
vent obéir, à celui qui doit ■ commander ; croire
que les princes, ne doivent .rien ià leurs fujets ,
c ’eft uue idée chimérique. Eft-ce quil peut y avoir
d’obligation entre eux qui ne foit réciproque ,,
.& que la.lumière naturelle ne répugne pas à concevoir
qu’ un nombre infini d’hommes doive tou-?
tes chofes à un feul homme, fans que cet homme
leur en doive aucune ? Il y a un retour de devoirs
du fouverain aux fujets , & .d e s fujets au
fouverain ; fi les fujets doivent une entière obêif-
fance à leurs princes ; s’ils font obligés de prodiguer
pour eux leur bien & leur fang, les princes
doivent à leurs fujets _, de l’amour, de la
juftice & des foins continuels pour leur défenfe.
Les rois croient, dit un ancien 3 que le privilège
du fceptre c’eft de faire comme légitime de
leur part, ce qui eft un crime de la part des autres.
Telle eft en effet la force d;e l’habitude dans
quelques princes, que tout ce qu’on leur>propofe
pour Tutîlité des autres , letir eftdéfagréable. Il
d l auffi difficile de leur perfuader qu’ils ont des
devoirs à remplir envers leurs peuples, qu’il eft
aifé d’empoifonner leurs coeurs par de lâches flatteries.
.Auffi. Salomon confeille-t-il de ne pas chercher
à paroître fagès devant les rois de la terre.
Un monarque à qui tout ob éit, aime rarement
qu’on veuille lui apprendre quelque chofe. L ’il-
lufion que les princes fe fo n t , n’ eft pas néanmoins
fi générale ni fi invincible, qu’on doive
héfiter de leur préfenter continuellement des vérités
qui -, fi elles font une fois reçues, doivent
être falutaires à! leurs peuples.
La domination n’eft point la fin de l’établiffe-
ment de la royauté ; c’eft le foin,, la défenfe, la
prote&ion du bien public. L’empereur Adrien,
parlant aù fénât romain, lui promit qu’il fe gouver-
neroit en prince qui favoit que la choTe publique n’é-
toit pas à lui ; & c’eft en effet le falut commun
des fujets , qui doit être l ’objet de toutes les démarches
du fouverain: non plus qu’aucun a r t, aucune
. magiftrature n’a-fa fin en elle-même , c’eft
uniquement pour le bonheur des fociétés que toutes
les fupériorités ont été établies. C ’eft pour
l'intérêt du jufticiable -que la jurifdiéBon a été
accordée ; c’eft pour l’intérêt du malade que Je
médecin â-été établi. Le troupeau eft-il fait pour
le berger, .ou le berger pour le troupeau ? La république
n’eft pas au fouverain ; c’eft le fouverain
qui eft à. la république. Quoi 1 tous feroientpour
eux 1 Un ne feroit pas pour tous ? Les Ioix de
Minos., difoit un illulire .'prélat à l’héritier pré-
fomptif dûine couronne y veulent qu’ un homme
ferve, par fa fageffet & par fa modération , à la
félicité de tant d'hommes.; & non pas-que tant
d’hqmrnes fetvent,??par. leur-mifère & par leur
fervitude, à flatter la nobleffe>d’un feul homme.
D ’où po.urroit venir à un fouverain le droit de
rapporter tout :à. lui j & non à. davantage de la
fbciété ? Seroit-ce fa qualité d’homme ?" Elle lui
ciV cornmime> avec fous fes fujets :: ferpit-cç'du
goût de les dominer? Peu. d’homfnes lui céderaient
en ce point. Seroit-ce de la poffeffion même
où il fe trouve de l’autorité ? Qu’il voie à quelle
condition on s’y eft fournis 1
Les différens rapports du prince avec ceux qui
font fournis à fon empire , 8c les conditions di-
verfes des puiffances dont il eft le martre, font
la jufte mefure de fes devoirs à l’égard de fes
peuples.
' S’il faut de radreffepour gouverner les animaux
de toute éfpèce, il en faut encore davantage pour
gouverner l’homme qui, de tous les animaux , eft
le plus difficile à manier.
Combien doit être plus difficile le gouvernement
de tout un royaume ! Quels taiens n’exige
pas la conduite des affaires de la paix 8c de la,
guerre ! Il ne femble pas qu’un homme feul puiffe
fuffire à tous les foins du gouvernement , ni. par
la quantité des chofes dont il faut être . inftru.it >
ni par celle des vues qu’il faut fuivre, ni par,
l’application qu’ il faut apporter, ni par la variété
des conduites qu’ il faut tenir 8c des caractères
qu’il faut prendre. Défendre l’état contre
l’étranger, & en prendre foin au - dedans avec,
l ’attention que le poffeffeur de quelques ar-,
pens de terre a pour la conservation de fon domaine
; maintenir les loix pour apprendre à fes.'
fujets à les refpeéter ; obliger les citoyens à bien
vivre, entr’eux , faire fubfîfter les uns, protéger
les autres contre l’oppreffion des grands ; ménager
la fortune des fujets j même dans les befoins
publics} être avare du fang des peuples ; punir
le crime , pardonner; pardonner aux hommes qui,
n’ont péché ni par l’ intention, nj par le coeur ;
être acceffible à tout le mondé & populaire , autant
que peut le permettre la dignité bien entendue;
proferire le menfonge & éloigner la flatterie
; ne point prendre de réfolutions précipitées,
& favoir revenir fur fes pas lorfqu’on s’ap-
perçoit qu’ on a été trop loin ;,fe choifir de bons
miniftres ; établir des magiftrats intègres pour rendre
la juftice ; des prélats pieux 8c de bon exemple
pour faire fleurir la religion ; placer dans les
provinces des gouverneurs qui maintiennent les
loix., les coutumes générales du royaume , 8c
celles de la province fur laquelle ils font établis
; faire fervir au bien commun de l ’état ce
fond de férocité fecrette qui fe trouve en tous
les hommes ; tpurner au profit de l’utilité publique
les paffions des; hommes, & fournir même
des objets à celles qu’il convient de mettre en
mouvement : voilà" quels font en -général les de«,
voirs d’un roi. V
De toutes les affaires humaines, dit un an*
ci en;, laoplus difficile' 8c 'eeHef'qui demande le
plus de-foin , e ft, ’ fans contredit?, le'gouvernement
d’uta. royaume. « Le chef d’oeuvre de l’ef»
» p r i t c ’eft le parfait goüveinement f 8c ce no
» feroitt peut-être pas une chofe poflible ^ dis u>
» bel efprit de nos jours, fi les peuples., par
»; l ’habitude où ils font de la dépendance 8c de
» la fouiriiffion , ne faifoient la moitié de l’bu-
» vrage »,
Il eft une inftruvUon , celle que Guftave-AdoL,
phe reçut de Charles, roi de Suède fon.père ,
qui eft epurte, qui contient a-utaut d’excellentes
chofes que de mots , bc q u e , par ces deux rai--
fons , je tranferirai i c i , afin que ce foit un roi
qui parle à d’autres roisi
i . ,« Il faut premièrement favoir qu’une couronne
eft bien pefante , fi les fideles ferviteurs du
prince qui la porte & l’amour de fes peuples n’en
îbutiennent une partie, & la vertu l'autre». [J,
. 2. « Qu'il ne faffe jamais faire par fes_ lieu-,
tenans ce. qu’il pourra dignement faire par lui-
même ».
j ce Qu’ il voie par-tout qu’ il écoute tou t,
& que , par fa prudence '8c par fa bonté , il pourvoie
à tout ».
4. « Qu’il n’ait pour confiderrs que des hommes
fages & défintéreffés , 8c qu’ il connoîtra. gens
de bien ».
5. ce Que d’habiles hommes faffent rous les ans,
le tour de l’Europe , poür attirer à fon feryiee
les perfonnes les pliis renommées en toutes fortes
de profeffion ».
6. « Qu’ il apprenne diverfes langues pour aimer
piufieurs nations & fe faire aimer d’elles».
' 7 . 1 Qu’ il forme fon jugement dans les feien-
ces 8c' connoiffances néceffâires J, pour mieux
faire la différence du jufte avec l’injufte, du vrri
d’avec M faux , 8c de l’apparent d’avec le yé-
rîtable;” .
8. « Qu’ il tâche, par fa douceur & par fon
humanité dç s’ acquérir les coeürs de tout le
monde ».' , ".. ' f ’ V i 0 ... 0 I y.. ,r
’ . 9.;^« Qu’ il ait le vifage ouvert & le cpeiir fér-
me T ,que fon procédé paroiffe , en toutes fes
allions, loyal V convenable à fa dignité ».
10. « Si le prédeceffeur du prince ou lui-même
s’ eft' te lâché pour Tbbfervation dés'loix dé fon
royaume , par la.mauvaife conjoncture dés terns,
qu’il ne: balancé point de les rétablir dans lèur
premier luftre , auffi-tôt qu’il le;pourra ; perfonne
ne pouvant avec juftice trouvera redire qu’il af
fujettiffe les perfonnes & les chofes aux loix de
fon état'».-^ ;
i l . . « Qu’ il emploie toutes fes fineffes & fon
indûftrie à. notre ni trompé, ni trompeur .
12. « Q u e , pour fe rendre capable de dompter
8c d’ affujettir les tyrans , il commence à dompter
fes paffions ».
1$. « Qu’ il ne fe rebute point.du travail 8c de
la peine, dans les. commencemens , & il: s’ y açL
coutumera infenfiblement ; & en partageant fes
heures j>our l’adminiftration des affaires de fon
éta t, il aura du tems; fuffifamrftent pour y vaquer
&, prendre d’honpêtes diVertifîemens ».
14. ce Quç fpn royaume foit eftimé le refuge
8c l ’afyle des princes opprimés ,. & que fon épée
jointe à fii réputation ait l’avantage 8c, la gloire
de les rétablir en leur grandeur ».
1 y. «e Q u’il tende la main â la veuve ; qu’il
fecoure l ’orphelin, qui attendent de fa bonté
& de fa juftice qu’ il ne fouffrira point qu’ ils
foient opprimés dans leur malheureufe condi*
tion ■; v.o-i • ■ , . - p ii,i
. ié . ‘‘ Que le prince non-feulement confidère ,
mais encore qu’il examine, lorfqu’ on rend' de
bons ou de mauvais offices à quelqu’un, fi c ’eft
par principe de haine ou d’amitié , ou par atta-
chement.à fon fervice , en 1’aver,tiffant pour qui
il doit avoir de l’eftime ou de la défiance ; la
cour, 8c ceux, qui la fréquentent, étant remplis
d’ordinaire d’envies, de fuppofitions 8c d’artifices
»-
17. «c Qu’il fâche que le fang innocent répan-,
du & celui du méchant confervé crient également
vengeance ».
18. « Qu’il abatte le fourcil de l’orgueilleux
&_de l’impudent, 8c qu’ il faffe du bien aux humbles
aux timides ».^
^ . ce Qu'il fe fouvienne qu’il n’eft pas moins
important de punir que de récompenfer, pour
la' confèrvation & le maintien de fon état” ; ,
’ 20. cc Que fa libéralité në tende jamais â la
profufion , & que fes bienfaits foieiit toujours départis
avec choix & mefure ».
21. « Qu’ il regarde avec autant d’averfion &
de mépris les flatteurs que les traîtres. Qu’il
confidère les fainéans 8c les Coififs comme morts+
8c faffe auffi peu de cas des mutins & des menteurs
».
22. ce Que la bienféance accompagnée d’une
certaine familiarité méfurée, n’imprime que de;
l’amour & du refpeét i 8c que fa colère, quand
il eft contraint de la faire • éclater, icaùfe‘ de la
frayeur & de l’amendement ^
23. « Qu^il ne paroiffe jamais1 inquiet ni chagrin,
fi ce n’ eft lorfqu’un de fes bons ferviteurs
fera mort ou tombé dans quelque grande
faute ».
• 24. « Qu’ il exeufe 8c pardonne plutôt la faute
que la flatterie ».
25. «c Qu’il, foit acceffible, affiible , porté à la
clémence, fans’ reffentiment & fans fiel ».
26. c« Que la vérité pénètre & foit reçue dans
les lieux les plus fecrets & les plus retirés de fon
palais , d’où la plupart des princes fouffrent fou-
vent qu’elle foit bannie ».
27. « Qu’en témoignant fon déplaifir, il efface
avec dextérité lés cicatrices des plaies caufées
par les impôts dans le coeur.^e fes fujets, quoique
donnés fouvent au beloin de l’ état & à la
néceffité publique »,
28. ,« Q u e , dans fa coür & dans fes armées ,
l’étranger ne foit point rebuté , mais qu’ il y foit
confidère avec quelque forte dç différence des naturels
fujets du prince