
eft. une taxe dirè&e fur le falaire du travail , &
en a tous les inconvéniens.
Cet impôt fe lève à peu de frais ; 8c quand on
l'exige à la rigueur, il rapporte un revenu fur à
Tétac. C ’ eft par cette raifon qu’il eft très - commun
dans les pays où l’on fait peu d’attention
au bien-être, au foulagement & à'ia fureté des
rangs inférieurs du peuple. C e n’eft pourtant en
général qu’une petite partie du revenu public
dans un grand Empire> & on pourroit toujours
tirer ce qu’il fournit par quelque autre voie beaucoup
moins onéreufe au peuple.
Taxes fur les confommations.
L ’ impofïibilité de taxer les fujets par aucune
capitation en proportion de leur revenu , paroit
avoir donné lieu à l’ invention des impôts fur les
confommations. L’état qui ne fait comment taxer
directement & proportionnellement le revenu de
fes fujets, tâche de le taxer en taxant leur dé-
penfe , qui eft communément proportionnée à
leur revenu. O r , on la taxe en mettant des droits
fur les articles de confommation qui en font
l ’objet.
Les articles de confommation font ou de né-
ceflité , ou de luxe. ; • ' .i
J ’entends par chofes de néceflité ce qui eft
néceffaire pour vivre > mais pour vivre décemment
félon fon état , ou tout ce dont les honnêtes
gens des états même les plus bas , ne peuvent
fe paffer décemment félon la coutume des
pays. Une chemife de toile, par exemple, n’eft
pas , à parler ftriétement, une chofe néceffaire
à la vie. Quoique les grecs & les romains n’en
portaient pas , ils ne laiffoient pas de vivre, je
fuppofe, avec plus d’ aifance. Mais à préfent ,
dans la plus grande partie de l’Europe, un honnête
journalier feroit honteux de paroître en public
fans une chemife de toile , faute de laquelle
on ne. manqueroit pas de le regarder comme tombé
dans cette pauvreté ignominieufe que l’on préfume
êcre toujours l’ effet de la plus mauvaife conduite.
Des .fouliers font de même une chofe né-
ceff.iire en Angleterre , parce que la coutume les
a rendus tels : les plus pauvres de l’un & de l’autre
fexerqui ont,quelque fentiment, rougiroient
çle n’ en avoir pas quand ils fe montrent en public.
En Ecoffe, la coutume veut auffi que tous
les hommes en portent, même ceux de la dernière
claffe j mais elle ne l’ exige pas des femmes de
cette même claffe. Elles peuvent aller nuds pieds,
fans qu’on ait plus mauvaife idée d’elles. En France,
ils ne font néceffaires ni aux hommes ni aux
femmes j ailleurs les gens du peuple des deux fexes
y vont en fabots ou nuds pieds, fans être mé-
feftimés. J’appelle chofes de luxe toutes les chofes'que
la nature, la coutume ou les règles de
décence établies n’ont pas rendues néceffaires aux
derniers rangs du peuple. J ’appelle, par exem-.
p ie , chofes de luxe la bierre 8c Faile dans la
Grande-Bretagne, & le vin dans les pays de vignobles.
De quelque rang que foit un homme »
il peut, fans reproche , s’abftenir de ces liqueurs.
La nature ne les rend pas néceffaires à la vie*
& on peut fans rougir s’en paffer. ;
Comme le falaire du travail eft toujours régla
en partie par la demande qu’on en fait , & en
partie par le prix moyen des articles necefiaires
de fubfiftance, tout ce qui fait hauffer ce prix
moyen, fait nécefiairement hauffer le falaire ; cac
il faut que l’ouvrier puiffe encore fe pourvoir de
ces articles. Un impôt fur ces articles necefiaires
fera monter infailliblement leur prix un peu plus
haut que la taxé, parce que le marchand qui.
avance le droit, vendra en général à un prix qui
lui faiïe rentrer fes avances avec un profit. Un
pareil impôt fait donc monter le falaire du travail
en proportion de ce prix. .. . N
Ainfi un impôt fur les chofes néceffaires a la
vie produit les effets à'xxn impôt direct fur le falaire
du travail. Si un ouvrier peut le payer d a-
bord , il ne pourra l’avancer long-temps. Il faut
qu’ à la longue il lui foit avancé par celui qui 1 emploie
immédiatement, 8c qui lui paye fon fa*
laire. Si celui qui le fait travailler eft un manufacturier
, il reprendra. fur le prix de fes mar-
chandifes cette augmentation de falaire avec un
bénéfice, 8c le paiement de Yimpôt & la fur-
charge du profit retomberont fur le confomma-
teur. Si celui qui l’emploie eft un fermier, le
paiement & la Surcharge retomberont fur la rente
du propriétaire.
Il n’en eft pas de même des impôts fur ce que
j’ appelle chofes de luxe. L ’augmentation du prix
des marchandifes par Yimpôt, n,’occafionnera pas
nécefiairement une augmentation dans le falaire
du travail. Par exemple, un impôt fur le tabac ,
quoiqu’objet de luxe pour les pauvres comme
pour les riches, ne fera pas augmenter le falaire.
Quoiqu’il (oit, impofé en Angleterre à trois fois ,
8c en France à quinze fois fa valeur intrinfèque ,
il fembie que ces gros droits n’aient eu aucun
effet fur le falaire du travail. On peut dire la même
chofe des impôts fur le thé 8c le fucre, qui, en
Angleterre 8c en Hollande , font devenus le luxe
des derniers rangs du» peuple ; 8c de ceux fur le
chocolat, q u i, en Efpagne, eft également le luxe
de tous les gens du peuple. On peut le dire encore
des différons impôts qu’on a mis en Angles-
terre pendant ce fiècle furies liqueurs fpiritueur
fes. L ’augmentation dans le prix du porter ovl de
la bierre forte , occafionnée par la taxe additionnelle
de trois fehelings fur le^ baril de bierre
forte, n’a pas fait hauffer à Londres le falaire des
gens de peine. Leurs journées étoient à dix-huit
ou vingt pences, 8c elles y font encore.
Le haut prix de ces fortes de denrées ne dimb
nue pas nécefiairement la faculté qu’ont les rangs
inférieurs du peuple d’ élever leurs familles. C e s
fortes de taxes font fur le pauvre induftrieux 8c
rangé , l’effet des loix fomptuaires , 8c le difpo-
fent à ufer fort fobrement ou à fe priver des fu-
perfluités qu’il n’a plus le moyen de fe procurer.
L’impôt, au lieu de diminuer fes facultés pour
élever une famille, ne fera peut-être fouvent que
les augmenter par cette abftinence forcée. C e
font les pauvres, économes 8c induftrieux, qui en
général élèvent les familles les plus nombreufes,
& qui fourniffent le plus à la demande du travail
utile. Tous les pauvres, à la vérité, ne font pas
économes 8c induftrieux j 8c ceux qui font déréglés
& diffolus, peuvent continuer de fe fa-
tisfaire fur ces articles de fuperflu, après l’augmentation
de prix, fans fonger à la détreffe où
cette inconduite peut jetter leurs familles : mais
il eft rare que des gens du peuple de ce caractère
élèvent beaucoup d’enfans. Geux qu’ils ont,
jpériffent communément par la négligence de leurs
p è re s , 8c parce qu’ils font mal foignés 8c mal
nourris. Si la force de leur conftitution les fauve
des rigueurs 8c des dangers auxquels ils font
expofés par la mauvaife conduite de leurs pareils
, l’exemple de cette mauvaife conduite corrompt
leurs moeurs ; 8c bien loin d’être utiles à
la fociété par leur induftrie , ils lui deviennent
pernicieux ou à charge par leurs vices 8c leurs
maladies. Ainfi, quand le haut prix des fuper-
fluités du pauvre pourroit aggraver un peu la détreffe
de ces familles déréglées , 8c diminuer parla
leur faculté d’élever des enfans, il eft probable
que la population utile du pays n’en fouffrirbit
guères. '
Toute augmentation dans le prix-moyen des
chofes néceffaires, qui ne feroit pas compenfée
par une augmentation proportionnée dans le falaire
du travail, diminueroit plus ou moins chez
les pauvres gens la faculté d’élever des familles
nombreufes, 8c par conféquent de fournir à la
demande du travail utile, quel que foit la demande
du travail , c ’eft-à-dire, croiffante , Actionnaire
ou décroiffante.
- Les impôts fur les chofes de luxe ne tendent pas
à faire hauffer le prix d’aucune autre marchandife
que celles qui font impofées. Les impôts fur les
chofes néceffaires , en élevant le falaire du travail
, tendent à hauffer le prix de toutes les manufactures
, 8c par conféquent à -en diminuer la
vente 8c la confommation. Les impôts fur les chofes
de. luxe font payés finalement par les con-
l’avancent. Si les rangs moyens 8c fupérieurs du
peuple entendoient leurs intérêts, ils s’eppofe-
feroient à tout impôt fur les néceflités de la
vie , auÛi-bien qu’ à tout impôt dired fur le falaire
fommateurs des marchandifes impofées, fans qu’ il
leur en revienne rien. Us tombent indifféremment
fur toutes les efpèces de revenu , fur le falaire
du travail, les profits des capitaux 8c la rente
des terres. Les impôts fur les néceflités de la vie
tombant fur le pauvre, font payés finalement par
les propriétaires des terres dont ils diminuent les
rentes, 8c par les riches confommateurs, propriétaires
ou autres, 8c toujours avec une fur-
charge confidérable pour le bénéfice de ceux qui
du travail. Le paiement de ces deux efpèces
d’impôt retombe fur eux , 8c toujours avec une
füreharge confidérable. Il tombe plus pefamment
fur les propriétaires des terres , qui payent toujours
à double titre, 8c comme propriétaires, par
la diminution de leurs rentes $ 8c comme riches
confommateurs, par l’augmentation de leur dé*
penfe. L ’obfervation du chevalier De cke r , que
certains impôts font répétés & accumulés trois
ou quatre fois dans le prix de certaines marchandifes
, fe trouve parfaitement- jufte par rapport
aux impôts fur les chofes ne'ceffaires à la vie. Dans
le prix du cu ir , par exemple, il faut que vous
payiez le droit fur le cuir de vos propres fouliers,
8e une partie du droit fur celui des fouliers du
cordonnier*8c du tanneur. Il faut que vous payiez
auffi pour le droit fur le f e l , le favon 8c les chan- *
déliés que ces ouvriers confomment pendant qu'ils
travaillent pour vous, 8c pour le droit fur le cuir
que confomment ceux qui font le fe l, le favon
8c la chandelle, tandis qu’ils font employés à votre
fervicc.
Dans la Grande-Bretagne, les principaux impôts
fur les chofes néceffaires à la vie portent fur le
fel, le cu ir , le favon 8c la chandelle.
Le fel eft un objet d’ impôt bien ancien 8c bien
univerfel j il l’étoit chez -les romains , 8c il l’eft ,
je croîs , actuellement dans toute l’Europe. Chaque
individu en confomme fi peu, 8c la quantité
qu’ il en achète à la fois peut être fi petite, qu’on
eft parti de-là, ce fembie, pour imaginer qu’un
gros impôt fur cette denrée ne feroit pas fort fen-
fible. En Angleterre , il eft impofé à trois fehelings
le boiffeau , c ’eft-à-dire, environ le triple
de fon prix originaire. Dans quelques autres pays ,
la taxe eft encore plus forte. Le cuir eft d’une néceflité
réelle. Le favon l’eft auffi par rapport à
l’ ufage du linge. Dans les pays où les nuits d’hiver
font longues, les chandelles font néceffaires pour
travailler, 8c doivent être regardées comme des
, inftrumens de métier. Le cuir 8c le favon font
taxés dans la Grande-Bretagne à trois demi-pences
par livre, les chandelles 8c le favon à un penny >
taxes qui peuvent fe monter à huit ou dix pour
cent du prix originaire du cuir , à quatorze ou
quinze pour cent de celui des chandelles , 8c à
vingt ou vingt-cinq pour cent de celui du favon.
Quoique ces impôts ne foient pas fi forts que fur
le fe l, ils font encore fort lourds. Comme ces
quatre articles font d’une nécefïïté réelle, la pe-
fanteur de ces impôts doit augmenter un peu la
dépenfe des pauvres gens économes 8c induftrieux
, 8c par conféquent faire monter plus ou
moins le falaire du travail..
Dans un pays où les hivers font auffi froids que
dans la Grande Bretagne, le chauffage eft une
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