
niai a été auffi folemnel que s'il eût été quel!ion,
ou d'une négociation faite par des généraux à la
vue de deux armées ennemies, ou de l'échange
de deux fouverains. Les difficultés de cérémonial
ne furent pas plus grandes dans la négociation des
Pyrénées, entre la France & l'Efpagne, que l’ont
été celles de l’échange fait de nos jours fur les
bords du B o g , de l’ambafladeur du grand-fei-
gneur & de celui dç la czarine. .
Parce que les turcs reçoivent des ambafladeurs
qui rélident chez eux , & qu'ils-n'en font pas ré-
fider chez les chrétiens , les princes chrétiens
pénètrent les réfolutions. les. plus fecrettes de la
P orte, tandis que le grand-feigneur eft dans une
profonde ignorance de ce qui fe paflfe publiquement
dans les cours chrétiennes. Le fultan i enfermé
dans fon ferrail parmi fes fempies & fes
eunuques, ne voit que par les yeux de fon vifîr.
C e miniftre auffi inacceffible qqe fon maître ,
occupé des intrigues du ferrail & fans cçrrefpon-
dance au dehors , eft ordinairement trompé , ou
il trompe le fultan , qui le dépofe & le fait étrangler
à la première faute, pour en choifir un autre
auffi ignorant ou auffi perfide, qui fe conduit
comme fes prédécefleurs a & qui tombe bientôt
comme eux.
Les polonois, fans avoir les mêmes idées de
fupériorité que les turcs, n'entretiennent point
de miniftres dans les cours. Les polonois ont tort
comme les turcs î ils ont d'autant plus de tort,
qu'ils n'ont fait d'alliance que lorsqu'ils écoient
fur le bord du précipice, où la guerre alloit les
précipiter. Le feul danger les y forçoit, & les
îecours de leurs alliés leur coûtoient,ce qu’ il leur
en eût coûté par. le pillage des ennemis dont
ils cherchoient à fe défaire.
Nous ne dirons pas que la Pologne eft tombée
dans l'état déplorable où elle fe trouve j qu'elle
a vü de nos jours démembrer fes provinces, parce
qu'elle n'entretenoit pas de miniftres dans les cours
étrangères > fon avililfement & fes malheurs ont
des caufes plus immédiates , dont nous parlerons
a l'article Pologne : mais il y a lieu de croire
qu'en prenant plus de part aux opérations des
antres cours de l'Europe, elle auroit prévenu
quelques-uns des maux qui font venus fondre fur
elles.
Les princes catholiques fe croyoient obligés jadis
d'entretenir des négociateurs à Rome. C'é-
toit la cour de l'Europe où un prince devoit
le plus chercher à établir fon crédit. La puiflance
temporelle du pape en Italie , fa puiflance fpiri- :
tuelle dans tous les états de la communion romaine,
la religion des peuples qui influe fur ies
affaires temporelles, cette multitude d’eccléfiafi-
tiques & de religieux qu'on trouve dans chacun
de ces états, donnent beaucoup d'importance à
la cour de Rome. Il étoit comme impoffible qu'un
prince y eût du crédit, fans en avoir dans les
autres cours de l'Europe. Les négociateurs qui
réfidoîent à Rome , jugeoient que les princes qui
y dominoient, étoiènt en effet les plus puifîans ,
& ils avoient raifon d'en juger ainfî j car la puif-
fance, n'eft dans aucune cour fi refpëétée qu'à
Rome. Deux ambafladeurs trouvoient deux vi-
fages différens au même pape dans un feul jour,
félon que le courier du foir apportoit des nou-*
velles différentes de celles du matin.
Le meilleur moyen qu'un prince pût employer
pour le rendre confidérable à Rome, étoit de
bien établir fes affaires * tant au dedans qu'au
dehors de l'état. Gagne£ des batailles par de là ,
& vos affaires iront bien par-deçà, écrivoit de
' Rome à fon maitre un grand négociateur qui a
fervi utilement la France.
Perez , miniftre efpagnol difgracié, qui avoit
une connoiflance profonde des myftères politiques
, voulant expliquer à Henri IV , fous la protection
duquel il s'étoit mis, ce qui pouvoit élever
la France au - deflus de tous les autres , rie
lui dit que nees trois mots en fa langue, Rome ,
un confeil, la mer. Il comptoit la faveur de Rome
comme le premier des moyens qui dévoient pro>*
duire cet effet.
Si le prince qui ordonne une négociation, eft
en bonne intelligence avec la plupart de fes voifins
, & s'il eft allié des puiflances les plus éloignées
de fes états, fes propofitions feront reçues
favorablement dans les lieux où il négocie. Un
prince qui offenfe l'un de fes voifins, eft moins
craint 6z moins honoré des autres. Il doit tâcher
de bien vivre avec les princes & les républiques , ’
q u i, par leur voifinage, peuvent le fervir ou lui
nuire. Nous avons dit à l'article A lliance qu'un
état puiflant par lui-même a encore befoin d'alliés
pour réfifter aux forces des autres puiflances ennemies
ou jaloufes de fa profpérité, lorfqu'elles
s'uniflent contre lui. La prudence veut qu'un état
fe fortifie du fecours de fes voifins, de la même
manière qu’on fortifie le dehors d'une place , afin
que l'ennemi ne puifle approcher de fes murailles.
Les efprits médiocres s'en tiennent là j mais les
efprits fupérieurs n’oublient rien non plus pour fe
fortifier au loin.
. R eft fouvent de l'intérêt d'un grand prince
d’intervenir dans les démêlés des autres puiflances.
Il fe tire par-là de la néceffité de prendre
un parti j il s'infinue dans la confiance des uns
& des autres , & rien n'eft plus propre à étendre
fa réputation , à le faire rëfpe&er , & par con-
féquent à faire confidérer fes propofitions- Il y
a pour la médiation quelques règles à obferver :
quoique nous en ayions déjà parlé à l'article M éd
ia t io n , nous en ferons ici le réfumé.
Tout médiateur doit être exempt de paflîon ,
ou maître de celles qu'il a. Il doit marquer une
grande modération.
Un prince ne doit jamais offrir fa médiation à
des puiflances qui ne font pas contentes de lu i,
parce
parce que fes offres ne ferviroient qu’à lui faire
efluyer le défagrément d'un refus.
Il ne doit pas non plus, dans les différends
qu'il a lui-même, accepter légèrement la médiation
d’une autre puiflance , s'il n'a lieu de croire
qu'il aura fujet d'en être fatisfait, parce qu'après
avoit admis une médiation , on ne peut plus la
rejetter fans offenfer le médiateur. '
Au refte, les médiateurs ne fervent guère qu'à
aflembler les puiflances qui doivent traiter. Les
difpofitions favorables que les conjonctures mettent
dans les coeurs des princes, décident fouvent
fans que les médiateurs y aient aucune part.
Il eft en général utile de faire toutes les négociations
par des miniftres. Les pourparlers entre
les fouverains font fujets à de grands incon-
véniens: Les comparaifons odieufes , l’émulation,
les faux rapports, les foupçons qu'on prend de
part & d'autre , le cérémonial dont on eft rarement
d'accord, tout devient un fujet de mécontentement.
Il s 'y mêle de l’animofité j & bien
loin d'appaifer lès querelles , une entrevue de
princes ne fait fouvent que les envenimer , &
eft moins propre à maintenir la bonne intelligence
qu'à l’altérer. Philippe de Comines rapporte 1
plulieurs de ces entrevues qui ont eu une iflue
peu favorable. On ne peut néanmoins donner fur
cela de règle certaine ou générale ; car l'hiftoire
prouve que d'autres princes fe font abouchés ,
farts qu'aucune inimitié en ait été la fuite. Ces
entrevues font devenues très • communes de nos
jours, & toutes celles que nous avons vues fe
font tetminées d’une manière heureufe. Les fuites
des entrevues dépendent plutôt de l'état des affaires
, de la conformité ou de la diverfité des
humeurs , Zz de la manière de vivre des princes
& de leurs peuples , que de ces entrevues même.
- L'entrevue qui eut lieu a Paris en 1378 , entre
notre fage roi Charles V & l'empereur Charles
IV , fe pafla avec une fatisfaétion réciproque.
Un auteur récent1 l'a écrite dans un grand détail.
La prudence exige qu'avant d’en venir à
des entrevues, on confidère fi rien ne peut exciter
la jaloufie , l'envie, le mépris.
On préfumé toujours que deux fouverains s'abouchent
pour traiter de grands intérêts, & les
princes voifins prennent ombrage de ces entrevues.
Ceux qui les font, en cachent ordinairement
le fujet.
Le lieu de l'entrevue eft digne d'attention, non-
feulement pour la fûreté de ceux qui s'y rendent,.
mais encore pour l'honneur qiie reçoit celui qu'on
va trouver.
Dans les guerres civiles, les négociations de
paix ou de trêve en préfence de deux armées ,
font dangereufes. Elles entraînent fouvent les efprits
timides & irréfolus dans le parti le plus
fo r t , & quelquefois le parti le plus fort y devient,
par une réfolution fubite, le plus foible.
m m polit. 6? diplomatique. Tom. 111,
On fuit le parti vers lequel on penche, quand on
peut le faire avec fûreté.
Le fouverain envoie à fon gré un oupîufieurs
ffrîniftres. Il y a des occafions où il eft avantageux
Zz même néceflaire d'envoyer , dans un même
lieu ou dans un même pays, plufieurs miniftres.
i° . Dans les conférences pour la paix , foit que
les princes y envoient comme intérefles ou comme
médiateurs , il feroit difficile à un feul miniftre de
fuffire à, toutes les conférences, à tous les mémoires
, à toutes les réponfes de vive voix & par
écrit, & à toutes les démarches qu'il faut faire
en de pareilles occafions , pour arranger des intérêts
fi divers & lutter contre des paflions fi
variées. Plufieurs miniftres y partagent ordinairement
le travail, & prennent de concert les mefures
qui peuvent conduire les. affaires au but.
Les miniftres qui fervent le même maître * dont
le fervice doit être pour eux un objet commun
& invariable, font obligés d'agir de concert &
de fe cômthuniquer leurs découvertes. Quoiqu'ils
ne penfent pas toujours de la même manière , &
que d'accord fur le but ^ ils foient fouvent op-
pofés dans le choix des moyens, ils ne doivent
faire qu'une feule dépêchç commune à tous, puif-
qu'ils ne compofent qu'un feul corps d'ambaflade.
C'eft le feul moyen de conferver de l'uniformité
dans le récit des faits, qui pourroient être marqués
différemment fi chacun d'eux écrivoit à part*
mais lorfque leurs opinions varient , ils peuvent
l'énoncer dans leurs lettres.
i Q. Il eft auffi fort utile & fouvent néceflaire
d'employer plus d'un miniftre dans les pays^oùle
gouvernement eft partagé entre plufieurs, & dans
ceux qui font agités de quelque guerre civile, &
où l'on a des intérêts-à ménager avec les divers
partis.
30. Il faut plus d'un négociateur dans un état
él’e& i f , quand il s'agit d'y gagner des fuffrages
; pour l'élection d'un nouveau prince.
Lorfqù'il n’y a qu'un feul négociateur dans un
pays où l'autorité eft divifée, il ne lui eft pas
poffible de fe tranfporter dans tous les lieux ou
fa préfence eft néceflaire, & de traiter avec jous
ceux qui y font en crédit.
Il arrive fouvent qu'un même miniftre ne réuffit
pas à plaire à tous ceux qui font dans des intérêts
oppofés j Zz qu'il fuffit qu'il foit ami du
chef d'un des partis pour fe rendre fufpeét aux
autres. Un fécond miniftre qui n'a pas les mêmes
liaifons, prévient cet inconvénient. Il eft b on,
erî ce cas^, d'en choifir plufieurs pouf le même
pays, qui foient liés d'amitié ou qui puiflent s'accorder
, afin d'éviter les jaloufies & les divifions
qui nuiroient aux intérêts de leur maître.
La France n'avoit pourtant qu'un feul ambafla-
deur en Pologne, lorfqu’elle plaça par fon crédit
le roi Staniilas fur le trône des polonois j & elle
n'en eut auffi qu'un en Allemagne, dans une oc-
cafion où il s'agifloit de donner un chef à l'Empire*
F f f