
& fans moyens étrangers. Tout les invite à établir
ce fyllême facile & naturel.
Il y a quelques puiffances dont les établiffe-
inens des ifles de l'Amérique acquièrent tous les
jours de retendue , & il n’y en a aucune dont
b mafle de travail n'augmente continuellement.
Ces terres exigent de jour en jour un plus grand
nombre de bras pour leur exploitation. L 'A frique
, parles européens vont recruter la population
de leurs colonies , leur fournit graduellement moins,
a hommes ; & en les donnant plus foi blés , elle
les vend plus cher. Cette mine d’efclaves s'é-
puifera de plus en plus avec le tems. Mais cette
révolution dans le commerce fût - elle aufli chimérique
qu'elle paroît prochaine , il n’en relie
pas moins démontré qu'un grand nombre d’efcla-
ves tirés d'une région' éloignée , périt clans la
traverfee oji dans un nouvel hémifphèrej que rendus
en Amérique, ils reviennent à un très-haut
prix} qu’il y en a peu dont la vie ordinaire ne
Toit abrégée j Si que la plupart de ceux qui parviennent
à une vieillefle malheureufe , font extrêmement
bornés, accoutumés de l’enfance à.ïoi-
livete , fouvent peu propres aux occupations
^ oiJ,a ur deftine, & continuellement défefpé-
res d etre féparés pour toujours de leur patrie.
01 le fentiment ne nou$ troupe pas, des cultivateurs
nés dans les iiles même dé l’Amérique ,
refpirant toujours leur premier air | élevés fans
autre dépenfe qu’une nourriture peu chère, formes
de bonne heure au travail par leurs propres
pères , doués d’une intelligence ou d’une aptitude
finguliere^pour tous les arts : ces cultivateurs de-
vroient être préférables à des efclaves'vendus
expatries & toujours forcés.
Le moyen de fiibllituer aux noirs étrangers ceux
des colonies même, s’offre fans le chercher. Il
fe réduit à foigner les enfans noirs qui naiffent
dans les ifles 3 a concentrer dans leurs atteliers
cette foule d efclaves qui promènent leur inutili
té , leur libertinage, le luxe & l’infolence de
leurs maitres'dans toutes les villes & les ports de
I Europé i fur - tout à exiger des navigateurs qui
fréquentent les cotes d’Afrique , qu’ ils forment
leur cargaifon d un nombre égal d’hommes & de
femmes -, ou même de quelques femmes de plus,
durant quelques années, pour faire ceffer plu-
tôt la difproportion qui fe trouve entre les deux
fexes.
Cette^ dernière précaution, en mettant les plai-
iirs de l’amour à la portée de tous -les noirs, les
confoleroit & les rrfultiplieroit. Ces malheureux,
oubliant le poids de leurs chaînes, fe fendront
renaître. Ils font la plupart fidèles jufqu’ à la mort
aux négreflfes que l’amour & l’efclavage leur ont
données pour compagnes ; ils les traitent avec
cette compafîion que les miférables puifent mutuellement
les uns pour les autres dans la dureté
meme de leur fort ; ils les foulagent fous le fardeau
de leurs occupations ? ils s’ af^igent du moins
avec elles, lorfque, par l ’excès du travail ou pa?
le défaut de nourriture, la mère ne peut offrira
fon enfant qu’une mamelle tarie ou baignée de fes
larmes. De leur c ô té , les femmes, quoiqu’on ne
leur fafle pas une obligation d’être challes, font
inébranlables dans leurs engagemens, à moins
que la vanité d’être aimées des blancs ne les
, rende volages. Malheureufement c’ ell une tentation
d’inconfiance , à laquelle èlles n’ont que trop
fouvent occafion de fuçcomber.
L ’efclavage eft l’état d’un homme q u i, par la
force^ ou par des conventions , a perdu la propriété
de fa perfonne, & dont un maître peut
difpofer comme de fa chofe.
C e t odieux *état fut inconnu dans les premiers
âges. Les hommes étoient tous égaux : mais cette
, égalité naturelle ne dura pas long temps. Comme
il n’y avoit pas encore de gouvernement régulier
établi pour maintenir l’ordre focial , comme il
n exiftoit alors aucune des profefliohs lucratives
que le progrès de la civilifation a introduites depuis
parmi les nations, les plus forts ou les plus
adroits s’emparèrent bientôt des meilleurs terrejns,
& les plus foinles.ou les plus bornés furent rér
duits a te foumettre à ceux qui pouvoient les
nourrir ou les défendre. Cette dépendance étoit
tolerable. Dans lafimplicité des ançiennes'moeurs,
il y avoit peu de diflinélion entre un maître &
fes ferviteurs. Leur habillement, leur nourriture,
leur logement n’étoient guère différons Si quelquefois
le fupérkur impétueux & violent, .comme
le font généralement les fauvages , s’aban-
donnoit a la férocité de fon caractère, c’étoit un
aéle paflager, qui ne changeoit pas i’e’tat habi-
tuel des chofes. Mais cet ordre ne tarda pas à
s alteren Ceux qui commandoient, s’accoutumèrent
aifément à fe croire d’une nature fupérieure
à ceux qui leur obeifloient. Us les éloignèrent
d eux & les avilirent. C e mépris eut des fuites
funefles. On s^accoutuma à regarder ces malheureux
comme des efclaves, & ils le devinrent.
Chacun en difpcfa de la manière la plus favora-
ble a Ces interets ou à fes pallions.. Un maître
qui n avoit plus befoin de leur travail, les ven-
doit ou les échangeoit. Celui qui en vouloir
augmenter le nombre , les encourageoit à fe multiplier.
Lorfque les fociétés, devenues plus fortes &
plus npmbreufes , connurent les arts 8c le commerce,
le foiblp trouva un appui dans le magif-
trat, & le pauvre des reffources dans les différentes
branches d’tnduflrie. L’un. & l’autre for-
tirent, par degrés, de l’efpèce de néceffité où ils
s etoient trouvés de prendre (fes fers pour obtenir
des fubfiflances. L ’ufage de fe mettre au pouvoir
d un autre devint de jour en jour plus rare, 8c la
■ liberté, fut enfin regardée comme un- bien précieux
8c inaliénable.
Cependant les loix, encore imparfaites 8c cruelle
s, continuèrent quelque temps à impofer la
peine
N E G
peine de la fervitude. Comme , dans les temps
d’une ignorance profonde , la fatisfaélion de l’of-
fenfé eft l ’unique fin qu’une autorité mal conçue
fe propofe, on Iivroit à l’accufareur ceux qui
avoient bleffé à fon égard lés principes de la
juftice. Les tribunaux fe décidèrent dans la fuite
par des vues d’une utilité plus étendue. Tout
crime leur parut, avec raifon, un attentat contre
la fociécé > 8c le malfaiteur devint l’efclave de
l ’é ta t , qui en difpofoit de la manière la plus
avantageufe au bien public. Alors il n’y eut plus
de captifs que ceux que donnoit la guerre.
Avant qu’ il y eût une puiflance établie pour:
affurer l ’ordre, les querelles entre les individus!
etoient fréquentes, 8c le vainqueur ne manquoit :
•guère de réduire le vaincu en fervitude. Cette
coutume continua long-temps dans les démêlés
de nation à nation, parce que chaque combattant
fe mettant en campagne à fes propres frais > il
reftoit le maître des prifonmers qu’ il avoit faits
lui-même ,■ ou de ceux qui , dans le partage du
butin ,. lui étoient donnés pour prix de fes actions.
Mais lorfque les armées furent devenues
mercenaires , les gouvernemens qui faifoient fouîtes
les dépenfes dç la guerre, 8c qui couroient
tous les hafards des événemens, s’approprièrent
les dépouilles de l’ennemi, dont les prisonniers
furent toujours la portion la plus importante. Il
fallut alors acheter les efclaves à l’état, ou aux
nations voifînes 8c fauvages. Telle fut la pratique
des grecs, des romains , de tous les peuplés qui
voulurent multiplier leurs jouiflances par cet: ufage
inhumain & barbare^
L ’Europe retomba dans le cahos des premiers
âges , lorfque les peuples du nord renverfèrenr le
çolofle qu’une république guerrière 8c politique
avoit élevé avec tant de gloire. Ces barbares ;
qui avoient eu des efclaves dans leurs forêts , les
multiplièrent prodigieufement dans les provinces
qu ils envahirent. O n : ne réduifoit pas feulement
en fervitude ceux qui étoient pris les armes à la
main : cet état humiliant fut le partage de beau-
coup de citoyens qui cultivoient dans leurs tranquilles
foyers les arts de la paix. Cependant le nombre
des hommes libres fut le plus confidérable dans
les contrées aflfujetties, tout le temps que les
eonquérans furent fidèles au gouvernement qu’ils
avoient cru devoir établir pour contenir leurs nouveaux
fujets , 8c pour les garantir des invafions
étrangères. .Mais aufli - tôt que cette inftitution
angulière qui, d’une nation ordinairement dif-
perfee , ne faifoit qu’ une armée toujours fur pied,
eut perdu de fa force ; dès que les heureux rapports
qui uniflbient les moindres foldats de ce corps
puiflant à leur, roi ou à leur général, eurent ceffé
d exifter : alors fe forma le fyftême d’une op-
preflion uniyerfelle. Il n’y eut plus de différence
bien marquée.entre ceux qui avoient confervé leur
indeoendance, 8c ceux qui depuis long - temps
gehiifloîënt dans la'fervitude.
(S.con, polit. & diplomatique. Tom. HI.
N Ë G ^17
Les hommes libres, foit qu’ils habitalfent les
villes , foit qu ils vécuflent à la campagne, fe
trouvoient places dans les domaines du ro i, ou
fur les terres de quelque baron. Tous les poflef-
feurs de fiefs prétendirent, dans ces temps d’anarchie,
qu un roturier, quel qu’il fû t, ne pou-
voit avoir que des propriétés précaires, 8^-qui
venoient originairement de leur libéralité. C e préjugé,
le plus extravagant peut-être qui ait affligé
l ’efpèce humaine, fit croire à la noblefle qu’elle
ne pouvoit jamais être injufte, quelles que fuf-
fent les obligations qu’elle impofoit à ces êtres
vils.
D ’après Ces principes, on vouloit qu’il ne leur
fût pas permis de s’éloigner, fans congé, du fol
qui les avoit vu naître. Ils ne pouvoient difpofer
de leurs biens, ni par teftament, ni par aucun
aéle pafle durant leur vie ; 8c leur feigneur étoit
leur .heritier néceflaire-, dès qu’ils ne laiflbient
point de^ poftérité , ou que cette poftérite étoit
domiciliée fur un autre territoire. La liberté de
donner des tuteurs à leurs enfans'leur étoit ôtée ,
8c celle-de fe marier n’étoit accordée qu’ à ceux
qui en pouvoient acheter la permiflion. On erai-
gnoit fi fort que les peuples s’éclairaflent fur
leurs droits ou leurs intérêts , que la faveur d’apprendre
à lire étoit une de celles qui s’accordoient
le plus difficilement: On les obligea aux corvées
les plus humiliantes. Les taxes qu’on leur impofoit
étoient arbitraires , injuftes , oppreflîves, en^-
nemies de toute a&ivité ; de? toute iriduftrie. Ils
étoient obligés de défrayer’ leur tyran lorfqü’ il
arrivoit : leürs vivres, leurs meubles , leurs trou^-
peaux, tout étoit alors-au pillage. Un procès
étoit-il commencé, on né pouvoit pas le terminer
par les voies de la conciliation , parce que
cet accommodement auroit privé le feigneur des
droits que devoit lui valoir fa fentence. Tout
échange entre particuliers étoit défendu , à l’époque
où le poflefleur du fief vouloit vendre
lui-même les denrées qu’ils avoient recueillies ou
même achetées. Telle étoit l’oppreffion fous laquelle
gémifloit la clafîe du peuple la-moins maltraitée.
Si quelques-unes des vexations dont 011
vient de voir le détail, étoient inconnues dans
certains lieux, elles étoient toujours remplacées
par d’autres fouvent plus intolérables.
Des villes d’Italie , que des hafards heureux
avoient mifes en pofleflïon de quelques branches
de commerce , rougirent les premières des humiliations
d’un pareil éta t, & elles trouvèrent
dans leurs richefles le moyen de fecouer le joug
de leurs foibles defpotes. D ’autres achetèrent leur
liberté des empereurs q u i, durant les démêles
fanglans & interminables qu ils avoient avec les
papes & avec leurs vaflaux , fe trouvoient trop
heureux de vendre des privilèges que leur polîtion
ne leur permettoit pas de refufer. Il y eut même
des princes aflfez fàges pour facrifier la partie de
leur autorité que la fermentation des cfprits leur
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