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rendre afifolu. Le bonheur des peuples dépend
ici entièrement des calens & du caractère du fou-
veraiu. Ogul-Kan n’étoit pas un mauvais prince. Il
eut plufieurs fuccefleurs dont l’hiftoire ne parle
point. Cette fuite de rois fans nom fut enfin interrompue
par une maitreffe de l'un d’eux , la belle
Lilly.
Lilly aimoit les arts & les protégeoit ; elle raf-
fembla d’habiles artifies de tous les pays; les
fehefehianois lui durent la connoiffance des plaifirs
& des agrémens de la vie ; elle fit circuler les
trefors que les rois précédens avoient entaffés ;
tous les talens furent mis en activité. Le goût des
belles chofes naquit ; on devint plus fpîrituel &
plus aimable. En devint-on meilleur ? v
Azov, fils de la belle Lilly, fuccéda à fon pere ;
c ’ étoit le plus beau prince de fon temps, aimable,
doux, cherchant à plaire à ceux qui 1 entouroient ;
les peuples at endoient tout de fon gouvernement,
& l'idolâtroient d'avance : ils eurent tort ; vingt
ans après i’s le détellèrent autant qu’ils l’avoient
aimé ; & ils eurent tort encore. Azor tenoit de la^
nature toutes les dilpofirions qui pouvoient faire
de lui un homme excellent & le meilleur prince.
Mais fa mère crut que l’homme de tout I Emjaire,
qui faifoit le plus joliment de petits vers , étoit
aufli le plus propre à former un prince. Elle lui
donna un gouverner r qui l’eleva très-mal. Axor
favoit déclamer des fcènes de tragédie , donner
en parlant aux chofes les plus communes, des
tours ingénieux; il danfoit, il peignoit bien ; en
un m o t, il pofledoit toutes ces qualités qui ne
font eftimablés qu'autant qu’elles fervent d'ornement
à des qualités plus effentielles. Azor qui
favoit to u t , hors l’art de gouverner, remit les
rênes de l’empire à fa mère ; celle-ci à ion favori
; le favori à fon fecrètaire ; le fecrètaire à
fa maitreffe , & cette dernière à un bonze qui
dirigeoit fa confidence'. C e fyfiême changea très-
fouvent ; Azor donnoit fa confiance à tous ceux
qui le fervoient dans fes plaifirs ; toujours entouré
d'hommes aulft heureux que lu i, il ignoroit que
fes fujets ne l’étoient point. Ils commencèrent à
devenir très - malheureux ; Alabanda , nouvelle
maitreffe du fultan , acheva de les plonger dans
l’infortune par fon luxe & fes folies. On eut une
guerre à foutenir : on renvoya un vieux guerrier
expérimenté, pour donner le commandement à
un jeune courtilan qui favoit danfer & faire des
vers. La guerre fut mallieureufe. Azor perdit une
province, & s’apperçut à peine de cette perte.
L ’état fut épuife par lés .dépenfes exceffives
d’Alabanda, & le peuple chargé d’impôts. Des
difputes de religion vinrent accroître les malheurs
du peuple : les deux partis abufant de la
fuperftition de la multitude , occafionnèrent les
plus grands maux. Dans fa vieilleffe, Azor devint
fuperftitieux, & n’ en valut pas mieux. Sa der
niere maitreffe fut une danfeufe qui gouyerna
j’é.tar à fa manière, ..
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Isfandiar , fils d’Azor & d’Alabanda , parvint
au trône : l'on père n’avoit été que foible, il lut méchant.
Son enfance fut confiée aux plus habiles précepteurs.
Il favoit les mathématiques , au point
qu'il diftinguoit très-feientifiquement un triangle
d'un quarré ; excellent géographe , il récitoit de
fuite le nom de tous les fleuves , des lacs, des
provinces & des villes de Sqhefchian } à treize
ans il avoit donné des preuves de fa fagaçité phi—
lofophique 3 en démontrant qu’une chofe en tant
qu’elle eft ce qu’elle eft , ne peut pas en même-teir.s
être autre chofe que ce qu’elle eft. Il avoit acquis
une connoiffance très-étendue des prérogatives
de la fouveraineté , & favoit tous les moyens
imaginables de s'emparer des fortunes de fes lu-
jets. On n’ avoit eu garde de bleffer fes oreilles
encore tendres du défagréable mot de devoirs*
On lui avoit peint en belles phrafes la juftice &
la bonté comme les vertus des rois j Isfandiar en
conclut que l’exercice de ces vertus dépendoit uniquement
de fon bon plailîr. On lui avoit enfeigné
l’hiftoire y & on n’avoit pas manqué de lui re-
prélenter chaque conquérant comme un héros ;
un prince qui donnoit beaucoup , comme un
prince généreux j un roi foible, comme un roi
plein de bonté. Isfandiar, donc le coeur étoit
mauvais , n’acquit des cônnoiffances que pour
devenir plus mauvais encore î il n’avoit point une
ame fenüble, & l'éducation n’avoit pas fuppléé
à ce défaut. Son favori Eblis acheva de le perdre.
Eblis étoit un fophifte qui s’honoroit du
nom de philosophe qu'il aviliftoit : il n’avoit garde
de croire à la vertu > il y avoit alors beaucoup
de fophiftes de cette efpèce. « Les vertus 3 di-
« foient ces-habiles gens , font comme les pièces
» de monnoie, qui avec une certaine empreinte
» ont une valeur marquée dans le commerce j la
» valeur réelle n’y fait rien : dans le fond , il
» n’ y a pas plus de différence entre un coquin
condamné à être pendu , le bourreau qui le
» pend & le juge qui le fait pendre, qu’ il n’y
33 en a entre l’européen ciyilifé , le perfan or-
33 gueillèux, le dévot arménien 3 le chinois poli
»s & le fauvage kamtfchadale > ils ne diffèrent que
>3 par l’empreinte ». Avec de tels principes ,
Eblis avoit toutes les qualités qui pouvoient le
rendre féduifant} Isfandiar fe livra entièrement à
■ lui. Pendant les dernières années d’A zo r , Isfanj
diar, impatient de .régner, avoit témoigné publiquement
combien peu il étoit fatisfait du gouvernement
y & le peuple efpéra qu’il évieeroit
toutes les fautes de fon père. Il n’eut pas les mêmes
défauts j il en eut d’autres qui furent plus
dangereux. Il fe croyoit fort fage de n’avôir point
de maîtreffe ; mais il nourriffoit une quantité énorme
de chevaux & de faucons : Eblis lui avoit
peint le peuple, des couleurs les plus défavanta-
geufes. Isfandiar regardoit tous fes fujets comme
faits pour lu i, & ne voyoit dans l’art du gouvernement
que Part de tirer le meilleur parti de
ceux
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ceux que le hafard lui avoit fournis} ne fongeatit
qu’ à fes intérêts particuliers, qu’à fes plaifirs, il
ne fe croyoit roi que pour y faire fervir ies autres
, 8c fouloit le peuple par les impôts les plus,
accablans. 11 voulut ôter aux malheureux qu’il
oppnmoit, jufqu’au, fentiment de leurs maux, en
les mettant hors d’état de s’éclairer fur les droits
de l’humanité & fur les principes des fociétés :
toute autre morale que celle d’Êblis fut proferite.
La vertu déjà découragée s’éteignit infennblement
dans les coeurs \ les moeurs fe corrompirent tellement
que les fehefeianois ne fembloient plus être
qu'une troupe de frélérats j les crimes les »plus
affreux devinrent communs, & Isfandiar trouva
dans la fcélérateffe de fes fujets un nouveau moyen
de s’emparer de leurs fortunes- On récompenfoit
les délateurs , ceux fur-tout qui dénonçoient le
crime de lèfe-majefté : on avoit eu d’ art d’étendre
l’idée de ce crime j tout paffoit pour crime
de lèfe-majefté , & les biens des coupables entroient
dans les tréfors du fouverain. Enfin le peup
le , pouffé à b o u t, fe révoita. Isfandiar, abandonné
de tout le monde, fut trahi 8c affafliné
par Eblis lui-même , qui à fon tour fut la viôtime
des fureurs d’ un peuple qu’il avoit rendu fi malheureux.
T ifan , fucceffeur d’Isfandiar, tira la nation de
l ’abîme où elle étoit plongée. Echappé dans Lon
enfance à la cruauté de fon oncle Isfandiar, qui
avoit fait affafliner tous les princes de fa famille,
il dut fon falut au fage & vertueux Dfchengis qui
avoit livré fon propre fils à la place de ce prince.
Elevé loin de la cour par fon libérateur, ignorant
fa naiffance , il fe forma dans la retraite à
toutes les vertus, & vécut obfcur pendant trènte
ans. Dans la révolution qui ôta la couronne &
la vie à Isfandiar, Tifan à qui Dfchengis découvrit
le myftère de fa naiffance, alla fervir fa patrie.
Plufieurs villes avoient réuni leurs forces
contre les tyrans qui profitoient de l’anarchie 8c
déchiroient le royaume : Tifan fervit dans l’armée
des villes alliées, & fe diftingua par fa fa-
geffe & par fa valeur ; il fut nommé général en
chef & remporta des victoires. Lorfque le calme
fut rétabli, on fongea à élire un roi > les coeurs
de la nation appelloient Tifan au trône \ il y fut
place, & le peuple s applaudit d’autant plus de
fon choix , que Tifan en étoit l’héritier légitime.
Le nouveau roi établit le gouvernement monarchique
y il donna lés plus fages loix j il fit plus,
il donna des moeurs à fes fujets.
Nous croyons en avoir dit affez, & nous terminerons
ici cet extrait.
M ISNIE , margraviat d’Allemagne : l’ étendue
du margraviat de Mifnie a varié plufieurs fois}
il n’eft pas néceffaire de la donner ici félon la
fucceffion des temps, & de rapporter tous les
changemens qu’elle a éprouvés au dixième fiè-
tle : ce margraviat n’étoit compofé que du çhâ-
QEcort. poùt. & diplomatique, 111, l'ont,
M I S h ?
tpau & de îa ville de ce nom, dont les limites
ont été reculées fucceflivement. Nous nous bornerons
à faire voit ce qu’il eft devenu depuis lô
quatorzième fiècle, & ce qu’à cette époque on
èntendoit par margraviat de Mifnie.' En 1382. ,
les margraves Frédéric, Balthafar & Guillaume ,
frères, divifèrent en trois portions leurs états
héréditaires : l ’un eut le pays de Mifnie, l'autre
l’Ofterland, & le troifième la Thuringe. L’union
d'hérédité que firent entr'eux en 1481 Uladiflaus,
/oi de Bohème 3 Ernefte , électeur, & Albert,
duc de Saxe , indique en quoi confiftoit alors,
& même dans des temps pollérieurs , le margraviat
de Mifnie : on y trouve Drefde, Pirna,
Koenigftein , Wehlen , Rathen , Hohenfteiu ,
Wildenftein, Stolpen , Liebenthal, Bifchofswer-
da, Radeberg , Lavenftein , Bernftein, Freyberg,
Wolkenftein, Scharfenftein, Schellenberg, Chem-
nitz , CEderen, Zfchopau , Stolberg , Hayn ,
Ortrandt , Senftenberg , Finfterwalde, Skaffa ,
Tharaudt, Mühlberg , Torgau , Dommitzfch ,
Schilda, O fch a tz , Miigeln , Lomatzfcb, D oe -
beln, Mitweyda , Rochlitz , Grimma , Naven-
h o f, Leifnig, Colditz , Wurfen , Eilenbourg ,
Duben , Geithayn. Le margraviat de Mifnie étoit
ainfi borné vers le nord, le levant & le midi par
le duché de Saxe ou cercle éleéforal, par la Lu-
face & la Bohèmej vers le couchant, il s’éten-
doit 'non-feulement jufqu’ à la Mulde, mais il la
depaffoit. Les autres terres que poffédoiènt les
margraves de Mifnie jufqu’à la Saale, étoient app
elles Ojlerland. Cette dénomination ne comprend
point cependant un territoire aufli confî-*
dérable que la Thuringe , malgré la fynonimie
du mot : l’OfteflàncL étoit cette portion de pays
qu’occupoient les vieux faxons, & qui fut nommé
jufqu’au treizième fiècle Oriens , Pars orien-
talis s Plaga orientalis , que les faxons avoient
conquife fur les thuringiens , 8t elle contenoit
encore les diftri&s que Les faxons orientaux avoient
enlevés aux venèdes. Lorfque la contrée dont on
vient de parler, eut perdu le nom d’Ojlerland3
elle ne refta pas moins attachée au pays que les
faxons avoient conquis au levant de la Saale ; les
princes même & les comtes qui y faifoient leur
demeure , furent appellés princes de 1‘ Ojlerland.
A en juger par le ftyle de la chancellerie des mar-
graves^de Mifnie 3 on appelloit Ojlerland tous les
pays qu’ils poffédoiènt, outre le margraviat, du
côté oriental de la Saale ; & comme leurs pof-
feflions varioient, qu’elles avoient tantôt p lu s ,
tantôt moins d’ étendue , le pourtour de l'Ofter-
land varioit également. La Luface fut regardée
comme une partie de ce pays depuis 11J7 juf-
qu’en 1382. Le diftiiéf , nommé Pieifsnerland s
fitué entre la Pleifs & l’ Elfter blanche , appai tenoit
aux empereurs jufqu’ au milieu jdu treizième
fiècle j & jorfque les margraves dè Mifnie en
obtinrent la propriété, il ne fut point confondu
avec rOfterland > regardé comme un pays