
A Londres, prefque tous les compagnons artisans
font expofés à être renvoyés par leurs maîtres
<i’une femaine 8c d’un jour à l’autre , comme
ceux qui travaillent à la journée dans d’autres
endroits. En conséquence, les tailleurs qui font
la dernière^ claffe des artifans , gagnent par jour
un demi-écu (deux fchelings 8c demi ou trente
•pences ) , quoique dix- huit pences puifient être
•regardées comme le fai aire du plus bas travail.
Dansées petites villes & 'es villages, à peine les
•journées d’ un garçon tailleur valent-elles celles
•des manoeuvres. Mais à Londres ils relient fou-
vent oifîfs, fpécialement en été.
Lor-fqui l’interruption du travail fe joignent la
dureté , le défagrément & la mal-propreté de l’ouvrage
, le ‘prix du bas travail s’élève quelquefois
•au-delïus du falaire des artifans les plus favans.
On fuppofe qu’un homme qui tire du charbon
des mines de New caftle , 8c qui travaille à la pièc
e ,g a gn e environ le double, & en plufieurs endroits
de l’EcolTe environ le triple du falaire du bas
travail > cela vient de la dureté , du défagré-
ment 8c de la mal-propreté de fon ouvrage. Son
occupation |>eut être en général auffi confiante
qu’ il le voudra. Les portefaix-charbonniers exercent
un métier qui n’èft guère moins pénible ,
-guère moins défagréable 8c mal-propre. Mais la
plupart ne peuvent l’exercer conllamment, à
cnufe de l’irrégularité inévitable dans l’ arrivée des
VaifTeaux de charbon. Si ceux qui tirent le charbon
des mines, gagnent le double & le triple,
il ne paroît pas déraifonnable que ces portefaix
gagnent le quadruple & le quintuple du falaire
du bas travail. Il y a quelques années qu’on voulut
favoir en Angleterre quel étoit leur bénéfice.
On trouva qu’aux taux ou on les payoit, ils pou-
voient gagner de fix à dix fchelings par jour. Six
fchelings font envirqn le quadruple du falaire du
bas travail à Londres, & dans chaque métier le
moindre gain ordinaire peut toujours être régardé
comme celui que fait la très - grande partie de
ceux qui l’exercent. Quelqu’exorbitant que- pa-
roifle un tel falaire , s’il étoit plus qiie fuffifant
pour compenfer tout ce qu’ il y a de défagréà-
ble dans la befogne , il feroit bientôt réduit à un
moindre taux par la multitude de compétiteurs
"qu’on verroit dans un métier qui n’a point de privilège
exclufif.
La confiance ou l’interruption du travail ne
peut affe&er les profits ordinaires des capitaux
dans aucun commerce particulier y il "dépend du
commerçant & non du commerce, que les fonds
Toient ou ne Soient pas toujours employés.
4°. Le falaire du travail varie félon la confiance
qui!Taut mettre dans -les ouvriers.
Le.falaire des orfèvres 8c des joûailliers efl partout
Supérieur à celui de la plupart des ouvriers ,
dont le métier demande autant ou plus de talent.
C ’efl qu’on leur confie des matières précieufes.
Nous mettons notre fanté entre les mains du
médecin j notre fortune 8c quelquefois notre vie
& notre réputation entre les mains d’un avocat
8c d’un procureur ,* on ne pourroit avoir cette
confiance en des ger.s d’une vile & baffe condition.
Il faut donc que nous les récompenfions de
manière à leur donner dans la fociété le rang
qu’exige un pareil dépôt. Le temps $c. les frais
de leur éducation , combinés avec cette circonf-
tance, renchériffent encore le prix de leur travail.
La confiance n’ a pas lieu, quand une perfonne
fe borne à employer fes propres capitaux dansutj
commerce ; 8c le crédit qu’elle peut trouver, dépend
non de la nature de ce commerce, mais
de l’opinion qu’on a de fa fortune , de fa probité
& de fa prudence. Lesdifférens taux du profit,
dans les diverfes branches du commerce , ne viennent
donc point des degrés de la confiance qu’on
met dans les commerçans.
5°. Le falaire varie, dans les divers emplois
du travail , félon la probabilité ou l’improbabilité
d’y réuffir.
La probabilité du fuccès n’efl pas à beaucoup
près la même: dans les diverfes cprofeffions. Il efl
prefqueTûr dans la : plus grande partie des arts
méchaniques, 8c trèsrincertain dans les arts libéraux.
Mettez votre fils-en apprentiffage chez un
cordonnier, il y.a toute apparence qu’il apprendra
à faire des fouliers. Envoyez-lexlans un collège
de droit, il y a pour le. moins vingt à. parier
contre un , qu’il neiera point affez de progrès
pour gagner fa vie dans cette profeffion. Dans
une loterie parfaitement avantageufe, c’ell-à-dire,
où le total des lots efl égal à celui des mifes.,
ceux qui ont des lots , doivent gagner tout ce qui
efl perdu par ceux qui n’en ont point. Dans une
profeffion où vingt perfonnes échouent pour une
qui réuffit, celui qui a du fuccès doit gagner cê
que les vingt autres ne gagnent pas. L’avocat
qui commence, peut-être à l’âge de quarante ans,
à tirer parti de fa profeffion, doit recevoir, la rétribution,
non-feulement de fon éducation quia
été fi pénible 8c fi difpendieufe, mais de celle de
plus de vingt autres à qui vraifemblablement elle
ne rapportera jamais rien. En général ,_quelqu’ ex-
ceffifs que puiffent paraître les honoraires d’un
avocat, fa rétribution réelle ne va jamais là. Qu’on
fuppute , en tel endroit qu’on voudra, ce que
peuvent gagner 8c ce que peuvent dépenfer annuellement
les cordonniers ou les tifferands., on
trouvera que la première fomme excède la dernière.
Q u’on fane le même calcul, par rapport
aux avocats 8c aux jurifconfultes , on trouvera
peu de proportion entre leurs gains 8c leur dépenfe
annuelle, quand on porteroit les premiers
auffi haut, 8c la dernière auffi bas qu’ i l efl pof-
fible. Il s’en faut donc beaucoup que la loterie
de pette profeffion foit tout-à-fait avantageufe,
Ep fait de gains pécuniaires , elle efl donc pial
récompenfée, ainfi que plufieurs autres profef-
fions libérales 8c honorables.
Il y a cependant une efpècè d’équilibre entre
les profeffions libérales 8c celles qui ne le
font pas > 8c , malgré ces découragemens ,
les efprits. qmj font les plus généreux 8c qui
ont le plus de fentimens, s’empreffent d’y entier.
Deux caufes les y déterminent : la première
efl le defir de la réputation qu’on acquiert
quand on y excelle : la fécondé efl la confiance
naturelle que chacun a plus ou moins dans fes
talens 8c dans fa bonne fortune. Il ell agréable
d’exceller dans une profeffion où fort peu de
gens parviennent à la médiocrité. L ’admiration
que le public a pour eux, fut toujours une partie
de leur récompenfe j partie plus ou moins considérable
, félon le degré plus fort ou plus foible
de cette admiration qu’il faut compter pour beau
coup dans la médecine, peut-être, pour davantage
dans le barreau, & prefque pour tout dans la
littérature.
Il y a des talens qui infpirent une forte d’ admiration
, mais dont l’exercice en vue du gain
efl regardé, par raifon ou par préjugé , comme
line efpèce de proflitution publique. Ainfi la récompenfe
pécuniaire de ceux qui les exerçant par
ce motif, doit non-feulemënt payer le temps, la
peine 8c la dépenfe qu’il a fallu pour les acquérir
, mais encore les dédommager du décri dans
lequel tombent ceux qui les emploient comme des
moyens de fubfillance. Le gain exorbitant que
font les comédiens, les chanteurs, lès danfeurs
d’opéra, 8cç. efl fondé fur ces deux principes j
la rareté 8c la beauté de leurs talens, 8c le peu
de confédération dont ils jouiffent. Au premier
coup-d’oe i l , il paroît abfurde qu’on méprife leurs
perfonnes 8c qu’on:recompenfe leurs talens avec
tant de profufion. L ’un efl pourtant une fuite
néceffaire de l’autre. Si l’opinion publique ou le
préjugé changeoit à l’égard de ces occupations,
«lies deviendraient auffi-tôt moinsducratives. Plus
de gens s’y adonneraient, 8c la concurrence réduirait
le prix de leur travail. Ces fortes de talens,
quoique loin d’être communs, ne font pas
auffi rares qu’on l’imagine. S’il efl peu de gens
qui les poffèdênt dans une grande perfection ,
8c qui dédaignent d’en faire cet ufage, il en efl
beaucoup qui feraient capables de les acquérir ,,
fi l’on pouvoit s’ÿ livrer avec honneur.
L ’ opinion préfomptueufe que la plupart .des
hommes ont de leur capacité, efl un mal ancien ,
remarqué par les philofophes 8c les moraliftes de
tous les fiècles. On a moins parlé de l ’abfurde
vanité qui les porte à préfumer de leur bonne
fortune. Elle efl cependant, s’ il ellpoffible, encore
plus univerfelle. Il n’y a point d;homme qui
n’en ait fa part , quand il fe porte bien Sc qu’il
ell bien difpofé. Chacun groffit plus ou moins
la chance du gain ; la multitude exténue celle du
mal à peine trouvera-t-on quelqu’un qui, n’etant
ni malade ni chagrin , l’eflime plus qu'elle :
ne vaut.
Q u ’on furfaffe la chance du gain, le fuccès
univerfel des loteries, le démontre. Le monde n%>|
a jamais vu 8c n’en verra jamais où la probabilité
du gain foit égale à celle de la perte , 8e où le
total de l’un compenfe le total de l’autre, parce
qu’il n’y aurait pas. de bénéfice pour l’entrepreneur.
Dans les loteries d’é ta t, les billets: ne valent
réellement pas le prix, qu’en donnent les
premiers: foufcripteurs > 8c cependant ils gagnent
fur la place vingt, trente 8c quelquefois quarante
pour cent de prime. Par la vaine efpé-
rance de gagner un bon lo t, on en veut avoir, à
ce prix. Les plus fages regardent à peine comme
une folie de payer une petite fomme pour la
chance de gagner dix ou. vingt mille liv. llerlings,
quoiqu’ ils fâchent que cette petite fomme efl peut-
être, de vingt ou trente pour cent fupérieure à
ce que vaut la chance. On ne marquerait pas le
même empreffement pour avoir des billets dans,
une loterie où aucun lot n’excéderait vingt liv.
flerlings, quoiqu’ à d’autres égards elle approchât
plus d’une loterie égale que n’en approchent les
loteries ordinaires. Pour augmenter la chance de
quelque lot confidérable, certaines gens prennent
plufieurs billets , 8c d’autres de petites parts dans
un nombre de billets encore plus grand. Cependant
plus on prend de billets, plus on doit perdre.
Il n’y a point de propofition plus certaine
dans les mathématiques/Qu’on les prenne tous ,
on fera certain d’y perdre } 8c plus on en prend ,
plu$ on approche de cette certitude.
Qu’on évalue la chance de la perte , fouv.ent
moins 8c prefque jamais plus qu’elle ne vaut, le^
profit très-modéré que font les afTureurs en efl
une preuve. La prime ordinaire pour l’affurance
contre les dangers du feu 8c de la mer,, ( les
feuls que les affureuis prennent fur eux ) , doit-
fuffire pour compenfer les pertes qui arrivent
communément, pour payer la dépenfe de l’ad-
miniflration de l’affurance, 8c pour rapporter un
profit tel qu’on aurait pu le tirer du même capital
employé dans un commerce ordinaire. La
perfonne qui ne donne pas plus, ne paye mani-
feflement pas au-delà de la véritable valeur du
rifque, ou au-delà du plus bas prix auquel elle
peut raifonnablement fouhaiter d’en être affranchie.
Mais quoique bien des gens aient gagné
par l’affurance , il y en a fort peu qui y aient fait
une grande fortune j ce qui démontre afifez que
la balance ordinaire du profit 8c de la perte n’ efl
pas plus avantageufe dans le métier d’afifureur ,
que dans beaucoup d’autres où tant de monde
s’enrichit. Tout modéré qu’efl le prix ordinaire
de faffurance , un nombre infini de propriétaires
ne fe Soucient pas de le payer, tant ils font
peu touchés du rifque. Prenez tout le royaume
d’Angleterre, il y a*dix-neuf maifons fur vingt,
ou peut-être quatre-vingt dix*neuf fur cent, qui