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& dont le climat, foir parce qu'elle n'eft pas encore
affez défrichée , foit par la nature particulière
de fon fo l, eft .plus meurtrier qne celui du refte
des Antilles ( i ) ?
L'avantage de la peupler étoit réfervé aux éta-
blilfemens voifins. Des françois qui avoient vendu
très-avantageufement leurs plantations de la Grenade
aux anglois, ont porté à Sainte-Lucie une
partie de leurs capitaux. Un grand nombre des
cultivateurs de Saint-Vincent, indignés de fe voir
réduits à acheter un fol qu'ils avoient défriché
avec des fatigues incroyables , Ont pris la même
route. La Martinique a fourni des habitans dont
les pofieflions étoient peu fécondes ou bornées 3
& des négocians qui ont retiré quelques fonds
de leur commerce pour les confier à l'agriculture.
On leur a diftribué à tous gratuitement des
terres.
C'eût été un préfent funefte , fi le préjugé établi
contre Sainte-Lucie a voit eu quelque fondement.
La nature 3 difoit-on, lui avoit refufé tout
ce qui peut conftituer une colonie de quelque
importance. Dans l'opinion publique , fon terroir
inégal n'étoit qu'un tuf aride & pierreux ^ qui
ne paieroit jamais les dépenfes qu'on feroit pour
le défricher. L'intempérie de fon climat devoit
dévorer tous les audacieux que l'avidité de s'enrichir
ou le défefpoir y feroient paffer. Ces idées
étoient généralement reçues.
Dans la vérité 3 le foi de Sainte-Lucie n'eft pas
mauvais fur les bords de la mer , & il devient
meilleur à mefiire qu'on avance dans les terres.
T ou t peut être défriché 3 à l'exception de quelques
montagnes hautes & efcarpées 3 fur lefquel-
les on remarque aifément des traces d'anciens
volcans. Il refte'encore dans une profonde vallée
huit ou dix excavations de quelques pieds de diamètre,
où l’ eau bout de la manière la plus effrayante.
On ne trouve pas, à la vérité , dans
Lifte, de grandes plaines , mais beaucoup de petites,
où leTüeré peut être heureufement cultivé.
L a forme étroite & allongée de cette poffeffion en
rendra le tranfport aifé , dans quelques lieux que
les cannes foient plantées-
L 'a ir , dans l'intérieur de Sainte - Lucie , n'eft
peut-être que ce qu'il étoit dans les autres ifles
avant qu'on les eût habitées : d'abord impur &
mal fain ; mais à mefure*que les bois font abattus
, que la terre fe découvre, il devient moins
dangereux. Celui qu'on refpire fur une partie des
côte s , eft plus meurtrier. Sous le vent , elles
reçoivent quelques foibles rivières qui , partant
des pieds des montagnes, n'ont pas affez de pente
pour entraîner les fables dont le flux de l'Océan
embarraffe leur embouchure. Cette barrière infur-
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mohtablé fait qu'elles forment, au milieu des terres
, des marais infeéts. Une raifon fi fenfible
avoit fuffi pour éloigner de ces cantons le peu
de caraïbes qu'on trouva dans l'ifle en y abordant
la première fois. Les françois , pouffes dans le
nouveau-Monde par une paftîon plus violente que.
l'amour de la confervation , ont été «moins difficiles
que des fauvages. C'eft dans cette étendue
qu'ils ont principalement établi les cultures. Plu-
fieurs ont été punis de leur aveugle avidité.
D'autres le feront un jour , à moins qu'ils ne
conftruifcnt des digues, qu'ils ne creufent des
canaux pour procurer de l'écoulement aux eaux.
Le gouvernement en a donné l'exemple dans le
port principal de l'ifle j quelques citoyens l'ont
fuivi, & il eft à croire qu'avec le tems une pratique
fi utile deviendra générale.
Déjà fe font formées dans la colonie onze pa-
i roifles, prefque toutes fous le vent. Cette pre-
; férence, donnée à une partie del'ifle fur l'autre,
ne vient pas de la lupériorité du fol > niais du
plus ou du -moins de facilité à recevoir, à expédier
des navires. Avec le tems, l'efpace qu'on
a d'abord négligé fera occupé à fon tour , parce
qu'on découvre tous les jours des anfes où il fera
poflïble d'embarquer fur des canots toutes fortes
de productions.
Un chemin .qui fait le tour de l'ifle , & deux
chemins qui la traverfent de l'eft à l'oueft, donnent
les facilités qu'on pouvoit defirer pour porter
les denrées des plantations aux embarcadaires.
Avec du tems & des richeffes , ces routes parviendront
à un degré de folidité qu'on ne pouvoit
leur donner d'abord fans des dépenfes trop
confidérables pour un établiffement naiffant. Les
corvées, dont ces chemins font l'ouvrage, ont
retardé les cultures & excité bien des murmures :
mais les colons commencent à bénir fa main fage
& ferme qui a ordonné, qui a conduit cette
opération pour leur utilité. Leur fardeau a.été
un peu allégé dans les derniers temps, par l'attention
qu'pnt eue les adminiftrateurs, d'appliquer
à ces travaux les taxes exigées pour les affran-
chiffemens.
Au premier janvier 1 7 7 7 , la population blanche
de Sainte-Lucie s'élevoit à deux mille trpis
cents perfonnes de tout âge & de tout fexe. Il y
avoit mille cinquante noirs ou mulâtres libres &
feize mille efclaves. La colonie comptoit parmi
fes troupeaux onze cents trente mulets ou chevaux
, deux mille cinquante-trois bêtes à cornés ,
trois mille fept cents dix-neuf moutons ou chèvres.
Cinquante-trois fucreries qui occupoient quinze
cents quarante-un quarrés de terre , cinq millions
(1) Les anglois fe font emparés de Sainte-Lucie pendant la dernière guerre; & le nombre des foldats
qu’ils ont perdu , eft très-confidérable. Un de leurs chirurgiens en a fait le détail; & fon livre renferme,
fur l’infalubrité du climat de cette ifle, des remarques qu’il eft bon d’annoncer ici.
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quarante mille neuf cents foixante - deux pieds
■ de café , un million neuf cents quarante-cinq mille
•fept cents douze pieds de cacao, cinq cents
quatre-vingt-dix- fept quarrés de coton formoient
fes cultures.
Ces produits réunis étoient vendus, dans l'ifle
même, un peu plus de 3,;ooo,oeo deiiv. Les deux
tiers étoient livrés aux américains, aux anglois &
aux hollandois , en poffeffion de fournir librement
aux befoins de la colonie. Le refte étoit porté à
la Martinique , dont on dépendoit, & d'où l'on
tiroit quelques marchandifes, quelques boiffons
arrivées de la métropole. v
Lorfque S a in te -L u c ie , qui a quarante lieues de
circuit, fera parvenue à toute fa culture, elle
pourra occuper cinquante à ; foi Xante mille efcla-
ves , & donner pour neuf ou dix millions de denrées
: tous ceux qui connoiffent J'ifle, l'avouent.
Par quelle fatalité cet établiffement a-t-il donc
fait fi peu de progrès, malgré tous les encourage-
mens qu'il a reçus ? |
C'eft que, dès l'origine , on donna précipitamment
des propriétés à des vagabonds , qui
n'avoient ni l'habitude du travail, ni aucun moyen
d'exploitation : c'eft qu'on accorda un fol immenfe
. à des fpéculateurs avides qui n'étoient én état de
mettre en valeur que quelques arpens : c'eft que
-les terres intérieures furent diftribuées avant que
les bords euffent été défrichés : c'eft que les fourmis
qui défoloient fi cruellement la Martinique ,
.ont porté le même ravage dans les fucreries naif-
fantes de Sainte - L u cie : c'eft que le café y a
éprouvé la même diminution que p ar -to ut ailleurs
; c'eft enfin que l'adminiftration n'y a été ni
affez régulière , ni affez fuivie 3 ni affez éclairée.
Quels remèdes employer contre tant d'erreurs ,
- contre tant de calamités !
Il faudroit établir un gouvernement plus ferme,
une police plus exacte. Il faudroit dépouiller de
- leur territoire ceux qui n'auront pas au moins
, rempli en partie l’engagement qu'ils avoient con-
• tracté de le rendre utile. Il faudroit par des réunions
fagemént réglées , rapprocher, le plus qu'on
pourra , des plantations fépar-ée.s par des diftances
qui leur ôtent la volonté & h facilité de s'en-
tr aider. Il faudroit contraindre légalement tous
les débiteurs à re'fpe&er des créances dont ils fe
• font habituellement joués. U faudroit affurer ,
pour une longue fuite d'années & par des -aêtes
authentiques, aux navigateurs de toutes les nations
la liberté de leurs liaifons avec cette ifle.
L'arrêt du confeil du mois d'août 17,84 l'a entrepris
> mais on ne fait pas encore fi le miniftère
ne fe verra point force de fe rendre aux criaille—
.ries déraifonnables des négoçians. On devroit aller
plus loin.
Les françois de la métropole ne veulent p as ,
& ceux des ifles ne peuvent pas mettre en valeur
Sain te-L uc ie , Beaucoup d'étrangers, au contraire
, ont offert d'y porter leur indirftrie & leurs
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capitaux, fi l'on vouloit fupprîmer le barbare
droit d’aubaine : droit qui s'oppofe au commerce
réciproque des nations j qui repouffe le vivant
& dépouille le mort} qui déshérite l'enfant de
l’étranger j qui condamne celui-ci à laiffer fon
opulence dans fa patrie , & lui interdit ailleurs
toute acquifition, foit mobilière, foit foncière:
droit qu'un peuple qui aura de faines notions
£ur la politique , abolira chez lu i, & dont il fe
gardera bien de follicîter l'extinêlion dans les autres
contrées, -
Lorfqu'on aura pris les mefures convenables
pour rendre Sainte-Lucie floriffante , le miniftère
de France pourra fe livrer au fyftême qu'il pa-
roît avoir adopté de défendre fes colonies par
des foitereffes. Pour garder cette ifle , il fuffira
de garantir de toute infulte le port du Carénage.
C e p o r t, le meilleur des Antilles, réunit plusieurs
avantages. On y trouve par-tout beaucoup
d'eau 5 la qualité de fon fond eft excellente ; la
nature y a formé trois carénages parfaits : l'un
pour les-plus grands bâtimens, les deux autres
pour des frégates. Trente vaiffeaux de ligne y
feroient à l'abri des ourâgarfs les plus terribles*
Les vers ne l'infectent pas encore. Les vents
font toujours bons pour en fortir, & l'efcadrê la
plus nombreufe feroit au large en moins d'une
heure.
Une pofition fi favorable peut non-feulement
défendre toutes les poffeftïons nationales , mais
; menacer encore .celles de l'ennemi dans toute l’étendue
de l'Amérique.. Les forces maritimes de
l'Angleterre ne fauroïent couvrir tous les lieux.
La plus foible efcadre , partie de Sainte ■ Lucie ,
porterait en peu de jours la défoJation dans les
colonies q u i, paroiffant les moins expôfées , fe-
roieht dans la plus grande fécurité. Pour l'empêcher
de nuire , il faudroit bloquer le port du C a rénage
; & cette croifière, aufli difpendieufe que
fatigante.-y pourroit encore être bravée impunément
par un homme hardi , qui oferoit tout ce
qu'on -peut ofer en mer.
Le Carénage, qui a l'inconvénient d'expofer
au danger d'être pris, les vaiffeaux qui font à fa
vue, n'a jamais paru digne d'attention à la Grande-
Bretagne , affez puiffante, affez éclairée , pour
penfer que c'eft aux vaiffeaux à protéger les rades.,
& non-aux rades à protéger les vaiffeaux.
Pour la France , ce port poffède la plus grande
défenfe maritimec'eft-à-dire, une pofition qui
empêche les vaiffeaux d'y entrer fous voile. Il
faut àlonger plufieurs touées pour y pénétrer. On
ne peut louvoyer entre fes deux pointes. Le fond
augmentant tout d'un coup, & paffant près de
terre de vingt-cinq à cent brades , ne permettrait
pas aux attaquans de s’y embofler. Il ne peut
y entrer qu'un navire à la fois, & il feroit battu
en même-tems de l'avant & des deux bords par
des feux mafqués.
*>i l'ennemi vouloit infulter le port, il feroit
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