
placement des terres eft plus fur j d’autres avantages
qui accompagnent toujours cette efpèce de
propriété , le difpofent • fouvent à préférer un
moindre revenu qu'il tirera d'une terre à celui
qu'il pour-roi t avoir en prêtant fon argent à intérêt.
Ces avantages compenfent la diminution de
fon revenu* mais ils n'en peuvent compenfer qu'une
certaine différence > car fi elle étoit plus grande *
& que la rente d'une terre fût trop au-deffous de
l'intérêt de l'argent * perfonne n'acheteroit plus
de terres * & leur prix ordinaire feroit bientôt réduit.
Si ces avantages, au contraire , faifoiènt
plus que compenfer cette différence, chacun ache-
teroit des terres, & auffi-tôt elles haufferoient de
prix. Lorfque l'intérêt étoit en Angleterre à dix
pour cent, les terres fe vendaient communément
pour dix ou douze années du revenu. A mefure
qu’il eft tombé à fix , à cinq & à quatre pour
cent, le prix des-terres s’eft élevé au denier vingt,
au denier vingt-cinq & au denier trente. Voyez
l'article Industrie.
Intérêts politiques. On donne ce nom aux
chofes qui intéreffent une nation envifagée comme
gouvernement, 8c dans fes rapports avec les
autres peuples : en parlant ici des intérêts politiques
des différens peuples , nous parlerons de ceux
que fuivent les divers gouvernemens , fans examiner
s'ils ne fe trompent pas : c'ell par les autres
morceaux de cet ouvrage qu'on pourra en
juger. ; ^ ; / .
. L ’intérêt général de toutes les nations eft de
conferver Jeuf repos & la liberté plus ou moins
grande qu’on leur a laiffé. Tous les foins de ceux
qui gouvernent, doivent fe .rapporter à ce dou-
bie objet, & il n'eft point de peuple fur la terre
qui n'ait cet intérêt général.
Dans un fens plus limité , l'intérêt général d’un
gouvernement n'eft pas le même que l'intérêt général
d'un autre gouvernement , parce qu’ iin état,
quel qu'il fo it , ne peut fe maintenir que par des
moyens analogues aux principes qui l'ont formé,
ou aux çirconftancesj mais , dans ce choix de
moyens analogues aux principes d’un gouvernement
ou aux circonftances, on fe méprend quelquefois
fur ceux qui mènent à la profpérité ; &
on confond trop fouvent une profpérité illufoire
avec une profpérité réelle.
Pour quelques états, c’eft le commerce qui
forme un intérêt capital. Les nations q ui, par la
fituation du pays, le défaut de rivières , le défaut
de matières propres au commerce , la nonchalance
du peuple, ne peuvent fe livrer au trafic, fe bornent
à cultiver & fertiliferla terre, à recueillir tous les
fruits qu'elle produit, à s'en procurer le débit, à
fortifier lp travail, à animer l'induftrie de fes ha-
bitans.
Pour quelques autres nations , cet objet capital
eft l'intérêt de la paix ou celui de la guerre.
Il en eft qui jouiffent d’une paix à-peu-près confiante
; tel eft le corps helvétique ; il n'a point de
prétentions fur fes voifins, & fes voifîns n’e»
ont point Jfur lu i, ou ils ne font point en état
de les faire valoir. Il en eft que leurs puif-
fances & leur fituation obligèrent autrefois à fe
mêler de toutes les guerres. Tels' étoient, il n'y
a pas long-tems , les peuples fournis aux maifons
de France & d'Autriche. Il ne fe paffoit rien de
confidérable en Europe, que ces deux premières
maifons n'y priftent part. Chacune., d'elles cher-
choit fa propre grandeur & l ’abaiftement de fa
rivale. La maifon d'Autriche eft éteinte > mais elle
eft repréfentée par celle de Lorraine, qui s'occupe
des mêmes intérêts que celle d'Autriche.
Il étoit difficile que la maifon de Savoie, placée
entre les états de l’une & de l'autre > évitât d'entrer
dans leurs querelles , & l'Angleterre 8c la
Hollande ont rarement manqué auffi d’y prendre
part, pour maintenir cet équilibre qui femble devoir
affurer leur liberté 8c leur repos. -Il feroit
aifé d’écrire des volumes fur cet équilibre de
l’Europe, qui a excité tant de guerres défaftreu-
fe s , & qui en excitera tant d'autres : nous ne
ferons ici qu'une remarque j il y a des nations
allez puiffantes par elles-mêmes, pour ne pas redouter
l'ambitieux voifin qui cherche à aggrandir
fes domaines : il eft vrai qu'elles ne peuvent développer
leurs .forces, fi elles ne font bas bien
gouvernées> mais le prince qui voudra les admi-
niftrer avec foin, dédaignera, s'il le v en t, l'équilibre
de l'Europe :_au refte en attendant | il eft
raifonnable de contenir l'efîbr ambitieux des puif-
fances qui veulent trop envahir.
Il eft des nations à qui la paix convient dans
un temps, & ne convient pas dans un autre.
L ’intérêt politique3 bien ou malentendu, confervé
tout dans le repos, ou met tout en mouvement :
il n'y a prefque point de démêlés qui , d'un côté ,
ne foient allez graves pour donner lieu à la guerre,
lorfque les fouverains la trouvent convenable à
l'intérêt général de leurs, états , & qui de l'autre
ne foient fufceptibles de conciliation , fi le maintien
de la paix entre dans leurs vues. C e que je
dis de la paix & de la guerre, eft applicable à
;la neutralité qu'on garde , ou qu'on rompt par les
mêmes principes.
Toutes les nations ont auffi un intérêt particulier.
L ’intérêt général d'une nation , pris dans un
fens limité, donne néceflairement des vues différentes
} 8c ces vues , plus ou moins étendues ,
forment les intérêts particuliers de chaque état.-
O r , l'intérêt particulier d'une nation, dans fes
rapports avec les autres nations , réfulte de fa
puiffance , de fa religion , de fes alliances, de fa
fituation, 8c des prétentions qu'elle a fur d’ autres
états, ou que d’autres états ont fur elle.
I. Le degré de puiffance fait la deftiqée
d’un état. Selon qu’un prince eft puiffant ou fpi-
ble , il peut conferver- fa liberté fans les autres
princes^, ou il a befoin de leyr alliance pour ne
pas la perftre.
IL On cennoît l’empire de la religion fur les
peuples ; elle réunît ou divife les états.'Lorfqu’ elle
eft la meme, elle lie d’un même intérêt deux états
qui la prôfeffent. Lorfqu’elle eft différente, elle
les rend fouvent irréconciliables 5 elle éloigne ou
approche du trône ceux qui y afpirent, 8c favo-
rife des prétentions- mal- fondées, ou empêche
d’exercer de juftes droits. Mais cette caufe eft
aujourd’hui ' plus foible qu’elle ne l’ étoit jadis.
III. Les alliances des peuples, les liaifons-
des familles, 8c les traités de nation à nation
produifent auffi d’autres intérêts , 'fuivant que
ces alliances font égales ou inégales ; qu’elles fe
font entre des états plus ou moins voifins , 8c
qu’elles font bien ou mal obfervées.
IV. La fituation des états, félon qu’ils" font
plus ou moins voifins ou plus ou. moins utiles ,
détermine les efpérances ou les craintes qu’ils peuvent
donner.
V . Les prétentions qu’ un état a fur un autre
tiennent dans l’ in action ou mettent en mouvement,
fuivant qu’ elles font plus ou moins fondées, plus
anciennes ou plus récentes , 8c à- proportion des
moyens qu’on a de les faire valoir. Les uns font
occupés du foin de- faifir des occafîons favora-;
blés , les autres font dans, une jufte défiance.
C'eft d’après ces cinq objets principaux, qu'il
faut examiner les intérêts particuliers de chaque
prince & de chaque nation.
L 'e fp r it, les vues & l'intérêt du gouvernement
fe conlervent" mieux dans une république que dans
le cabinet d'un prince. Les nouveaux magiftrats
qui entrent dans un fénat, forment leur politique
fur celle des anciens ; le tems confacre tout dans
line république, & l'on y a pour règle une certaine
tradition qui rend fa conduite uniforme. En
général, ’ cela n'eft pas ainfi dans un gouvernement
monarchique , à chaque nouveau règne, & même
à chaque nouveau miniftre, les monarchies ont
une nouvelle politique , ou du moins une manière
différente d’envifager les intérêts de la nation ; 8c
cette différefiee vient de la différence même du
cara&ère des hommes. Il feroit - à fouhaiter que
les princes 8c les mimftres laiffaffent à leurs fuc-
cefféurs, des mémoires fur les intérêts du royaume
qu'ils ont gouverné j & qu'en hafardant leurs
©onje&ures fur l’avenir , ils indiquaient à la fois
les efpérances qu'on peut avoir, les maux qu'on
peut craindre , lés remèdes qu'on pourra y ap--
porter, & un plan fur la conduite qu’il faudra
tenir. Ces ouvrages deviendroiént les archives les
plus précieufes d'une nation, & fes oracles dans
les tems difficiles ; mais les- princes & les minif-
tres ne portent guères leur vues fur l’avenir.
Les anciens voyoiçnt, finon avec plaifir , ou-
moins avec indifférence 8c fans crainte, la ruine
de leurs voifins; mais-depuis quelques fiècles ,
l’Europe s’inquiète'ait moindre mouvement d’ ambition
qu’elle apperçoit dans une puiffance. Chaque
nation* al<5rs même qu’ elle tache de s’élever
au-deffus des autres, tâche de maintenir un certain
équilibre, qui communique aux plus petits
états les forces d’une grande partie de l’Europe
& les foutient, malgré la foiblêffe de leurs armées
ou les défauts de leur gouvernement. L 'é quilibre
de puiffance"a pour fondement ce principe
: que la grandeur d’un prince n 'e ft, à proprement
parler, que la, ruine ou la diminution
de celle de fes voifins, 8c que fa force n'eft que
la foibleffe d'autrui. Mais ce principe a befoin de
modifications , & il feroit facile de montrer qu'on
lui donne une application trop étendue , & qu’ en
lui-même il n'eft pas exaél.
Autrefois ce fyftême de politique ne fut connu
que des feules républiques de la Grèce. Elles
étoient à-peu près, les unes à î-'égard des autres ,
dans la fituation ou nous voyons les états de la
chrétienté. Elles connoiiïoiênt les mêmes arts ,
avoient les mêmes principes dans la guerre, un
gouvernement à-peu-près femblable, & un égal
intérêt d'entretenir un équilibre qui empêchât
que l'une ne parvînt à dominer Tes autres- Sparte ,
Athènes & Thèbes fe difputèrent l'empire ; elles
dominèrent alternativement : la Grèce attentive fe
partagea ; 8c ceux qui avoient le plus contribué
au triomphe du vainqueur, ne fouffroient pas qu'il
pouffât trop loin fes avantages, dé forte que le
vaincu trouvoit une reffburce infaillible dans fa
foibleffe.
Aujourd'hui l'Europe entière eft un corps formé
par la liaifon des. intérêts des différens princes.'
Ces princes, à parler en général, regardent
l’Europe comme une balance , dont le côté plus
chargé enlève l’autre, & croit qu’ afin que le tout
foit dans une affiette folide & tranquille , il doit
y avoir entre fes parties principales ce point d’ équilibre
, qui, empêchant qu’un des deux côtés
de la balance ne penche , les maintient au niveau*
Les publiciftes juftifient cet équilibre à leur manière,
c'eft-à-dire , par des raifons vagues & de
vieux préjugés. « Il eft , difent-ils , dans les chofes
morales, un ordre auffi certain & auffi inévitable
que dans les chofes phyfiques. C e ■ qui
arrive à une extrémité de la partie du monde que
nous habitons, félon les Ioix du mouvement mord
, gagne prefque auffi-tôt les parties voilïnes ,
8c ne tarde guères à fe communiquer aux plus
éloignées. Il faut, en conféquençe, qu’ il y ait
une forte d’égalité entre lés potentats , laquelle ,
ôtant la jaloufie d’ une trop grande puiffance de
la part des uns , maintienne la paix entre tous *»*
Quoi qu'il en fo i t , depuis deux! cents ans-la
crainte de voir renverfer l’équilibre , a donné rraif-
fance aux plus grandes guerres & l’idée d’en?,
avoir affuré le maintien , les a prefque toujours
terminées.
On a vu le temps où une grande partie
de> l’Europe confpirôit contre la maifon de Franc
e ; l’autre partie prefque entière étoit fou veine
fpeétatrice oifive , 8c ou-lui a reproché de n'avoir