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tableau général de Ylndoflan, de Tes révolutions
politiques 8c de fon gouvernement.
Cette .belle 8c riche contrée tenta , fi Ton veut
s'en rapporter à des traditions incertaines , l'avidité
des premiers conquérans du monde. Mais Toit
que Bacchus, Hercule , Séfoftrïs , Darius aient
ou n'aient pas parcouru, les armes à la main ,
cette grande partie du globe , il eft certain qu’elle
fut pour les premiers grecs un champ inépuifable
de fiélions & de merveilles. Ces chimères en-
chantoient tellement un peuple toujours crédule s
parce qu'il fut toujours dominé par Ton imagination
3 qu'on ne s'en défabufa pas même dans les
fièçles les plus éclairés de la république.
En réduifant les chofes à la vérité , l'on trouvera
qu'un air pur , des alimens fains, une grande
frugalité, avoient de bonne heure prodigieufe-
ment multiplié les hommes dans l’ Indoflan. Ils
connurent les loix , la police s les arts , lorfque
le relie de la terre étoit défert ou fauvage.
Des inftitutions fages 8c heureufes préfervèrent
dé jà corruption ces peuples, qui paroifloient n'avoir
qu'à jouir des bienfaits du fol 8c du climat.
Si de temps en temps les bonnes moeurs s'alté-
roient dans quelques cours 3 les trônes étoient
auffi-tôt renverfésj 8c lorfqu'Alexandre le montra
dans ces régions, il y reftoitTort peu de rois, il ,
y a voit beaucoup de villes libres.
Un pays partagé en une infinité de petits états,
populaires ou aller v i s n e pouvoit pas oppofer
un front bien redoutable au héros de la Macédoine.
Aufli Tes progrès furent-ils rapides. Il au-
roit tout affervi,. fi la mort ne l'eut furpris au
milieu de fes triomphes.
En fuivant le conquérant dans fes expéditions ,
l'indien Sandrocotus avoit appris la guerre. Cet
homme, auquel lès talens tenoient lieu de droits
% de nailfance , ralfembla une armée nombreufe,
& chalfa les macédoniens des provinces qu'ils
^voient envahies. Libérateur dé fa patrie, il s'en
rendit le maître, 8c réunit fous fes loix Ylndof-
fan entier. On ignore quelle fut la durée dé fon
règne, quelle fut la durée de l'empire qu'il avoit
fondé.
Au commencement du huitième fièele, les arabes
fe répandirent aux Indes, comme dans plusieurs
autres contrées de l'univers. Ils fournirent
à leur domination quelques illes. Mais , contens.
de négocier paifiblement dans le continent, ils
n'y formèrent que peu d'établiffemens.
Trois fiècles après, des barbares de leur relk
gion , fortis du Khoraflan 8c conduits par Mahmoud
, attaquent l'Inde par le nord, 8c pouffent
leurs brigandages jufqu'au Guzarate. Ils emportent
de ces opulentes contrées , d'immenfes dépouilles
qu'ils vont çnfo.uir dans leurs incultes 8c
miférables déferts.
Le fouvenir de ces calamités n'étoit pas encore
effacé, lorfque Gengiskan, qui avec fes tartar.es
jivoit fubjugué la plus grande partie de. EjAfie
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porta1, vers Lan 1200 * fes armes viélorîeufetf
fur les rives occidentales de l'Indus. On ignore
quelle part ce conquérant 8c fes defcendans pri >
rent aux affaires de Ylndoflan. Il eft vraifembla-
ble. qu'elles ne les occupèrent pas beaucoup y
puifqu'on v o it, peu de tems après, les patanes
régner dans ce beau pays.
C'étoient des hommes agreftes 8c féroces qui ,
foltis par bandes des montagnes du Kandahar ,
fe répandirent dans les plus belles provinces de
Ylndoflan, 8c y formèrent fucceflîvement plu-
fieurs dominations indépendantes les unes des
autres.
Les indiens avoient eu à peine le temps de fe
façonner à ce nouveau joug, qu'il leur fallut encore
changer de maître. Tamerlan, forti de 1^
grande Tartarie , 8c déjà célèbre par fes cruautés
8c fes victoires, fe montre à la fin du quator-
- zième fièele au nord de Ylndoflan, avec une armée
aguerrie, triomphante 8c infatigable. Il s'afe
fure lui-même des provinces feptentnonales, &
abandonne à fes lieutenans le pillage des terres
méridionales. On le croyoit déterminé à fubjii-
guer l'Inde entière, lorfque tout-à-coup il tourna
fes armes'contre Bajazet, le vainquit, le détrôna
, 8c fe trouva, par la réunion de toutes fès
conquêtes , le maître de l ’efpace immenfe qui s'entend
depuis Smirne jufqu'aux bords du Gange,
Des guerres fanglantes fuivirent fa mort. Ses riches
dépouilles échappèrent à fa poftérité. Ba-
bar, fîxième defeendant d'un de fes çnfons, con-
ferva feul fon nom.
C e jeune prince , élevé dans la molleffe , ré^
gnoit à Samarcande, où fon aïeul avoit fini fes
jours. Les tartares Usbecks le précipitèrent du
trône , 8c le forcèrent de fe réfugier dans le
Cabuliftan. Ranguildas, gouverneur de la prq^
vince , l'accueillit 8ç. lui donna une armée.
On traça, fans perdre de temps 1 un plan
d'ufurpation, qui fut fuivi avec beaucoup de vivacité
8c d'intelligence, Le fuccès le couronna-
Les provinces feptentrionales , De.lhy même ,
fe fournirent après quelque réfillançe. Un monarque
fugitif eut l'honneur de fonder la puiG
fance des tartares mogols, qui exifte encore.
La confervatioi) de la conquête exigeoit un
gouvernement. Celui que B abat trouva établi
dans l'Inde, étoit un defpôtifme purement c iv il,
tempéré par les ufages, par les formes , par l'opinion
j en un mot, ab. fol u ment conforme au caractère
de douceur que ces peuples doivent à
l'influence du climat, 8c à l'influence plus puif-
■ fante encore, des opinions religieufes. A cette
conftitution paifible , Babar fit fuccédçr un def-
potifme violent ,8c militaire* tel qu'on de voit l'attendre
d'une nation conquérante 8c barbare.
Cependant , en appefantiffant le defpôtifme ,
Babar avoit voulu l'enchaîner lui-même* 8c donner
à fes inftitutions une telle force, que fes
fucççfïeurs , quoiqu'abfQlus, fuffent obligés jragji&
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|ufte$. Le prince devoit être le fuge du peuple
8c l'arbitre de l'état ; mais fon tribunal 8c fon
confeil étoient dans la place publique. L'injuftice
& la tyrannie aiment a fe renfermer dans l’ombre
j elles fe cachent à ceux qu'elles oppriment.
Mais quand le monarque ne veut agir que fous
les yeux de fes fujets , c'eft qu'il n'a que du
bien à leur faire. Infulter en face à des hommes
raffemblés, eft une injure dont les tyrans même
peuvent rougir.
Le principal appui de l’autorité étoit un corps
de quatre mille hommes , qui s'appelaient les
premiers efclaves du prince. C'eft dans ce corps
que l'on choififl’oit les omrahs, c'eft-à-dire, ceux
qui entroient dans les confeiîs de l'empereur ,; 8c
à qui il donnoit des ' terres honorées de grands
privilèges. Ces fortes de fiefs étoient toujours
amovibles, 8c le prince héritoit de ceux qu'il en
avoit rendu poffeffeurs, C 'eft à cette condition
qu'étoient données toutes les grandes places : tant
il paroît de la nature du defpôtifme, de n'enrichir
des efclaves que pour les dépouiller.
Les places d'omrahs n'en étoient pas moins briguées.
C'étoit l'objet de l'ambition de quiconque
afpiroit à l'adminiftration d'une province. Pour
prévenir les projets d'élévation 8c d'indépendance
que pouvoient former ces commandans , on met-
toit auprès d'eux des furveillans qui ne leur étoient
fournis en rien, 8c qui étoient chargés d'examiner
l'emploi qu'ils faifoient des forces militaires
qu'ort étoit obligé de leur confier pour tenir dans
le refpeéfc les indiens aflujettis. Les places fortes
étoient fouvent entre les mains d'officiers qui ne
rendoient compte q,u'à la cour. Cette cour foup-
çonneufe mandoit fouvent fon délégué, le rete-
noit ou le déplaçoit, félon les vues d'une politi-.
tique changeante. Ces yiciflitudes étoient devenues
li communes, qu'un nouveau gouverneur
fortant de Delhy , refta fur fon éléphant, le vi-
fage tourné vers la ville , pour voir, difoit-il , arriver
fon fuccefleur.
Cependant la forme de l'adminift ration n'étoit
pas la même dans. tout l'Empire. Les mogols
avoient laiîïe plufieurs princes indiens en poffef-
fion de leurs fouverainetés , 8c même avec pouvoir
de les tranfmettre à leurs defcendans. Ils
gouvernoient félon les loix du pays, quoique relevant
du nabab nommé par la cour. On ne leur
impofoit qu'un tribut 8c l'obligation de refter fournis
aux conditions accordées à leurs ancêtres, au
temps de là conquête.
Il faut que la nation conquérante n’ ait pas exercé
de grands ravages , puifqu’elle né fait encore que
le dixième de la population de l’Inde. On dit
qu'il y a cent millions d’indiens fur dix millions
de tartares. Les deux peuples ne fe font point
mélangés. Les indiens feuls font cultivateurs 8c
«ouvriers. Eux feuls rempïiffent les campagnes 8C
les manu.faâ;lires* Les mahométans font dans la
i n d &
capitale, à la cou r , dans les grandes villes, dans
les camps 8c dans les armées.
Il paroît qu'à l'époque où les mogols entrèrent
dans Ylndoflan, cette région n'étoit plus ce qu’elle
avoit été. Les propriétés foncières, qui dans les.
temps reculés avoient eu tant de Habilité dans
les mains des particuliers, étoient devenues généralement
la proie des dépofiraires de l'autorité.
Tous les champs étoient dans les mains des fou-
verains indiens ou patanes ; 8c l'on peut bien
croire que des conquérans féroces , livrés à l'ignorance
8c à la cupidité* confacrèrent cet abus,
qui eft le dernier excès du pouvoir arbitraire. La
portion des terres de l’Empire , que les nouveaux
fouvérains s’attribuèrent, fut divifée en grands
gouvernemens qu'on appella foubabies. Les fou-
bas , chargés de l'adminiftration militaire 8c civile*
lè furent auffi-de la perception des revenus.
Ils en eonfioient le foin aux nababs qu'ils établi-',
rent dans l'étendue de leurs foubabies , 8c ceux-
ci à des fermiers particuliers, qui furent chargés
immédiatement de la culture des terres.
Au commencement de l'année , qui eft fixé ait
mois de juin, les officiers du nabab convenoient
avec leurs fermiers d'un prix de bail. Il fe faifoit
une efpèce de contrat, appelle jamabandi 3 qui
étoit dépofé dans la chancellerie de la province j
Sc ces fermiers alloient enfuite , chacun dans leur
diftriél, chercher des cultivateurs, auxquels ils
faifoient des avances affez confidérables pour les
mettre en état d'enfemencer les terres. Après la
récolte, les fermiers remettoient le produit de
leur bail aux officiers du nabab. Le nabab le faifoit
paffer entre les mains du fouba, 8c le fouba
lé verfoit dans les tréfors dq l'empereur. Les
baux étoient ordinairement portés à la moitié du
produit des terres ; l'autre moitié fervoit à couvrir
les frais de culture, à enrichir les fermiers
8c à nourrir les cultivateurs. Indépendamment
des grains , qui font les récoltes principales , les
autres productions de la terre fe trouvoient enveloppées
dans le même fyftême. Le bétel , Je
fe l, le tabac étoient autant d’objets de ferme.
Il y avoit auffi quelques douanes , quelques
droits fur ies marchés publics, mais aucune im-
pofition perfonnelle, aucune taxe fur l'induftrie.
Il n'étoit pas venu dans là tête des defpotes ,
dé demander quelque chofe à des hommes à qui
on ne laiïfoit rien. Le tiflerand renfermé dans fort
aidée travailloit fans inquiétude, & difpofoit librement
du fruit de fon travaiU
Cette facilité s'étendoit à toute efpècé de mobilier.
C'étoit véritablement la propriété des particuliers
Ils n’en dévoient compte à perfonne. Ils
pouvoient en difpôfer de leur vivant, 8c âpres
leur mort il paffoit à leurs defcendans. Les maifo-ns
dés aidées, celles dés villes , 8c les jardins toujours
peu confidérables dont elles font ornées, for*
moient encore ifrt objet de pv%riété particulière^
Qn en héiftoit f 8c çn pouvoir fo-s vendra,