
vafte empire, s’ils avoient montré de la mode- !
ration , de l'humanité. Une nation -naturellement
douce , depuis long-temps accoutumée à la plus ;
aveugle foumiflion , çonftamment fidelle aux maîtres
qu'il avoir plu au ciel de lui envoyer , éton-
ne'e du terrible fpeiftacie qui venoit de frapper
fes yeux : cette nation aurôit fubi le joug fans
trop murmurer. L'expoliation de fes maifons 8c
de fes temples ; les outrages faits à fes femmes
„ & à fes filles.; des cruautés _.de tous lès genres
qui fe fuccédoieht fans interruption : tafit d'infortunes
difpofèrent les peuples à la vengeance,
8c il fe préfenta des chefs pour conduire ce ref-
fentiment.
Des armées nombreufes remportèrent d'abord
quelques avantages fur un petit nombre de tyrans'
perdus dans des régions immenfes : mais ces foi-
bles fuccès même ne furent pas durables. Plu fleurs
de ces aventuriers, ‘ enrichis par là rançon d’ A-
tabaliba, avoient quitté leurs drapeaux pour aller
jouir plus paifiblement ailleurs d'un bien acquis
fî rapidement. Leur fortune échauffa, les- efprits
dans l'ancien, dans le Nouveau-/Monde, & de
tous côtés on accourut au pays d e -l’or. Il arriva
de-là que les efpagnols fe .multiplièrent en
moins de temps jm-Pérou que dans les autres
colonies. Bientôt ils s'y trouvèrent au nombre de
cinq ou flx mille, & alors ceffa toute’ réfif-
i-ance. Ceux des indiens qui étoient les plus attachés
à Ièur. liberté, à leur gouvernement y à
leur religion , fe réfugièrent au loin dans des montagnes
inaccefïibles. La plupart fe fournirent aux
loix du vainqueur.
, Une révolution fi étrange a été un fujet d'étonnement
pour toutes les nations. Le Pérou eft un
pays très-difficile, où il faut continuellement gravir
des montagnes, marcher fanl celle dans des
gorges 8c des défilés. On y eft réduit à pafler ,
à ’repafler perpétuellement des torrens ou „ des
rivières dont les bords font toujours efcarpés.
Quatre ou cinq mille hommes , avec un peu He
courage 8c d’intelligence , y feroient périr les àr-,
mées les plus aguerries. Comment donc arriva-t-il
qu’ un grand peuple n'ofa pas même difputer un
terrein', dont la nature devoit lui être fi connue
, à une. poignée de guerriers que .l'jOçéan ve-
iioit de vomir fur fes rivages ?|
C ’eft par la même raifon que le voleur intrépide,
le pîilolet à la main, dépouille impunément
une troupe d'hommes, * ou qui repofent
tranquillement dans leurs foyers , ou qui, renfermés
dafrs une voiture publique , continuent
leur voyage fans méfiance. Quoiqu’il foit feul 8c
qu’il n’ait qu’ un ou deux coups à tirer, il en im-
pofe à tous, parce que perfonne ne veut fe fa-
cri fier pour les autres.
C et empire qui ; félon les hiftoriens efpagnols,
fleurifloit: depuis quatre fiècles , avoir été fondé
par Mancd-Capac 8c par fa femme MaMa-Ocello,
qui furent appelles incas ou fèigneurs du Pérou* t.
On a foüpçonné que ces perfonnages pouvoient
etre les defcendans de quelques navigateurs d'Europe
ou des Canaries, jettes par la tempête fur
les côtes du Brélil.
Les légiflateurs fe dirent enfans du fole il, en*
; voyés par leur père pour rendre les hommes bons
8c heureux. Ils penfèrent fans doute que ce préjugé
enflammeroit l'ame des peuples qu'ils voulaient.
civilifer, éleveroit leur courage 8c leur
infpireroit plus d'amour pour leur patrie, plus
de fqumiffion aux loix.
Ç'étoit à des êtres nuds, errans, fans culture,
fans induftrie , fans aucune de ces idées morales,
qui font les premiers liens de l'union fociale , que
ces dircours étoient adreffes. Quelques-uns de
ces barbares , que beaucoup d'autres imitèrent
depuis, s'affemblèrent’autour.des légiflateurs dans
le pays montueux de Cufco. .
Manco apprit à fes nouveaux fiïjets à fécon- '•
der la terre., à femer des grains 8c des légumes ,
à fe v êtir,.'à fe loger: Ocello montra aux in - 1
1 diennes |j filer , à tiffer le coton 8c la laine ;
elle leurfenfeigna tous les exercices convena-*
blés à ’leur fexe , tous les arts de l'économie do-
meftique.
L'aftre du feu qui diffipe les ténèbres qui couvrent
la terré , qui tire le rideau de la nuit &
étale fubitement aux regards de l’homme étonné'
la fcène la plus vafte , la plus augulle ,8c la plus .
riante; que la gaieté des animaux, le ramage
des oifeàux , le cantique de l'être qui penfe , ;
faluent à fon lever ; qui s'avance majeflueufe,- •
ment au-deffus de leurs têtes; qui embraffe un'
efpace immenfe dans fa marche à 'travers les ef- *
paces du ciel ; dont le coucher replonge runivers
dans le filence 8c la triftefîe ; qui cara&èrife les
faifons 8c les climats ; qui forme 8c diffipe les
orages; qui allume la foudre 8c qui l'éteint ; .qui
verfe fur lés campagnes les pluies qui les fécondent,
fur les forêts les pluies qui les nourrif-
fent; qui animé tout par fa chaleur, embellit1
tout par fa préfenee , 8c dont l'abfence je tte 1
par-tout la langueur 8c la mort : le foleil fut le
dieu des péruviens. On lui bâtit des temples,'
8c on abolit les facrifiçes humains. Les defeen-1
dans des légiflateurs furent les feuls piftr-es.de la ’
nation.
Les loix prononcèrent la peine de mort contre
l'homicide, le vol 8c l’ acjuîtèrp. Cette févérité ne
s’étendit guère à "d'autres crimes.
La polygamie étoit défendue. Il n’.étoit permis
qu'à l'empereur _ d'avoir des concubines-,
parce qu'on ne pouvoir trop multiplier la race du
foleil. Il les choififloit parmi les vierges confa-:
crées au temple de Gufco, qui étoient.toutes de
fon fang.
Une inftitution très-fage ordonnoit qu’un jeune '
homme qui commettroit une faute, ferpit légèrement
puni, mais que fon père en fe-roit refponlabié.
C ’eft ainfi que la bonne éducation veilloit
à la perpétuité des bonnes moeurs.
11 n’y avoit point d'indulgence pour l’oifîveté,
regardée avec raifon comme la fource de tous
les défordrés. Cèiix que' l'âge ou lès incommodités
avoient mis hors d’état de travailler, . étoient
nourris par lé public , mats: avec l’obligation de
préferver du dégât des Oifeaux les'terres enfe-
mencées. To-us les citoyens étoient ' obligés de
faire eux - mêmes leurs habits , d'élever leurs
maifons', de fabriquer leurs inftrumens d’agriculture.
Chaque famille favoit feule pourvoir à
fes be foins.
Il étoit ordonné aux péruviens de s’aimer, 8c
tout les y portoit. Ces ttàvaüx communs, toujours;
égayés par des chants 'agréables ; l’objet'
même de ces travaux, qui-étoit d'aider quiconque
avoit befoin de fecours ; ces vêtèmens faits
par les filles vouées au culte du foleil , & dif-
tribués par les officiers de l'empereur aux pauvres
, aux vieillards , aux orphelins ; l’union qui
devoit régjhçr dans les décuries > où tout lé monde
s’infpiroit mutuellement le fefpeét des lo'ix, l’ amour
de la vertu , parce que les! châiime;ns pour
les fautes d'un feul tomboient fur toute la décurie
; cette habitude.de fe regarder comme membres
d'une feule famille, qui etoit l'empire ; tous
ces ufages entrerenoient parmi les péruviens, la
concorde , la bienveillance , le paçriotifme;, ;un
certain-efprit de communauté, 8c fublrituoiént , ■
autant qu'il eft poflible , - à l’intérêt perfo'nne.1, à
l ’efprit de^ropriété , aux refforts communs dès
autres légiflations , 4és vertus les plus fublimés 8c, j
les plus- aimables. ' '
Elles étoient honorées, ces vertus, comme’
les fervices rendus à la patrie. Ceux qui s’étoient
diftingués par une conduite exemplaire , ou par
des aérions d’éclat utiles au bien public, pôr-
t oient pouf marque de décoratiqb , des habits’
travaillés par ' la famille des Incas. Il eft fort/
vraïfemblyble que ces. ftatues que lés? efpaghols
prétendoient avoir trouve'es dans les temples du -
foleil, 8c qu’ils prirent pour des idoles , étoient
les ftatues des hommes,qui, par la grandeur de
leurs talen s1, ou par une Vieremplie de belles actions
, avoient mérité l’hommage o u ,l'amour de
leürs concitoyens.
Ces_ grands hommes étoient encore les füjets
ordinaires des poëme.s’ compofés par la famille des '
Incas , pour rinftruétion des peuples! '
Il y avoit un autre genre' de poème utile aux
moeurs. On repréfentoit à C u fco , 8c peut-être •
ailleurs , des tragédies 8c-des comédies.,-Les premières
donnoient aux prêtres, aux guerriers ,
aux juges , aux hommes d’éta t, des le'çQns de
leurs devojrs, 8c des -modèles de vertus publiques.
Les comédies fervoient-d’inftruéiion aux
conditions inférieures/, & leur enfèigrîoienr. les,
vertus privées , 8c jufqu’à l’économie domefti-
que.
L ’état entier étoit diftribué en de’curîes, avec
un officier chargé de veiller fur dix familles qui
: lui. étoient confiées. Un officier fupérieur avoit
. la même.infpeét,ion fur cinquante, familles ; d’ au-
i très enfin fur çenj:, fur cinq cens , fui mille.
Les déclinons 8c. lés autres infpeéteurs , en
; remontant jufqu'a.ii millénaire., dévoient rendre
; compte à celui-ci des bonnes 8c des mauvaifes actions,
folhçiter le châtiment 8c la récompenfe ,
. avertir fi l’on manquoit de vivres, d’habits , de
: grains pour l’année. Le millénaire rendoit compte
au miniftrè de l’Inca.
. Rarement avoit-il à pprter des plaintes contre
■ la partie de, la nation confié^, i f i vigilance. Lorf-
I que ce -malheur'àrrivoit, les coupables, alloient
; eux-mêmes révéler, Jeiirs'fautes les. plus fe crêtes
, 8c demander à Jes expier. Ces*peup!es di-
j foient aux efpâgnols , qu'il iv étoit jamais arrive
qu'un homme de la famille des Incas eût mérite
d'être puni.,..
Les terres , du royaume, fufceptibles de culture,
étoient /partagées en trois parts , celle du
. foleil , celle de l'Inca, 8c. .celle dés peuples. Les
premières fe çultiyôient ' en commun , .ainfi que
lës'térrès des orphelins ,,dës Veuves., des vieillards,
des infirmes, 8c des foldâts qui étoient a l'armée.
Celles-ci fe cultivoient immédiatement après celles
du foleil,,8c avant cellès de,l’empereur. De«, fêtes
anno.nç'ojëhfc ce travail : on le commençoit 8c
on le CQntinùpit' au fon des inftrumens, 8c en
.chantant des c,antiques...
L'empéréur ne levoi't. aucun tribut, 8c n'exi-
■ geôit de fes' fujets que la culture de fes terres ,
dont le produit ’, dépofé par tout dans .des maga-,
fins publics, fuffifoit à toutes les dépenfes de
l’empirer-
Les terres confacrées au foleil fournifloient à
l'entretien dés prêtres 8c des temples, à.tout
^ce qui conpernoit le culte religieux. Elles étoient
, en^, pa'ràe labourées par des princes de la famille
.royale , revêtus de leurs plus riches habits.
A l'égard des terres qui étoient entre les mains
des particuliers , elles n’étôient ni un héritage ,
ni même une propriété à vie. Leur partage va-
rioit çontinuellement 3 8c fe régloit avec une équité
rig"qyreufe fur le nombre de têtes qui compofoier.t
chaque famille. Les richeffes fe bornoient ..toujours
au produit des champs, dont l’état avoit
'confié Füfufruit paflager.
: ' Les Incàs ne çonnoiflant pas. I'ufage des im-
îpp.ts , 8c n'âyanf, pour fubvènir aux befoins du
gouvernement, que des denrées en nature , durent
chercher à les multiplier. Ils étoient fécondés
dans l'exécution de ce projet, par leurs mini
ft rés, par les. adminiftrateurs inférieurs, par les
Tôhiâts même qui ne r.e ce voient , pour fubfifter,
poilr fou tenir leur rang/, que des fruits de la terre.
De là tant de foins ‘pour les augmenter. Cette
attèttrion^'poüyôif avq|r pour but principal de par- .
ter l’abondknce' dans l'es champs du fouveraip :