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Colonnes d'eau fi prodigieufes, que le pays en fut
inondé.
Les efprits, tombés depuis long-tems comme
en léthargie , furent réveillés par cette funefte ca-
taftrophe 5 & ce fut Lima qui donna l'exemple
de ce changement. Il falloit déblayer d'îmmenfes
décombres entaffés ‘les uns fur les autres : il falloir
retirer les richeffes immenfes enterrées fous
ces ruines. Il falloit aller chercher àGuayaquil,
& plus loin encore, tout ce qui étoit riéceffaire
pour d'innombrables conftruétions. Il falloit 3,
avec des matériaux raffemblés de tant de contrées
, élever une cité fupérieurè à celle, qui avoir
été détruite. Ces prodiges , qu'on ne devoir pas
attendre d'un peuple oifif & efféminé 3 s'exécutèrent
très-rapidement. Le befoin donna de Tac- J
tiv-té 3 de l'émulation , de l'induftrie- Lima, quoique
peut-être moins riche, eft aétuellement plus
agréable que lorfqu'en 1681 , fes murs offrirent
à l'entrée du vice-roi , lé duc de Palata 3 des
rues pavées d'argent. Il elt auflî plus folidement
bâti.
Les citoyens les plus diftingués trouvent dans j
les majorats ou fubftitutions perpétuelles que leur
ont tranfmis les premiers conquérans leurs ancêtres
3 de quoi fournir au luxe & aux profufions 3
fi connus des habitans de Lima : mais les biens-
fonds n'ont pas fufH à un grand nombre de familles
3 même très - anciennes. La plupart ont
cherché des reffources dans le commerce, & les
Joix les ont confirmés dans une manière de pen-
&r fi utile & fi raifonnable. Leurs fonds, joints
aux remifes qu'on fait fins ceffe de l'intérieur de
l'empire , ont rendu Lima le centre de toutes les
affaires que les provinces du Pérou font entr'elles }
des affaires qu'elles font avec le Mexique & le
Chili j des affaires plus importantes qu'elles font
avec la métropole.
Le détroit de Magellan paroiffoit la feule voie
•uverte pour cette dernière liaifon. La longueur
du trajet, la frayeur qu'infpiroient des mers ora-
geufes & peu connues ; la crainte d’exciter l’ambition
des autres nations.} l'impoflibilité de trouver
un afyle dans des événemens malheureux ;
d’autres confidérations peut-être tournèrent toutes
les vues vers Panama.
Cette ville , qui avoit été la porte par où l'on
1?toit entré au Pérou, s'étoit élevée à une grande
profpérité , lorfqu'en 1670 elle fut pillée & brûlée
par des pirates. On l’a rebâtie dans un lieu
plus avantageux, à quatre ou cinq milles de fa
première place , & à trois lieues du port de Pé-
r ic o , forrné par un grand nombre d’ifles & allez
vafte pour contenir les plus norr.brwUfes flottes.
Elles donnent des loix aux provinces de Panama,
de Veraguas & de Darien , régions fans habitans,
fans culture , fans richeffes , & qu'on décora du
grand nom de royaume de Terre-ferme,? à une
Ipoquë où Ton efpéroit beaucoup de leurs mines.
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De fon propre fonds, Panama n’a jamais offert au
commerce que des perles.
La pêche s'en fait dans quarante trois ifles de
fon golfe. Cette branche de commerce contribua
cependant beaucoup moins à donner de la célébrité
à Panama, que l'avantage dont elle jouiffoit
d'être l'entrepôt de toutes les productions du
pays des Incas , deltinées pour notre hémi-
fphère. Ces richeffes, arrivées par une flottille
étoient voiturées, les unes à dos de mu!e t , &
les autres par le Chagre à Porto-Belo, fitué fur
la côte feptentrionale de l'Ilthme qui fépare les
deux mers.
Quoique la pofîtion de cette ville eût été reconnue
& approuvée par Colomb en 1 Ç02, elle
ne fut bâtie qu'en x 584, des débris de Nombre-
de-Dios. Elle elt difpofée en forme de croiffant ,
fur le penchant d'une montagne qui entoure le
port. C e port célèbre, autrefois très bien défendu
par des fortifications que l'amiral Vernon détrui-
fit en 1740, paroît offrir une entrée large de fix
cents toifes : mais elle eft tellement rétrécie par
des rochers à fleur d’eau, qu'elle fe trouve réduite
à un canal étroit Les vaiffeaux n'y arrivent qu'à la
toue , parce qu'ils trouvent toujours des vents
contraires, ou un grand calme. Ils y jouiffeiit
d'une fûrete entière.
L'intempérie de Porto - Belo eft fi connue ,
qu'on l’a furnommé le tombeau des efpagnols. C e
fut plus d.'üne fois une néceflité d’y abandonner
I des navires dont les équipages avoient tous péri.
Les habitans eux-mêmes n'y vivent pas long-tems,
& ont généralement un tempérament vicié. Il'eft
comme honteux d’y demeurer. On n’y voit que
quelques nègres, quelques mulâtres, un petit
nombre de'blancs qui y font fixés par les emplois
du gouvernement. La garnifon même, quoique
compofée feulement de cent cinquante hommes-,
n’y refte jamais plus de trois mois de fuite. Jusqu’
au commencement du fiècle, aucune femme
n'avoit ofé y accoucher : elle auroit cru vouer fes
enfans, fe vouer elle-même à une mort certaine.
Les plantes tranfplantées dans cette région funefte
, où la chaleur , l'humidité, les vapeurs font
exceflives & continuelles, n'ont jamais profpéré.
Il eft établi que les animaux domeftiques de l'Eur
rope , qui fe font prodigieufement multipliés dans
toutes les parties du Nouveau-Monde, perdent
leur fécondité en arrivant à Porto-Belo } & , à en
juger par le peu qu'il y en a , maigre l'abondance
des pâturages, on feroit porté-à croire que cette
opinion n'eft pas mal fondée.
Les défordres du climat n'empêcherent pas que
Porto-Belo ne devînt d'abord le théâtre du plus
grand commerce qui ait jamais exifté. Tandis que
les richeffes du Nouveau - Monde y arrivoient
pour être échangées contre l’induftrie de l'ancien^
les vaiffeaux partis d’Efpagne & connus fous le
nom de galions , s'y rendoient de leur c ô té , char"
gés de tous les objets de néceflité j d'agrément
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b» de luxe qui pouvoient tenter les poifeffeurs
des mines. - I
r Les députés des deux ’commerces régloient, à
bord de l ’amiral, le prix des marchandifes fous
les yeux du commandant de l'efcadre & du président
de Panama. L ’eftimation ne portoit pas fur
la valeur intrinfèque de chaque chofe, mais fur
fa rareté ou fon abondance. L'habileté des agens
confiftoit à fi bien faire leurs combinaifons, que
les cargaifons apportées d'Efpagne abforboient
tous les tréfors venus du Pérou. On regardoit la
foire comme mauvaife, lorfqu'il fe trouvoit des
marchandifes qui étoient négligée^ faute d'argent,
ou de l'argent fans emploi faute de < marchandifes.
Dans ce cas feulement, il étoit permis aux
negocians européens d'aller achever leurs ventes
dans la mer du fud , & aux négocians péruviens
de faire des remifes à la métropole pour leurs
\achats.
Dès que les prix étoient réglés , les échanges
.commençoient. Ils n'étoîent ni longs, ni difficiles.
La franchife la plus noble en e'toit la baie.
Tout fe paffoit avec tant de bonne fo i, qu'on
n*ouvroit pas les caiffes des piaftres , qu'on ne
verifioit pas le contenu des ballots. Jamais cette
confiance réciproque ne fut trompée. Il fe trouva
plus d’une fois des facs d’or mêlés parmi des facs
d ’argent, des articles qui n'étoient pas portés fur
les factures. Les méprifes étoient réparées avant
le départ des vaiffeaux, ou à leur retour. Seulement
il arriva, en 1654, un événement qui au-
roit pu altérer cette confiance. On trouva en
Europe que toutes les piaftres reçues à la dernière
foire , avoient un cinquième d’alliage. La perte
fut foufferte par les commerçans efpagnols :
mais comme les monnoyeurs de Lima furent reconnus
pour auteurs de cette malverfation , la
réputation des marchands péruviens ne fouffrit aucune
atteinte.
La foire, dont la mauvaife qualité de l’air avoit
fait fix« la durée à quarante jours , fe tint d'abord
affez régulièrement. On v o it, par des aétes
€‘e 1 cl,ue les galions d'Efpagne dévoient être
expédiés d Efpagne^ tous les an s , au plus tard
tous les dix-huit mois} & les douze flottes parties
depuis le 4 août 1628, jufqu'au 3 juin 1645 >
prouvent qu’on ne s’écartoit pas de cette règle.
Elles revenoient., après un voyage de onze , de
d ix , quelquefois même de huit mois ^ chargées
•a immenfes richeffes , en o r , en argent &: en
marchandifes.
• r >tte Pr.°/Perfté cbntinua fans interruption ,
jufqu au milieu du dix-feptième fiècle. Avec la
perte de la Jamaïque, commença une contrebande
confiderâble, qui jufqu'alors avoit été peu de
chofe. Le fac de Panama en 1670, par le pirate
anglois Jean Morgan , eut des fuites encore plus
facheufes. Le Pérou qui envoyoit fes fonds d'avance
dans cette vHle, ne les y fie plus pafler qu'a-
p-res l'arrivée des galions à Carth^gène. C e changement
occafionna des retards, des incertitudes.
Les foires diminuèrent, & le commerce interlope
augmenta.
L'élévation d’un prince François fur le trône
de Charles-Quint alluma une guerre générale }
& , dès les premières hoftilités, les galions furent
brûlés dans le port de Vigo, où l'impoflibilité
de gagner Cadix les avoit forcés de fe réfugier.
La communication de l’Efpagne avec
Porto Belo fut alors tout-à-fait interrompue, &
la mer du fud eut plus que jamais des liaifons directes
& fuivies avec l'étranger.
La pacification d’Utrecht ne finit pas le défor-
dré. Le malheur des circonftances voulut que la
cour de Madrid ne pût pas fe difpenfer de donner
exclufivement à une compagnie angloife le
privilège de pourvoir le Pérçu d'efclaves. Elle
fe vit même forcée d'accorder à ce corps avide
le droit d'envoyer à chaque foire un vaiffeau
chargé des différentes marchandifes que le pays
pouvoit confommèr. C e bâtiment, qui n'auroit
du être que de cinq cents tonneaux, en portoit
toujours plus de mille. On ne lui donnoit ni eau,
ni vivres. Quatre ou cinq navires qui le Envoient,
fouraiffoient à fes befoins, Sc fuftituoientdes effets
nouveaux aux effets déjà vendus. Les galions,
écrafés par cette concurrence, l’étoient encore
par les verfemens frauduleux dans tous les ports
où l'on conduifoit les nègres. Enfin il fut im-
poflible, après l'expédition de 1737 , de foute-
nir plus long-tems ce commerce ; & l'on vit finir
ces fanreufes foires fi enviées des nations , quoi-
1 quelles duffent être regardées comme le tréfor
commun de tous les peuples.
Depuis cette époque, Panama & Porto-Belo
font infiniment déchus. Ces deux villes ne fervent
plus qu'à quelques branches peu importantes
d’un commerce languiffant. Les'affaires plus confî-
dérables ont pris une autre direction.
En , des navigateurs hollandois ayant
doublé le cap de Horn, ce fut dans la fuite le
chemin que fuivirent les ehnémis de l’Efpagne qui
vouloient pafler dans la mer du fud. Il fut encore
plus fréquenté par les vaiffeaux françois durant
la guerre qui bouleverfa l’Europe au commencement
du fiècle. L ’impoflibilité où fe trouvoit
Philippe V d’approvifionner lui-même fes colonies
, enhardit les fujets de fon aïeul à aller au
Pérou. Le befoin où l'on y étoit de toutes cho-
fes fit recevoir ces alliés avec joie, & ils gagnèrent
dans les premiers tems jufqu'à huit cents
pour cent. Les négocians de Saint-Malo-, qui s’é-
toient emparés de ce commerce n'acquirent pas
des richeffes pour eux feuls. En 1709, ils les livrèrent
à leur patrie , accablée par l’inclémence
des faifons, par des défaites réitérées, par une
adminiftration ignorante, arbitraire & fifcale. Une
navigation qui permettoit de fi nobles facrifices,
excita bientôt une émulation trop univerfeile. La,
concurrence devint fi confidérable, les mareban-
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