcher
, elles ne doivent rien faire pour les faciliter
, ni à plus forte raifon pour les rendre nécef-
faires.
Un réglement qui oblige les gens d’ un même
métier à configner leurs noms 8c leurs domiciles
dans un regiltre public , facilite ces affemblées.
Il fieenfemb'Iedes individus q u i, fans cela , nefe
feroient jamais connus , & donne à chacun d'eux
le moyen de trouver tous les autres,
Un réglement qui les aiftorife à fe taxer eux-
mêmes pour le foulagement de leurs pauvres, de
leurs malades, 4? lçni's yeuves 8ç de leurs, orphe-
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lins, rend ces affemblées néeeffaires, parce qu*il
leur donne un intérêt commun à diriger.
Une corporation n'entraîne pas feulement la
néceflîté des affemblées j la pluralité des voix fie
tous les membres. Dans un métier lib r e , il ne
peut fe former de ligue efficace que de l'aveu
unanime de tous ceux qui l’exercent, 8c elle
ne peut durer qu’autant que chacun d’eux perfifte
dans fon avis. Dans un corps de métier , la majorité
fera paffer un lîatut accompagné d’ une fanc-
tion pénale, qui limitera la concurrence d’une
manière plus, efficace 8c plus durable que ne le
feront jamais toutes les conventions volontaires.
C e qu’on dit de la néceffité des corporations
pour maintenir le bon ordre & la police dans les
métiers , eft dénué de fondement. La véritable
difcipline & la plus efficace fur les ouvriers^’eft
pas celle de leur communauté, mais celle qu’exercent
leurs pratiques.; C ’ eft la crainte de les perdre
qui empêche un ouvrier de tromper, 8c qui
le corrige de fa négligence. O r , le privilège ex-
clufif des corps de métiers affoiblit cette difcipline
, puifqu’on eft obligé de fe fervir des membres
de ces corps, qu’ils travaillent bien ou
mal. C ’eft pour cela' que plufieurs grandes villes
à corporations ne fourniffent pas un ouvrier paf-
fable dans quelques métiers , même des plus né-
ceffaires. Si on veut que l ’ouvrage ne foit pas
mauvais , il faut le commander dans les fauxbourgs
où chez les ouvriers q u i, n’ayant point de privilège
exclufif, ne peuvent rien attendre que de leur
réputation quand cet ouvrage eft fait, il.faut
chercher des expédiens pour le faire entrer en
fraude dans la ville.
C ’eft ainfi que la police de l’Europe , en limitant
la concurrence , de certaines profeffions,
à un plus petit nombre d’ouvriers , occafionné
une inégalité importante dans la répartition du
total des avantages & des défavantages des diffé*
rens emplois du travail 8c des fonds.
2°. En augmentant dans certaines profeffions
la concurrence au-delà de ce qu’elle feroit, elle
produit une autre inégalité d’un genre oppofé dans
cette même répartition.
L ’idée de l’importance de certaines profeffions
& la crainte de les voir manquer de fujets., ont
engagé le public, 8c quelquefois des particuliers,
à fonder des penfions , des écoles, des collèges ,
des bourfes, & c . pour l’éducation des jeunes
gens qu’on y deftine 5 ce qui attire dans ces pra-
feflions bien plus de monde qu’il n’ y en aurait
autrement. C ’eft ainfi , je crois, qu’ un grShd
nombre d’eccléfiaftiques font élevés. Fort peu le
font entièrement à leurs frais. Le tems, l’ennui
& la rtiépenfe qu’ il en coûte à ceux.- c i, n’ont
pas toujours une récompenfe proportionnée, parce
que l’églife regorge de fujets q u i, pour fubfif-
ter ,• font obligés de fe contenter d’honoraires fort
au-deffous de ceux qui conviendraient à la décence
de leur état & à la nature de leur éducation :
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d*où il arrive que la concurrence des pauvres 1
ecc-léfiaftiques diminue la récompenfe à laquelle
ils auraient droit de prétendre. Sans doute , il
ne feroit pas décent de comparer un curé ou un
chapelain avec un fimple artifan. On peut toutefois
affimiler les honoraires des premiers avec le
falaire du dernier. Tous les trois font payés^ de
leur ouvrage , fe.lçn le contrat qui fe fait entr’eux
& leurs fupérieurs refpeébfs- Cinq marcs, équivalant
à-peu-près, à dix liv. fterl. aétuels, étoient en
Angleterre après le milieu du quatorzième fiè-
c le , les appointemens ordinaires des vicaires ou
des prêtres gagés des paroiffes, comme nous le
voyons par divers décrets des conciles nationaux.
A cette époque, on fixa le falaire d’un maître
maçon à quatre pences par jou r , ç'eft-à-dire ,
à un feheling de. la. monnaie aâuelle, & la jour- 1
née d’ un garçon maçon à trois pences, qui reviennent
à neuf pences d'aujourd'hui. Le falaire
de ces deux ouvriers, employés confiamment ,
étoit de beaucoup fupérieut à celui d'un vicaire ; 8c un maître maçon, employé feulement les deux
tiers de l'année, gagnoit autant qu'un vicaire.
Le douzième aéte parlementaire de la reine Anne ,
chap. 12 , déclare que , “ faute de fubfiftance 8c
» d'encouragement pour les vicaires (.1), les vi-
*> cariats ayant été affez mal pourvus en différens
3» endroits , l’évêque eft autorifé à leur afligaer 3
3» par un écrit de fa main & fcellé de fon fceau,
s* des appointemens ou une penfion qui n’ qxcède
3» pas cinquante livres fterlings par an , 8c qui
3.» n’aille pas au-deffous de vingt 3?. On compte
que quarante liv. par an font un revenu fort honnête
pour un vicaire i & , malgré cet aéle du
parlement, il y a même en Angleterre plufieurs
vicariats, dont la portion ne monte pas à 20 liv.
Il y a des garçons cordonniers à Londres , qui
gagnent quarante liv- par an, & à peine y a-t-il
dans cette métropole un artifan , de quelque ef-
pèce qu’il foit, qui n’en gagne plus de vingt.
Les gros bénéfices 8c les grandes dignités ec-
cléfiaftiques foutiennent l’honneur de l ’églife ,
malgré la pauvreté d’une partie du clergé inférieur.
Le refped qu’on a pour cette profeflîon ,
compenfe aufli la modicité de la récompenfe pécuniaire.
Si on élevoit aux dépens du-public une égale
proportion de jeunes gens dans les profeffions où
il n’y a point de bénéfices , telles que celles du
droit & de la médecine , la concurrence y feroit
bientôt fi grande , que le métier n’en vaudrait
plus rien. C e ne feroit plas la peine qu’ un homme
y élevât fon fils à fes propres frais. Elles feroient
abandonnées aux enfans entretenus par les
charités publiques, que leur multitude 8c leurs
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befoins forceraient à fe contenter d'une médiocre
rétribution.
L ’état où elles' feroient réduites dans cette hy-
pothèfe , eft juftement celui des gens de lettres.
Les honoraires des favans profeffeurs étoient
beaucoup plus confidérables dans ^antiquité, où
il n’y avoit point de ces charitables étabiiffemens
pour l'éducation gratuite des jeunes gens qui fe
deftinent aux fciences. Ifocrate , dans ce qu'on
appelle fon difeours contre les fophiftes, parle
ainfi de ceux qui enfèignoient de fon tems. « Ils
33 fon t, d it- il, les plus magnifiques promeffes à
33 leurs écoliers , 8c ils entreprennent de leur ap-
33 prendre à être Cages, à être heureux, à être
33 juftes} & en échangent d'un fi important fer-
33 v ic e , ils ne demandent que' la miférable ré-
33 compenfe de quatre à cinq mines. Ceux qui
». montrent la fageffe, continue-1 il , doivent cer-
» tainement être Cages eux-mêmes j mais fi quel-
33 qu’un vendoit une telle marchandife à ce
33 prix , il feroit convaincu de la plus évidente
33 folie ». C et orateur n’avoit fûrement pas envie
d’exagérer la récompenfe, & on ne peut fuppo-
fer qu’ elle ait été moindre qu’ il ne la repréfente „
Quatre mines étoient égales à treize livres fix
fçhelings 8c huit pences ( 299 liv. 12 fols de
; France ) , cinq mines à feize livres treize fchel.
& quatre pences ( 374 liv. 18 f. ) La rétribution
ordinaire des habiles fophiftes d’Athènes étoic
donc alors de cinq mines & pas moins. Ifocrate
1 en prenoit dix 5 on dit qu’ il avoit cent écoliers
lorfqu’ il enfeignoit à Athènes , 8c ce nombre ne
paraît point extraordinaire, pour une fi grande ville
& un profeffeur fi fameux, qui donnoit des leçons
de rhétorique, celle de toutes les fciences
qui étoit le plus à la mode en ce temps-là. Un
cours de rhétorique d’un an lui valoit donc mille
mines, ou 3333 liv. 6 f. 8 den. fterl. ( environ
75,000 liv. de France)} aufli Plutarque d it - il
dans un autre endroit, qu’il fixoit annuellement
mille mines de fes leçons. Plufieurs autres grands
maîtres paroiffent avoir fait de groffes fortunes,
par la même voie, dans le même tems. Gorgias
fit préfent au temple de Delphes de fa ftatue en
or maflif. Je préfume qu’ il ne faut pas la fuppo-
fer de grandeur naturelle. Platon nous le repré—
fente, ainfi qu’Hippias 8c Protagoras, comme
viyant avec magnificence. On dit la même chofe,
de Platon. Ariflote, après avoir été précepteur
d’Alexandre , & très - bien récompenfé par ce
prince 8c par fon père Philippe, crut néanmoins
devoir retourner, à Athènes , pour y reprendre
fes fondions dans fon école. Il paraît que les
maîtres des fciences étoient plus rares alors qu’ ils
ne le furent un ou deux fiècles après , lorfque la
concurrence augmentant, diminua quelque chofe
(t) Les vicariats d’Angleterre répondent aux cures de France ► ces vicaires ont des colloborateurs fuüoi-
donnés , qu’on appelle parfons.
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