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e'Iirriat empêchent, à la vé r ité , que les grains ,
les huiles, les vins, que les fruits, de l'Europe
ji y pqiffenc profpérer : mais le r iz , le. manioc ,
le mais, le cacao, le fucre, toutes les productions
particulières à L'Amérique y font fort communes.
On rfy cultive cependant pour l'expor-
tayou que le coton, & encore a-t-il la laine fi
longue, eft - il fi difficile à travailler, qu'il n'eft
acheté qu'au plus vil prix dans nos marchés ,
quil eft rebuté par la plupart des manufac-
turcs.
Baftidas furie premîir européen qui, en i 502 ,
le montra fur ces plages inconnues. La C o fà ,
-Guerra , Ojeda , Vefpuce, Oviedo y abordèrent
, aPtès lui j mais les peuples que ces brigands fe
propofoienr d'affervir , leur oppofèrent une telle
refiltaneè , qu'il leur fallut renoncer à tout projet
d etabliffement. Pedro de Heridia parut enfin ,
en i y 27 , avec des forces fuffifantes pour donner
la loi II bâtit & peupla Carthagène.
Des corfaires français pillèrent la nouvelle ville
en 1 544. Elle fut brûlée quarante & un ans après
par le célèbre Drake. Pointis, un des amiraux
de Louis X IV , la prit en 165)7, mais en déshonorant
, par une cruelle rapacité, des armes que
fon maître vouloir illuftrer. Les anglois fe virent
réduits, en 1741 , à la'honte d'en lever le fié-
g e , quoiqu'ils l'euffent formé avec vingt-cinq
vaiffeaux de ligne , fix brûlots, deux galiotes à
bombes, & affez de troupes de débarquement
pour conquérir une grande partie de l’Amérique.
L a méfintelligence de Vernon & de Wenthwort, ‘
les cabales qui divifoient le camp & la flotte ,
lin défaut d'expérience dans la plupart des chefs
& de • foumiflion dans les fubalternes, toutes ces
caufes fe réunirent pour priver la nation de la
gloire & des avantages qu'elle s'étoit promis d’un
des plus brillans armemens qui fuffent jamais
fortis des rades britanniques,
Après tant de révolutions , Carthagène fubfifte
avec éclat dans une prefqu'ifle de fable qui ne
tient au continent que par deux langues de terre
dont la plus large n'a pas plus de trente - cinq
toifes. Ses fortifications font régulières. La nature
a placé à peu de diftanceune colline de hauteur
médiocre , fur laquelle on a conftruit la ci*
tadelle deSaint-Lazare.Une garnifon plus ou moins
noipbreufe , félon les'circonftances, défend tant
d'ouvrages. La ville eft une des mieux bâties,
des mieux percées , des mieux difpofées du Nouveau
Monde elle peut Contenir vingt-cinq mille '
âmes. Les efpagnols forment la fixièrae partie de
cette population -Les indiens , les nègres, les
races formées de mélanges variés à l’infini, com-
pofent le refte.
Cette bigarrure eft plus commune à Carthagène
que dans la plupart des autres-colonies. On
y voit arriver continuellement une foule de vagabonds
, fans biens, fans emploi,, fans recommandation.
Dans, un pays ou n'étant connus de
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perfonne, aucun citoyen n'ofe prendre confiance
en leurs fervices ; leur deftinée eft de vivre mir
ferablement d’aumônes conventuelles, & de coucher
au coin d'une place, ou fous le portique de
quelqu'églile. Si le chagrin d'un fi trifte état leur
caufe une maladie grave, ils font communément
fecourus par des négreffes libres , dont ils recon-
noiffent les foins & les bienfaits en les époufant.
Ceux qui n'ont pas le bonheur d'être dans une
fituation affez défefpérée pour intéreffer la pitié
des femmes, font réduits à fe réfugier dans les
campagnes, & à s'y livrer à des travaux fati-
gans, qu'un certain orgueil national & d’anciennes
habitudes leur rendent également infuppo:-
tables. L ’indolence eft pouffée fi loin dans cette
région , que les hommes & les femmes riches ne
quittent leurs hamacs que rarement & pour peu
de tems.
Le climat doit être un des grands principes de
cette inaction. Les chaleurs font exceflives & pref-
que continuelles à Carthagène. Les torrens d'eau
qui tombent fans interruption depuis le mois de
mai jufqu'à celui de novembre , ont cette fingu-
larité qu'ils ne rafraîchiffent jamais l'a ir , quel*
quefois un peu tempéré par les vents -du nordi-
!eft , dans la faifon feche. La nuit n'eft pas moins
étouffée que le jour. Une tranfpiration habituelle
donne aux habitans la couleur pâle & lividedes
malades. Lors même qu'ils fe'portent bien, leurs
mouvemens fe reffentent de la molleffe de l’ air
qui relâche fenfiblement leurs fibres. On s’en
apperçoit jufques dans leurs paroles toujours traînantes
& prononcées à voix baffe. Ceux qui arrivent
d’Europe , confervent leur fan té & leur
embonpoint trois ou quatre mois : mais ils perdent
enfuite l’ un & l’ autre.
C e dépériffement eft l’avant-coureur d’un mat
plus fâcheux encore, mais dont la nature eft-peu
connue. On conjecture qu’ il vient à quelques per-
fonnespour n’avoir bas digéré ; à d’autres, parce
qu’elles fe font refroidies. Il fe déc lare par des
vomiffemens accompagnés d’un déliré fi violent,
qu'il faut lier le malade pour l'empêcher de fe
déchirer. Souvent il expire au milieu de ces tranfi,
ports, qui durent rarement plus dé trois ou quatre
jours.
Malgré les vices multipliés d’un climat incommode
& dangereux, malgré beaucoup d'autres
inconvéniens, PEfpaghe a toujours montré -une
grande prédilection pour Carthagène, à caufe de
fon p o r t, un des meilleurs que l'on connoiffe.
Il a deux lieues d’étendue, un fond excellent &
profond. On n’y éprouve pas plus d'agitation que
fur la rivière la plus tranquille. Deux canaux y
conduifent. Celui qu'on nomme Boca-Grande >
large de fept à huit cents toifés , avoit autrefois
fi peu de profondeur , que le plus léger canot y
paffoit difficilement. L'Océan T | fucceffivement
creufé au point qu'on y trouve jufqu'à douze
pieds d'eau en quelques endroits.,. Si la révolution
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des temps amenoit de plus grands changemens ,
la place feroit expo fée. Auifi la cour de Madrid
s'occupe-t-elle férieufement des moyens de prévenir
un fi grand malheur.
Du temps que ces contrées étoient approvisionnées
par la voie fi connue des galions, les
vaiffeaux partis d'Efpagne tous enfemble , p affolent
à Carthagène avant d'aller à Porto-Bello,
& y repaffoient avant de reprendre la route de
l'Europe. Au premier voyage, ils y dépofoient les
marchandifes neceffaires pour l'approvifionnement
des provinces de l'intérieur, & ils en recevoient
le prix au fécond. Lorfque les navires ifolés furent
fubftitués à ces armemens, la ville eut la
même deftination. C e fut toujours le porc de
communication de l'ancien hémifphère avec une
grande partie du nouveau-Depuis 1748 jufqu'en
^7f 3 » cet entrepôt ne vit arriver d'Efpagne que
27 navires q u i, en échange des marchandifes
qu'ils avoient portées , reçurent chaque année en
or 9j357,806 livres, en argent4,729,458 livres ,
en productions 8y i,76jr liv. 5 en tout 14,939,069
livres.
Dans ces retours ou il n'y eut rien pour le
gouvernement, & où tout fut pour le commerce,
le territoire de Carthagène n'entra que pour
93,241 livres.
Nous avons parlé de la province de Sainte-
Marthe à l’article M a r t h e ( Sainte ) : voye[
cet article.
N o u s parlerons de la province de Venezuela
à l'article V e n e z u e l a .
Nous avons parlé de la province de Cumana
â l’article C u m a n a 5 de- la province d'Oreno
que à l'article O r e n o q u e , & du nouveau
royaume de Grenade à l'article G r e n a d e
{ Nouvelle).
Remarques fur le climat, la population, les productions
, le Commerce & le Gouvernement adtuel du
. Pérou«
Le climat offre des Singularités très-remarqua-
b! es dans le haut Pérou. On y éprouve le même
jour, quelquefois à la même heure, & toujours
dans un efpaee très - borné, la température des
zones les plus oppofées. Ceux qui s'y rendent
des vallées, font percés en arrivant, d'u-n froid
rigoureux, dont ni le feu, ni l’aCtion , ni les vête-
temens ne peuvent les garantir; mais dont l'im-
preffion ceffe d’être défagréable,. après un féjou-r
d'un mois ou de trois femaines. Les fymptômes
du mal de mer tourmentent les voyageurs qui y
paroiffent pour la première fois , avec plus ou
moins de violence, félon qu'ils en a-tiroient eu à
fouffrir fur l'océan. Cependant, quelle qu'en foit
la- rai fon , l'on .n'eft pas expo-fé à- cet accident partout
; & aucun des aftronomes qui mefurèrent la
figure de la terre fur les montagnes de Quito n’en
fut attaqué.
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Dans les Vallées, on eft autant ou plus étonné-
Quoique très - près de l’équateur, ce pays jouit
d’une délicieufe température. Les quatre fai fon s
de Tannée y font fenfibles, fans qu'aucune puiffe
paffer pourfncommode. Celle de l'hiver eft la plus
: marquée. ' . _ _
Quelle que foit la raifon d’un hiver fi confiant
fous la zone torride, il eft certain qu'il ne pleut
, jamais ou qu'il ne pleut que tous les deux ou trois
( ans dans, le Pérou. , , '.
Il faudroit pourtant des pluies, & des pluies
journalières, pour communiquer quelque fertilité
aux côtés qui s'étendent depuis Tombés jufqu'à
Lima, c'eft-à-dire , dans un efpaee de deux cents
foixante-quatre lieues. Les fables en font^ fi généralement
arides , qu'on n'y voit pas même une
herbe , excepté dans les parties qu'il eft poffible
d'arrofer ; & cette facilite n'eft pas ordinaire. Il
n'y a pas une feule fource dans le Pérou ,* les
rivières n'y font.pas communes; & celles qu'on
y voit n'ont la plupart de l’eau que fix ou fept
mois de l'année. C e font des torrens qui forcent
des la c s , plus ou moins grands, formés dans les
cordelières , qui ne parcourent qu'un court efpaee
& qui tariffent durant Tété. Du temps des Incas,
ces précieufes eaux étoient recueillies avec foin,
& par le fecours de_divers canaux, répandues fur
une affez grande fuperficie qu'elles fertjiifoient.
.Les efpagnols ont profité de ces travaux. Leurs
bourgades Sc leurs villes ont remplacé les cabanes
des indiens q u i, peut-être par cette raifon, font
en moindre nombre dans le bas Pérou que fur les
montagnes.
Malgré les défordres de fon organifation phy-
fique , la région qui nous occupe avoit vu fe former
dans fon fein un empire fforiffant. On ne fau-
roit guère révoquer en doute fa population-, quand
on voit que ce peuple heureux avoit couvert de
fes colo'nies toutes, les provinces qu’il avoit con-
quifes 5 quand on fait attention au nombre étonnant
d’hom-ues employés au gouvernement, &
tirant d'e l'état leur fubfiftance. Tant de leviers
& de bras occupés à. mouvoir la machine politique
, ne fuppofent-ils pas une population confi-
dérable , pour nourrir des productions de la terre
une claffe nombreufe de fes habitans qui ne U
cultivoient pas ?
Par quelle fatalité le Pérou fe trouve-t-il donc
aujourd’hui fi défert ? En remontant à l'origine
des chofes , on trouve que les conquérans des
côtes de la mer du Sud, brigands fans naiffance,
fans éducation & fans principes, commirent d'abord
plus d'atrocités que ceux du Mexique. La métropole
tarda- plus long-temps à donner un frein
à leur férocité, nourrie continuellement par les
guerres civiles , longues &: cruelles, qui fuivirent
la conquête. Il s'établit depuis un fyftême d'op-
preftion plus péfant & plus fuivi que dans les autres
contrées du Nouveau-Monde moins éloignées
de l'Europe..
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