
gue avoit faites pour les moeurs, A u d i, lorfque
Ly fin le r rapportant' à Lacédémone, les tributs
& les dépouillés des vaincus, y eut développé
le germe de la cupidité, l’avarice s'introduit avec
les richeffes dans les maifons des fpàrtiates : ils
rougirent bientôt de la limplicité de leurs pères
& cette honte fut la fource d’une foule de vices ;
les vertus perdirent leur crédit à mefure que les
richeffes acquirent- de-l’autorité : les citoyens ne |
tardèrent point a le perfuader qu’elles pourroient
tenir lieu de mérite, & cette folle opinion les
engagea à confidérer les riches ;■ la pauvreté fut
méprifée , & les fpartiates, pour ne-point être
pauvres,, ne s’occupèrent plus que des moyens
de s’e rithir, afin d’ être confidérés, & ils donnèrent
à ce foin toute l’attention qu’ils dévoient
aux intérêts de la patrie. Dès lors les pallions enhardies
relâchèrent les refforts du gouvernement
qui ne put plus-les. réprimer, par cela feul qu’il
avoit eu l’imprudence de les laiffer naître. Tourmentés
par la crainte qu’on ne les dépouillât de
leurs richeffes, les citoyens ppulens fe révolté- j
refit contre le partage de l’autorité, & voulurent
avoir toute la puiffance pour être-en état de défendre
leur fortune. Tantôt rampant & tantôt
infolent, le. peuple n’eut plus que des éphores
dignes de lui. Il n’y eut plus de moeurs à Sparte;
& la même corruption qui y avoit éteint la morale
, y détruilït la politique.
C e qui, lorfqu’ on ne réfléchit point, paraît
contredire les principes que l ’on vient d’expofer
& femble prouver qu’il n’y à point autant d’union
qu’on l’a fuppofé entre la politique & la
morale, eft qu’on a vu.des empires élever leur
fortune fur l’injuftice, & fleurir pat des moyens
que la morale réprouve- Car enfin il eft très-vrai‘
que les petfes, quoique fans moeurs ^dominèrent
fur l’Afie entière ; il eft également vrai que
Philippe dé Macédoine, à qui tout rénlfiffoit
n’ étoit cependant pas plus jufte ni plus vertueux
que les grecs qui tomboient en décadence : il eft
confiant aufli qu’une foule de tyrans & d’ ufur-
pateurs . fcélérats, corrompus à l’excès, ont joui,
fans remords & fans trouble , des fruits de leurs
crimes & de leurs ufurpations, &c-
Ces objeétions qu’on ne ceffe de faire, ne
prouvent autre chofe, fi ce n’eft que ceux qui les
fo n t , .confondent le bonheur avec les dignités
l’ é clat, les richeffes, le pouvoir, qui ne procurent,
au lieu de bonheur, qu’un plaifir paffager
accompagné de plufieurs agitations, de troubles
& d’inquiétudes. C e n’eft qu’une apparente prof-
périté que celle du méchant, qui gémit en fe-
cret fous le poids du vice auquel il ne peut renoncer.
L’homme heureux étoit Socrate qui buvant
la ciguë, s’entretenoft auffi paifiblement’avec
fes amis, que s’il eût été fous le portique. Il
goûtoit toutes les douceurs de la p a ix , parce
qu’il fe rendoit un témoignage intérieur de fon
ifttégrité. U en eft de même de la profpérité apparente
des états; elle n’eft que pnffagère, lorf-
qu elle n eft fondée que fur l ’injuftice ; le vice
& Je mépris de la morale. De grandes provinces
& de^ grandes richeffes ne contribuent en aucune
manière au bonheur domeftique des citoyens , ni
a la^liirete de 1 état. Pour avoir conquis l ’Aiie
entière, les perfes en étoient-iis plus libres? Et
les tréfors accumulés du fouverain rendoient-ils
(esfujetS-plusconténs, plus heureux, plus tranquilles
? L ’opulence du prince & la leur empê-
clierent-elles Agéfilas de porter la terreur juf-
qu aux portes de-Babylone
11 eft vrai qu'un gouvernement où les vertus
font négligées, où le vice eft honoré, cula/Jo-
litique eft aufli mauvaife que les moeurs font
corrompues, peut cependant fe foutenir & fleu-
nr pendant quelque temps : mais alors c’ eft l'être
protecteur de la vertu qui ne fait que fe fervir
des vices d un peuple pour en détruire un autre
plus vicieux encore 5 celui-ci eft il puni ? Le même
çcre ne manque point de brifer l'inftrume;nt de
| la vengeance. Les récits de l'hiftoire offrent mille
preuves de cette vérité : une telle révolution n'eft
rien moins qu'un miracle ; cfeft une fuite naturelle
de I ordre que Dieu a établi dans lé gouvernement
du monde. A fuppofer pour un inf-
tant que la politique pût ne poinr avom pour
bafe la vertu, & qu'elle fut indépendante de la
morale, voyons les grands effets qu'elle pourroit
produire. 11 faut convenir que la trahifon , la
fourberie, la rufe peuvent furprendre un état qui
ne^selt pas précautionné contre leurs pièges, &
meme ^obtenir quelque fuccès : mais c'elt ce fuc-
ces meme q u i, infpirant une - défiance & une
haine generale j embarraffent ces vices mêmes
dans les embûches qu'ils dreffoient, & finiffent
par accabler 1 état qui avoit employé de fembla-
bles moyens. T ô t ou tard la mauvaife foi eft ellë-
meme intimidée par la crainte qu'elle a fait naître
, & quelque foin qu'elle prenne de bien corft-
biner fes projets , jamais^ elle ne peut prévoir tous
les dangers dont elle eft menacée j chaque accident
imprévu ou chimérique l'oblige à former un
nouveau plan de conduis : enforte que marchant
fans règle fix e , elle ne peut que \éuffir
quelquefois parhafard , & néceffairement échouer
dans la fuite. Si au lieu de la rufe & de la trahifon,
un tel peuple met la force & la violence
en ufage contre fes voifins , comment s’em'pêche-
î j f t r v î ï re agité Pai‘ la crainte qu'il
inipire ? II ne peut augmenter le nombre de fes
ennemis , qu en meme temps il ne devienne fuf-
pcct a fes ,alliesj il penfe fe rendre- puiflapt, &
il multiplie fes dangers en même-temps qu'il diminue
fes forces. Peut-être il parviendra à fur-
monter les difficultés qui l'entourent j peut-être
’ “ °Xtlendra ur? fuccès éclatant : mais le moment
de Ion triomphe eft celui de fa perte. Sefoftris
peu content de régner fur l'Egypte , méditera
conquête de l'A f ie , & rien ne réfifte d a b e rd *
ces égyptiens fobres , laborieux , tempérans, qu'il
a -armés pour iVrvîr fon (njulte ambition : à peiné
ils font vainqueurs ; qu'ils prennent les moeurs
des vaincus : amollis par les Volüptés & les ri-
cheffes, ils rapportent dans leur patrie les dépouilles
I | plus juftes & les plus figes réglemens ne pour-
: roient empêcher i’injuftice, fécondée par la rufe
» & la chicane & enhardie par l'impunité, de devenir
de l'orient : ils croient être parvenus au
comble de la'gloire & de la' profpérité- : ils ne
s'apperçoivent pas que la-vertu 'ébranlée dans
tous les: coeurs eft prête à les abandonner} & a u
milieu des chants d-allégrefl’e & de triomphe, le
châtiment de l'Egypte commence. -Déja’les'ref-
forts dû gouvernement font relâchés 3 ' & Jes anciens
établiflemens-font détruits par les payons.
Les fuccelfeurs de Séfoftris , enivrés de-leur opulence
, éblouis- du fafte qui les environne, abu-
fent du fuprême pouvoir, & deviennent des tyrans
voluptueux d’autant plus" terribles,• qu'aifoi-
blis par la ruine des lo ix , ils ne fe croient plus
en fureté contre des fujets que la mollelfe , Le
faite, la pauvreté & lés rich fifës ont rendus à la
fois lâches & infolens. Agitée par des émeutes
& des révoltes fans ceffe ren ai fl an tes, l'Egypte
eft deftinée à devenir la proie du premier vain-
queur .qui voudra; s’en emparer. Leçon frappante
& terrible pour Te politique qui vpudroit.connoî-
tre fes devoirs, & s'aflurer que là- vertu eft l’unique
fource & l'inébranlable fondement du
bonheur des particuliers- & de la félicité publique.
De la méthode .que la politique doit employer pour
rendre un peuple vertueux.
De même qu'il n'y a point de - vice qui ne-tende
à corrompre le peuple-, & par conféqueiït à a ltérer.
la félicité publique-, de même aufli n’y a- 1
t--il point de vertu qui-ne foit utile à b fociété :
mais quoique toute vertu mérite d’être cultivée,
il s'en faut qu’ elles demandent toutes les mêmes
foins de la part du légiflateur & des magiftrats :
car s'il en eft qui influent directement fur le bonheur
des citoyens & fur la fureté 1 publique , il
en eft quelques-unes auffi qui n’ont avec ces' deux,
objets fi importans qu'un rapport médiat plus ou
moins éloignée Les premières en dignité en • excellence
, & ' qui doivent être cultivées avèc la
plus grande afliduité , font la juftice, la prudence
& le. courage ^defque!|es découlent l'ordre,-la
paix, la fureté , tous lés biens , en un m o t, que
peuvent delirer les hommes. D'accord avec la
morale , la politique doit s'occuper fans doute à
nous rendre facile la pratique .de. ces trois vertus
} mais pour y reuffir, elle doit commencer
par ecarter^ de notre coeur les vices-qui nous empêchent
d'être juftes, prudens.& courageux. Or
il ne fuffit point, pour extirper ces vices, de
régler les droits de chaque citoyen , & .de donner
des bornes fixes à la juftice : il faut en même-
temps contenir les- partions , qui bientôt dérangeaient
ces bornes 5 car, fans eel*., les loix les !
bientôt l'efprit général de-s;citoyens. Ainfi
donc le devoir Le plus important d'un légiflateur
1 eft non de publier des loix juftes 3 mais; de com-
: menccr par préparer les hommes à aimer !a jul-
; tice, & iV s’a-i! tac lier- aux vertus eftemieHes qui
i fervent ^ poilt ainfi dire’ ,' de bafe & d’appui ï
; toutes' les autres. Ces vertus, que l’on.peut ap-
^peller mères ou auxiliaires , qu’on doit reear-
der. comme' les premières dans l'ordre de la "politique
3 font la tempérance -, l'amour du travail,
l’amour de là gloire & le refpeél poiuTes
dieux.
- A fuppofer que, préparai-1 le coeur â tou-s les
vices , 4r yolüpcé <n’y étouffât cependant-point
; les1 principes de'la juftice & 1 de ia prudence ,
n’eft-ce‘point aiTex - qu'elle -énerve le corps , pour,
qu'un état ne puiffe plus1 attendre des citoyens
les.fatigues;, les foins, -les veilles , la patience ,
d’où dépend, en tant de circonftances , le-falut
du gouvernement. Lycurgue avoit une profonde
c.onnoiffançe des vices & des'-v&mis des hommes j
-luiiiqui , (fans s'égarer dans dos détails inutiles ,
ne_;profcrivit un Vice qu'a près 'en avoir coupé 'a
racine , & n’ordnnna "la pratique d'une verti*
qu'après avoir-ordonné celle qui devoir en être
le principe ou l'appui. C e fut-ainh que, pour
empêcher que les droits du mariage ne devinflént-
une fource de corruption & de molleffe, en
abandonnant deux jeunes-époux taux voluptés ,; il
ne1-leur permit point'de:fe’ livrer inconfelerément
â leurs tranfports : il ; craignit- 'avec rajfon que ,’
trop tôt raffafîés de plaifirs légitimes , ils ne fi-
niflent par; eii chercher de défendus. Il devina
que la fource des- plus grands défordres dans un
état, eft d'y négliger les moeurs des femmes ,
& que. les hommes "contraéleroient les vices des
femmes, fl l'on ne donneit à celles-ci les vertus
des hommes ; il leur infpira un généreux mépris
pour les befoins auxquels -la nature ne lésa point
alfujetties}.'i l• les endurcit au travail, .à la peine,
à-la .fatigue:}' en un mot, il en fit des hommes!
Lycurgue: en même-temps établit des repas pub
lics, dont le brouet noir faifoit les uniques délices.
Sans ces deux ■ institutions'"* diélées par la
te^mpérànce, vainement le légiflateur de Sparte
eut proferit l'ufage.de l'argent & les arts inutiles }
j jamais l’exercice des vertus les plus difficiles, &
dans le-:degré le plus, héroïque, ne fût devina
familier eaux fpartiates. Mais la tempérance inf-
pire le mépris des richeftès;, .& ce mépris eft
toujours accompagné de l’amour de l’ordre & de
la juftice.
Des ménagemens dont la politique d o i t ufer d a n s Ja
- réformation-des jnoeurs corrompues.
Lorfqu'un.état.eft corrompu, lorfque fes ref