
des marchandifes pour fa femme Théodora, le fit
brûler. «Je fuis empereur, lui dit-il, & vous me
faites patron de galère. En quoi les pauvres
*> gens pourront ils gagner leur v ie , fi nous fai-
.** |bns encore leur métier». Il auroit pu ajouter:
qui pourra nous réprimer, fi nous faifons des monopoles
? Qui nous obligera de remplir nos en-
gagemens ? C e commerce que nous faifons, les
courtifans voudront le faire j ils feront plus avides
8e plus injufles que nous. Le peuple a de la
confiance en notre jullice ; il n'en a point en notre
opulence : tant d'impôts qui font famifère,
iont des preuves certaines de la nôtre.
Lorfque les portugais & les caftillans domi-
noient dans les Indes orientales, le commerce
avoit des branches fi riches, que leurs princes ne
manquèrent pas de s'en failli*. Cela ruina leurs
étabhffemens- dans ces parties-là.
Le vice-roi de Goa accordoit à des particuliers
des privilèges exclufifs. On n’a point de confiance
en de- pareils gens 5 le commercé ell difeontinué
par le changement perpétuel de ceux à qui on le
confie ; perfonne ne ménage ce commerce 8c ne
fe foucie de le biffer perdu à fon fucceffeur j le
profit relie dans des mains particulières, 8c ne
s eteud pas affez. Nous avons parlé à l'article M a -
DRASS, >des abus inféparables de l'adminillracion
angloife , qui exerce dans l'Inde un empire 8c un
commerce exclufif.
Fàut-il des elpions dans la monarchie ? C e n'eft
pas la pratique ordinaire des bons princes. Quand
un homme ell fidele aux loix, il a fatisfait à ce
qu il doit au prince. Il faut au moins qu'il ait fa
maifon pour afyle , & le relie de fa conduite en
lurete. L ef^>ionnage feroit peut - être tolérable ,
pouvoir être exercé par d'honnêtesgerrs > mais
1 infamie neceffaire de la perfonne peut faire juger
de 1 infamie de la chofe. Un prince doit agir
envers fes fujets avec candeur, avec franchife ,
avec confiance. Gelui^quia tant d'inquiétudes ,
de foupçons 8c de craintes, eft un aéleur qui ell
émbarraffé à jouer fon rôle. Quand il voit qu'en
general les loix font dans leur force , & quelles
font refpeélées, il peut fe juger en fureté. L'ai-
Jure generale lui répond de celle de tous les particuliers.
Qu'il n'ait aucune crainte, il ne fauroit
Croire combien on ell porté à l'aimer. Eh! comment
ne l’aimeroit - on pas ? II ell la fource de
prefque tout le bien qui fe fait, & prefque toutes
les punitions font fur le compte des loix. Il
rie fe montre jamais au peuple qu'avec un vifage
fer'ein : fa gloire même fç communique à nous,
& fa puiffance nous foutient. Une preuve qu'on
I aime , c eft que l'on a de la confiance en lui 5 &
que lorfqu un miniftre refufe, on s'imagiue toujours
que tè prince auroit accordé. Même dans
les calamités publiques , on n’accufe point fa perfonne
on fe plaint de ce qu'il ignore, ou de
ce qu’il ell obfédé par des gens corrompus : f i
le prince /avoit ! dit le peuple. Ces paroles font
une efpèce d'invocation, 8c une preuve de 'la
confiance qu’on a eh lui.
S e c t i o n I I e.
Remarques générales fur la monarchie » fur les avan-
tages £> les inconvéniehs de cette fonne déad-
minïftration , & fur la corruption de fes principes.
Voici comment fe forma le premier plan des
monarchies que nous connojffons. Les nations germaniques
qui conquirentl'Empire romain, étoient,
comme l'on fait, très-libres. On.n'a qu'à voir là-
deffus "1 acite fut les Moeurs des germains. Les
conquérans fe répandirent dans les pays ; ' ils habitaient
les campagnes, & peu les villes. Quand
ils étoient en Germanie, toute la nation p'ouvoît
s’affembler. Lorsqu'ils furent difperfés dans la
conquête, ils ne je purent plus. Il falloit pourtant
: l*i nation délibérât fur les affaires, comme
elle avoit^ fait avant la „conquête; elle le fit par
des repréfentaqs. Voilà l’origine du gouvernement
gothique parmi nous. Il fut d’abord mêlé de
I arillocratie & de la monarchie. II avoit cet in—
^^nvenient » que le bas peuple y étoit elclave :
c'étoit un bon gouvernement, qui avoit en foi la
capacité de devenir meilleur. La coutume vint
d’accorder des lettres d’affranchiffement ; & bientôt
la liberté civile du peuple, les prérogatives
de la nobleffe 8c du clergé , la puiffance des
rois, dit Montefqiiieu, fe trouvèrent dans un tel
concert, que je ne crois pas qu’il y ait eu fur
la terre de gouvernement fi bien tempéré que le
fut celui de chaque partie de l’Europe dans le
tsmps qu’il y iubfifta ; 8c il ell admirable que
la corr uption du gouvernement d ’un peuple conquérant
ait forme la meilleure efpèce de gouvernement
que les hommes aient pu imaginer. Cette
remarque ell exagérée, & le leéleur verra de lui-
meme qu’ elle manque d’exaélitude.
L embarras d Arillote paroit vifiblemcnt, quand
il parle de la monarchie ( 1 ) . Il en établit cinq
efpeces : il ne les dillingue pas par la forme de
la conllitution ; mais par des chofes d’accident,
comme les vertus ou les vices du prince ; ou par
des chofes étrangères,, comme I’ufurpation de la
tyrannie, ou la fuccellion à la tyrannie.
Arillote met au rang des monarchies, & Tem*
pire des perfes, & le royaume de Lacédémone.
Mais qui ne voit que l'un étoit un état defpotï-
q ue, 8c l’autre une république ?
Les anciens qui ne connoiffoient pas la dif-
tribution des trois pouvoirs dans le gouvernement
d’un
i f ) Politique, liv. III, chap, 14.
M O N
d ’un feu l, ne pou voient fe faire une idée jufte
de-la monarchie.
Nous avons indiqué , dans le cours de cet ouvrage
, à quelles meprifes a conduit la vieille
divifion des gouvernemens en trois formes , 8c
pous n’ ajouterons rien de plus.
De la promptitude de l'exécution dans la monarchie.
.. Le gouvernement monarchique a un grand avantage
fur les républicains : les affaires étant menées
par un feul, il y a plus de promptitude
dans l ’exécution. Mais comme cette promptitude
pourroit dégénérer en rapidité , les loix y
mettront une certaine lenteur. Elles ne doivent pas
feulement favorifer la nature de chaque conftitü-
tion, mais encore remédier aux abus qui ppur-
roient réfulter de cette même nature.
Le cardinal de Richelieu (1 ) veut que l’on
évite , dans les monarchies , les épines des compagnies
qui forment des difficultés fur tout. Quand
cet homme n'auroit pas eu le defpotifme dans le
coe u r , il l’auroit eu dans la tête.
Les corps qui ont le dépôt des lo ix , n’obéif-
fent jamais mieux que quand ils vont à pas tardifs
, & qu’ ils apportent dans les affaires du prince
cette réflexion qu’on ne peut guère attendre des
Iumières: qu’ a ordinairement la cour fur les loix de
l ’é ta t, ni de la précipitation de fes confeils (2).
Que feroit devenue la plus be’le monarchie du
monde, files magillrats, par leurs lenteurs, par ’
leurs plaintes par leurs prières, n'avoient arrêté
le cours des vertus mêmes de fes rois , lorf*
que çes monarques, ne confultant que leur grande
ame, auroient voulu récompenfer fans mefure des
fervices rendus avec un courage & une fidélité
aulfi fans mefiire?
Qu’on n'aille point chercher de la magnanimité
dans les états defpotiques ; le prince n'y donne-
roit point une grandeur qu'il n'a pas lui-même :
chez lui il n’y a pas de gloire.
C ’ell dans Us mouarchies que l'on verra autour
du prince les fujets recevoir fes rayons : c ’ell-là
que chacun tenant , pour ainfi dire , un plus
grand efpace .peut exercer ces vertus qui donnent
à l’ame , non pas de l'indépendance, mais de la
grandeur-
Des loix dans leur rapport avec la nature du ■
gouvernement monarchique.
Les pouvoirs intermédiaires , fubordonnés &
clépendans conllituent la nature du gouvernement
•monarchique, c'eil-à dire,-de celui où un feul
gouverne par des loix fondamentales. J'ai dit les
pouvoirs- intermédiaires , fub or donnés &: dépen-
M O N 3 6 1
dans : en effet, dans la monarchie , le prince ell
la fource de tout pouvoir politique & civil. Ces
loix fondamentales fuppofent néceffairemeot des
canaux moyens par où coule la puiffance : c a r ,
s'il n'y a dans l ’état que la volonté momentanée
& capricieufe d'un feul, rien ne peut être fix e,
8c par conféquent aucune loi fondamentale.
Le pouvoir intermédiaire fnbordonné le plus
commun ell celui de la nobleffe. Elle paroît être
de l’effence de la monarchie , dont la maxime fondamentale
ell , point de monarque , point de noble
fie ; point de npblefie, point de monarque ; mais
on a un defpote-
M . de Montefquieu , en traitant ces fortes dé
quellions, a prefque toujours mêlé dès erreurs à
de grandes vérités. Il dit ici : « il y a des gens
» qui avoient imaginé , dans quelques états en
>* Europe, d'abolir toutes les jullices des fei-
» gneurs- Ils ne voyoient pas qu’ils vouloient faire
» ce que le parlement d'Angleterre a fait. Abo-
» liffez dans une monarchie les prérogatives des
» feigneurs, du clergé, de la nobleffe &' des
» villes, vous aurez bientôt un état populaire ,
» ou bien un état defpotique. Les tribunaux d'un
» grand état en Europe frappent fans ceffe, de-
» puis plufieurs fiècles, fur la/urifdiction patri-
» moniale des feigneurs 8c -fur l'eccléfiallique.
» Nous ne voulons pas cenfurer des magillrats fi
» fages : maïs nous laiffons à décider jufqu'à quel
» point la conllitution en peut être changée ». On
pourroit abolir les jullices des feigneurs; on pourroit
ôter à la nobleffe & au clergé des privilèges onéreux
au peuple, & lui laiffer des dillinélions honori*
fiques , fans que l'état devînt populaire ou defpotique.
C e paragraphe élude deux grandes quef-
tions : les jullices des feigneurs peuvent-ell.es erré
éclairées? font-elles utiles? & dans la détreffe
j oil fe trouve la nation , faut-il toujours accabler
le peuple déjà trop foulé , pour maintenir aux
nobles & aux prêtres des exemptions trop oné-
reufes au relie des citoyens ? On voit que ce génie
admirable avoit encore des préjugés, &
qu'il écrivit dans un temps où l’on ne connoif-
foit pas bien les vrais principes de l'économie
politique.
« Montefquieu dit avec la même inéxaél;tude, :
je ne fuis point entêté des privilèges ecclélîalli-
ques; mais je voudrois qu’ on fixât bien une fois
leur jurifdiôtion. Il n’eft point queftion de favoir
fi on a ey raifon de l’établir : mais, fi elle eft établie
*, fi elle fait une partie des loix du pays ,
8c 11 elle y eft par-tout relative ; fi entre deux
pouvoirs que l’on reconnoît indépendans, les conditions
ne doivent pas être réciproques ; 8c s’ il
n’eft pas. égal à un lion i’njet de défendre la ju£-
(1) Teftament politique.
(i; Barbaris cunüa.110 fervilïs, Jïatim axequi rzg'um rideusr. Tacite, annal, liv. Y.
(Eicon, polit, & diplomatique. Tan. HJ., Z z