
qui y Survivra, ne partira quaprcs que fon administration
aura été recherchée. Tout particulier peut
porter Ses plaintes. S’il a éprouvé quelque injustice
, il doit être dédommagé aux dépens du prévaricateur
j qui de plus eft condamné à une amende
envers le Souverain qu il a rendu odieux. Dans
les premiers temps de cette Sage inftitution, la
Sévérité fut poufiée Si loin , que lorSque les accusations
étoient graves, le coupable étoit mis
en priSon.^ Plufieurs y moururent'de frayeur , &
d’autres n’ en Sortirent que pour Subir des peines
ligoureuSes. Peu à peu cet appareil formidable
s eft réduit a rien. Le chef de la Colonie donne
à fon SuccefTeur de quoi payer fa place j mais
d ayoit reçu la même Somme de fon prédécef-
feur.
Cette collufion paroît avoir des Suites bien
funeftes. On a exige arbitrairement des impôts. Le
rèvenu public s’eft perdu dans les mains deftinées
a le recueillir. Un droit d’entrée de Sept pour
cent Sur toutes les marchandises, a fait dégénérer
le commerce en contrebande. Le cultivateur s’eft
vu forcé de dépofer Ses récoltes dans les magafins
du gouvernement. On a pouffé l’induftrie jufqu’à
fixer la quantité de grains que Ses champs dévoient
produire, jjufqu’ à l’obliger de les fournir
au M B Pour ?n payé dans le temps & de
la manière qu’il conviendroit à des maîtres op-
prefleurs. Les efforts que quelques administrateurs
honnêtes^ ont faits dans l’efpace de deux fîécles
pour arrêter le cours de tant d’abus ont été inutile
s, parce que ces abus étoient trop invétérés
pour céder à une autorité Subordonnée & paffagère.
Il n’auroit pas moins fallu que le pouvoir Suprême*
de la cour de Madrid, pour oppofer une - digue
fuffïfante au torrent de la cupidité universelle :
mais ce moyen unique n’a jamais été employé.
-AufTi les Philippines n’ont-elles fait nul progrès.
A peine fauroit-on leur nom, fans les liaifons
qu’elles entretiennent avec le Mexique.
Ces liaifons auffi anciennes que letabliffement
des espagnols en ASie , Se réduisent à faire paffer
en Amérique, par la mer du S ud, les productions
, les marchandises des Indes. Mais par
1 etabliffement de la nouvelle compagnie des
Philippines, ces ifîes communiqueront direéte-
ment avec le port de Cadix. Nul des objets
qui forment jufqu’ici ces riches cargaisons , n’eft
le produit du fol ou de l’induftrie de ces ifles.
Elles tirent la canelle de Batavia. Les chinois leur
portent des Soieries, & les anglois ou les françois
les toiles blanches, les toiles peintes de Bengale '
& du Coromandel. De quelque port qu’euffent
été expédiés ces objets’, il falloit qu’ils arrivaient
avant le départ du galion. Plus tard, ils ne fe-
roient pas vendus ou ne l’auroient été qu’ à perte
à des négocians réduits à les oublier dans leurs
magafins. Les paiemens Se faifoient principalement
avec de la cochenille & des piaftres venues du
'Monde. Il y entroit auffi quelques den- J
rees du pays , & des cauris qui n*ont point dô
cours en Afrique, mais qui font d’un ufage univerfci
Sur les bords du Gange.
On a obfervé qu’un etabliffement qui n’a pas
une bafe plus fplide , peut être aifément renverfé*
V ue tes Philippines échapperont un peu plus tô t ,
un peu plus tard, à fes -poffefTeurs. Il faut rap-
peller a l Espagne tes réflexions par lesquelles ou
a donne de la force à ces conjectures > & et-
fayer ainfi de prévénir la révolution.
1 ^ es_.na.v*§ateurs éclairés nous ont appris que
Jes pofleffions espagnoles qui , dans ces contrées
éloignées, a voient toujours été languiffantes , le
Sont devenues Senfiblement davantage depuis 1768,
que les Jéfuites en ont été bannis. Outre que
1 immenfe domaine de ces millionnaires eft tout-
a-fait déchu de la fertilité où il l’avoient porté ,
les terres des indiens qu’ils gouvernoient, tes Seules
qui fuffent paffablement cultivées & où l’on trouvât
quelques arts utiles , font retombées dans le
néant d’où on les avoit tirées. II eft même ar-
flvé que ces infulaires , les moins pareffeux de
la Colonie , ont eu a Souffrir de la haine bien
ou mal fondée qui pourfuivoit leurs guides.
Une plus grande calamité fondit Sur cet A rchipel
l’année Suivante. Tous tes chinois;, Sans
exception, en furent chaffés} & cette profcriptio»
forma une plaie qui vraisemblablement ne guérira,
jamais. Ces hommes, dont la paffion dominants
elt 1 avarice, arrivoient tous tes ans aux Philip-
pmes avec vingt-cinq ou trente petits bâtimens>
x y encourageoient quelques travaux par 1e prix
queux Seuls y pouvoient mettre. C e n’étoit pas
tout : un allez grand nombre de leurs compatriotes
fixes dans ces ifles , y donnoient habituellement
l’exemple d’une vie toujours occupée. PIu-
fieurs même parcouroient les peuplades indiennes,
& , par des avances bien ménagées, leur infpi-
roient le defir & leur donnoient la faculté de
rendre leur fïtuation meilleure. Il eft fâcheux
que ces moyens de prospérité aient été anéantis
par 1 împoffibilité où Se trouvoient peut-être les
espagnols de contenir un peuple fi enclin aux
Soulevemens.
Antérieurement à ces événemens deftrufteurs,
tes peuples montroïent un éloignement marqué
pour 1 abus du pouvoir. L ’oppreffion les avoit Souvent
fait Sortir des bornes de l’obéiffance j &
Sans l’ intervention de leurs pafteurs, les efforts
impuiffans d’une milice dégénérée ne les auroient
pas remis dans tes fers. Depuis que l’expulfion
-des miffionnaires, qui avoient le plus d’empire
Sur les efprits , a privé le gouvernement eSpagnoI
de Sa plus grande force , tes indiens moins contenus
doivent avoir la volonté de recouvrer leur
indépendance , & peut-être affez d’énergie pour
rentrer dans leurs premiers, droits.
A ces dangers, qu’on peut appeller domefli•
ques , Se joignent des périls étrangers plus à crain-
re encore. Des barbares, Sortis des illes MalaiSes*.
fondent habituellement fur les côtes des Philip-
pines, y portent la deftru&ion , & en arrachent
des milliers de chrétiens qu’ils réduifent en Servitude.
Cette piraterie eft rarement punie , parce
que tes efpagnols partagés en quatre fanions ,
connues fous 1e nom de caftillans , de galiciens ,
de montagnards & de bifcayens , uniquement occupés
de la haine qui les tourmente, voient d’un
oeil indifférent tout ce qui eft étranger à leurs
divifions. Un fi mauvais efprit a toujours de plus
en plus enhardi tes malais. Déjà ils ont chaffé
l ’ennemi commun de plufieurs ifles. Tous tes
jours ils le reflcrrent davantage , & bientôt ils
fe verront maitres de Sa poffeffion , s’ils ne
font pas prévenus par quelque nation européenne
plus puiflante ou plus aétive que celte qu’ils combattent.
En 1762 , tes anglois s’emparèrent des Philippines
avec une facilité qu’ils n’avoient pas efpé-
rée. Si tes traités leur arrachèrent leur proie , ce
fut fans étouffer peut-être l ’ambition de la reffai-
fir lorSque l’occaïion s’en préfenteroit. D ’autres
peuples peuvent également afpirer à cette conquête,
pour en faire le centre de leur empire
dans les mers & fur le continent des Indes.
Si les efpagnols étoient chaffés des Philippines,
feroit-ce un grand mal ? A peine les Philippines
eurent - elles ouvert leur communication avec
l ’Amérique, qu’on parla de les abandonner ,
comme nuifibles aux intérêts de la métropole.
Philippe II & fes fucceffeurs ont conftamment
rejette cette propofition, qui a été renouvellée
ù plufieurs reprises. La ville de Séville en 1731,
& celle de Cadix en 1733 , ont eu des idées
plus raisonnables. Toutes deux ont imaginé, ce
qu’il eft bien étonnar.t qu’on n’eut pas vu plutôt
, qu’ il feroit utile à TÉfpagne de prendre part
directement au, commerce de l’A f îe , & que les
poffeflîons qu’elle a dans cette partie du monde,
feroient le centre des opérations qu’ elle y vou-
droit faire. Inutilement leur a-t-on oppofé que
l ’Inde fourniffant des étoffes de fo ie , des toiles
de coton fupérieures à celles de l ’Europe pour
le fini, pour les couleurs, fur-tout pour le bas
p r ix , jes manufactures nationales n’ en pourroient
Soutenir ta concurrence , & feroient infailliblement
ruinées. Cette objéétion , qui peut être de
quelque poids chez certains peuples, leur a paru
tout-à-fait frivole dans la pofition où étoit leur
patrie.
En e ffet, les efpagnols s’habillent, Se meublent
d’ étoffes , de toiles étrangères. Ces befoins
continuels augmentent néceffairement l’ indultrie,
les richeffes, la population , tes forces de leurs
voifins. Ceux-ci abufent de ces avantages, pour
tenir dans la dépendance la nation qui les leur
procure. N e Se conduiroit-elle pas avec plus de
fagefle & de dignité, fi elle adoptoit les manufactures
des Indes? Outre l’économie & l’agrément
qu elle y trouveront, elle parviendrait à diminue^
une prépondérance dont elle victime. Sera tôt ou tard la Les inconvéniens prefqu’inSéparables des nouvelles
entreprises Sont levés d’avance. Les ifles
que l’Efpagne poflede, font fituées entre le Japon
, la C h in e , la Cochinchine, Siain , Bornéo,
Célebes, tes Moluques, & à portée d’entrer
en liaifon avec ces différens états. Leur éloignement
du Malabar, du Coromandel & du Bengale
ne tes empêcheroit pas de protéger efficacement
les comptoirs qu’on croiroit avantageux
de former Sur ces côtes induftrieufes. Elles feroient
d’ailleurs garanties par de vaftes mers des
ravages qui défolent fi Souvent 1e continent, &
facilement préservées de la tentation délicate de
prendre part à fes divifions.
Cette diftance n’empêcheroit pas que la fub-
fiftance de l’Archipel ne fut affurée. Il n’y a pas
. dans l’Afie de contrée plus abondante en fruits ,
en Sagou, en cocotiers, en plantes nourriffantes
de toutes les efpèces.
Le riz que, dans la plus grande partie des Indes
, il fau t, à force de bras , arrofer deux fois
par jour jufqu’à ce que 1e grain en Soit bien formé
, eft d’une culture plus facile aux Philippines.
Semé Sur 1e bord des rivières ou dans des plaines
qu’on couvre d’eau Iorfqu’on le v eut, il donne par
an deux récoltes abondantes, Sans qu’on Soit obligé
de s’ en occuper, jufqu’ à ce que le moment de le
cueillir Soit arrivé.
Tous tes grains de l’Europe réuffiflent dans ces
ifles. Elles en fourniroient aux navigateurs, quelque
multipliés qu’ils fuffent, fi la négligence du
gouvernement n’ avoit condamné la plupart des
terres à une honteufe ftérilité.
Le nombre des troupeaux eft un Sujet d’étonnement
pour tous tes voyageurs. Chaque communauté
religieuSe a des prairies de vingt - cinq à
trente lieues, couvertes de quarante , de cinquante
mille boeufs. Quoiqu’ils ne Soient pas gardés
, ils franchiffent rarement les rivières & tes
montagnes qui Servent de limites à ces pofSeffions.
Ceux qui stegarent, font facilement reconnus à
la marque des différens ordres, imprimée avec
un fer chaud, & l’on ne manque jamais de tes
reftituer à leurs légitimes maîtres. Depuis l’inva-
fion des anglois & les ravages qui en furent la
Suite , tes bêtes à cornes Sont moins communes 3
mais elles Sont toujours très-multipliées.
Avant 1744 les Philippines ne voyofent-croître
dans leur Sein Fécond aucun de nos légumes. A
cette époque, Mahé de Villebague y en porta
des graines. Toutes ces plantes utiles avoient
profpéré , lorfqu’après huit mois le cultivateur,
que tes intérêts de fon commerce appelloienc
ailleurs, légua Son jardin à un autre françois fixé
dans ces ifles. Les efpagnols, qui n’avoient pu
voir fans jaloufîe qa’un étranger leur montrât .la
route où ils auroient dû entrer depuis deux fiè- cles, s’élevèrent avec tant de violence contre