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pendant trois jours contre la flotte entière du roi
d'Achem. Au milieu du combat, on vint dire
dire au fils de Lopés que Ton père avoit été tué :
C eft, dit-il, un brave homme de moins j il faut -vaincre
, ou mériter de mourir comme tui. Il prie le commandement
du vajffeau, & traverfant en vainqueur
la flotte ennemie, fe rendit devant Malaca.
On retrouvoit alors dans les portugais ces autres
vertus qui fuivent le courage, tant eft puîf-
fant furies nations, même les plus corrompues,
J’afcendanc d'un grand homme.
Ataïde mit la réforme dans la régie des deniers
publics, & réprima l'abus le plus nuifible aux
états, l'abus le plus difficile à reprimer. Mais ce
bon ordre, cet héroïfme renaiifant, ce beau moment
n'eut de durée que celle de fon adminiftra-
tion.
Un gouvernement eft toujours une machine très-
compliquée , -qui a fon commencement, fes progrès
& fon moment de perfection , lorfqu'il eft
bien conçu; fon commencement, fes progrès &
fon moment d’extrême corruption, lorfqu'il elï
vicieux à fon origine. Dans l'un & l'autre cas,
il embraffe un II grand nombre d'objets, tant au-
dedans qu’au-dehors , que fa diffolution amenée,
foie par l’imbécillité du chef, foit par l'impatience
des fujets, ne peut avoir que les fuites, les plus
effrayantes. Si l'impatience des fujets vient i bri-
fer un joug fous lequel ils font las de gémir , une
nation s'avance, plus ou moins rapidement à l'anarchie
, à travers des flots de fang. Si elle arrive .
infenfîblement à ce terme fatal, par l'indolence
ou la foiblefle du fouverain , incapable de tenir
les rênes de l'empire , le fang eft épargné , mais
la nation tombe dans un état de mort. Les nations
adjacentes s'emparent fans effort d'une contrée
fans défenfe. Alors les peuples paffent fous un
état pire qu'au fortir de la barbarie. Les Ipix du
conquérant luttent contre Içsloix du peuple conquis;
les ufages de l’ un, contre les ufages de l’autre
5 fes moeurs, contre, fes moeurs; fa religion,
contre fa religion ; fa langue fe confond avec un
idiome étranger. C'eft un chaos dont il eft difficile
de préfager la' fin ; un chaos qui ne fe débrouille
qu'après le laps de plufîeurs fîècles , 8c
dont il refte des traces que les événemens les plus
heureux n’effacent jamais entièrement.. ;
Telle eft l’image du "Portugal à la mort du roi
Sebaftien, jufqu’à ce que ce royaume paffât peu-
à-peu fous la domination de Philippe II. Alors
les portugais de l’Inde ne crurent plus avoir une
patrie. Quelques-uns fe rendirent indépendant,
d’autres fe firent corfaires, & ne refpe&èrent aucun
pavillon. Plufîeurs fe mirent au fervice des
princes du pays, & ceux-là devinrent prefque
tous miniftres ou généraux : tant leur nation avoit
encore d’avantages fur celles de l’Inde. Chaque
portugais ne travailloit plus qu'à fa fortune; ils
agiffoient fans zèle & fans concert pour l'intérêt
commun. Leurs conquêtes dans l'Inde étoient
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partagées en trois gouvernemens qui ne fe prévoient
aucun fecours , & dont les projets & les
intérêts devinrent différens. Lesfoldats 8c les officiers
étoient fans difeipline , fans fubordina-
tion, fans amour de la gloire. Les vaiffeaux de
guerre ne fortoient plus des ports, ou n'en for-
toient que mal armés. Les moeurs fe dépravèrent
plus que jamais. Aucun] chef ne pouvoit réprimer
les vices, & la plupart de ces chefs étoient
des hommes corrompus. Les portugais, perdirent
enfin leur grandeur, lorfqu’une nation libre, éclairée
& tolérante, fe montra dans l’Inde & leur en
difputa l'empire.
On peut dire que dans le temps des découvertes
que fit le Portugal, les principes politiques for
le commerce, fur la puiffance réelle des états;,
fur les avantages des conquêtes., fur la manière
d’établir & de eonferver des colonies, 8c fur l'utilité
qu'en peut tirer la métropole , n’étoient point
encore connus.
Le projet de trouver un chemin autour de l'A frique
, pour fe rendre aux Indes 8c en rapporter
des marchandifes, étoit fage. Les bénéfices que
faifoient les vénitiens par des voies plus détournées,
avaient excité une jufte émulation dans les
portugais ; mais une 11 louable ambition devoit
avoir des bornes*
Cette petite nation , fe trouvant tout-à-coup
maîtreffe du commerce, le plus riche & le plus
étendu de la terre, ne fut bientôt compoféeque
de marchands, de faCteurs 8c de matelots, que
détruifoient de longues navigations. Elle perdit
auffi le fondement de toute puiffance réelle, l'agriculture
, l'induftrie nationale 8c la population.
II n'y eut pas de proportion entre fon commerce
& les moyens de le continuer.
Elle fit plus mal encore : elle,voulut être conquérante
, & embraffa une étendue de terrein
qu'aucune nation de l’Europe ne pourroii con-
ferver fans s'affoiblfr.
C e petit pays, médiocrement peuplé, s’épui-
foit fans ceffe en foldats, en matelots, en colons.
Son intolérance religieufe n e . lui permit pas
d'admettre au rang de fes citoyens les peuplés
de l'Orient 8c de l'Afrique; 8c il lui falloit partou
t, & à tout moment, combattre fes nouveaux
fujets..
Comme le gouvernement changea bientôt fes
projets de commerce, en projets de conquêtes,
la nation qui n'avoit jamais eu l'efprit de commerce
, prit celui de brigandage.
L'horlogerie, les armes à feu , les fins draps, 8c quelqués autres marchandifes qu'on a depuis
portées aux Indes, n'étant pas à ce degré de perfection
où elles font,parvenues, les poftugais n'y
pouvoient porter que de l’argeqt. Bientôt ils s'en
laflerent, 8c ils ravirent de force aux Indiens
ce qu'ils avoient commencé par acheter de cas
peuples.
C'eft alors qu'on vit en Portugal, à côté de la
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plus exceflive richeffe, la plus exceflive pauvre-
té. Il n'y eut de riches, que ceux qui avoient
poffédé quelqu'emploi dans les Indes ; 8c le laboureur,
qui ne trouvoit pas des bras pour l'aider
dans fon travail, les artifans qui manquaient
d'ouvriers, abandonnant bientôt leurs métiers,
furent réduits à la plus extrême mifère.
Toutes ces calamités avoient été prévues. Lorf- !
que la cour de Lisbonne s'étôit occupée de la :
découverte des Indes, elle s'étoit flattée qu'il n’y
auroit qu'à fe montrer dans ce doux climat, pour
y dominer; que le commerce de ces contrées fe-
roit une fource inépuifable de richeffes pour la nation,
comme il l'avoit été pour les peuples qui
jufqu’alors en avoient été les maîtres ; que le s (
tréfors qu’on y puiferoit éleveroient l'état, mal-;
gré les étroites limites de fon territoire, à la
force, à la fplendeur des puiflânees les plus redoutables.
Ces féduifantes efpérances ne fubju-
guèrent pas tous les efprits. Les plus éclairés,
les plus modérés des miniftres ofèrent dire que ,
pour courir après des métaux, après des objets
brillans, on négligeroit les biens réels, l ’exploitation
des terres, des manufactures ; que les guerres,
les naufrages, les épidémies, les accidens
de tous les genres, énervéroient pour jamais le
royaume entier ; que lé .gouvernement, entraîné
loin de fon centre par une ambition démefurée,
attireroit^ par violence ou par féduCtion , les citoyens
aux extrémités de l’Afie ; que le fuccès
même de l'entreprïfe fufeiteroit à la couronne
des ennemis puiffans , qu'il lui feroit impoffible de
repouffer. Inutilement on entreprit, quelque temps
après, de détromper des honknes fages, en leur
montrant les indiens fourni^, les maures réprimés
, les turcs humiliés, l'or 8c l'argent répandus
abondamment dans le Portugal. Leurs principes 8c leur expérience les fournirent contre l'éclat
impofant des profpérités. Ils ne demandèrent que
peu d'années encore pour voir la corruption > la
dévaftation, la confufion de toutes chofes, pouf-
fées au dernier période. Le temps, ce juge fu-
prême de la politique, ne tarda pas à juftifier
4eurs prédictions.
De toutes les conquêtes que les portugais avoient
faites dans les mers d 'A fie , il ne leur refte que
Macao, une partie de l’ifle de Timor, Daman,
Diu 8c Goa. Les liaifons que ces miférables éta-
bliffemens entretenoient entre-eux, celles qu'ils
avoient avec le refte de l'Inde 8c avec le Portugal,
étoient très-languiffantes.' Elle fe font encore
refferrées depuis qu’on a établi à Goa une compagnie
exclufive pour la Chine & pour le Mozambique.
Actuellement Macao envoie à Timor , àSiam,
a.la Cochinchine, quelques foibles bâtimens de
peu de valeur. Il en envoie cinq ou fix à G o a ,
chargés de marchandifes . rebutées à Canton , &
qui la plupart appartiennent à des négocians
chinois. Ces derniers-navires fe chargent en re^
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tour du boh de fandal, du fafran d’Inde > du
gingembre, du poivre j des toiles, de. tous les
objets que Goa a pu traiter fur la côte de Malabar,
ou à Surate, avec fon vaiffeau de foixante
carions, avec fes deux frégates 8c avec fes fix cha-4
loupes armées en guerre. 11 refaite, de cette inaCtion, que la colonie ne
peut fournir annuellement pour l’Europe que trois
ou quatre cargaifons, dont la valeur ne paffe pas
3 ,i7?,ooô livres ; même depuis 1752 , que ce
commerce a ceffé d’être fous le joug du monopole
, fi l’on en excepte le fucre, le tabac en
poudre, le poivre, le falpêtre, les perles, les
bois de fandal 8c d’aigle, que la couronne continue
à acheter & à vendre exclufîvement. Les
bâtimens qui les portoient, relâchoicnt autrefois
au Bréfil ou en Afrique ; & y vendoient une partie
de leurs marchandifes ; mais depuis quelque
temps ils font obligés de faire directement leur
retour dans la métropole.
Tel eft l’état de dégradation où font tombés
dans l’Inde les hardis navigateurs qui la découvrirent
, les intrépides guerriers qui la fubjuguè-
rent. Le théâtre de leur gloire, de leur opulenc
e , eft devenu celui de leur ruine & de leur op •
probre.
Les poffeffions des Portugais en Afrique font :
i° . la province de Bamba, qui fait partie du
royaume de Congo ; elle fournit du bois de teinture
& de conftruCtion, & beaucoup de dents
d’éléphans : i Q. le royaume d’Angola , qui fait
auffi partie de Congo ; Saint Paul de Loanda,
dans la Baffe-Guinée , eft la capitale de ce royaum
e , dont les productions font du millet, des fèves
, citrons, oranges, dattes, &c. : 3ç. la province
de Benguela, fituée à peu de diftance de ce royaume
; à 12 milles au - delà eft un autre établiffe-
ment portugais , cù l’on s'occupe fur-tout de
l'éducation du bétail ; on y fait auffi les provi-
fions de fel néceffaires à la confommation des
peuples fournis à la couronne de Portugal. Le
principal avantage de ces établiffemens confifte
dans la traite des nègres que les portugais peuvent
fe procurer en grand nombre & à meilleur
maréhé que les autres nations de l'Europe : 40. la
| ville de Sofala ; le royaume de ce nom elt re-
I niarquable pour fes mines d'or; on affure qu'elles
rapportent aux portugais une Pomme confidérable.
Les habitans de Mofambique , de Quilloa, de
, Mombaze & de. Melinde apportent à Sofala des
toiles teintes, 8c ;les échangent pour de l'o r , du
fer', de la cire , de l’ivoire & de l'ambre gris ;
ces toiles paffent enfuite au Monomotapa,& y font
vendues pour de l'or : 50. Mofambique, Ifle fituée
vis-à-vis de Madagafcar, eft le centre des pof-
feflîôns. portugaifes dans cette partie du monde;
le commerce principal de cette lile confifte en
dents d eléphans & en pouflîère d'or. — Les autres
poffeffions des portugais font les iflesTerce-
res, Saint-Miguel, San&a-Maria , Saint-George ,