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Celte feéle humaine & pacifique s'éleva'en
Angleterre parmi les troubles de la guerre fan-
glante, qui traîna un roi fur l'échafaud par la
main de fes fujets. Elle eut pour fondateur George
Fox j né dans une condition obfcure. Son caractère
, qui le portoit à la contemplation religieufe ,
le dégoûta d'une profeffion méchanique , & lui
fit quitter fon attelieç. Pour fe détacher entièrement
des affections de la terre , il rompit toute
liaifon avec fa famille ; & de peur de contracter
de nouveaux lien s, il ne voulut plus avoir de
demeure fixe. Souvent il. s'égarait dans les bois ,
fans autre compagnie, fans autre amufement
que fa bible. Avec le temps il parvint même à
fe paîfer de ce livre ., quand il crut y avoir
alfez puifé l’infpiration des prophètes & des apôtres.
C ’eft alors qu'il chercha des profelytes. Il ne
lui fut pas difficile d'en trouver dans un temps
8c dans un paysraà les délires de la religion en-
thoufiafmoient toutes les têtes, troubloient tous
les efprits. Bientôt il fe vit fuivi d'une foule
de difciples q u i, par la, bizarrerie de .leurs idées
fur des objets incompréhenfibles , ne pouvoient
qu'étonner & -fafçiner les âmes fenfibles au merveilleux.
La {implicite de leur vêtement fut ce qui frappa
d'abord tous les yeux.-Sans galons , fan,s broderies
ni dèntelles , ni manchettes, ils bannirent
tout ce qu'ils appelaient ornement ou fuperfluité.
Point de plis dans leurs habitsr, pas même- uti
bouton au chapeau , parce qu’il n'eft pas toujours
néceflaire. C e mépris fingulier pour les modes les
avertiIfoit d'être plus vertueux que les autres hommes
, dont ils fe diftinguoient par des dehors mode!!
es.
Toutes les déférences extérieures, que l’orgueil
& la tyrannie impofent à. la foibleffe, devinrent
odieufes aux quakers 3 qui ne vouloient
avoir ni maîtres , ni ferviteurs. Ils.condamnoient
les titres faftueux , comme orgueil dans ceux qui.
le s ufurpoient, comme bafleffe dans qeux qui
•les déféraient. Ils ne reconnoiifoient nulle part,
ni excellence j ni éminence , mais; ils fe refu-
foient aux égards réciproques, qu'on appelle po-
litejje. Le nom d'ami, difoient- ils, ne devoir fe
refufer à perfonne , . entre des citoyens & des
chrétiens. La révérence étoit une gêne ridicule
& cérémonieufe. Se découvrir la tête-en faluanty
c'étoit manquer à loi pour honorer les autres.
Le magiftrat même ne pouyoit leur -arracher aucun
ligne extérieur de confidération. Revenus à
l ’ancienne majefté des langues , ils tutoyoient les
hommes, même les rois 5 & ils juftifioient cette
licence par l’ufage même de ceux qui s'en ©£-
fenfoient, & qui tutoyoient leurs faints & leur
Dieu. . ;.
L'auftérité de leur morale ennobliffôit la fin-;
gularité de leurs manières. Porter, les armes , leur,
paroiifoiç un crime : fi c'étoit pour attaquer a cm ]
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péchoît contre l'humanité ; fi c'étoit pour fe défendre
, on péchoit contre le chriftianifme. Leur
évangile étoit la paix univerfelle. Donnoit-on un
foufflet à un quaker, ■ il préfentoit l'autre joue :
. lui demandoit-on fon habit, il offrait de plus fa
I vefle. Jamais ces hommes juflesn'exigeoient pour
- leur falaire que le.prix légitime > dont ils nevou-
, loient point fe relâcher. Jurer devant un tribunal^,
même la vérité, leur fembloit une profti-
tution du nom de l'Etre faint, pour de miférables
débats entre des êtres foibles & mortels.
Le mépris qu'ils avoient pour la politeffe dans
la vie civile, fe changeoit en.averfion pour les
cérémonies du culte dans le rite eccléfiaftique.
Ils ofoient dire que les temples ne font que des
boutiques de charlatanerie ; le repos du diman-
, ch e , qu'une oifiveté nuifible > la cene & le. bap-.
tême , que des initiations ridicules. Auffi ne vou-,
loient-ils point de clergé. Chaque fidèle recevoit
immédiatement de l'Efprit-Saint une illumination,
un caractère bien fupérieur au facerdoce. Quand
ils étoient réunis, le premier qui fe fentoit éclairé
du c ie l, felevoit & révéloit fes infpirations. Les
; femmes même étoient fouvent douées de ce,don
de la parole , qu'elles appelloient don de prophétie.
Quelquefois plufieurs de ces frères ,en Dieu
partaient en même-temps î mais plus fouvent ré-
. gnoit un profond filence dans toute l'afTemblée.
L'enthoufiafme qui naifïoit également & de ces
; méditations,, & de ces difeours , irrita dans ces
fedtaires la fenfibihté du. genre .nerveux , au point
' de leur occafionner des convuifions. C'eft pour
cela qu'on les appella quakers 3u qui lignifie en;
anglois tiembleurs. C'étoit affez de ridicujifer leur
manie , pour les en guérir à la lpngue : mais on
la rendit contagieüfe par ,1a perfécutjon. Tandis
que toutes les autres feÇles nouvelles étoient encouragées
, ôn pourfuîvit, on tourmenta çelle-ct
par des peines de toute efpèce. L'hppital de$ foux,
la prifon , le fouet, le pilori furent décernés à des.
dévots , dont le crime &, la folie étoient de ypù",
loir être raifonhables & vertueux à l'excès. Leur
magnanimité dans les («uffrances; excita, d'abord
la pitié, puis l'admiration. CromWel même, après
avoir été l'un de leur plus a^dens persécuteurs,,,
parce qu'ils fe gliffoient clans,les.camps pp.qr dégoûter
les foldats d'une profeffion Sanguinaire .&
‘ defirudlive : CramWel leur donna des marques
publiques de Ton eftime. Il eut la politique de
vouloir les attirer dan,s fon parti, pour lui con-
. cilier plus de réfpeift 8c de confidélation. Mais
f on éluda ou l'on rejeta fes inviratrons $ & depuis
il avoua que c'étoit l'unique religion dont il n'avoit
pu rien obtenir avec des guinées. ,
.'ce De tous ceux qui donnèrent de l'éclat a
cette feéle , continue M. l’abbéRaynal, le feul qui
mérita d'occtfper la poftérité, fut Guillaume.Penn.
II étoit fils d’un amiral.de ce nom , alfez heureux
pour avoir obtenu la confiance du protecteur
& des deux Stuart qui tinrent apres lui f
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mais d’une main moins afiurée, les rênes du gou- ]
vernement- C e marin , plus fouple & plus infirmant
qu'on ne l'eft dans fa profeffion, avoit
fait des avances confidérables dans différentes expéditions
dont il avoit été chargé. Le malheur
des temps n’avoit guère permis qu'on le remboursât
durant fa vie. Après fa mort, l'état des affaires
n'étant pas devenu meilleur, on fit à fon fils
la proportion ,de lui donner, au lieu d'argent ,
un territoire immenfe dans'le continent de l'Amérique.
C'étoit un pays^qui, quoiqu'entouré de
colonies angloifes , & même anciennement découvert
, avoit toujours été négligé. La paffion de
l'humanité lui fit accepter avec joie cette forte
de patrimoine , qu’on lui cédoit prefque en fou-
veraineté héréditaire. Il réfolut d'en faire l'afyle
des malheureux, & le féjour de la vertu. Avec
ce généreux deffein , il partit vers la fin de
l'Vn 1681 pour fon domaine , qui fut appelle
dès-lors PerifUvanie. Tous les quakers , que le
clergé perfécutoit, parce qu’ils reïufoient de payer
la dîme & les autres taxes impofées par l'églife,
demàndoient à le fuivre : mais, par une prévoyance
éclairée , il ne voulut en amener d’abord
que deux mille.
53 Son arrivée au Nouveau - Monde fut
fignalée par un- a6le d'équité , qui fit aimer
fa perfonne & chérir fes principes. Peu fatisfait
du droit que lui donnoit fur fop établifîement la
ceffion du minilière Britannique, il réfol.ut d'acheter
des naturels du pays, le vallè territoire qu'il
fe propofoit.de peupler. On ne.fait point le prix
qu'y mirent les fauvages : mais quoiqu'on les ae-
eufe de ftupidité pour avoir vendu ce qu'ils, ne
dévoient jamais aliéner, Penn n'en eut pas moins
la gloire d'avoir donné en Amérique un exemple
de jullice & de modération , que les Européens
n’avoient pas même imaginé jufqu'alors. Il légitima
fa poffeffion autant qu’il dépendoit de fes
moyens. Enfin il ajouta , par l'ufage qu'il en fit,
ce qui pouvoit manquer, à la perfeélion du droit
qu'il y acquérait. Les américains prirent pour fa
nouvelle colonie autant d'aifeélion qu'ils avoient
conçu d’éloignement pour toutes celles qu'on
ayoit fondées à leur voifinage, fans consulter
leurs droits ni leur volonté. Dès - lors, s'établit
entre les deux peuples une confiance réciproque,
dont rien n'altéra jamais la douceur, dont une
bonne foi mutuelle refïerra de plus en plus les
heureux liens. 53
as L'hiimanité de Penn ne pouvoit pas fe borner
aux fauvages. Elle s'étendit fur tous ceux
qui viendraient habiter fon empire. Comme le
bonheur des hommes y devoit dépendre de la
légiflation, il fonda la fienne fur lés deux pivots
de la fplendeur des états & de la félicité des
citoyens : la propriété, la liberté. 3^
» Le vertueux légifiateur établit la tolérance
pour fondement de la foeïété. Il voulut que tout
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homme qui reconnoîtroit un Dieu , participât au
droit de cité } que tout homme' qui l’adoreroit
fous le nom de chrétien, participât à l’autorité^
Mais , laiffant à chacun la liberté, d’invoquer
cet être à fa manière, il n’admit point d'églife
dominante en Penji/vanie, point de contribution
forcée pour la confiruétion d'un temple, point
de préfence aux exercices religieux, qui ne fût
volontaire ».
«Penn, attaché à fon nom, voulut que la propriété
de Téfabliffement qu'il avoit formé reliât
à perpétuité à fa fanîille : mais il lui ôta une influence
décifive dans les réfolutions publiques ,
& voulut 'qu’elle ne pût faire aucun a&e d’autorité
fans le concours des députés du peuple.
Tous les citoyens qui avoient inrérêt à la lo i ,
comme à la chofe que la loi régit 5 dévoient être
éle&eurs, pouvoient être élus. Pour éloigner le
plus qu'il étoit pofhble toute corruption a il falloit
que les repréfentans duffent leur élévation à des
fuffrages fecrêtement accordés. Il fuffifoit de la
pluralité des voix pour faire une loi mais il fut
llatué que les deux tiers feraient néceflfaires pour
établir un impôt. C'étoit dès - lors un don des
citoyens, plutôt qu’une taxe du gouvernement.
Pouvoit-on accorder moins de douceurs à des*
hommes qui venoient chercher la paix au-delà
des mers ? 3i
« C ’eft ainfi que penfoit le vrai philofophe Penn.
Il céda pour 450 liv. mille acres de terre à ceux
qui pouvoient les acheter à ce prix. Tout habitant
qui ri'en avoit pas la faculté, obtint pour lu i,
pour fa femme, pour chacun de fes enfans au-
deflfus de feize ans , pour chacun de fes ferviteurs
, cinquante acres à la charge d'une rente
perpétuelle , d'un fol dix deniers 8c demi par
acre. Cinquante acres-furent encore affurés à
tous les citoyens q u i, devenus majeurs, con-
fentiroient à un tribut annuel de deux livres cinq
fo ls« .
33 Pour fixer à jamais l'état de ces propriétés,
on établit des tribunaux qui gardent les loix con-
fervatrices des biens. De peur qu'il n'y eût des
gens intéreffés à provoquer, à prolonger les
p r o c è s i l fut févèrement défendu à tous ceux
qui dévoient y prêter leur miniftère, d’exiger,
d'accepter même aucun falaire, pour leurs bons
offices. De plus, chaque canton fut obligé de
nommer trois arbitres ou pacificateurs, qui dévoient
tâcher de concilier les différends à l'amiable,
avant qu’on pût les porter devant une cour tfe
juftice 33.
« L’attention 'à prévenir les procès naiflbit d’ un
penchant à prévenir les crimes. Les loix , dans la
crainte d’ avoir des vices à punir , voulurent
en fermer la fource, l’indigence & l'oifiveté. On
ftatua que tout enfant au-deffous de douze ans,
quelle que fût fa condition , ferait obligé d'apprendre
une profeffion. C e réglement afturoit la
fûbfiftance au pauvre , 8c préparait une reffours*