
toutes les denrées f ni toutes les fortes de la même
denrée. C e vuide l'obligeoit de faire plufieurs
efclaves, ou d'emporter trop ou trop peu de productions
convenables au port où il devoit faire
fon retour.
Les vailfeaux eux-mêmes éprouvoient de grands
embarras. Plufieurs avoient befoin de fe carener î
la plus grande partie exigeoit au moins quelque
réparation. Ces fecours .manquoient dans les rades
peu fréquentées, où les ouvriers ne s°établif-
foient point * dans la crainte de n'y pas troufer
affez d'occupation. Il falloit donc aller fe radouber
dans certains ports j & revenir prendre fon
chargement dans celui o’ù l'on avoit fait fa vente.
Toutes tés courtes êmportoient au moins trois ou
cjùatre :mois.:
« « Ces intônvëniens f & beaucoup d’autres , firent'
defirer à quelques habitàns & a tous les navigateurs^'
qu'il fe formât un entrepôt où les
objets d'échange entre la colonie & la métropole
fuiTent réunis. La nature- paroiffbit avoir préparé
le Fort-Royal poijr cette defti nation. Son port
étpit un dès meilleurs dës-ifles du vent, & .fa
fûreté fi généralement connue , que lorfqu'il étoit
ouvert âux -bâtimens hollandois , la république
ordonnoit-qu'ils"s'y retiraflfent dans les mois de
juin 3 de juillet $c d'août, pour fe mëttreà l'abri
des ouragans fi fréquens & fi furieux dans ces
parages. Les terres du Lamentin, qui n'en font
éloignées que d'une lieue, étoient les.plus*fertiles,
les plus riches de la colonie. Les nombreufes rivières
qui arrofoient ce pays fécond, portoient
des canots chargés jiifqu'à une certaine diftance
de leur embouchure. La protection des fortifications
afluroit la jouiffance paifible de tantd'avan
tages : mais ils étoient contrebalancés par un territoire
marécageux & mal-fain. D'ailleurs cette
capitale de la M artinique étoit l’afyle de la marine
militaire, qui dédaignoit alors > qui même oppri-
moitla marine marchande. Ainfi le Fort-Royal rie
pouvant devenir le centre des affaires-, èlles fe
portèrent à Saint-Pierre.
- C e bourg q u i, malgré les incendies qui l'ont
quatre fois réduit en cendrés, contient encore
dix-huit” cents maifons, eft fitué fur la côte oc-
cidentalé de Fille, dans un ànfeou-enfoncement
■ à-peii-près circulaire. Une partie eft bâtie le long
de la mer fur le rivage même ; on l’appelle le
mouillage : c’eft - là où font les vailfeaux & les
magafins. L’autre partie du bourg eft bâtie fur une
petite colline peu élévée : ori l’appelle le fo r t ,
parce que c’ eft-là qu’eft placée une petite fortification
, qui fut conftruite en 1665 pour réprimer
les féditions des habitans contre le monopole,
mais qui fert aujourd’hui à protéger la rade contre
les ennemis étrangers. Ces deux parties du bourg
font féparées par un ruifféau , ou par une rivière
-guéable.
Le mouillage eft adolfé à un coteau affez élevé
& coupé à pic. Enferme , pour ainfi dire ,
par cette colline qui lui intercepte les vents dfl
l’e f t , les plus conftans & les plus falutaires dans
ces contrées 5 expofé fans aucun (buffle rafraîchif-
fant aux rayons du foleil qui lui font réfléchis
par le coteau, parla mer & parle fable noir dii
rivage, ce-féjour eft brûlant & toujours mal-fain.
D ’ailleurs il n a point de port j & les bâtiments
qui ne peuvent tenir fur fes côtes durant l’hivernage,
font forcés de fe réfugier au Fort-RoyaL
Mais ces défavantages font compensés, foit par
les facilités que préfente la rade de Saint-Pierre
pour le débarquement & l ’embarquement des
marchandifes, foit par la liberté que donne fa
pofition de partir par tous les vents, tous lés jours
-& à toutes les heures.
C e bourg fut le premier qu’on édifia dans Fille >
& le.premier qui vit fon territoire cultivé. Il dut
moins cependant à fon ancienneté qu'à fes com-4
modités , l'avantage de devenir le point de communication
entre la colonie & la me'tropole. Saint-
Pierre reçut d'abord les denrées de certains canton
s , dont les h,abitans fitués 'fur des côtes
orageufes & conftamment impraticables, ne pou-
voient faire commodément leurs achats & leurs
ventes fans fe déplacer. Les agens de ces colons
n'étoient dans les premiers tems que des maîtres
de bateau, qui, s'étant fait connoître par leur
navigation continuelle autour de Fille, furent
déterminés par l’appas du gain à prendre une demeure
fixe. La bonne-foi feule étoit l'ame de ces
liaifons. La plupart de ces commiflionnaires ne
favoien't point lire. Aucun d'eux n'avoit ni livres
ni regiftres. Ils tenoient dans un coffre un fac
pour chaque habitant, dont ils géroient les affai*
res. Ils y mettoient le produit des ventes > ils
en tiroient l'argent néceffaire pour les achats.
Quand le fac étoit épuifé, le commilfionnairé ne
fourniffoit plus , & le compte fe trouvoit rendu.
Cette confiance., qui doit, paroître une fable dans
nos moeurs & dans nos jours de. fraude & dé cor-
♦ ruption , étoit encore en ulage au commencement
du fiècle. Il exifte des hommes qui ont pratiqué
ce commerce, où la fidélité n'gvoit pour garant
que fon utilité meme.
Ces hommes (impies furent remplacés fucçef-
fivement par des gens plus éclairés qui arrivoient
d'Europe. On en avoit vu palfer quelques-uns dans
la colonie, lorfqu'elle étoit fortie des mains des
compagnies exclusives. Leur nombre s'accrut à
mefure que les denrées fe multiplioient î & ils
contribuèrent eux-mêmes beaucoup à étendre la
culture, par les avances qu'ils firent à l'habitant,
dont les travaux avoient langui jufqu'alors faute
de moyens. Cette conduite les rendit les agens
néceffaires de leurs débiteurs dans la colonie ,
pomme ils Fétoient déjà de leurs commettâns
dans la métropole. Le colon même qui ne leur
devoît rien, tomba, pour ainfi dire, dans leur
dépendance , parle befoin qu'il pouvoit avoir de
leur fecours. Que le temps de la récoltç foit re-
M A K
tardé } que le feu prenne à une pièce de cannes >
qu'un moulin foie démonté 5 que des édifices
croulent j que la mortalité fe mette dans les bef-
tiaux ou parmi les efclaves } que les féchereffes
ou les phries ruinent tout, où trouver les moyens
de foutenir l'habitation pendant ces ravages, &
de remédier à la perte qu’ ils caufent ? Ces
moyens font en vingt mains différentes.. Qu'une
feule refufe du fecours, le cahos , loin de fe
débrouiller , augmente. Ces conlidératians déterminèrent
ceux qui n'ayoient pas encore demandé
du crédit , à confier leurs intérêts aux commif-
fionnaires de Samt-Pierre, pour être, en cas de
malheur, allurés d'une reffource.
Le petit nombre d'habitans riches qui iem-
blo.ient , par leur fortune', être à l'abri de ces
befoins,, furent comme forcés de s'adreffer à ce
comptoir. Les capitaines marchands trouvant un
port o ù , fans fortir de leurs magafins, & même
de leurs vailfeaux, ils pouvoient terminer avantageusement
leurs affaires, déferrèrent le Fort-
Royal , la Trinité, tous les autres lieux où le
prix des productions leur étoit prefque arbitrairement
impofé, où lés paiemens étoient incertains
& lents, Par cette révolution 3: les colons fixés
dans leurs atteliers , qui exigent une préfence
continuelle & des foins journaliers., ne pouvoient
plus fuivre leurs denrées. Ils furent donc obligés
de les confier à des hommes intelligens, q u i,
s'étant établis dans le feul port fréquenté , fe
trouvoient à portée de faifir les occafions les plus
favorables pour vendre & pour acheter : avantage
inappréciable dans un pays où le commerce éprouve
des viciflitudes continuelles- La Guadeloupe, la
Grenade fuivirent l'exemple de la Martinique. Les
mêmes befoins les y déterminèrent.
La guerre de 1744 arrêta le cours de ces prof-
pérités. C e n'eft pas que la Martinique fe manquât
à elle.--même. Sa marine continuellement
exercée., accoutuméeiaux actions de vigueur
qu'exigeqit le maintien d'un commerce interlope ,
fe trouva toute formée pour les combats. En
moins de fix mois,, quarante corfaires armés à
Saint-Pierre , -fe répandirent dans les parages des
Antilles. Ils firent des exploits dignes des anciens
flibuftiers. Chaque jour on les voyoit rentier èn
triomphe,! chargés d'un butin immenfe. Cependant
, au milieu de ces avantages , la colonie vit
fa navigation , foit au Canada, foit aux côtes
efpagnoles , entièrement interrompue, & fon propre
cabotage journellement inquiété. Le peu de
■ vailfeaux qui arrivoient de France, pour fe dédommager
dés pertes dont ils couroient les rif-
ques, vendoient fort cher & achetoient à bas
.prix. Ainfi les productions tombèrent dans l'avi-
liffement. Les terres furent mal cultivées. On négligea
l'entretien des atteliers. Les efclaves pé-
rilfoient faute de nourriture. Tout, languiffoit ,
tout s'écrouloit. Enfin la paix ramena, avec la
liberté du commerce , Fefpoir <te recouvrer Fan-
M A R
eienne profpérité. Les événemens trompèrent les
premiers efforts que Fon fit. . . ,
Il n'y avoit pas deux ans que les hoftilites
avoient ceffé, lorfque la colonie perdit le commerce
frauduleux qu’elle faifoit avec les américains
efpagnols. Cette révolution ne fut point
l'effet de la vigilance des gardes-côtes. Comme
on a toujours plus d'intérêt à les braver qu'eux
à le défendre, on méprife des gens foiblement
payés pour, protéger des droits ou des prohibitions
peu refpeCtés. C e fut la fubftitution des
vailfeaux de regiftre aux flottes, qui mit des bor- v
nés très-étroites aux entreprifes des interlopes..
Dans le nouveau fyftême, le nombre des bâtimens
étoit indéterminé, & le tems dç leur arrivée
incertain,} ce qui jetta dans le prix des, marchandifes
une variation qui n'y avoit pas été. Dès-
lors le.contrebandier, qni n'étoit engagé dans
fon opération que par la certitude d'un gain fixe
& confiant, ce (fa de fuivre une carrière qui ne
lui affuroit plus le dédommagement du rifque où
il s'expofoit.
Mais cette perte fut moins fenfible pour la colonie,
que les traverfes qui lui vinrent- de fa métropole.
Une adminiftration peu éclairée embar-
rafla de tant de formalités la liaifon réciproque
& néceffaire des ilîes avec l'Amérique fepten-
trionale , que la Martinique ri'envoyoit plus en
I75!5 clue quatre bateaux au Canada.
Cependant le commerce de. France ne s’apper-
cevoit pas de la décadence de la Martinique. Il
trouvoit à; la rade de'Saint-Pierre des négocians
qui lui achetoient bien fes cargaifons, qui lui rcn7
vbyoient avec céléHté fes. vailfeaux r chement
c h a r g é s & il ne s'informoft pas fi ç'ejtoit cette
colonie ou les autres , qui ccmfommoient & qui
produifoient. Le^nègres même qu'il y portoit ,
étoient vendus à un fort, bon prix mais jl y en
reftoit peu. La plus grande partie .paffoit à la
Grenade, à la Guadeloupe3 même,aux ifles neutres,
.qui, malgré la liberté illimitée dqnt elles
jouiffoient, préféroient les efclaves dé traite fran-
çoife , à ceux que lés anglois leur, .offroient à
des conditions en apparence plus favorables. On
s'étoit convaincu , par une, alfez longue expérience
, que les nègres choifis; qui coûtoient le
plus cher, enrichinoient les.terres, tandis que
les cultures dépériffoient dans les mains des nègres
achetés à bas prix. Mais ces profits de la
métropole étoient étrangers & prefque nuifiblesà
la Martinique.
Elle n'avoit pas encore réparé fes pertes durant
la paix, ni-comblé le vuide des dettes qu'une
fuite de calamités Favoit forcée à contracter ,
lorfqu’ elle vit renaître le plus grand de tous les
fléaux, la guerre. C e fut pour la France une chaîne
de malheurs ,.q u i d'échec en échec, de perte
en perte, fit tomber la Martinique fous le joug
des anglois. Elle fut reftituée au mois de juillet
17 6 3 1 feize mois après avoir été çonquife : maj$