
fins , pour dépouillër, pour Opprimer-, pour dévouer
à la mort félon fon caprice. '
On a cité fouvent cette vielle femme qui re-
fufa fon jardin & fon champ , & dont le fultan
n’ofa s’emparer. On n’ a pas voulu voir qu’un
aéte de defpotifme en cette occalîon eût pu révolter
le peuple ; que les vexations de ce genre
ont entraîné^fouvent des révoltes ; & que la
crainte & non la loi , arrêta le grand-feigneur.
Il faut croire qu’il y mettait peu d’intérêt ; car
Je chef de là-police, qui fait enlever la nuit &
étrangler ou jetter dans le Bofphore ceux qui
déplaifent, ceux qui paroilTent dangereux ou qui
troublent la tranquillité publique , fe feroit dé-
barraffé delà vielle femme ; & l’héritier du champ
suroit été. plus traitable.
Nous ne ferons pas d’autres remarques fur la
conllitution de l’Empire ottoman : on n’ell d’accord
fur rien î ni fur la valeur du mot delpotifme ;
ni fur l’adminillration de la Porte. On juilifie
to u t , & les vexations Sf les fpoliaiions fans
formede procès; & ilfaut biffer à chacun fon avis.
Le grand-feigneur prend, félon le ridicule ufage
des peuples de l’Orient, des titres emphatiques y
en voici un échantillon : Nous ferviceur & feigneur
des très - vénérables & bepites villes ,
des refpeétables maifons & faints lieux devant
lefquels tout fe prollerne , de la Mecque que Dieu
a comblé d’honneur, de Médine refplendilfante de
gloire, & de la fainte Jérufalem, empereur des trois
villes monarchiques défirables de Conllantinople,
Andrinople & Burfa , empereur de Babylone,
de Damas, du paradis odoriférant & actuellement
incomparable Egypte, de toute l’Arabie, d’A»
le p ,d ’Antioche,... & autres lieux célèbres, facrés
& dignes d’êtte mentionnés : tant villes que fideles
yaffiux , empereur des empereurs, le très-gracieux
& très-puiffant fultan , & c . ». La cour* de
l’Empereur des turcs e11 appellée, félon une ancienne
expreflion orientale, la -porte ou La fublime
porte t la fublime porte du fultan t la porte de la jujlir
ce y la porte de la ntajefié- 3 la porte de la félicité ,
expreflions qu^emploiene les fultans lorsqu'ils
écrivent à d’autres puiifançes.
Le mot fultan n’elf qu’nn titre de naiffance. ré-
fervé aux princes ottomans nés fur le trône & à
ceux de la famille Ginguifienne. C e mot qui fe
prononce foultan ell fans doute aufli la véritable
étimologie de foudan , & ce titre pouvoir être
en Egypte fubffitué à celui de roi ; mais en Turquie
, ni en Tartarie, il n’entraîne aucune idée
d’autorité fouveraine. Le titre de franp ell particulièrement
affeélé au fouverain des tartares , il
équivaut à celui de chach qpi lignifie roi chez
les perfes, & fert de racine àpade chach, grand
roi dont l’orgueil de la maifon ottomane s’eft emparé
pour le difputer ou f’accorder à des puif-
fances qui n’ont peut - être pas apperçu qu’il ry
guroit eu plus d’adreffe & de dignité 3 mçcon-
fiQ^ïç cç titre qu'à y prétendra
Celui de fultan rend habile à fuccéder, & l'ordre
de fucceffion établi chez les turcs , appelle
toujours le plus âgé de la famiile :ul d oit, comme
on l’a déjà d i t , être né fur le trôné.
Lorfqu’il s'agit d e fuccelfeur au trône , les turcs
ne cherchent guère dans le choix d’un fuccelfeur
qu’à proclamer un homme de la famille d’Ofman.
Les empereurs , depuis le commencement de ce
lïècle , ont renoncé à la politique cruelle de leurs
prédéceffeurs.qui, à leur- avènement au trône,
faifoient. mourir ; tous leurs frères > mais pour
prévenir Jes révoltes ils les tiennent en prifon :
& ce trait ajouté à.mille-autres, annonce affez
ce que doit être un pareil gouvernement. Ils
leiir permettent une ou deux concubines, il faut
cependant que les médecins de la cour en aient
conftacé & confirmé par ferment la llérilité ; on
dit qu’en effet aucune d'elles n’ell accouchée.
On ne couronne point le nouveau grand^leigneur;
mais on lui ceint le cimeterre d’Ofman, fondateur
de l’Empire.
Le divan elt le confeil d’état & s’ affemble
deux fois la femaine, les dimanches & mardis,
dans le palais de l’empereur. Le grand-vifir le
préfîde ; il a à fa droite le kadileskier ou kaffiju-
laîskier de Romélie ou d’Europe, & à fa gauche
celui d’Anatolie ou y d'Afie.. L e mufti y affilie
lorfqu’il y ell appelle. Tous les autres vifirs y
ont aufft féance, & après eux vient le tefterdar ou
grand-tréforier, le reis-effendi, le chancelier de
l’Empire, les autres officiers du cafemji ( chambre
des ) comptes , font debout de côté , mais ceux
de l’armée, tels que l’aga des janîffaîres, le fpahi-
lar-aga , le filudar-aga fiègent à la fublime Porte
dans l’intérieur du divans Le fultan écoute dans
un appartement voifin & il peut voir à travers
une jaloufie ce qui s’y paffe. Les membres de ce
confeil or.t un habit particulier pour y affilier J
ils mettent cet habit les jours d’audience lôrfqu’ils
font envoyés auprès des divers puiffançes chrér
tiennes. Si le grand-feigneur convoque un confeil
général, tous les grands de l’Empire , le clergé, ÎjS
ujemas, les officiers militaires üt autres , & même
les foldats les plus vieux & les plu6 aguerris y
affilient ; & comme l’ alfemblée fe tient de bout
elle porte lemom d’ajâk-divani,
Le premier vifir ou grand-vifir e(l la première
perfonne de l'état après l’empereur. On appelle
vifir tous. les pachas à trois queues. Il ne f«mc
donc pas confondre cette dignité avec celle de
grand-vifir.. Celui-ci ell dillingué par le fceau de
l’Empire, le cachet du grand-feigneur. Il polfède
le premier inllrumenr dudefpQtifme. On le nomme
par certe raifon vifir-afem , le grand-vifir, On
évalue fes revenus à 600 mille rixdalers ou
2., 4C0, ©oq liv ., non compris les préfens & ce
qu’il peut extorquer. Plus il ell élevé & plus U
ell expofé : en effet pour appaifer les murmures
du peuple, l’empereur facrifie le grand-vifir , auquel
il impute toutes les fautes dç
sî le re’ègue ordinairement dans quelque ifle’j 8t
quelquefois on l’ étrangle. Le vicaire du grand-vifir
ell le kaïmakan, que’ le fultan choifit parmi les
vifirs qu'on nomnie à trois queues. Les prérogatives
dukaïinakan font prefque les mêmes que celles
du grand-vifir dans le ças'ou le grand-feigneur
ell à 8 lièues 'de Cohllahtinople ou d’Andrinople;
& il n’a prefque aucùne autorité îorfque l’empereur’
y fait fa réfidençe. Si l'é’grand-féignéur fe met en
campdgne , on nomme un kaïmakan q u i, en
l ’abfence du grand-vifir, prend connoiffance de
toures les affaires, dortne fes ordres & fait les
chaugemens qu’il juge convenables., mais ne peut
s’pppofer aux ordres du gland-vifir, ni dépofer ou
faite décapiter les anciens hachas. L ’interprête
ifnpérial ell aiiffi tin des officiers de la couronné
l'e plus en crédit, car au nom du grand - vifir
il ell chargé de toutes le£ négociations avec les
envoyés des puiffançes chrétiennes , qui par cette \
raifon lui marquent beaucoup d’égards : c’ell ordi- *
nairement un grec de naiffance qui ell revêtu de
cet emploi.
Le tribunalfuprême-, appelle divan châhé, s’af-
fe’mble dans une fâile du palais du grand-vifir,
qui en qualité de chef , ell tenu de s’y . trouver
le vendredi, famedi, lundi & mercredi pour rendre
la juftice au peuple. Si d’importantes affaires
l ’en empêchoient , ce, qui arrive rarement , il
feroit remplacé par le chiaotix-bafchi, ou maître
des requêtes. Le vendredi le grand-vifir n pour af-
félfeursles deux kadileskiers d’Afiè & d’Europe,
celui de Romélie à fa droite' comme juge," &
celui d’ Anatolie a fa gauche comme fimple âffef-
feur écoutant. Le famedi c ’ell le galata Mollafi,
juge du fauxbourg de Galata , ou celui de Péra,
qui affilie avec le vifir au divan : chaque lundi
il a pour aflelfeur l’ éjub mollafi , juge du faux-
bôurg de faint-Job’à Gonllantinopie, & l’ jskin-
der mollafi i & enfin le mercredi l’jllàmbol effendi,
jugé de la’ Ville dé Conllantinopler Les requêtes
des parties étant lues j les affeffeurs dife'nt leur
avis : fi lé grand vifir approuve leur fentence ,
dlle s’écrit lur l’ arzuhal ou requête , & il la ligne :
autrement il prononcé lui1 même la fentence & en
fait expédier copie aux parties. La décifion des
procès' fe fait fur le champ , dès qu’ une fois de
éadi , juge d’une province ou de quelque lieu
particulier, ell inllruit : & il ell aifé de voir que
ée tribunal doit rendre de beaux arrêts-
Le gouvernement militaire ck “civil ell partagé
en deux départements , celui d’Europe , Rümili ,
Sc celui d’Alîe.
Le grand-feigneur ell en même tems le fuccef-
feuf au califat 8c le chef du gouvernement militaire
j fon defpôtifme, dit M. de T o t t , ell
établi fur le coran , & l’interprétation de ce livre
ell ëxclufivement attribuée au corps des Ulemats j
tqut doit être,fournis, „à la lo i, tout doit obéir
au fouverain; Ces deux pouvoirs ont la même
fomee 5 on apperçoic déjà le choc 8c les débats
qui doivent naître entre deux puiffançes, dont le
droit ell é g a l, 8c dont les intérêts font différens =
on voit également que le pouvoir de fe nuire les
réunit fouvent, 8c les contraint à des égards 8c
des ménagemens réciproques. ; .
En effet fi les Ülemats peuvent faire parler la
loi à leur fantaifie & animer le peuple contre le
fouverain , celui-ci peut d’un feul mot dépofer
le mufti, l’exiler 8c même le perdre aufli bien
que tous ceux de fon corps qui lui déplaifent.
La loi 8c le defpote doivent également fe craindre
8c fe refpecte'r ; mais le defpote, s’il n’ell pas un
imbecille , emporte néceffairement la balance , il
d/fpofe de tous les tréfors, de tous les emplois 8c
de la vie dë tous fes fujets> il a d’horribles moyens
pour fe faire obéir. :
Examinons actuellement l’ufage du pouvoir ,
foit de la part du grand-feigneur, foit de la parc
dés jugés.
Plus le pouvoir du grand-feigneur ell étendu,
moins il ell facile de limiter celui des officiers
qui le rèpréfentent. Les pachas font dans toute l’ étendue
de l’Empire ottoman les gouverneurs 8c
les fermiers de leurs pachaliksj ils y donnent
à chaque diflriçt des gouverneurs 8c des fermiers
particuliers > ceux-*-ci diftribuent dans chaque
canton d’autres fous-fermiers non moins defpotes ,
de manière.que dans cette crueile hiérarchie , le
fubaltérne perçoit le double de ce dont il ell comptable.
Si le droit dû fermier peut s’exercer d’une maniéré
fi dèltriiêiive fur le revenu annuel de chaque
territoire, ^ ‘gouverneur de la province , arme d’ un
pouvoir pltis vàfté 8c plus redouté, détruit encore
avec bien plus d’audace 8cde facilité. II eft le
maître de multiplier les vexations, les avanies 8cr
les dépràdatiôns de tout genre au gré de fes defirs
avides. Le moindre^ prétexte ûiffit pour citer à fon
tribunal ceux qu’ il lui plaît d’y citer , 8c l’homme
riche au pied dé l’hommë infatiable , n’ ell jamais
innocent.
Cependant le fouverain , obfervatenr tranquille
en'apparence , attend, pour punir le vexateur, que-
lë produit dès vexations foit fuffifant , pour me-
' riter une place dans fon tréfor particulier : mais
1 fi le grand-feigneur ferriblé ne guetter que rhoinme
en place , envain un homme riche voudrait échap-'
I per au defpotifme en fe tenant dans l’obfcurité , il
) fera bientôt revêtu d’ un emploi qui donnera tôt
! ou tard au prince le droit de compter avec lui.
Cet homme n’a donc rien de mieux à faire que de
commencer par compter avec les autres > 8c de
réduire le fruit de fes rapines en argent comptant
, ' pour le cacher plus facilement. Les gens
de loi font lés feùls qui puiffient jouir tranquillement
de leur fortune; car je ne parlerai point des
fujets chrétiens ou juifs. CeuX-ci méprifés , inful-
tés même, par le portefaix mufuîman qui les fert,
ne peuvent être confidérés, par le gouvernement,
que parce que leur indullrie accumule des richeffes