
côte Malabare ne feroit jimais tranquille tant'
que les princes nayres feroient fur les frontières
8c dans le pays de Travancour, 8c il réfolut de
conquérir ce royaume ; il n’avoit d'autre prétexte
que les fecoürs 8c l’afyle donnés à fes ennemis
par le roi de cette contrée. Quoique ce royaume
îoit d'une petite étendue, il .eft très-peuplé 5 8c
Sam-Raja qui en étoit fouverain , avoiy acquis;
une réputatiôû de fageffe & de valeur qui dévoit
faire craindre beauCoup de réfiftance.^ ■ :
Ayder favoit que fon ennemi travailloit depuis
long-temps à difcîpliner fon armée ; qu'il avoit
un corps nombreux de cipayes, & une artillerie
fervie par de bons canoniers fournis par les danois
, les anglois 8c les hollandois. Il favoit aufli
qu'on ne pouVoit pénétrer, dans le Travancor que
par des gorges 8c' dés montagnes où Ram-Raja
avoit élevé déS forteréffés & des retranchemens ,
8c il n'ignoroït pas que les angloîs, jaloux de fa
puifiance, avaient raflemblé des troupes dans le
Maduré & le Marava, pays de la dépendance de
Méhémet- AH - Khan & frontière de Travancor.
Mais, habitué à furmonter les obttacles qui s'op-
pofoient à fes projets, Aydèr - étoit fermement
déterminé à entreprendre là' guerre-de Travancor.
I l fe doit aux promefles des députés anglois qui
étoient venus le''trouver fur la côte de Malabar,
à qui même il avoit accordé la confirmation de
tous leurs privilèges, 8c une permiflkm d'établir
line factorerie àO n o r ; il fe perfuadoit auffi que
les troupes des anglois n'étoient raffemblées que
pour garantir de toute infulte le pays de Méhémet
Ali ; nabab d’Arcate.
Maffoüs - Khan étoit venu le voir de la part
de Nizam-Ali-Khan qui lui avoit envoyé de magnifiques
préfens } il favoit que ce fouba du dé-
can s'occupoit à de petites guerres contre fes vaf-
faux , aidé d'un corps de troupes angloifes commandé
par le général Schmidt, & il çroyoit n°a~
voir rien à redouter de fa part.
Pour ne pas efluyer de diverfion durant la guerre
qu'il avoit projettée , Ayder écrivit au gouverneur
de Scirra, fon beau-frère, de renouveller
avec les marattes la trêve qui étoit fur le point
d'èxpirer ; ce qui lui paroinoit facile, au moyen
de quelque argent donné à propos aux chefs de
cette nation.
Le projet de la guerre de Travancour & la né-
ceffité de garnir le$ pays conquis; obligèrent
Ayder à faire des -levées d'hommes considérables
; 8c voulant mettre à profit le tems qui de-
voit s'écouler jufqu'au moment qu'il avoit fixé
pour marcher contre Ram-Raja, il exerçoit fes
troupes 8cfon artillerie parles officiers européens}
il affiftoit tous les jours , avec fon fils 8c fes généraux
p aux exercices 8c aux évolutions.
Dès que les anglois eurent appris les prépara---
tifs d'Ayder, 9 que la renommée avoit beaucoup
groffi , ils en conçurent de l'ombrage , ainfi que au long féjour de ce nabab à Coilmontour, ville
capitale d'un petit pays , frontière du Maduré^
Dans l'incertitude où ils étoient des intentions!
fecrettes d'Ayder, ils réfolurent de faire partir
de Madrafs fon Ouaqüil bramine, appelié M.e-
nagi^Baudec. Une lettre du gouverneur 8c du con-
feil lui annonçoit une ambaffade folemnelle, com-
pofée du colonel G a ll, ingénieur en c h e f , 8c du
icorifeiller Bofchier, frère du gouverneur.- Ayder
croyant qu'on vouloit lui faire des propofitions
relatives au Travancour 8c à la côte de Mala-f
b a r , contraires à. fes vues, éluda la propofition
de cette ambaffade.
Les fuites ont peu de rapport à cet article :
nous avons parlé ailleurs des guerres d'Ayder Aly
depuis 1763. Nous ajouterons feulement que ,
peu après les événemens dont nous parlions tout-
à-l'heure , il conquit le royaume de Bifnagar 8c
de Travancor } 8c qu'ainfi fes états éroient corn- ;
pofés de la foubabie de Scirra , du royaume de
Maiffour, de celui de Canara, de celui de C a - ^
licut, 8c de ceux de Bifnagar 8c de Travancor :
nous ignorons fi Tippo-Saïb eft aujourd'hui le
maître de tous ces domaines.
Ayder regardant avec jufle raifon fon royaume i
de Canara comme le plus bel héritage qu'il pût
laiffer à fes enfans , défigna Ayder^Nagar pour l a ’
capitale de tous fes états. Il y avoit fait venir *
toute fa famille, à la réferve de fa première fem--
me, foeur de Moctuip 8c mère de Tippo - Saïb
fon fils aîné, qui defira demeurer à Benguelour..
Ayder vouloit établir dans ce royaume un gou -.
vernement propre à le faire aimer de fes peu-.
ples'5 il y iréuflit au • delà de fès efpérances. II
partagea entre fes proches le gouvernement de fes ;’
autres états.
Il laiffà le gouvernement de Benguelour 8c du !
pays qui en dépend à Ibrahim-Ali-Khan fori on--
cle , qui en jouiffoit depuis filong-tems. Il donna
à Moctum-Ali-Khan le gouvernement du royaume
de M.aijfoury à Mirza , celui de Scirra 8c de tout
fon diftriél ; 8c à un fils de fon oncle 3 nommé
Amïn-rSàib 3 le gouvernement du royaume de Bif- »
nagar.
Ali-Raja ayant formé, dès le commencement-
de la belle faifon , une flottille , conquit les-
ifles Maldives , fous le prétexte de quelque in- -
juftice qui avoit été faite à fa nation } 8c après -
avoir fait prifonnier le roi de ces ifles , il eut/
la barbarie de lui crever les yeux. Cette conquête
fut faite au-nom d'Ayder., dont la flotte,
portoit ' les. pavillons. •
AlHRaja ayant ramené fa flotte viélqrieufe à
Mangalor , vint à Nagar faire hommage de fa,
conquête à Ayder } ,il lui préfenta l'infortuné r o i ,
des Maldives. Ayder fut fi irrité de la cruauté
df Ali-R:aja, qu^il lui ôta fur le champ le com-.
mandement de fa flotte > il le donna enfuite à un.
anglois, nommé Stanét. Pénétré de la barbarie
d'AlirRaja 3 il pria.lè roi'des Maldives de lui.
pardonner les excès auxquels s'étoit porté fon ,
«unira]
amiral en le privant de la vue 5 8c après lui avoir
témoigné combien il en étoit touché , 8c lui avoir
dit tout ce qu'il crut pouvoir le confoler, il lui
donna un de fes palais pour retraite , avec un revenu
fuffifant pour lui procurer l'aifance 8c les
plaifirs que fon état lui permettoit de goûter.
11 Les courtifans 8c les poètes de la cour d 'A y der,
peu au fait de la Géographie ( 1 ) , ayant appris
que leur roi étoit devenu maître de douze
mille ifles, ajoutèrent à tous fes titres celui des
ifles de la mer.
Ayder 8c les petits fouverains de l’Inde ayant
eu fouvent des difputes avec les marattes, à l'oc-
cafîon du chotaie, nous allons dire ici ce que
c 'ell que le chotaie, & terminer l'article par
quelques remarques fur la manière dont on fait
la guerre dans l'Inde } 8c par une évaluation imparfaite
des domaines d'Ayder-Aly. Le chotaie
eft le feptième du revenu de la foubabie du Dé-
çan 8c des pays qui en dépendent, que Aureng-
zeb accorda aux marattes : il ne fe paye pas exac*
tement} les marattes lèvent des contributions plus
ou moins fortes, fuivant les circonftances 8c la
foibleffe de celui qui les paye. Ayder poffédoit
beaucoup de pays , comme le Maijfour, 8cc. qui
dévoient le chotaie} il ne voulut point fe fou-
mettre à ce paiement; il dit nettement que per- :
fonne n'avoit le droit de forcer les peuples à
à payer d'autres tributs ou impôts que pour le
bien - être de l'état , ou par le droit du plus
fort ; que les marattes étant dans ce dernier cas ,
il ne leur devoit rien, parce que Dieu l'avoit
fait aflTez puiflant pour défendre fes fujets contre
eux. Il ne faifoit jamais de paix avec les maratte
s , mais feulement des trêves de trois ans ; il
leur payoit alors une fomme, 8c quelquefois il
ne pâyoit rien, fuivant fes difféçens fuccès.
A y d e r , pour défendre fes états attaqués par
les marattes, par le foubah de Décan 8c par les
anglois, a été réduit plufieurs fois à dévafter
trente lieues de fon pays ; il ordonnoit aux habi-
tans d’emporter leurs denrées , leurs meubles#
leur argent 8c leurs effets précieux, pour brûler
les cabanes ; 8c cet ordre a toujours été exécuté
à la rigueur ; les habitans f e tranfportent gaiement
aux lieux qu'on leur afligne.
On fera moins furpris que tout un peuple abandonne
gaiement fes maifons , lorfqu'on faura que
toutes les terres appartiennent au fouverain ; que
le cultivateur n’eft autre chofe qu'un fermier annuel
, 8c que les indiens de ce pays, même les
habitans des villes, n’ont d’autres meubles qu'un
bois de l i t , dont le fond eft une fangle ; ( les plus
riches couchent fur un tapis piqué ) quelques coffres
de carton peints 8c vernis, qui renferment
leur linge, quelques nates 8c irftenfiles de.terre,
fans tables ni chaife's , dont l’ ufage' leur eft inconnu,
de même que les trois quarts des meubles
qui fervent aux européens ; leurs maifons, bâties
en terre ou brique , .ont peu de boiferie , ènforté
que le mal caufé par l’ ennemi le plus deftru&eur,
eft bientôt réparé.
L ’empire d'Ayder comprenoit en 17 6 7 , lorf-
qu'il commença la guerre contre les anglois , le
royaume de Maijfour, le pays de- Benguelour qui
en faifoit autrefois partie , une portion du Carnau
qu'on appelle auffi pays de montagnes % 8c qui comprend
toutes les vallées 8c les montagnes, depuis
Ambour jufqu'à Maduré , Travancor 8c les domaines
des environs, la ville de Scirra , le pays de
Ballapour, le petit royaume de Bifnagar , -de
royaume de Canara , qui fe prolonge jufqu'au
cap de Rama fur les bords de la m e r , 8c jufqu'au
Vifapour dans les terres, 8c enfin une partie
de la côte de Malabar 8c les ifles Maldives.
Tous ces états d'Ayder fe trôuvoient raffemblés ,
8c défendus, du coté des anglois , par des montagnes
8c par des gorges. Ils contenoient, fi l'on
en croit le bruit populaire, plus de mille forte-
refles, grandes ou- petites. L'auteur de la vie de
ce prince attefte , après les avoir v u , que leur
nombre en eft confidérable. Toutes les grandes
fortereflfes font défendues par des troupes de
l’armée qu’ôn change de tems à autre , 8c par des
troupes de garnifon ou efpèce de milices ; les petites
forteréfles n'ont que des foldats de milices
pour garnifon ; 8c lors d'une invafion de l'èiï-
nemt, les habitans des montagnes s'arment au
moindre lignai, fe jettent dedans, 8c les défendent
avec aflez d’opiniâtreté pour exiger un fiège.
. Ces fortereffes, qui paroiffent avoir été élevées
pour fe garantir des incurfions des marattes, ont
des foffés, des battions ou des toürs ; les fortifications
de plufieurs font revêtues de pierres ou
de briques ; mais la plus grande partie des petite
s , fur-tout celles du plat pays, ont des remr
parts en terre rouge : cette terre rouge acquiert
en peu de temps une confiftance égale à
celle des briques cuites au foleil.
Les états d'Ayder abondoient en riz 8c en
toute forte de denrées ; ils étoient remplis de
boeu fs , de moutons, de chèvres 8c d'éléphans ;
la plupart des chevaux 8c des chameaux fe ti-
roient de l'étranger; mais ce prince qui connoif-
foit l’ utilité de ces animaux à la guerre, avoit
toujours en réferve , dans des villages, deux ou
trois cents éléphans 8c quinze ou vingt mille chevaux.
(1) Les poètes font en grand nombre dans l’Indoftan. Il y en a fur-tout béaucoup dans les cours. Ayder
avoit un poëte de la cour en titre; il lui donnoit deux mille cinq cens livres par mois , ou mille roupies
#d’appointemens, & le rang de chef ou général de mille hommes. Il compofoit un poème a chaque événement
glorieux pour le prince.
CEco/i. polit. & diplomatique. Tom, 111. E e