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du royaume. Ayder-Àly avoit à cette époque le
commandement des armées , & il le garda. Il
étoit général de dix mille chevaux, & il elt bon
de donner ici une idée précife de ce rang.
Dans les gouvernemens de l'Inde, le rang de
général de dix mille chevaux , équivaut à-peu-
près à celui de lieutenant - général en France.
Dans la milice des mogols , les derniers grades
fe confèrent par des patentes qui donnent le pouvoir
& la commiffion de lever dix mille hommes
pour le fervice de l'Empire, avec la prérogative
de nommer tous les emplois fubalternes, & le
droit de les tenir dans la difcipline, & de leur
rendre juftice. Comme la cavalerie eft le fervice
le plus eftimé, le grade de général de dix mille
chevaux eft le plus haut grade ; ce général peut
faire porter devant lui de petites banderoles, fans
nombre, & faire planter devant fa tente un
grand pavillon quarré, fymbole de fa jurifdic-
tion ; lorfque la grande armée d'une foubabie eft:
raffemblée, on arbore un grand pavillon à trois
pointes à la tête du camp.
Les projets de Canero, qui vouloit attenter
à la vie d'Ayder-Aly, furent découverts: le peuple
s'attroupa & murmura hautement contre Ca^
nero 5 on détermina le roi à livrer le favori à l’af-
ftiée, & à déclarer Ayder régent du royaume,,
au lieu de Nand-Raja, qui s'attendoit à l’être,
& qui croyoit qu'Ayder fe contenteroit de la
qualité de général en chef.
En acceptant la régence, Ayder fit à Nand-
Raja toutes les foumiflions qu'il crut propres à
J'appaifer. Il lui donna un appanage confidérable 5
i l lui fit promette, fur la foi de fon ferment, que
jamais il n'attenteroit, ni à fa vie , ni à fa liberté ,
ni à fes biens, & qu'il le regarderoit toujours
comme fon père.
Ayder fit enfuite affembler les do&eurs bra-
mines, ils jugèrent Canero , & ils le condamnèrent
à ïa mort,pour avoir appellé dans le royaume
les ennemis de l'éta t, & fait la guerre $ux plus
fidèles ferviteurs du roi. Ayder, en qualité de régent
, fubftitua à la peine de mort celle d’être enfermé
dans une cage de fer qu'on fufpendit au
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milieu de la place publique de Benguelouf, où
on la voit encore, avec les ottemens de ce malheureux
favori, qui a vécu environ deux ans ex-
pofé aux infultes d'une populace idolâtre d'Ayder
Au moment où Ayder commença l'exercice
de fa régence, il fe fit rendre un compte exaét
de l'état du tréfor, des joyaux de la couronne,
& des revenus du royaume. Il trouva que la plupart
des joyaux, étoient en gage chez le banquier (1 )
de la cour, qui avoit prêté de l'argent, lorfque
Salabetzing , louba du De can, accompagné de
M. de Buffi, étoient venus aux portes de Syring-
patnam, & avoient forcé le roi de Maiffour, à
lui payer des contributions. *
A yd e r , inftruit que ce banquier avoit fait fortune
au fervice du r o i, fut indigné qu'il eût exigé
des gages pour prêter à l'état. Il ordonna de retirer
les joyaux ; mais en même temps il ordonna
au banquier de rendre fes comptes : il fut jugé
coupable d'avoir volé & rançonné l’état, & on
le condamna à une prifon perpétuelle : on con-
fifqua fes biens. Le luxe de ce banquier pafToic
toute mefure 5 on dit que fes enfans étoient fur
des berceaux d'or fufpendus au plafond, par des
chaînes de même métal. Ayder fit exécuter l'ar*
rêt, mais il accorda une penfion alimentaire au
banquier, & il prit foin de fes fils.
Après avoir mis de l’ordre dans les finances, A y der
obligea les Palleagars qui s’étoient emparés de
quelques fortereffes,à les évacuer : il fut obligé d'employer
la force contre quelques-uns. Il contraignit'
de même plufieurs rajas, vaffaux & tributaires du
royaume de MailTour, à payer exactement les
tributs , & à reconnoître leur dépendance. I l
contraignit auffi plufieurs princes voinns, tels que
l le roi de Canara, les marattes & les nababs pa-
tanes de Canour, de Carpet & Sanour , à ref-
tituerles terres qu'ils avoient ufurpé fur le royaume
de Maiffour } mais il n'en vint à bout qu'en leur
déclarant la guerre, en les combattant, & en remportant
fur eux des victoires. Les patanes étant
redoutables à tous les Indiens par leur valeur &
leur perfidie, la bataille fignalée qu'Ayder gagna
fur les trois nababs, près de Sanour, & qu'il
Çi) Il y a dans toutes les grandes villes de l’Indoftan, 8c principalement dans les cours, de riches banquiers
, nommés faneurs ; ils font tous guzerates ou originaires de ce pays- Ils prêtent & empruntent j fls
fournirent ou prennent des lettres-de-change fur tous les pays, même fur les lieux où ils n’ont pas de
correfpondàns ; & pour faire les fonds des lettres qu’ils fournifiènt fur les pays où ils n’ont point de cor-
refpondans , ils emploient des porteurs d’argent, auxquels on donne tant par lieue. Il faut que la fidélité
des commiffionnaires foit bien reconnue. On dit en effet qu’un d’eux ayant emporté une fomme confidérable
à un banquier de Madrafs, les gens de fon état s’affemblèrent, rembourférent au banquier, fans y être
obligés , la fomme qui lui avoit été volée, & que deux d’entr’eux allèrent à Goa où s’étoit réfugié le voleur
; qu’ils lui coupèrent la tête, la portèrent à Madrafs , & la montrèrent de maifon en mâifon à tous
les banquiers & négocians. Lès lettres-de-change font beaucoup plus anciennes dans l’Inde qu’en Europe :
mais on ne tire point à ordre ; ce qui forme une difficulté , en cas de mort ou d’abfence : pour remédier à
cet inconvénient , la lettre défigne plufieurs perfonnes qui ont le droit d’en demander le paiement. Elle
dit ; payez à Jean ; en fon abfence à Pierre ; en ion abfence à Jacques, &c.
Outre le commerce d’argent, ces banquiers ou fancars font le commerce de pierreries, de perles, de
corail & de matières d’or & d’argent. Il y en a de très-riches , 8c ils forment des compagnies d’afluranee
qui ont un grand crédit à Surate, à Madrafs & à Calcuta,
dût à la bonne manoeuvre d'un corps de cavalerie
françoife, donna beaucoup d’éclat à fa réputation.
Cette vi&oire de Sanour détermina Bazaletzing,
roi d'Adonis, & frère de Nizam-Ali-Khan, fouba
du Decan, à lui envoyer une ambaffade.
Ces princes étoient en guerre^avec les marattes
qui avoient perdu depuis peu fur les bords du
Krifna une bataille contre les armées réunies du
grand v ifir, de l’Empire & d'Abdalla, roi des
patanes, & où 60 mille marattes étoient reftés
fur la place. f . | î g | c . '
Bazaletzing avoit entrepris le liege de b ar ra,
forte place fituée entre fes états & le royaume
de Maiffour, il crut qu’en profitant de la défaite
des marattes, il s'empareroit aifément de Scirra ,
qui lui donneroit le titre de Souba, & l'égale-
roit à fon frère. Mais fon armée trop foible
éprouva une réfiftance qui l'eût réduit à lever hon-
teufement le liège, fi on ne lui avoit confeillé l'alliance
d'A yd er, qui fut bien aife de fe voir recherché
par un prince de ce rang. Il y eut un traite
par lequel Ayder confentoit à fe rendre devant
Scirra avec fon armée, & une nombreufe artillerie :
il fut ftipulé que Bazaletzing & lui feroient conjointement
le liège jufqu'à ce que la place fût
prife ; qu'auffitôt qu'elle fe ^endroit, les deux
armées en prendroient poffeflion, chacune du cote
de fon attaque s que l'artillerie, les^ armes , les
munitions, & en général tout ce qu’on pourroit
'emporter, appartiendront à Bazaletzing , & que
ce dernier relteroit maître de la place. • v
Ayder arriva devant Scirra avec une belle armee
& une nombreufe artillerie fervie par des Européens
: il l’attaqua fur un autre plan que Bazaletzing
; & ayant employéJa mine, il fit fauter
deux battions & la courtine ; les alfiégés fe rendirent
à diferétion, & Ayder augmenta la terreur
qu'infpiroient fes armes.
fon fupérieur, car le royaume de Maiffour relève
En exécution de ce traité fait entre les deux
princes, Bazaletzing, que depuis cette époque
Ayder ne nomma plus que le marchand’., aima mieux
recevoir en argent ce qui lui revenoit de la prife
de Scirra ; il promit de folliciter auprès de les
frères le grand-vifir & le fouba du Decan, pour
qu'Ayder fût reconnu en qualité de fouba de Scirra.
Le grand-vifir ( 1 ) ne tarda pas à lui envoyer une
ambaffade, & le pervana , qui le dédaroit fou-
bah de Scira, avec tous les honneurs attachés à ce
titre ; ainfi, Ayder fut élevé au rang des plus grands
princes de l'Inde ( 1 ) : il étoit fujet du roi de
Maiffour, en qualité de régent; mais il devint
de l’Empire mogol, ayant été compris dans
la foubabie de Scirra. En recevant le titre &c
les honneurs de fouba de Scirra, Ayder s’engagea
à faire la guerre aux marattes. .
Il leur fit en effet la guerre 5 il s'empara
de Marckscira & Maggheri , place forte dans
le diftriét de Scirra, de même que. du royaume
de Bifnagar ou Baffapatnam; mais les marattes
ayant raffemblés leurs forces contre lui , il reçut
un coup de fabre à la tête , dans une bataille,
dont le fuccès fut indécis. Peu de jours après ,
il conclut une trêve pour trois ans, & il garda
fes conquêtes, en payant une fomme d'argent au
général de cette nation.
Cette guerre fut à peine terminée, que la fortune
procura à Ayder une nouvelle occafion d'étendre
fa gloire & fa puiffance. Le fils de la reine
de Canara s'évada de Rana-Biddeluru, capitale
de ce royaume, & vint trouver Ayder à Bifnagar
; il implora fon fecours , il redemandoit à
fa mère le royaume de fes ancêtres, dont elle
avoit eu la régence à.la mort de fon mari, père
du jeune prince , & qu'elle retenoit, quoique fon
fils eût l'âge preferit par la loi pour gouverner
lui-même.
Comme le royaume de Canara dépendoit de
la foubabie de Scirra, le prince ne pouvoir s'adref-
fer qu'à Ayder j auffi celui-ci l'accueillit il favora*.
. blement, & il ordonna à la mère de venir ré-
i pondre aux accufations de fon fils.
Cette femme, qui avoit un courage au-deffus
de fon fexe_, & que l'anarchie de l'Empire mogol
avoit habituée à méconnoître les ordres de l'empereur
& de fes officiers, répondit à l'ambaffadeur
d'Ayder , qu'elle étoit reine, & qu'elle ne con-
noiffoit aucun fupérieur. Ayder s'attendoit à cette
réponfe : il déclara la guerre à la reine ; la
nature du pays où il fâlloit en porter le théâtre,
rendoit les hoftillités très-difficiles.
Rana-Biddeluru, capitale du royaume de Canara
, eft une des plus grandes & des plus belles
villes de l'Inde j on n'y compte pas moins de
150 mille âmes, parmi lefquelles il y â environ
30 mille chrétiens, qui jouiffent de grands privilèges.
Cette population confidérable eft cependant
peu proportionnée à l'étendue de la ville ,
dont le circuit eft de plus de fix lieues. ^
Elle eft fituée auprès d'une petite montagne, au
fommet de laquelle fe trouve une fortereffe cobfi-
dérable, dont Ayder augmentâmes fortifications.
La montagne eft- dans une plaine d’environ cinq
m L’empire mogol étoit alors dans l’anarchie; l’empereur netoit quun vain nom. Allumfcha , un des
minces du fan g mogol, étoit retiré à Ilha-Hadabad, ou il prenoit le titre de grand-mogol; mais Soüja-
feaulla, grand-vifir , reconnoifloit un autre prince qui étoit très-jeune-. Ses oncles Nizam-Daulla , fouba; du
Décan , Bazaletzing , roi d’Adonis, & Ayder par complaifance pour Souja-Daulla , reconnoilloient le meme
prince, mais de nom feulement. v , .. - , . . ,r
U) Les foubas font aujourd’hui les plus grands fouverams de llnde; il$ fe regardent comme les reprefen-
tans de l’empereur ; ils font au-deffus des rois tributaires de l’empire.
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