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àqùelîe ces peuples ne comprenoietlt rien , &
pour goûter les douceurs de la fociété , qu’ils ne
connoiflfoienc pas ».
« Les incas avoient encore un avantage fur les
jéfuites ; c’eft la nature de leur culte qui parloit
aux fens. Ih eft plus aifé de faire adorer le fo-
leil y qui (emble révéler lui-même fa divinité aux
mortels 3 que dfr leur perfuader nos dogmes &
nos myitères, niifli les millionnaires eurent-ils la
fageffe dé civilifer, jufqu’à un certain point, les
fauvages, avant de penfer à les convertir. Ils
n’elfayèrent d’en faire des chrétiens, qu'âpres en
avoir fait des hommes. A peine les eurent - ils
aflémblés, qu’ils les firent jouir de tous les biens
qu’on leur avoit promis. Ils leur firent embralfer
le chriftiahifme, quand à force de les rendre heureux
, ils les avoient rendu dociles ».
« La divifion des terres- en trois parts pour
les temples , pour le public & pour les particuliers
î le travail pour les orphelins , les vieillards
& les loldats > le prix accordé aux belles
adtions , l’infpection ou la cenfure des moeurs, j
le réflfort de la bienveillance ; ' les fêtes mêlées
aux travaux ; les exercices militaires j la fubor-
dination j les précautions contre l’oifiveté 5 le ref-
peéi pour la religion & les vertus i tout ce qu’on
admiroit dans la religion des incas, .fe retrouva
au Paraguay , ou y fut même perfectionné». —
« Les_ incas & les jéfuites avoient également
établi un ordre, qui prévenoit les crimes & dif.
penfoit des punitions. Rien n’éroit fi rare au Paraguay
que les délits. Les moeurs y étoient belles
& pures par des moyens encore plus doux qu’au
Pérou. Les loix avoient été févères dans cet empire
j elles ne le furent pas chez les guaranis. On
n’y craignoit pas les châtimens j an n’y craignoit
que fa confcience ».
« A l’exemple des in c a s l e s jéfuites avoient
établi île gouvernement théocratique, mais a v e c
un avantagé particulier, à la religion chrétienne :
c ’étoit la confeffion. Dans le Paraguay, elle cond
u is it le coupable aux pieds du magistrat. C ’eft
Jà que , loin de pallier Tes crimes , lé repentir
les lui faifoit aggraver. Au lieu d’éluder fa peine, il
venoit la demander à genoux,. Plus elle était févèr.e
& publique , plus elle rendoit le calme à fa confcience.
ÂinA le châtiment, qui par-tout ailleurs
effraie les coupables, faifoit ici leur confolation,!
en étouffant les remords par l’expiat-ion. Les peuples
du Paraguay n’avoient point de loix civiles ,
parce qu’ ils ne connoifïoient point de propriété j
ils n’ avoient point de loix criminelles ,^parce que
chacun s’accùfoit & fe puniffoit volontairement l
toutes leurs loix étoient des préceptes de religion.
Le meilleur de tous les gouv,erne.n>ens, s’il étqit
poffible qu’ il fe maintînt dans fa pureté, feroit peut-
être la théocratie 5 mais il faudroit que la religion
n’infpirât que les devoirs de la fociété , n’appel-
lât crime que ce qui bleffe les droits naturels de
l’humanité , ne fubftituât pas , dans fes préceptes,
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des prières aux travaux, de vaines cérémonies
de culte à des oeuvres de charité, des fcrupules
à des Remords fondés. 11 n’en étoit pas tout-à-
fait ainfi au Paraguay. Les miffionnaires efpagnols
y avoj.ent beaucoup trop porté leurs idées, leurs
ufages monaftiques. Cependant, peut-être ne fit-
on jamais autant de bien aux hommes avec lï peu
de mal».
cc II y eut plus d’ans & de commodités dans
les républiques des jéfuites qu’il n’y en avoit dans1
Cufco même , & il n’y eut pas plus de luxe. L’ u-
fage de la monnoie y étoit même ignoré. L’hor-
loger , le tifi’erand , le ferrurier le tailleur dé-
pofoient leurs ouvrages dans des magafins publics.
On leur donnoit tout ce qui leur étoit néceffaire :
le laboureur avoit travaillé pour eux. Les religieux
inftituteurs veilloient fur les befoins de
tous avec des magiftrats élus par le peuple
même »,
« II. n’y avoit point de diftinétion entre les
états > & c’eft la feule fociété fur la terre, où
les hommes aient joui de cette égalité qui eii
le fécond des biens : car la liberté eft: le premier
».
« Les incas & les jéfuites ©nt fait également ref-
peéter la religion par la pompe & l’appareil im-
pofant d uculte public. Les temples du foleil
étoient auffi bien conftruits, auffi-bieri ornés que
le permettoit l’imperfeâion des arts & des ma*-
tériaux. Les églifes du Paraguay font réellement
fort belles. Une mufique qui alloit au coe u f ,
des cantiques touchans , des peintures qui parvient
aux yeux, la majefté des cérémonies , tout
attiroit, tout retenoit les indiens dans ces lieux
facrés, où le plaifir' fe confondoit pour eux avec
la piété ».
« Il femble que les hommes auroient dû fé
multiplier extrêmement fous un gouvernemerft où
nul n’étoit ni o ifif, ni excédé de. travail > où la
nourriture étoit faine 3 abondante , égale pour
tous les citoyens fainement vêtus , logés commodément
5 où les vieillards , des veuves , les orphelins,
les malades avoient des fecours inconnus
fur le refte de la terre > où tout le monde fe ma-
rioit par choix , fans intérêt, & ou la multitude
des enfans étoit-une confolatioq , fans pouvoir
être une charge j 011 la débauché inféparable de
l’oifiveté, qui corrompt l ’opulence & la mifère,
ne hâtoit jamais le terme de la vie humaine ; où
rien n’irritok les pallions factices & ne contra-
rioit les paffions réglées par la raifon & par la
nature 3 où l’on jouiffoit des avantages du commerce
> fans être expofé à la contagion des vices
du luxe.} où des.magafins abondans, des fecours
gratuits,, entre des nations confédérées^par la fraternité
d’une même religion , étoient une relfourçe
allurée contre la difette qu’amenoient l’inconf-
tanCe & l’intempérie des faifonsj.où la vengeance
publique ne fut jamais dan« la trille nécefïité de
condamner un feul criminel à la mort, à l’iguo-
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m.înie , àdés peines de quelque durée ; où i*°n
ignorait jufqu-’au nom d’impôt &. de procès ,
deux terribles fléaux qui travaillént^par-tout l ef-
pèce humaine.-Un tel pays de.voit être, ce femble,
le plüs peuplé de la terre. Cependant il ne
Tétoi,t pas » . , - : ;
« Cette domination j commencée en 1610 ,
s’étend depuis le Parana, qui fe jette dans le
Paraguay .fous-le vingtième degré de latitude méridionale
, jufqu’à rÜrugqay, qui fe perd dans
le même fleuve vers le tre.nte-quatrième degré de
latitude* Sur les bords de ces deux grandes rivières,
qui defcendent des montagnes voifines
du Bréfil dans les plaines qui Réparent, ces rivières,
les jéfuites avoient formé, dès l’an 1676,
vingt-deux peuplades don,t on ignore la popu-~
îation. En 17QZ l’on y en comptoit vingt-neuf,
compofées'de vingt-deux mille, fept cens foixante
& une familles , qui avoient quatre-vingt - neuf
mille quatre cens quatre-vingt-onze têtes. Aucun
monument d’une fpi certaine ne porta jamais le
nombre des bourgades-au-delfus de trente-deux ,
ni celui de leurs habîtans au-delîus de cent vingt-
un mille cent foixante-h.uit ». ^
ce On fjupçonna long-temps les religieux inftituteurs
de diminuer la lifte de leurs fujets, pour
.priver rEfpagne du tribut auquel ces peuples
s’étaient librement fournis, & la cour de Madrid
montra fur cela quelques inquiétudes. Des recher-
, ches exaâes dilfipèrent ce foupçon aufft injurieux
que mal fondé. Etoit-ril vraifemblable qu’ une compagnie,
dont la ,gloire fut toujours l’idole , fa-. •
crifiât à un intérêt obfcur & bas un fentiment
de. grandeur proportionné à la majefté de l’édi-
flcë qu’ elle élevoit avec tant de foins & de travaux
»- ■
«;;Ceu:x qui connpîifoi-ent aflez le génie de la
riocieté pour ne la pas calomnier fi groftîérement,
;répandoient que les guaranis ne fe multiplioient
pas , parce qu’on les faifoit périr dans les travaux
des mines. Cette açcufation , intentée il y a plus
d’un liècle fe perpétua par une fuite de l’avarice
, de l’envie, de la malignité qui I’avoient
formée. Plus le miniftère efpag'nol fit chercher
cette fource de richefles, plus il fe convainquit
que c ’étoit une chimère. Si les jéfuites avoient
découvert de pareils tréfors, il fe feroient bien
gardés- de faire ouvrir cette porte à tous les vices
qui auroient bientôt défolé, leur empire & ruiné
leur pui(Tance »,
cc L’oppreffion d’ un gouvernement monacal dut,
félon d’autres, arrêter la population des guara-
.niSf. Mais, l’oppreffion n’eft que dans les travaux
& dans lés tributs forcés 5 dans les levées arbitraires,
foit d’ hommes 3 foit d’argent, pour com-
pofer des armées & des flottes deftinées à périr}
dans l’exécution violente des loix impofées fans
le confentement des peuples & contre la réclamation
desm^giftrgts ; dans la violation des privilèges
publics &: l’établiftement des privilèges particu-
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! lier s j dans l’incohérence des principes d’une autorité
q u i, fe difant établie de Dieu par l’ep é e ,
I veut tout prendre avec l’une. & tout ordonner au
nom. de l’autre, s’armer du glaive dans le fanc-
tuaire, & de la religion dans les tribunaux :
’'voilà i’opprelfion. Jamais elle ri’eft dans une fou-
. miflion volontaire des. efprits, ni dans la pente &
le voeu des coeurs , en qui la perfuafion opère
& précède l’ inclination., qui ne font que ce qu’ils
aiment à fair® & n’aiment que ce qu’ils font.
C ’eft - là ce doux empire de l’opinion, le feul
peut être qu’il foit permis à des hommes d’exer-
. cer fur des hommes, parce qu’il rend heureux
ceux q,ui s’y abandonnent. Tel fut fans doute celui
des jéfuites au Paraguay, puifque des nations
entières venoient d’elles même s’incorporer à leur
gouvernement, & qu’on ne vit pas une feule de
leurs peuplades fecouer le joug. On n’oferoit dire
que cinquante milfionnaires euflent pu forcer à
l’efclavage cent mille indiens qui pouvoient, ou
maffacrer leurs pafteurs , ou s’enfuir dans des dé-
ferts. C et étrange paradoxe révolterok également
les efprits fpibles & lès efprits audacieux f|J
« Quelques perfonnes foupçonnèrent que les
- Jéfuites avoient répandu dans leurs pebpîades cet
amour du célibat, auquel les fiècles de barbarie
attachèrent parmi nous une forte de. vénération.
Rien n’étoit plus éloigné de la vérité. Ces miffionnaires
n’infpirèrent jamais à leurs néophites
une maxime à laquelle le climat apporroit des
obftacles infurmontables, & qui auroit fuffi pour
décrier. & faire'détefter les meilleures inftitu-
tions »,
« Nos politiques crurent vo ir , dans le défaut
de propriété , un obftacle infurmontable à la population
des guaranis. On ne fauroit douter que
la maxime qui nous fait regarder la propriété
comme la fource de la. multiplication- des hommes
&- des fubfiftances , ne foit une' vérité in-
conteftable. Mais teh eft le fort des meilleures
institutions, que nos erreurs parviennent: prefque
à les détruire. Sous la loi de la propriété’ , quand
elle eft jointe à la cupidité , à l’ambition , au
luxe à une multitude dé befoins faétices, à mille
autres défordres qui prennent naifîance dans les
•vices de nos. goiivernemens ; les bornes de nos
poffeflîons tantôt beaucoup trop reflerrées, tantôt
beaucoup trop étendues, arrêtent tout-à-la-
fois la'féçondiÊé de nos terres & celle de notre
efpèce. Ces inconvéniens n’ exiftoient point dans
le Paraguay. Tous y avoient une fubfiftance affûtée
tous y jouiiToient par conféquent des
grands avantages du droit de propriété-, fans
pourtant avoir proprement ce droit. C e ne fut
clone pas prëcifément parce qu’ils en étoient privés
que la population ne fit pas chez eux de grands
progrès».
cc Un écrivain mercenaire , ou aveuglé par fa
haine , n’a pas craint de publier depuis peu , à
la face de univers, que le terre in occupé par
- ' V r v z