
mande. Dans le premier cas, plutôt que tde fe
mettre dans le rifque 8c dans l'embarras d’-une
nouvelle exportation , ils aiment mieux en vendre
une partie moins cher que le prix moyen ou ordinaire.
Dans le fécond , ils gagnent quelquefois
au-delà de ce prix. Mais quand, avec toutes ces
variations accidentelles, le prix du marché de
l'or ou de l'argent en lingots refte plusieurs années
de fuite , plus ou moins au-deifus ou plus
ou moins au-deiîous du prix qu'on en donné à la
monnoie, nous pouvons être fûrs que cette eonf-
tante fupériorrté ou infériorité du prix eft l'effet
de quelque chofe dans l’état de la monnoie ,
qui la met au-déffus ou au-deffous de la valeur
de la quantité précife de métal qu'elle doit contenir.
La durée & la conftance de l'effet fuppofe
une durée 8c une conftance proportionnée dans
la caufe.
L'argent d'un pays, dans un temps 8c dans
un lieu donnés, eft une mefure de valeur plus
ou moins exa&e, félon que la monnoie qui a
cours dans ce pays , eft plus ou moins exactement
conforme à fon titre, 8c félon qu'elle contient,
plus ou moins exactement, la quantité précife
d'or ou d'argent purs qu'elle doit contenir. Par
exemple, fi en Angleterre quarante-quatre gui-
nées 8c demie contenoient exactement le poids
d'une livre d’or, au titre , ou bien onze onces
d ’or pur Sc une once d'alliage, la monnoie d'or
d'Angleterre feroit, en un temps 8c en un lieu
particuliers quelconques, une mefure de la valeur
des marchandifes aufli exaCte que le comporte-
roit la nature des chofes. Mais f i , par les frot-
témens 8c le frai , quarante - quatre guinées 8c
demie contiennent généralement moins d'une livre
pefant d’or au titre , la diminution étant plus
grande en certaines pièces que dans d’autres , la
mefure de valeur devient fujette à la même ef-
pêce d'incertitude à laquelle font expofés les
autres poids 8c mefures. Comme il n’ arrive guère
que ceux-ci foient parfaitement conformes à leur
étalon, le marchand règle autant qu'il peut le
prix de fes marchandifes, non fur ce que doivent
être ces poids 8c mefures , mais fur ce que
l'eftimation moyenne 8c l'expérience lui montrent
qu'ils font. En conféquence d’un pareil dé-
fordre dans la monnoie, le prix des marchandifes
vient de même à fe régler, non fur la quantité
d’or ou d'argent pur que doit contenir la
monnoie , mais fur ce qu'on juge d'après une
eftimation moyenne , 8c d'après T’expérience
qu'elle en contient actuellement. Voye^ les articles
N um ér a ir e , Monnoie, & c.
PROJETS CHIMÉRIQUES : nous voulons
défigner ici des plans d’adminiftration ou de politique
, impraticables par la perverfité des hommes
, ou par les mauvais calculs de ceux qui les
ont formés. Nous n'indiquerons pas tous ceux
qu’ on a publiés j mais le projet de paix perpétuelle
de l’abbé de Saint-Pierre, 8c d’autres projets du
meme auteur , qu’on a appelles lès revêries d’un
homme de bien , nous ont paru devoir mériter
quelques détails. Nous donnons , dans cet ouvrage
, l'analyfe des meilleurs romans politiques
qu'on a imprimés } 8c, pour ne lien oublier de ce
qui peut inftruire les hommes d'état 8c les citoyens
, il nous a femblé convenable de faire aufli
un article projets chimériques.
L ’abbé de Saint-Pierre a publié :
1°. Difcours fur la polifyriodie , ou l3on démontre
que la polifynodie, ou pluralité des confeils, eft Ici
forme du mihiftere la plus civantageufe pour un roi
& Jon royaume.
L’auteur compofa cet ouvrage fous la régence
de Philippe , duc d'Orléans. Il effaya de prouver
que le grand nombre de confeils , qui furent établis
dans le commencement de cette régence, fur un
plan attribué au duc de Bourgogne , père de
Louis X V , devoit être infiniment utile à la nation.
L'événement ne favorifà pas fon fyftême.
On fut obligé de fupprimer ces confeils bientôt
après leur établiffement. Des réflexions hardies,
répandues dans ce livre fur le règne de Louis X V ,
ou plutôt des cabales, méprifables, déterminèrent
l ’Académie françoife à exclure de fes affemblées
l'abbé de Saint-Pierre : elle voulut même nommer
à fa place $ mais le duc d’Orléans ne le
jugea pas à propos , 8c on n'y nomma qu'a
la mort de l'abbé de Saint - Pierre, qui avoit
ceflfé „de paroître aux affemblées de cette compagnie,
fans ceffer de-prendre la qualité d'académicien.
II. Projet de taille tarifée , pour faire ce fe r les
maux que caufent en France les disproportions rui-
neufes dans les répartitions de la taille arbitraire.
Perfonne n’ignore que la répartition 8c la perception
d e là taille font abandonnées, dans les
bourgs 8c villages , à l'impéritie des collecteurs
fouvent paffionnés , 8c que les abus , dans la -répartition
8c la perception de cet impôt, ont fait
imaginer les affemblées provinciales. Touché de
ces abus , l’abbé de Saint-Pierre chercha les remèdes
qui pouvoient en arrêter le cours. Une
taiHe , impofée d'après les tarifs des biens de différente
nature, lui parut très-propre à établir
cette exaCte proportion qu'exige la juftice. Il vou-
loit pour cela que chaque particulier donnât une
déclaration fidèle de fes revenus , 8c du gain qu'il
peut faire par fon commerce 8c par fon induftrie.
C e projet n'a pas été fuivi, quoiqu'on en ait
fait quelques épreuves dans les généralités d 'A miens
8c de Limoges.
III. Fa méthode du fcrutin.
L ’auteur penfe que les écrivains font un mauvais
choix, quand ils fe livrent à des fujets de
pure fpéculation, au - lieu de s'appliquer à des
études utiles 5 il veut que les grands génies fe
tournent vers la fcience du gouvernement, 8c
que tous les citoyens cherchent à être utiles à
l'état. Tout cela eft raifonnable ) mais ce qui ne
le paroît guère, c'eft l'établiffement , dans ce
royaume d'une académie 8c de bureaux , d'où
feroient tirés au fcrutin les miniftres, les généraux
& les magiftrats. Nous nous contenterons
d'obferver que jamais on ne perfuadera à un roi de
France de remettre une grande partie de fa puif-
fançe à une académie -qu à un bureau. La plupart
des projets de l’auteur dépendent de cette
méthode du fcrutin, qu'il fuppofe-devoir être
établie , 8c cette feule circonftance les rend inutiles
, indépendamment de beaucoup d'autres défauts.
IV. Projet pour rendre la paix perpétuelle en
Europe.
C e projet eft fi important qu'on ne fauroit trop
l'approfondir.
Emeri de la Croix eft le premier écrivain qui
ait imaginé 11 projet d'une paix perpétuelle entre
tous les princes du monde : projet peu raifonnable
, s'il eft bien férieux.
Le landgrave de Heffe - Rhînfels, prince fa-
vant 8c guerrier , compofa , après la paix de
Weftphalie , un livre allemand qui aVoit pour
titre : le Catholique dijcret, o ù , parmi des eoh-
troverfes théologiques , on trouve un projet analogue
à celui que l'abbé de Saint-Pierre a attribué
à Henri IV . Il propofoit d’établir à Lucerne le
tribunal de la fociéce des fouverains. L'abbé de
Saint-Pierre ne connoiffoit pas cet ouvrage du
prince allemand lorfqu'il compofa le lien $ mais
Léibnitz le lui fit connoître dans la fuite.
Cent paffages des. économies royales rappellent
ce prétendu projet de Henri IV , qui étoit une
république à quinze états ; 8c c'eft uniquement
d'après ce livre que Péréfixe, le continuateur de
Thou , Baffompierre 8c d’autres hiftoriens, ont
fuppofé que ce grand prince avoit réellement
conçu un pareil projet ; ce qui réduit leur témoignage
au témoignage unique des économies royales.
L ’abbé de Saint-Pierre a adopté le projet
dans toute fon étendue, 8c, fi on peut le dire,
dans toute fa chimère. Il y a mis les modifications
que l'état de l'Europe lui parurent demander
j il fe fit des objections, 8c il prétendit les
réfuter. C e projet, s'il étoit exécuté, feroit fans
doute le chef d’oeuvre de la politique, 8c il.of-
friroit la révolution la plus glorieufe & la plus
utile^ au genre humain. Développons le fyfteme
de l’abbé de Saint-Pierre.
Henri IV j eut à combattre toutes les forces
de la ligue 3 celles d'Efpagne, 8c celles de Rome.
Après s'être trouvé dans toutes les pofitions où
un fouverain peut voir de près le malheur des
hommes, où un. prince peut effuyer les outrages
de la fortune, il demeura tranquille poffefleur
de 1 a couronne à laquelle fa naiffance lui donnoit
un droit inconteftable, dont la religion mal entendue
l'éloignoit, 8c qu'il fut obligé de conquérir
l'épée à la main , comme s’il l’avoit ufur-
p ée..A peine avoit il fait la paix avec l’Efpa-
gne, qu'il employa les premiers momens de fa tranquillité
à réparer les maux que la guerre avoit
faits à Ton royaume. Bien différent de ces princes
dont la politique cruelle eft barbare fe nourrit
des larmes du genre humain, il conçut , félon
l'abbé S. Pierre, le noble projet de fixer d'une
manière invariable les prétentions de tous les fouverains
de l'Europe, d'établir entre eux une garantie
perpétuelle qui mît le plus foible à couvert
des entreprifes des plus puiffans, 8c de rendre
la paix générale 8c éternelle, entre toutes les
1 nations chrétiennes par Tétabliffement d’un tri?
bunal qui feroit compofé de députés de toutes les
puifiànces de l'Europe j qui jugeroit leurs diffé-
rens , 8c qui écarteroit le ravage des guerres ,
fans rien changer au gouvernement de chaque
pays. Il offroit aux princes chrétiens de mettre
tout en ufage pour que cette république chrétienne
,fît fur les turcs des conquêtes qui feroient
partagées entre les autres fouverains, fans qu'il
en réclamât aucune part. Il propofoit une confédération
générale de toutes les puiffances de
l'Europe qui auroient formé quinze dominations ,
8c l'établiffemeut d'un confeil général compofé
de foixante députés 5 favoir quatre de chaque domination,
à M e tz , à N a n c y , à Cologne, ou
dans quelqu'autre ville au milieu de l ’Europe ,
8c l’établiffement de trois autres confeils en trois
différens en droits , chacun de vingt dépurés oui
auroient été fubordonnés au confeil général, lequel
eut été le lénat de la république chrétienne.
Henri IV , s'il faut en croire l'abbé de Saint-Pierre
communiqua fon plan à la plupart des fouverains
de l'Europe.'Le pape, les vénitiens, le duc de
Savoie, le duc de Bavière, les éie&eurs Palatins,
de Brandebourg, de Cologne 8c de Mayence,
avoient (d i t - i l ) , approuvé le deffein du roi de
France, 8cy confentoient, lorfqu'une main meurtrière
enlèva Henri IV à fes fujets 8c à tous* les
princes de l’Europe, dont il vouloir être le bienfaiteur.
L'abbé de Saint-Pierre dit quedes confeils des
amphyétions, ou le gouvernement du corps germanique,
ou l'union des provinces de Hollande,
ou la confédération des cantons Suiffes, put inf-
pirer cette idée à Henri IV . Selon cet auteur,
le confeil fuprême de la Grèce maintint toujours
les états grecs dans l'indépendance au-dehors
, 8c dans l'union au-dedans 5 le corps germanique
cpmpofé d’un fi grand nombre de fou-
verainetés, n'a pas reçu la moindre atteinte de