
à fix lieues de diamettre , entourée de nfontagnes
& de bois qui s'étendent de tous côtés à ; plus
de vingt lieues à la ronde, & qu'on ne peut paf-
fer qu'à travers des défilés & des gorges défendus
par des forts de diftance en diftance} ainfi,
une armée qui veut approcher de Biddeluru, peut
être arrêté à chaque pas par une poignée d'hommes.,
.&■ elle eft réduite à camper le long d'un chemin
très-étroit 8c rempli de pierres * & expofée
aux. attaques des gens du pays qui connoiffent
tous les partages & les détours, & qui font les
maîtres de tendre des embûches capables de vous
faire périr de mille manières : les bois 8c les montagnes
font remplis de tigres ^ d'ours , d'élé-
phans , 8c de toutes fortes de reptiles d'autant
plus dangereux qu'ils font vénimeux.
Tant d'obftacles auroient arrêté Ayder , s'il
n'avoit eu avec lui le jeune prince, qui s'étoit
acquis l'amitié du peuple 8c des grands de fon
pays, depuis que la reine fa mère, dont ils dé- i
.reltoient la fierté ,■ .s'étoit remariée à unbramine, j
la loi du pays interdifant aux veuves de fécondés \
noces, r
Ayder partit de Bifnagar, avec le prince de
Caoara ^environ fix -mille; hommes de fa meilleure
cavalerie, 8c quelques caléros, gens habitués *â
courir les "montagnes 8c les forêts. Il étoit fùivi
de;,boeufs chargés de riz j 8 c , fans autre
bagage, il marcha à grandes journées vers la capitale
du. Canara, arriva dans la plaine de Bid-
deluru, avant que la reine fût inftruite de l'inva-
fion. Sa cavalerie jetta la terreur parmi les cana- ;
rins. La bonne difcipline dé fa troupe, 8c là vue
du prince légitime, le firent recevoir par-tout comme
un' dieu tutélaire. ,
Une partie de fa cavalerie renverfa , fans peine,
l'armée de la reine qui voulut l'arrêter ; 8c cette
princeffe , réduite à prendre la fuite , fut pourfui-
v ie , arrêtée, 8c conduite devant fon vainqueur.
Ayder ufa de fa victoire avec la plus- grande
modération. Il accueillit la reine de la manière la
plus-gracieufe, 8c la reconcilia avec fon fils , qui
lui accorda une penfion confîdérable, en lui permettant
de vivre avec fon mari. Pour fatisfaire le
peuple qui le défiroit ardemment, le jeune prince
fut proclamé ro i, 8c il fit hommage de fon royaume
,à l’Empire.
Sur ces entrefaites, l'armée d'Ayder s'avançoit
dans le p ay s , 8c fon infanterie s'emparoit, fans
réfiitarice, de tous les poftes néeeffaires pour
affürer fon retôur 8c le fuccès de ce qu'il voii-
droit entreprendre.
Avant de commencer cette guerre , il avoit
obtenu "du jeune prince là ceffion du port de
Mangalor, 8c une lifière de terres, pour com-
„rptiniquer de ce port aux frontières de Maijfoiir.
A y d e r , après avoir fait couronner le nouveau
r o i, alla ‘prendre poffeffion .de Mangalor , 8c
laiffa jufqu'à fon retour une partie de fon armée,
campée aux portes de Rana-Biddeluru..
La reine de Canara , indignée de fa chûte;,
méditoit des vengeances , 8c cherchoit l'occafion
de perdre Ayder ; elle s'efforça de gagner la confiance
de fon fils , dont elle connoiffoit l'efprit
foible 8cpufillanime; elle lui dit, avec une tendreffe
fimùlée , que pour avoir voulu régner trop tôt ,
il avoit livré inôonfidérément. fon royaume à.des
barbares , ennemis de fa religion , qui ne lui laif-
foient que le vain nom de ro i, lui.enlevoient la
partie la plus précieufe de fes états , 8c finiroient
peut-être par le détrôner. Elle parvint à lui donner
■ des regrets fur fon traité avec Ayder ; elle acquit
un tel empire fur l'efprit du jeune prince, qu'elle le
fit confentir à l'afTafïinat d'Ayder 5 affaffinat qu'elle
avoit bien" concerté.
Pendant fon féjour à Rana-Biddeluru, Ayder
avoit habité le palais des rois de Canara,' 8c il
devoit l’habiter de nouveau à fon retour de Mangalor.
Des chemins fouterreins, connus de la reine
8c de peu de mondé , alloient du palais à une
fameufe pagode. La reine réfolut de ruiner le palais
, 8ç dè faire fauter Ayder, au moment où
il feroit à table avec fes principaux officiers >
elle efpéra qu'au milieu de cette cataftrophe , le
peuple 8c les foldats canarins, animés par fon
fils, maffacreroient aifémentles troupes d'Ayder.
Il étoit facile d'exécuter ce projet, au moyen
du mari de la reine, chef des bramines , qui def-
fervoient la pagode. Ayder étoit de retour, &
le moment où dévoient périr ce fouba, 8c fa fuite
approchoit, lorfque un autre chef des bramines
qui habitoient une pagode, éloignée de quelques
lieues, de la ville , ap p r it'la ronfpirafion ;
foit horreur du crime, comme le prétendent les
bramines , foit haine pour la reine 8c pour fon
mari dont le mariage étoit défendu par la loi j
ce bramine fe rendit en fecret à Rana-Biddeluru.,
il fe préfenta devant Ayder pour le féliciter fur
fon heureux retour dans les états du jeune prince*
il l'avertit tout haut, en préfence du roi .& de
la reine , de la confpiration ; avis qui pénétra
l'affemblée de frayeur , 8c parut ne faire aucune
impreffion fur Ayder 5 -il envifagea ceux qui l'envi-
ronnoient, 8c il reconnut fans peine les coupables.
Il ordonna de les arrêter. Les témoins entendus
, 8c la vérification faite fur le champ ■ ,
il condamna à la mort la reine, fon mari *8c tous
leurs complices , à l'exceptioç du roi de Canara
qu'il envoya prisonnier à Maggèrhi, près deScirra.
8c il confifqua Ion royaume.
La découverte de cette confpiration valut à
Ayder un beau royaume 5 le Canara produit d'im-
menfes quantités d e ,r iz , de poivre , canelle
de càrdamomun, du corail , du bois de fandat
8c de l'ivoire 5 on l'appelle le grenier de l'Inde :
fes montagnes offrent des mines d'or, de diamans- *
de rubis 8c autres pie-rreries. 11 y a dans la for-
tereffe même de Rana-Biddeluru , une riche mine
d'or.. O iC y trouva , lorfqu'Ayder s'en empara
un trcfor immenfg, en. efpèce.s, en lingots y e»
bîj'oüx , en perles 8c en pierreries. Les françois
qui étoient pour lors avec A yder, difent que ce
prince fit en leur préfence mefurer les perles 8c
les pierreries avec la mefure du bazardj 8c qu'ayant
•fait faire deux tas de l'or 8c des bijoux, ils fur-
paffoient la hauteur d'un homme à cheval.
Ayder prit tout de fuite le titre de roi des canari
ns- 3e des courgues, petit royaume..fitué;i l'extrémité
du Canara , du côté du fud., 8e féparé
de ce royaume de celui de Maijfour, 8e de la
côte de Malabar, par des montagnes } il eft depuis^
long • temps fous, la puiffance des rois de
Canara.
Ayder parcourut fes nouveaux états. Tous les
peuples le reconnurent pour fouverain * fans pref-
que aucune réfiftance .’.voulant, réunir quelques cantons
de ce royaume-, dont des portugais s’étoierit
rendus maîtres, il ne trouva pas le - vice-roi de
Go a difpoféà lui faire cette reftitution } 8c comme
il étoit trèsTupérieur eu force aux portugais, il
les attaqua fur le.champ j il s’empara d'abord,
avec affez d'aifance , du'pays dé Carvat 8c de
la fortereffe d’Opir (u ) , fituée dans le pays de
Sunda, qui a été démembré du; royaume de C a nara.
Il fe préparoit à faire le liège: du fort de
Rama , fortereffe für la pointe du cap de ce npm ,
la feule barrière qui put l'arrêter jufqu'à Goa j
mais les françôis qui étoient dans fon armee refusèrent
de lui donner le moindre fecours ; ils
aimèrent mieux fe retirer dans le.fort de Rama,
que de fe rbattre contre les portugais. ;.
Ayder ne pouvant s’emparer de ce Tort avec
fes feules, troupes , n'heital point à faire la paix
avecTes portugais qui.lui .cédèrent le pays de
Carvar. 11 apprit enfin qu'il foutiendroit mal
upeguerre contré une nation européenne, & qu'il
ne pourvoit compter fur les européens qui étoient
à fon fervice. qu autant qu'ils feroient eux-mêmes
en guerre avec‘ fes ennemis. I t
. Tous les peuples 8c tous les petits. fouverains
de l'Inde, redoutoient ce brave 8c terrible Ayder,
qui étoit devenu fouba de Scirra, 8c rOi de Canara :
ils s'adreffoient à lui dans routes leurs querelles, 8c
fon ambition le déterminoit toujours à s'en mêler.
Les màpelets, efpèces de banquiers 8c d'ufu-
riers établis dans le Calicut, étoient en difpute avec
les nayres ou les.fouverains de ce pays 5 ils recoururent
à Ayder qui les écouta.
Les màpelets paroiffent être ,des arabes de Maf-
cate 8c de Sahar , que le commerce a attirés
dans l'Inde. Cette nation ne s'allie point avec les
autres tribus î elle a.eonfervé fon air national, 8c
une plïyfionomie particulière, très-reffemblanté à
celle des arabes de Mafcate.
Les habitans de la côte , de Malabar ayant laiffé
les. màpelets; s'emparer de tout le commerce de
leur pay.s?]j par mer 8c par terre , cette nation
étrangère devenue, riche 8c nombreufe.
Les màpelets, fiers de la prote,<ftion. de ce guerrier
cefsèrent .d'avoir..ipour T es rajas 8c. les
autres nayreS i la condefcendance qu'ils avoient
eu jufqu'alorsi,. 8c ils menacèrent de fe faire juftiçe
par les armes , .'fi on ne tenoit. .pas. l,es engagemens
qu'on avoit pris 8c qu'on prendroit avec eux. Les
nayrès^ bbligés.par leurs dépe.nfes défaire emprunter
fans'ceffe de l’argent des mapelets.fe trouvoient hors
d'étatde payer, même les intérêts des fommes qu'ils
avoient reçus. Indignés de l'arrogance 8c des mauvais
traitemens d'une tribu, qu'ils étoient dans l'habitude
de méprifer, ils réfolurent de rompre , à
quelqueprix que ce f û t , toutes leurs liaifons avec
euxj il y. eut à Calicut, ou réfide le famorin ,
chef de tous, les princes: nayres, efpèce de petit
empereur , diverfes ; affemblées où il fut réfa-
lut d'une commune voix, de faire,. à, certain jour -,
un maffacre général des màpelets dans tous les. pays
des nayres îrplus de fix mille màpelets furent maf-
facrés-j mais un plus grand nombre fe fauva. lueurs
vaiffeaux répandus fur la côte favorisèrent leur
fuite 5 ils fe réunirent 8c ils fe trouvèrent affez
nombreux pour réfifter à leurs ennemis. La plupart
fe réfugièrent à Cananor , où ils furent
en sûreté par le voifinage des- états d'Ayder ,
8c par les deux petites fôrtereffes de Cananor ,
dont l’une appartenoi^ aux hollandois ( 2 ) , gc
l'autre à Ali-Raja ; les màpelets, dans, leur défaftre ,
s'empressèrent d'envoyer des députés vers leur
protecteur, pour l'inftruire de leurs malheurs , 8c
p (.1) Cette fottereffe d’Opir eft très-renommée pour fa force ; Ayder en a fait augmenter les fortifications.
tes portugais & les marattes qui l’ont affiégée, n’ont pu là prendre ; elle défefid le pays de .Carvât
du côté des portugais, & l’e'ntrée de là rivière de Sangheri, nom d’une ville à trois lieues, de fon embouchure,
capitale du pays de Carvar & réfidehee d’un évêque -catholique.
(2) Les hollandois ont vendu depuis , leur forterèfle & leur territoire à Ali-Raja ; ce qui a donné à Ayder
occaiion de faire un aéte de juftice envers les chrétiens, habitans de Cananor, prefque tous portugais d’origine.
Lorfque les hollandois eurent, conquis Cananor fur les portugais, ils trouvèrent autour de cette for-
.tereflè , dçs chrétiens , à qui ils permirent de demeurer dans le pays.. Un grand nombre d’autres font venus
.dans la fuite, habiter Cananor, où, ils ont bâti des maifons, défriché dn terrein , & cultivé des jardins de.
des terres. Les portugais & les hollandois avoient accordé ces ter reins fans aucune formalité, & la pof-
felfion faiffiit tous les titres de ces pauvres gens. Lorfque lés hollandois' vendirent la fortereffe & leur
territoire à Ali-Raja , ils ne ftipulèrent rien pour .lés ^chrétiens. Ali-Raja leur ayant demandé les titres de
leur propriété, voulut les forcer à acheter le territoire, dont ils fe croyoiènt propriétaires. Les chrétiens
de Cananor eurent recours à Ayder,, qüi. condamna Ali-Raja^ fur ce padage de l’alcoran , qui dit : tu noteras’
pas à l’infidele fa maifon , fon champ, &c. parce que c’efb Dieu qui le lui a donné} tu te contenteras
4e lui-faire payer un tribut, qu’Ayder fixa a une roupie ou cinquante fous 4e France par tête.