
Par le droit (1) civil des romains, celui qui
enlève d'un lieu facré une chofe privée, n'eft puni
que du crimo4e vol : par le droit canonique (2 ;,
il eft puni du crime de facrilège. Le droit canonique
fait attention au lieu , le droit civil à la
chofe. Mais n'avoir attention qu'au lieu, c'eft ne
réfléchir ni fur la nature & la définition du
v o l , ni fur la nature & la, définition du facrilège.
| I t i i & k l ■ m .
Comme le mari peut demander la réparation
à caufe de l'infidélité de fa femme, la femme la
demandoit autrefois (3) à caufe dé l'infidélité du
mari. C e t ufàge, contraire à là difpofition des
loix romaines (4) , s'étoit introduit dans les cours
d'églife ( 5 ) , où Tort ne voÿojt que les maximes
du droit canoniques & effectivement, à ne regarder
le mariage que dans des idées purement
fpirituelles & dans le rapport aux chofes de l'autre
v ie , la violation eft la même" : mais les loix
politiques & civiles de prefque tous les peuples ,
ont avec raifon diftingué ces deux chofes. Elles
ont demandé des femmes , un degré dé retenue
& de continence qu'elles n'exigent point des hommes,
parce que la violation de la pudeur fuppofe
dans les femmei un renoncement à toutes les vertus
î parce que la femme, en violant les loix du
mariage, fort de l’état de fa dépendance naturelle
; parce que la nature a marqué l'infidélité
des femmes par des lignes certains 5 outre que les
enfans adultérins de la femme font néceffairement
au mari & à la charge du mari, au lieu que les
enfans adultérins du mari ne font pas à la femme,
ni à la charge de la femme.
Les chofes qui doivent être réglées -par les principes
du droit c iv il, peuvent rarement l'être par les
principes des loix de la religion.
Les loix religieufes ont plus de fublimité, les
loix civiles ont plus d'étendue.
Les loix de perfection, tirées de la religion ,
ont plus pour objet la bonté de l'homme qui les
obferve, que celle de la fociété dans laquelle
elles font obfervées : les loix civiles, au contraire,
ont plus pour objet la bonté morale des hommes
eh général, que celle des individus.
Ainfi, quelque refpe&ables que foient les idées
qui naiflent immédiatement de la religion, elles
ne doivent pas toujours fervir de principe aux
loix civiles, parce que celles-ci en ont un autre,
qui eft le bien général de la fociété.
Les romains firent des réglemens pour conferver
dans la république les moeurs des femmes > c'é-
toient des inftitutions politiques. Lorique la monarchie
s'établit, ils firent là-deflus des loix civiles
, & ils les firent fur les principes du gouvernement
civil. Lorfque la religion chrétienne
eut pris naiffance , les loix nouvelles que l'on fit
eurent moins de rapport à la bonté générale des
moeurs, qu'à la fainteté du mariage : on confidéra
moins l'union des deux fexes dans l'état c iv il, que
dans un état fpirituel.
D'abord , par la loi romaine ( 6 ) , un mari qui
ramenoit fa femme dans fa maifon après la condamnation
d'adultère, fut puni comme complice
de fes débauches. Juftinien ( 7 ) , dans un autre
efprit, ordonna qu'il pourroit pendant deux ans
l'aller reprendre dans le mon^ftère.
Lorfqu'une femme qui avoit fon mari à la
- guerre, n'entendoit plus parler de lu i, elle pou-
voit , dans les premiers temps , aifément fe remarier
, parce qu'elle avoit entre fes mains le pourvoir
de faire divorce. La loi de Conllantin (8)
voulut qu'elle attendît quatre ans , après quoi
elle pouvoit envoyer le libelle de divorce au
chef j & fi fon mari revenoit, il ne pouvoit plus
l'accufer d'adultère. Mais Juftinien ( 9 ) établit
que, quelque temps qui fe fût écoulé depuis le
départ du mari, elle ne pouvoit fe remarier, à
moins que , par la dépolition & le ferment du
ch e f, elle ne prouvât la mort de fon mari : Juftinien
avoit en vue l'indifiblubilité du mariage $
mais on peut dire qu'il l'avoit trop en vue. Il
demandoit une preuve pofitive, lorfqu'une preuve
négative fuffifoit ; il exigeoit une chofe très-difficile,
de rendre compte de la deftinée d'un homme
éloigné & expofé à tant d'accidens j il pré-
fumoit un crime , c'eft-à-dire, la défertion du
mari, lorfqu'il étoit fi naturel de préfumer fa
mort. Il choquoit le bien public, en laiflant une
femme fans mariage 5 il choquoit l'intérêt particulier,
en l'expofant à mille dangers.
La loi de Juftinien ( 10 ) , qui mit parmi les
caufes de divorce le confentement du mari & de.
la femme d'entrer dans le monaftère, s'éloignoic
entièrement des principes des loix civiles. 11 eft
naturel que des caufes de divorce tirent leur origine
de certains empêchemens qu'on ne devoit
pas prévoir avant le mariage : mais ce defir- de
garder la cbafteté pouvoit être prévu, puifqu'il
(1) Leg. V. fi, ad leg. Juliam peculatûs.|
(iV Cap. quifquis x v ir . quceftione 4 ; Cujas , obfervat. liv. XIII, chap. 19 , tom. 2.
(3) Beaumanoir: ancienne coupume de Beauvoifis , chap. 18.
(4) Leg. I. cod. ad leg* Lui. de adult.
U) Aujourd’hui, en France, elles ne connoiflent point dé ces chofes.
( 6) Leg. -XI. §. vit. ffl ad leg... .Lui. .de .adult..
(7) Nov. 134, coll. 9, ch. 10, tit. 170. .
(8) Leg. VI I , cod. de repudiis & judicio de moribus fubleito,
(9) Auth. hodiè quantifcurrique y cod., de repudiis.
(10) Auth. quod hodiè,, cod. de repudiis.
eft en nous. Cette loi favorife l'înconftance dans
un état qui, de fa nature, eft perpétuel > elle
choque le principe fondamental du divorce, qui
ne fouffre la diffolution d'un mariage que dans
i’efpérance d’un autre > enfin , à fuivre même les {
idées religieufes, elle ne fait que donner des victimes
à Dieu fans facrifice.
I l ne faut point régler les tribunaux humains ,-
par Us maximes des tribunaux qui regardent l'autre
vie.
Le tribunal de Tinquifition , formé par les
moines chrétiens fur l'idée du tribunal de la pénitence
, eft contraire à toute bonne police. 11 a
trouvé par-tout un foulevement générai > & il au* ;
roitcédé aux contradictions, fi ceux qui vouloiçnt :
l'établir n’avoient tiré avantage de ces contradiç'r
rions mêmes.
. C e tribunal eft infupportable dans tous les gou-
yernemens. Dans la monarchie, il ne peut que
faire des délateurs 8c des traîtres ; dans les républiques
, il ne peut former que des mal-honnêtes.
gens ; dans l’état defpotique , il eft deltruc-
teur comme lui.
Au refte, il faut juger lés loix avec circonl-
pe&ion j il faut examiner les circonftances avec
plus de foin que les législateurs eux - mêmes ne
le$ ont examinées : car l’intérêt avertit quelquefois
ceux qui gouvernent, & ils font quelquefois
d'heureufes difpbfitions fans avoir de bons ^principes.
: d'autrefois ils fe déterminent d'après des
‘données inconnues dû vulgaire > & , dans tous les
cas , il faut étudier ces données , ou deviner tous
les rapports.
Les loix qui paroiffent s'éloigner des vues du le-
gijlateur, y font fouvent conformes.
La loi de Solon, qui déclarait infâmes tous
ceux q u i, dans unefédition, ne prendroientaucun
parti, a paru bien extraordinaire : mais nous
avons montré ailleurs combien elle étoit fage. Il
faut faire attention aux circonftances dans lelquel-
les la Grèce fe trouvoit pour lors. Elle étoit partagée
en de très-petits états ;Ql étoit à craindre
q ue, dans une république travaillée par des diflen-
fions civiles, les gens les plus prudens ne fe mif-
fent à couvert, & que par-là les chofes ne fulfent
portées à l'extrémité.
. Dans les féditjçns qui arriyoient dans ces petits
états, le gros delà cité entro.it dans la querelle,
bu la faifoit. Dans, nos grandes monarchies, lés
partis font formés par, peu de gens , & le peuple
Voudrait vivre dans i'inaélion. Dans ce cas , i f eft
naturel de rappeller les féditieux au gros des citoyens
, non pas le gros des citoyens aux féditieux
dans l'autre, il fput faire rentrer le petjt
nombre de gens fages & tranquilles parmi les fedîrieux
: c’eft ainfi que la fermentation d'une liqueur
peut être arrêtée par Une feule goutte d'une
âutre.
De quelle manière deux loix diverfes peuvent être
comparées.
En France, la peine contre les faux témoins eft
capitale 5 en A n g le te r re e lle ne l'eft point. Pour
juger laquelle de ces deux loix eft la meilleure,
il faut ajouter : en France, la question préparatoire
contre les criminels a été d'ufage jufqu'à nos
jours : en Angleterre, elle ne l'eft point 3 & dire
encore : en France , l'accufé ne produit point fes
témoins, & il eft très-rare qu'on y admette ce
qu'on, appelle Us faitsjufiificatifs : en Angleterre,
l'on reçoit les témoignages'de part & d'autre. Les
trois loix françoifes forment un fyftême très-lié
& très-fuivi j les trois loix - angloifes en forment
un qui ne l'eft pas moins. La loi d'Angleterre ,
qui ne connoît point la queftion contre les criminels
, n'a que peu d’efpérance de tirer de l'ac-
eufé la confeftion de fon crime } elle appelle donc
de tous cotés les témoignages étrangers , & elle
n'ofe les décourager par: la crainte d'une peine
capitale. La loi françoifé qui a une reflource de
plus,, ne craint pas tant d'intimider les témoins;
au contraire, la raifon demande qu'elle les intimide
: elle n'écoute que les témoins d'une part (1)5
ce font ceux que produit la partie publique, &
le deftin de l’accufé dépend de leur feul témoi-
^ gnage. Mais en Angleterre , on reçoit les témoins
des deux parts , & l'affaire eft pour ainfi dire discutée
entr'eux : le faux témoignage y peut donc
être moins dangereux ; l'accufé a une relfource
1 contre le faux témoignage , au lieu que la loi
françoifé n'en donne point. A in fi, pour juger le s quelles
de ces deux loix font les plus conformes
à la raifon, il ne faut pas comparer chacune de
c^s loix .à chacune ; il faut les prendre toutes en-
femble, & les comparer toures enfemble.
Loix , ufages & droits che^ toutes Us nations ,
qui ont gouverné les peuples Us plus célébrés de l’antiquité
, & la plupart des peuples modernes.
Les./ci* les plus célèbres de l'antiquité font
celles de Lycurgue, de Dracon, de Solon , des
douze Tables.
Dans les temps moins éloignés, les loix fa-
meufés font les loix des angliens , wermes ou
thuringiens, la loi des allemands, les loix angloifes,
la loi des boyens ou bavarois , les loix
bourguignones, la loi des danois ou norwégions,
les loix des francs, celles des frifons, les loix
gothiques, celles des lombards , la loi Mariane ou
des murciens , la loi Moliolitine , la. loi d'Oleron ,
les loix Rîpuaires, la loi Salique , la loi des Taxons ,
(1) Par l’ancienne jurifprudence-françoife, les témoins étoient ouïs des deux parts. Auflï Voït-on , dans
les établiftèmens de S. Louis, liv. I» chap. 7, que la peine contre les faux témoins en juftice étoit pécuniaire.