{ordres. On leur reprochoit de ne voir dans leur
place que le crédit, l'argent, le pouvoir qu'elle
leur donnoit. On leur reprochoit de livrer les
poftes-les plus importans à des parens fans moeurs,
fans application , fans capacité. On leur reprochoit
de multiplier fans ceffe & fans mefure le
îïômbre des fa€teurs , pour fe ménager des protecteurs
à la ville & à la ^cour. Enfin on leur
reprochoit de fournir eux mêmes ce qu'on aurçit
obtenu ailléûrs à un prix plus modique’& de meÜ:
le lire qualité. Soit que le gouvernement ignorât
ces excès , foit qu’ il ri'eût pas le courage de les
réprimer, il fu t , par fon aveuglement ou par fa
foibleffe , complice en quelque forte de la ruine
des affaires de la nation dans l'Inde. On pourroit
même, fans injuftice, l’accufer d'en avoir'été là
caufe principale, par les inftrumens foibles ou infidèles
qu'il employa pour diriger, pour défendre
une fcolonie importante , qui n'avoit pas moins à
craindre de fa corruption que des flottes & des
armées angloifes. ■ .
Le poids dés malheurs qui accabloient la compagnie‘
dans l’orient, étoit augmenté par la fi-
tuation non moins: fâcheufe où elle fe trouvoit
èn Europe. Il fallut tracer ce double tableau aux
actionnaires. Cette vérité amena le défefpoir qui
enfanta cent fyftêmes, la plupart abfurdes. On
paffoit rapidement de l'un à 1 autre, fans quautan
pût fixer des efprits pleins d'incertitude &
dé défiance. Des momens précieux fe paffoient
en reproches & en invedtives. L'aigreur nuifoit
aux délibérations: Perfonne ne pouvoit prévoir
où tant de con-vulfions âboutiroieut. Les orages
fe calment enfin, les coeurs s'ouvrent à l'efpé-
jance. La compagnie , que les ennemis de tout
privilège exclüfif defiroient de voir abolie, &
dont tant d'intérêts particuliers avoient juré la ruine
eft maintenue, & , ce qui étoit indifpenfable, on
la réforme. , . . ,
Parmi les eaufes qui avoient précipité la compagnie
dansTabyme ou elle fe trouvoit, il y en
avoit une regardée depuis longtemps comme la
fource de toutes les autres : c’étoit la dépendance
ou plutôt la fervitude où le gouvernement
•lenôit ce -grand corps depuis près d'un démin
é s 172$., cour aV01t e^e m^.me les
directeurs- En 175,0, un commiffaire du roi fut
introduit dans l'adminiftration de la^ compagnie.
Dès-lors, plus de liberté dans les délibérations,,
plus de relation entre les adminiftrateurs & les ]
propriétaires, aucun rapport immédiat entre les ;
adminiftrateurs & le gouvernement. Tout fe dirigea
par l'influence & fuivant les vues de l'homme
de la cour. Le myftère, ce voile dangereux
d'uneadminiftration. arbitraire,, couvrit toutes les
opérations, & ce ne fut qu'en 1744qu'onaffem-
bla les actionnaires. Ils furent autorifés à nommer
des fÿndics;, & à faire tous les ans une alfemblée
généiaie mais.iU nen furent pas mieux inftruits
de leurs, affaires, ni plus maîtres de les diriger..
Le prince continua à nommer les directeurs ; &
au lieu d’un commiffaire qu'il avoit eu jufqu alors
dans la compagnie, il voulut en avoir deux.
Dès ce moment, il y eut deux partis. Chacun
des commiffaires forma des projets différens, adopta
des protégés, chercha à faire prévaloir fes vues.
De là les divifions, les intrigues, les délations,
lés haines dont le foyer étoit à Paris , mais qui
s'étendirent jufqu'aux Indes , & qui y éclatèrent
d'une manière fi funefte pour la nation.
Le miniftère, frappé de tant d'abus & fatigue
de ces guerres interminables, y chercha, un remède.
Il crut l'avoir trouvé en nommant un troi-
fième commiffaire. C et expédient ne fit qu augmenter
le mal. Le dcfpotifme avoit régné lorfqu'il
n'y en avoit qu'un , la divifion lorfqu'il y en eut
deux : mais , dès l'inftant qu'il y en eut trois,.
tout tomba dans l'anarchie. On revint à n'en-
avoir que deux, qu'on tâcha de concilier^ le
mieux qu’on put j & il nxy en avoit meme qu un
en 176 4 , lorfque les actionnaires demandèrent
qu'on rappellât la compagnie à fon effence, en lut
rendant fa liberté. v
Ils ofèrént dire au gouvernement que c’étoit a
lui à s'imputer les malheurs & les fautes de la
compagnie, puifque les actionnaires rf à voient pris
aucune part à la conduite de leurs affaires : qu'elles
ne .pouvoient être dirigées vers le. but le plus
utile pour eux & pour l'état , qu'autant qu'elles
le feroient librement, & qu'on établiroit dès relations
immédiates entre les propriétaires & les
admirirftrateurs.^ entre les adminiftrateurs & le
miniftère ; que toutes les fois qu’il y auroit un
intermédiaire , les ordres donnés d'une part, &
les repréfentations faites de F autre, recevrojent
néceffairement, en paffant par fes mains,. l'im-
preffion de fes vues particulières & de fa volonté
perfonnellej enforte qu'il feroit toujours le v é ritable
& l'unique adminiftrateur de la compagnie:
qu'un adminiftrateur de cette nature, toujours
fans intérêt , fouvent fans lumières , iacrifieroit
perpétuellement à -l'éclat paffager- de fon adminiftration
& à la faveur des gens en place , | le
bien & l'avantage réel du commerce : qu'on
devoit tout attendre au contraire d'une administration
libre „choifie parles propriétaires, éclairée
par eux, agiffant avec eux, & loin de laquelle on
écarteroit conftamment toute idée de gêne & d&
contrainte-
Ces raifons furent fenties pair le gouvernement.
Il affura à la compagnie fa liberté par
un édit folemnel , & Ton fit quelques règlement
pour donner une nouvelle forme à fon administration.
Le but de ces inftitutions étoit que- la compagnie
ne fût plus conduite par des hommes qui
fouvent n’étoient pas dignes d’en être les fadeurs :
que: fe gouvernement ne s'en mêlât que pour la
protéger 1 qu'elle fût également préservée & de
la fervitude fous laquelle elle avoit Cônftamment
gémi, Sc de lefprit de myftère qui avoit perpe-
tué la corruption : qu'il y eût des relations continuelles
entre les adminiftrateurs & les aâion-
naires : que Paris, privé de l'avantage dont jouif-
fent les capitales des autres nations commerçantes,
celui d'être"un port de met, pût s'inftruire
du commerce dans les affemblées libres 3c paisibles
: que le citoyen s'y formât enfin des idees
juftesde ce lienpuiffant de toutes les nations, &
qu'il apprît, 'en s’éclairant fur les fources de la
profpérité publique, à refpeéler les négociais
dont les opérations y contribuent, ainfi qu a me-
prifer les profefiions qui la detruifent. _
Les évenemens qui fuivirent ces fages inftitutions
, eurent queiqu’éclat. On remarqua de tous
côtés une grande activité. Durant les cinq années
que dura la nouvelle adminiftration , les ventes
s'élevèrent annuellement a près de 18,000,0001.
Elles n'avoient pas été fi confidérables dans les
tems qu'on avoit regardes comme les plus brillans,
puifque depuis 1726 jufques & compris 17 J6 , elles
n'étoient montées qu'a 437,378,284 * ce
qui faifoit, année commune , paix 6c guerre ,
14,108,912 liv. , . ,
Cependant cette apparente profperite couvrait
des abymes* Lorfqu'on en foupçonna 1 exiftence ,
& . qu'on voulût les approfondir , il fe trouva que
la compagnie, à la reprife de fon commerce ,
étoit plus endettee qu on ne 1 avoit cru. C eft un
événement ordinaire à tous les corps marchands*
qui ont des affaires compliquées , etendues, éloignées.
Prefque jamais ils n’ont une idée jufte de
leur fituatron. On attribuera, fi l'on veut, ce
vice, à l'infidélité, à la négligence à l'incapacité
de fes agens : toujours fera - 1 - il vrai qu. il
exifte prefque généralement, Le malheur des guerres
augmente encore la confufion. Celle que les
françois venoient de foutenir dans 1 Inde, avoit
été longue & malheurenfe- Les dépenfes & les
déprédations n'en étoient qu'imparfaitement connues,
& la compagnie recommença fes operations1
en comptant fur un plus grand capital qu elle
lie l'avoit. A .
Cette erreur , ruîneufe en elle-même, fut fui-
vie d’autres erreurs funeftes, où l'on tomba peut-
être pour n'avoir pas aftex réfléchi fur les révolutions
arrivées depuis peu dans l'Inde. On ef-
péra que les ventes de la compagnie s'éleve-
roient à 2 f ,000,000 livres , & elles relièrent au-
deffous de 18,000,000 liv. On efpéra que les
marchandifes d'Europe feroient vendues cinquante
pour eent de plus qu'elles n'avaient coûté,. & à
peine rendirent-elles leur prix -originaire. On efpéra
un bénéfice de cent pour cent fur les productions
qu’on rapportoit dans nos climats , &c il
ne fut pas de foixante & douze.
Tous ces mécomptes avoient leur fource dans
la ruine de la confidération. françoife dans l'Inde>
S i dans le pouvoir exoïbitaut dé U nation conquérante,
qui venoit d’aflervir ces régions éloignées
: dans, la nécellité où l'on étoit réduit de
recevoir fouvent à crédit de mauvaifes marchandifes
des négociant angiois , qui cherchoient à
faire palier en Europe les fortunes immenles qu'ils
avoient laites en Afie : dans l'impoflibilité de fe
procurer les fonds néceffaires au commerce, fans
en donner un intérêt exorbitant : dans l'obligation
d'approvifîorner les ifles de France & de
Bourbon, avances dont la compagnie fut tard &
mal payée par le gouvernement , ainfi que de la
gratification qu on lui avoit accordée pour fes exportations
& fes importations.
Enfin, dans le plan des adminiftrateurs, les
dépenfes néceffaires pour l'exploitation du com-
! merce & celles de fouvetaineté , ne dévoient pas
! excéder, chaque année , 4,coq,000liv ., & elles
en coûtèrent plus de huit. Les dernières même
pouvoient aller plus loin dans la fuite , étant
fufceptibles par leur nature de s'étendre & de
s’ accroître fuivant les vues politiques du monarque
, unique juge de leur importance 8e de leur
néceflité. _
Il étoit impoffible que , dans cet état des cho-
fes , la compagnie ne dérangeât de plus en plus
fes affaires. Sa ruine 8e celle de fes créanciers
alloient être confommées, lorfque le gouvernement,
averti par des emprunts qui fe renouvel-
loient fans ceffe , voulut être inftruitde fa filtration.
Il ne l’eut pas plutôt connue, qu'il jugea
devoir fufpendre le privilège exclüfif du commerce
des Indes. Il faut voir quel étoit alors Létat de
la compagnie.
Avant 1764, il exiftoit cinquante mille deux
cents foixante-huit aâions. A cette époque , le
miniftère q u i, en 17481 1747 & 1748 , avoic
abandonné aux actionnaires le produit des a étions
& des billets d'emprunt qui lui appartenoient,
leur facrifia les billets & les aétionsmême, les
uns & les autres au nombre de onze mille huit
cents trente-cinq,. pour les indemnifer des dépenfes
qu’ ils avoient faites durant la dernière guerre.
Ces aétions ayant été annullées, il n’en relia que
trente-huit mille quatre cents tréùte-deux.
Les befoins de la compagnie firent décider dans
la fuite un appel de 400 livres par aâion. Plus de
trente-quatre mille aétions remplirent cette obli-
: gation. Les quatre mille qui s'en écoient difpen-
fées ayant été réduites, aux termes de l'édit qui
avoir autorifé l'appel , aux cinq huitièmes de la
: valeur de celles qui y avoient fatisfait, le nombre
total fe trouva réduit, par l’ effet de cette operation
, à trente fix mille neuf cents vingt aétions.
entières & fix huitièmes.
Le dividende des aâions de la compagnie de
France a varié, comme celui des- autres compa-
: gnies, fuivant les circonftaticés. Il fut de 100 I.
I en 1722. Depuis 1713; jufqu en-1745 , de 1.50 I.
Depuis 1746 jufqu'en 1749-, de 7©. liv. Depuis
! 17JO jufqu’en 17jS , de 80 liv. Depuis l y j j j u f -