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particulier là - deflus, cette omiffion dans une
matière (î importante , & le confentement à une
mefure, établie depuis fi long - temps & d'une
manière fi notoire, devroit être regardée comme ,
une reconnoiffance entière , & une coiffirmation
du droit j qu’ il ne faut pas examiner fi ce droit
exclufif fi ancien avoit été compenfé de quelque
manière } quec'étoit une partie du prix quepayoit
l'Efpagne pour le maintien de ces mêmes Pays-
Bas que poffède aujourd'hui l'empereur j que ,
fans cela , les Etats-Généraux n'auraient jamais
abandonné les prétentions qu'ils pouvoient y former}
qu*un fait qu'à cette époque & à une épc^
que poltérieure , la confédération des lept provinces
étoit bien en état ; qu’ elle avoit alors 3 &
qu’ elle a eu depuis ƒ des occafions favorables de
faire valoir ces droits , fi elle n'y avoir pas renoncé
pour la navigation exclufive de FEfcaut. ‘
Les hollandois ajoutèrent que l'affaire de FEf-
caut étoit loin d'intérelfer uniquement le commerce,
ainfi qu'on le prétendoit 5 que la quefiion
de l’ ouverture de ce fleuve étoit plus politique que
commerçante} que , depuis les révolutions & les
changemens furvenus dans les routes du commerce,
Anvers ne pouvoit devenir un objet de
jaloufie ou d'envie 5 mais qu'en aboliflant la clôture
de FEfcaut, on ouvrirait un grand chemin
dans le centre de leurs domaines ; que ce ferait
ouvrir & expofer les fourçes qui donnent la vie
aux fept provinces, & qu'on compromettrait ainfi,
non - feulement la fureté immédiate , mais l'indépendance
8c l'exiftence de la république.
L'empereur répondoit que les Provinces - Unies
s’ étoient permis un fi grand nombre d'infractions
au traité de Munfter, dans tous les points qui
afiuroient les droits des Pays-Bas, ou leur étoient
avantageux de quelque manière, qu'ils avoient
perdu le droit de réclamer les ftipuîations fouf-
crites alors en leur faveur : que , d'après les principes
de la raifon & de l’équité, il fe trouvoit
complètement difpenfé de faire aucune attention
aux articles fur îefqüels ils infiftoient fi vivement.
Qu'au relie, félon leur coutume, pourl'in-
térprêter à leuravantage, ils forçoienrle fens de l’article
du traité de Munfter, qui a rapporta FEfcaut}
que cet article n'énonce pas la fouveraineté 8C
le droit exclufif : qu'en admettant tout ce qu'ils
difoient, d'après cet article du traité, le joug''
honteux qu’on avoit impofé aux Pays-Bas, étoit
trop contraire à la nature & trop humiliant pour
le îaiflfer fubfifter j qu'on n’ a jamais pu le fouf-
f r i r , qu'autant que l'abfolue néceffité, fuite de
la malheureufe fituation des affaires publiques ,
rendoit cette foumiffion indifpenfable.
Le cabinet de Vienne ajourait que les hollaft-
dois avoient enfreint le traité de la Barrière 8c
les autres traités pofténeurs, ainfi qu'ils avoient
enfreint celui de Munfter 5 que fi l'on vouloit
négliger ou oublier toutes les occafions où ils
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avoient violé la foi publique & les traités, leur
honteufe prévarication & Fin;uftice de leurs procédés
à l ’égard de Maëftricht , fuffiroient feules
pour annuller tous les devoirs & toutes les conditions
envers un peuple qui n’avoit jamais exécuté
ou refpetté les articles d'un traité ou d'une
convention, qu'autant que cela convenoit à les
intérêts.
Au refte, de toutes les prétentions de l'em-
_pereur , celle qu'il formoit fur Maëftricht & fon
territoire , paroiffoit la mieux fondée. En 1672 , '
lorfque les Provinces Unies étoient menacées de'
la delhuélion, par Finvafion de Louis X IV , le
comte de Monterey , gouverneur des Pays-Bas»-
n'attendit pas le tardif réfnltat des délibérations
de fa cour , qui étoit en paix avec celle de
-France 5 il fentit qu'un délai ferait perdre l'oc-
cafion d'agir avec fuccès , & il eut la fagacite
politique & le courage de faifir les véritables,
intérêts de l'Efpagne , & d'agir de lui - même »
fansfonger aux reproches qu'on pourrait lui faire.'
Il s'efforça d'arrêter la violence du torrent »
gardant toutefois l'apparence de la neutralité, il
donna aux hollandois des fecoufs fecrets, & il
leur rendit d'impoi tans fervices. Sa conduite ayant-
été approuvée par le cabinet de Madrid, -il con--
tmua d'agir fur le même plan. Ses fervices devinrent
fi effentiels, qu'ils jettèrent les fonde-
mens d’un traité fecret entre la Flollande & l'Ef-
pagne.' La république , en confidération du paffé
& pour obtenir de nouveaux fecours, s'engagea
à céder à l'Efpagne la ville de Maëftricht, avec
une portion du territoire défigiiée dans la convention
: mais- cette ceffion étoit foumife à la condition
fpéciale, qu'on empêcherait la France de
garder aucune de fes conquêtes , ou de démembrer
quelques-uns "des domaines des Provinces-
Unies.
Cette condition ayant été remplie par la tournure
inattendue que prit la guerre, & qui obligea
Louis X IV à abandonner fes conquêtes , lors du
traité de paix conclu à Nimègue, Charles II »
roi d'Efpaghe , réclama Maëftricht } les Etats-
Généraux éludèrent la ceflion , en faifant valoir
des hypothèques que le prince d Orange avoit fur
cette ville & Fon territoire. Le roi d'Efpagne
paya ces hypothèques, & cette confiance &
cette généralité méritoient plus de bonne foi du
côté des holjandois. Ils élevèrent alors de nouvelles
difficultés} ils mirent tant d'intérêt à ne
pas fe défaifir de Maëftricht, que la çeffion fut
toujours différée, & qu'elle fut un fujet de n é gociation
jufqu'à la mort de ce prince.
La confufion générale, occafionnée par la mort
& le teftament de cé monarque , les longs troubles
& les guerres qu'excita fa fucceffion, parurent
effacer toutes, les traces de l’ affaire de Maëfi*
tricht. Il n'en fut plus quçftion dans aucun dç$
traités ou des conventions pollérieures ; les cho-» *
fes relièrent en cet état jufqu'en 1758 ; à cette
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époque, l’empereur Charles V I , fe regardant
comme l'héritier de tous les droits de 1 Elpagne
fur les Pays-Bas , fit revivre la prétention fur
Maëftricht, fi long-temps oubliée. Des comrnif-
faires, nommés par les deux puiffances, ouvrirent
une négociation à Bruxelles, 8c ils paroif-
foient difpofés à terminer cette affaire } mais ,
comme fi elle avoit. dû toujours être différée ou
interrompue par des fcènes d’un grand défordre
& d'un grand malheur publics, la mort de Charles
V I , les puiffances nombreufes qui effayèrent
d’envahir l'héritage de fa fille, la feue impératrice
reine, mirent bientôt fin aux négociations de
Bruxelles, &■ jettèrent l’Europe dans l'état de
confufiot] & de guerre , où. elle s'étoit trouvée
Jorfqu'on fe difputa la fucceffion au trône d’Ef-
pagne. On oublia donc encore la prétention fur
Maëftricht, & elle n'a été reprife depuis que par
l ’empereur aéluel.
Au refte , • Maëftricht, malgré fa valeur réelle
8c l'importance que lui donne fa pofition , n'étoit
pas le point le plus grave de cette difpute des
hollandois avec l'empereur. L'ouverture de FEl-
caut étoit l'article effentiel, le grand objet des
defirs de la cour de Vienne, & des craintes &
de la confternation des Etats-Généraux. Tous les
autres pouvoient s'arranger.
On s'intéreffoit à cette affaire dans prefque
tous les pays de l'Europe , & jamais l'opinion
publique 11'a été aufïi divifée qu'elle le fut fur
cette queftjon fi fimple & fi bornée, qu’elle re-
gardoit feulement la navigation d'une rivière.
Les raifons que faifoit valoir l'empereur ,
avoient quelque chofe de fpécieux & de raifon-
nable} il étoit facile de les préfenter d'une manière
plaufible , & de les revêtir de couleurs in-
téreflantes : elles étoient finguliérement propres
à féduire le commun des hommes , qui examinent
légèrement les affaires, & font dominés par le
fentiment & la juftice naturelle, plus que par les
calculs & les principes de la politique.
L'expofition feule du fait, le tableau d'un peuple
ancien & refpeëtable , q u i, célèbre de bonne
heure dans le commerce, fe trouve ruiné, parce
qu'on Fa privé de fon droit naturel à la navigation
& aux avantages d’un fleuve qui traverfe
fes domaines, fembloir décider la queftion, &
réunir tout le monde contre une injuftice fi criante.
En fuivant le même efprit, on regardoit comme
un exploit glorieux & digne d'un héros, le projet
d'affranchir une nation, d'un pareil efclavage ,
& de lui rendre fes droits- naturels & fon ancienne
profpérité. Pour émouvoir les paffions ,
on ne manqua pas de rappeller la grandeur, l'éclat
& l'opulence qu'eut autrefois Anvers , & on
attribuoit fa décadence , avec beaucoup, d’effet ,
mais avec peu de juftice & de vérité, à cette
odieufe clôture de FEfcaut, fuite , difoit on, de
la jaloufie & de la cupidité dés hollandois , qui
avoient voulu s'approprier le monopole de tout
le commerce, 8c élever Amfterdam fur les ruines
d’Anvers. Afin d’exciter les paffions, on repréfen-
toit avec encore moins de juftice 8c de v é r ité ,
FEfcaut, comme le plus beau fleuve de l'Europe:
on eût dit que fa beaute devoir être comptée pour
quelque chofe , dans des quel!ions de droit ou de
néceffité politique. Il eft aile de voir que l’avidité
bien reconnue des hollandois, Fefprit de
monopole, la dureté & les principes arbitraires
qu'ils ont toujours montrés dans les affaires de
commerce , produifoit côntr'eux une impreffion
très défavantageufe.
Ils avoient cependant un grand nombre de raifons
& défaits à oppofer aux déclamations plaufibles &
artificieufes, ou même a l'opinion publique qui s'étoit
établie fi légèrement On ne p eu t, dans
l’état aétuel des chofes , recourir aux droits naturels
, pour annuller les conventions politiques entre
les états, lefquéiles font le fondement & la
fureté de toutes les propriétés publiques & particulières.
Quelle, fcène offrirait l'Europe , fi
toutes les puiffances étoient obligées de recourir
aux principes de l'équité & aux loix de la nature
, & d'abandonner les domaines, dont ils fe
font mis en poffeffion , par la fraude ou la violence
, la .guerre ou les traités , au milieu des
révolutions d'une longue fuite de fiècles! On
romprait les liens qui unifient les hommes} orales
replongerait dans l'état de la nature fauvâge ;
le monde politique retomberait dans le ca-hos ,
8c on n'y verrait plus que le défordre & la confufion.
Les hollandois foutencient que le paffage d'un
fleuve fu r . quelque portion du territoire d'un
prince , ne formoit pas un droit naturel, lorfque
fon embouchure eft en la pofieffion d’un autre
fouverain 5 & pour diffiper toutes les déclamations
pathétiques des partifans du cabinet de Vienne ,
ils affluèrent que le cours entier des deux branches
de l'Efcaut étoit entièrement artificiel ; que
c'étoit l'ouvrage des hollandois} que fes bords
étoient l'effet de plufieurs fiècles d'un travail con-
tinuel, & qu'on ne les maintenoit qu’avec beaucoup
de foins & de depenfes ; q ue , fans ces
monuinèns de l'induftrie hollandoife, ces digues
étonnantes qui excitent l'admiration des hommes,
les eaux croupiffantes de l'Efcaut formeraient des
lacs 8c des marais immenfes ; qu'elles ne feraient1
jamais arrivées à la mer, dans la quantité né-
ceffaire à la navigation ; que les hollandois ayant
ainfi formé & maintenu FEfcaut inférieur , ainfi
qu'ils ont formé, & qu'ils maintiennent les prç-
vinces de Hollande & de Frife, il étoit également
leur propriété .} que les Provinces - Unies
n'ayant pu deftiner ces immenfes travaux qu'à
leur ufage , les avantages qui en réfultent, doivent
être, indépendamment de tous les traités , regardés
, d’après les principes du droit naturel ,
de la foi & de la juftice , comme leur propriété
exclufive.