
autrefois 3 à moins qu'il n'eût des raifons particu-,
lières. Un homme qui afpire à la fouveraineté *
cherche moins ce qui eft utile à l'état que ce qui'
l'eft à fa caufe.
J)e la fimplicité des loix civiles dans les divers
gouvernemens.
L e gouvernement monarchique ne comporte pas
des loix àuffi fimples que le defpotique; il y faut
des tribunaux. Ces tribunaux donnent des décidons
, elles doivent être confervéesj elles doivent
être apprifes, pour que l'on y juge aujourd'hui
comme l'on y jugea hier , & que la propriété &
la vie des citoyens y foient à d'urées & fixes comme
la çonftitution même de l'état.
;c. Dans une monarchie 3 l'adminiftration d'une juf-
tiee qui ne décide pas -feulement de la vie & des
biens, mais aufli de l'honneur, demande des recherches
fcrupuieufes. La délicateffe du juge augmente
à mefure qu'il ,a un plus grand dépôt 0 &
qu'il prononce fur de plus grands intérêts.
Il ne faut donc pas être étonné de trouver
dans les loix de ces états tant de règles , de
leftriétions , d'extenfions, qui multiplient les cas
particuliers ,. & femblent faire un art de la raifon
même.
La différence de rang, d'origine, de condition,
qui eft établie dans le gouvernement monarchique
, entraîne fouvent des diftin&ions dans h
nature des biens j & desdoix relatives à la conf-
titution de cet état, peuvent augmenter le nombre
de ces diftinétions. Ainfi parmi nous, les
biens font propres, acquêts ou conquêts ; dotaux
, paraphernaux , paternels & maternels ;
meubles de plufieurs efpèces, libres, fubftitués 5
du lignage ou non 5 nobles , en franc-aleu ou roturiers
i rentes foncières- ou conftiuuées à prix
d’argent, Chaque forte de biens eft foumife à
des règles particulières j il faut les fuivre pour
en difpofer : ce qui ôte encore de la fimplicité.
- Dans nos gouvernemens, les fiefs font devenus
héréditaires. On a voulu donner à la nobleffe une
certaine confiftance, afin que le propriétaire du
fief fût en état de fervir le prince. Cela a dû
produire bien des variétés : par exemple, il y a
des pays où l'on n'a pu partager les fiefs entre
les frères } dans d'autres , les cadets ont.pu avoir
leur fubfiftance avec plus d'étendue.
Le monarque, qui connoît chacune de fes provinces
, peut établir diverfes lo ix , ou fouffrir di*
verfes coutumes. Mais le defpote ne connoît rien,
& ne peut.avoir d'attention fur rien j .il lui faut
une allure générale j il gouverne par une volonté
rigide qui eft par-tout la même j tout s’applanit
fous fes pieds.
A mefure que les jugemens des tribunaux fe
multiplient dans les monarchies 3 la jurifprudence
fe charge de dédiions, qui quelquefois fe contredirent
j ou parce que les juges qui fe futcè-
dent , penfent différemment, ou parce que les
affaires font tantôt bien, tantôt mal défendues,
ou enfin par une infinité d'abus qui fe gliffent
dans tout ce qui pafie par la main des hommes.
C ’eft un mal inévitable que le légiflateur doit
corriger de temps en temps , comme contrairé
même à l'efprit des gouvernemens modérés. Car ,
quand on eft obligé de recourir aux tribunaux ,
il faut que cela vienne de la nature de la confti-
tution & non pas des contradictions & de l'in-
cértitudé' dés loix.
Dans les gouvernemens où* il y a néceffairenient
des diftinCtions dans les. perfonnes , il faut
qu'il y ait des privilèges. Cela diminue encore la
fimplicité, & fait mille exceptions.
Un des privilèges qui eft devenu le plus commun,
parce qu'il paroît le moins a chargé à la fociété ,
& fur-tout à celui qui le donne * c'eft de plaider
devant un tribunal pliitôt que devant un autre.
Voilà de nouvelles affaires , c'eft-à-dire, celles
où il s'agit de favoir devant quel tribunal il faut
plaider.
Dans les états defpotiques , lé prince peut jiï-
ger lui-même. Il ne le peut dans les monarchies :
la çonftitution feroit détruite j les pouvoirs intermédiaires
, dépendans, anéantis : on verroit
ceffer toutes les formalités des jugemens î la crainte
s'émpareroit de tous les efprits : on verroit la
pâleur fur tous les vifagesj plus de confiance, plus
d'honneur »plus d'amour, plus de fûreté, plus
de monarchie.
Dans les états monarchiques, le prince eft la
partie qui pourfuit les accufés, & les fait punir
ou abfoudre ; s'il jugêoit lui-même, il feroit? le
juge & la partie.
Dans ces mêmes états, .le prince a fouvent les
confifeations. S'il jugeoit les crimes, il feroit encore
le juge & la partie.
De plus, il perdroit le plus bel attribut de fa
fouveraineté , qui. eft celui de faire grâce (1 ) : il
feroit infenfé qu'jl fît & défît fes jugemens : il
ne voudroit pas être en contradiction avec lui-
même.
Outre que cela confondroit toutes les idées ,
on ne fauroit fi un homme feroit abfous,- ou s'il
recevroit fa grâce.
Lorfque Louis XIII voulut être juge dans lé
procès du duc de h Valette (,* ),.& : qu'il ap-
(1) Platon ne penfe pas que les rois qui font, dit-il, prêtres, puilient affifter au jugement où l’on condamne
a la mort, à 1 ex il, à la prifon.
.A 1) Voyei^Xz. relation du procès fait a M, le duc de la Valette. Elle eft imprimée, dans les Mémoires de
Montrefor, tom» i,p a g . éz.
peÏÏa pour ce la , dans fon cabinet, quelques officiers
du parlement & quelques confeillers d'état
j le roi les ayant forcés d'opiner fur ie décret
de prife-de corps , le préfident de Believre dit :
« qu'il voyoit-dans cette affaire une chofe étran-
” 8e 3 un prince opiner au procès d'un de fes
39 füjets j queues rois né s'étoient refervé que
99 les graebs, & qu ils renvoyoient les condamna-
9* fions vers leurs officiers- Et votre majefté vou-
99 droit-elle bien voir fur la fellette un homme devant !
» e lle , qui’, par fon jugement droit dans une
99 heure à la mort ! Que la face du prince’, qui
99 porte les grâces , ne peut foutenir cela y que
99 fa vue feule levoit les interdits <|es églifes > qu'on
99 ne devoit fôrtir que content de devant le prin-
99 c e ” . Lorfqu'on jugea le fo n d , le même préfident
dit dans fon ‘avis : « cela eft un jugement
« fans exemple, voire contre tous les exemples
99 du pafie jufqu'à huy , qu'un roi de France ait
99 condamné en qualité de ju g e , par fon avis, un
99 gentilhomme à mort (1 ) ».
- Les jugemens rendus par le prince , feroient
une fource intariffable, d'iniuftice & d'abus ; les
courtifans extorqueroiënt, par leur importunité ,
fes jugemens. Quelques empereurs romains eurent
la fureur de juger j nuis règnes n'étonnèrent plus
l'univers par leurs injuftices.
« Claude, dit Tacite (2.), ayant attiré à lui le
99 jugement des affaires & les fondions des ma-
99 giftrats, donna occafîon à toutes fortes de ra-
99 pi nés Auffi Néron parvenant à l'empire après i
Claude , voulant fe concilier les efprits, décla-'
ra-t -il « qu'il . fe garderoit bien d'être le juge de
99 toutes les affaires, pour que les accufateiirs &
99 les accufés , dans les murs d’un palais, ne fuf-
99 fent pas expofés à l'unique pouvoir de quelques
99 affranchis (3) ».
« Sous le règne d'Arcadîus, dit Zozime ( 4 ) ,
99 la nation;des calomniateurs fe répandit, entoura
99 la cour & l'infeéta. Lorfqu'un homme étoit
99 mort , on fuppofoit qu’il n'avoit point laiffé
99 d’enfans (y) 5 on donnoit fes biens par un ref-
«» .çrir.^ Car comme le prince étoit étrangement
30 ftupide -, 8c 1 imperatricé entreprenante à l'ex-
» ces , elle fervoit l'infatiable avarice de fes do-
99 meftiques & de fes confidentes ; de.forte que,
99 pour les gens modérés, d n'y avoit rien de
ÿ plus defîrable que la mort ». ;
c« Il y avoit aatrefois, dit Procope (6 ) , fort
v peu de gens à la cour : mais fous Juftiniën ,
99 comme les juges n'avoient plus la libèrté de
99 rendre juftice , leurs'tribunaux étoienf déferts. 1 *5 6
» ' tandis que le palais du prince retentiffoit des
» clameurs des parties qui y fôîîicitbient leurs
99 'affaires »V Tout le monde fait comment on y
vendoit les jugemens & même les loix.
Les loix' font les yeux du prince $ il voit pat
f elles ce qu'il ne pourroit pas voir fans elles. Veut-
if faire la fcnélion des tribunaux ? il travaille non
pas pour lu i , mais pour fes féduéteurs contre lui.
Dans la monarchie, les minières ne doivent pas
juger.
C 'e ft encore un grand inconvénient dans la mo~
nàrchie, que les miniftres du prince jugent eux-
mêmes les affaires contentieufes. Nous voyons
encore aujourd'hui des états où il y a des juges
fans nombre pour décider les affaires fifcales ,
& où les miniftres, qui le croiroit l veulent encore
les juger. Les réflexions viennent en foule ,
je "ne ferai que celle-ci.
If y a , pat la nature des chofes, une efpèce
de contradiction entre le confeil du monarque 8c
de fes tribunaux; L e confeil des rois doit être
compofé de peu. de- perfonnes , & les tribunaux
de judicature en demandent beaucoup. La raifon
en eft que, dans le premier, on doit prendre les
affaires avec une certaine paftîon & les fuivre de
même > ce qu'on ne peut guère efpérer que de
quatre ou cinq hommes qui en font leur affaire.
Il faut 3 au contraire, des tribunaux de judicature
j de fang-froid, & à qui toutes les affaires foient
en quelque façon indifférentes.
La chofe du inonde la plus inutile au prince , a
fouvent affoibli la liberté dans lés monarchies y
les commiffaires nommés quelquefois pour jugée
un particulier.
Le prince tire fi peu d'utilité des commiffaires ,
qu'il ne vaut pas la peine qu'il change l'ordre des
chofes pour cela. Il etc môfâlement fûr qu'il a
plus l'efprit de probité & de juftice que fes
commiffaires, qui fe croient toujours affez jufti-
fiés par fes ordres , par un obfcur intérêt de l’état,
par le chojx qu'on a fait d’eu x , & par leurs
craintes mêmes.
Sous Henri V I I I , lorfqu’on faifoit le procès a
un pair , on le faifoit juger, par des commiffaires
tirés de la chambre des pairs : avec cette méthode
, on fit mourir tous les pairs qu'o,n voulut.
Le prince ne doit point faire le commerce.
Théophile (7) voyant un vaiffeau où il y avoîc
(1) Cela fut changé dans la fuite. Voye%_ la même relation.
(4) Annal, liv. XI.
{3) Ibid. liv. XIII.
Hift. liv. V.
(5) Même défordre fousThéodofe le jeune*
(6) Hiftoire fecrette.
£7) Zonare.