nal de Richelieu & du crédit de ce miniftre fur
1 efpric de fou maître , il voulut le. gagner. D ’a-
hord il le flatta de l’ efpérance de devenir lui-
même légttt, afin^de l’engager à agir comme pour
fes propres intérêts i mais s’appercevant bientôt
c|ue le cardinal de Richelieu mettoit peu de prix
à des efpérances fi incertaines & fi éloignées, il
offrit de lui donner la main dans la vifite qu’il en
devoit recevoir, ce qu’il avoit refufé« en Italie
au cardinal de Medicis. C e miférable honneur
flatta Richelieu, qui perfuada à fon maître d’ordonner
aux eveques d’ afliiter â fon entrée avec
le chapeau & la mantelette ; ce qui fut une
nouveauté fans exemple. Richelieu perfuada aufli
au roi d’envoyer fon propre frère le duc d’Orléans
au-devant du légat, avec ordre de l’accompagner
a fon entrée , & de lui donner la main.
A juger ici d’après les vaines prétentions des corps
diplomatiques , j l eft étrange que le frère d'un roi
de France ait cédé le pas à un légat qui le cède
aux cardinaux, lefquels le cèdent eux - mêmes ,
non-feulement aux fils & petits-fils de France ,
mais a tous les princes du fang & même aux
princes légitimés. Toutes les cours fupérieures allèrent
faluer le légat. Il avoit foîlicité pour que le
roi lui fît une, vifite j mais Richelieu qui n’étoit
pas alors aufli abfolu qu’ il le fut depuis, ne put
déterminer fon maître à cette démarche ; & les
honneurs qu’on rendit au légat & qui étoient ex-
ceflifs,_ne firent pas réuflir la légation. Il prit
fon audience de congé, & partit fubitement pour
l’Efpagne, fans_ attendre qu’on lui fît le prefent
ordinaire, ni qu’on lui rendît les honneurs accoutumés,
en pareille ocçafion. Le roi affembla là-
deffus un confeil, dont le réfultat fut que, puif-
que le légat s'en alloit , il falloit le laiiïer partir.'
Sous le règne de Louis X IV , le cardinal de
C h ig i, neveu d’Alexanflre V i l , vint en qualité
de légat, pour un fujet qui n’avoit jamais donné
lieu à aucune légation. C e fut pour apporter au
roi lès fopmiflions & les fafisfaâipns réglées pour
l ’affaire des Corfes , par. ie traité de Pife. Le roi
envoya au-devant du légat un prince de fon fâpg,
,afin de ne pas ôter au neveu du pape un honneur,
dont Henri legrandaleRremierétablil’ufage,
. Pour envoyer un légat en France, le pape doit,
avant toutes chofes, favoir. fi le roi approuve
la Jégation , fi la pçrfonne qu’ il y dettine
lui eft agréable. II ell vrai que, Boniface VIII s’éleva
.contre cette coutume : mais fon ayerfion
-pour la France & fes emportemens font fi connus
, qu’fl n’eft pas néceffaire de dire que fon
fuffrage n’eft d’aucune autorité dans les affaires
qui regardent cette couronne, R fuffit que tous
les autres papes l’ aient obfervé. L ’on ne peut ni
l’ on ne doit entrer dans un état, malgré le fqu-
veràin qui y commande ; & quand ce neferojt qu’ûn
ufage de bienfçancè, il conviendroit qu’ on s’y con.
formât. Si ç.èttf choie fe pratique à l’égard des non-
fes qui font envpyés en France, combien n’eftelle
pas plus indifpenfable pour les légats quï viennent
ériger un tribunal & remplir une ton&ion
extraordinaire dans le royaume I Ils ne la peuvent
remplir que de l'autorité du roi" j car la jurifdic-
tion qui s'exerce dans un é ta t, émane du fou-
verain. C 'e fl pour cela que les légats 3 lorfqu'ils
arrivent fur la frontière de France , ceflent de
faire porter la croix devant eu x , parce qu'elle-
ell la marque d'une jurifdiélion qui ne leur appartient
qu'après qu'ils ont obtenu , par des lettres
patentes du ro i, la permiflion d'ufer de leurs
pouvoirs.
Lorfque les légats ont obtenu, le confentement
du ro i, ils font obligés d'envoyer leurs bulles au
parlement de Paris : là elles font examinées 8c
modifiées j d'après les maximes du royaume, les
droits de la couronne & les libertés de l'églife
gallicane. Lé pape voit avec regret les pouvoirs
de fes légats3 fournis à la cenfure du parlement
de Paris. Aufli a-t-il fait tous fes efforts pour
l'éviter j mais ce parlement a toujours contraint'
les légats à fe foumettre à un ufage qui conferve
à l'églife de France fes libertés. Tout ce que les
papes ont enfin pu obtenir, c'ell que les modifications
ne fe mettroient pas fur le repli des
bulles, mais feroient enrégiflrées à part. Le parlement
de Paris a eu bien de la peine à. y con-s
fentir, mais nos rois l'ont voulu.
L'une de fes modifications, c'ell que le légat
ell obligé de donner au roi des lettres, par lef-
quelles il promet de n’ufer de fon pouvoir qu'aufli
long-temps & de la manière qu'il plaira au roi.
Jufqu'à ce qu'il ait fatisfait à cette formalité ef-
fentielle, le légat relie fans fonctions 5 & tout
ce qu'il feroit , feroit déclâré nui & abufif.
Lorfque ces formalités ont été remplies, fi lés
légats vont au parlement , ils prennent, non pas
la place du ro i, mais la première place du côté
gauche. On ne fouffre jamais qu'ils faflent porter
la croix devant eux, ni dans les lieux où le
roi fe trouve, ni en préfence des parlemens ,
quoique le roi n'y foit pas. La croix ell qnç marque
de jurifdiétion ; & les légats n'en ’ont en
France, ni en préfence du ro i, ni en préfence
des parlemens. Les légats ont cela de commun
avec tous les officiers du royaume , qu'ils ne con-
ferveutfie jurîfdiélion en préfence du ro i, qu'au-
tant qu'il le trouve bon. Ç'e|l ce qui a fait dire
à un premier préfident du parlement de Paris ,
que le légat ell officier du roi aufli bien que du
pape.
Le roi envoie au-devant des légats un prince
de fon fang, & nous vçnons de voir comment
cet ufage s'efl établi j il ne leur fait point de vifite
; 8c Iqrfqu’il leur fait l’honneur de les admettre
à fa table, ce qui n'arrive guère qu'uné
fois pendant leur légation, il ne leur donne pas
la main.
Si les légats ont des dégoûts à leur arrivée en
Françç, gç pendant ie féjour qu'ils y fpn t, ils
&nt encore, à leur fortie du royaume, le defa-
grément d'y laiffer les regiflres de leurs expéditions
8c le cachet de leur légation. C 'e ll une des
conditions del'enrégillrement de leurs bulles, fans
quoi l'on n'auroit aucun égard à tout ce qu’ils au-
roient fait : la condition ell jufle 5 car fi le pape ell
tenu lui-même de donner aux fujets du ro i, des
juges en France, à plus forte raifon fes légats
doivent-ils remplir cette formalité, afin que les
françois ne foient pas obligés d'aller à Rome
compulfer des regillres, 8c former des contefla-
tions fur ce oui fe feroit pafle en France. Telle
-ell la vraie raifon de cet ufage ( i ) . Quelques auteurs
difent qu'il n'a été, introduit que pour empêcher
que les légats n'emportent les aéles qu'ils
pourroient avoir fait aif préjudice de l'état ; mais
cette raifon n’ell pas bonne. Outre que les légats
pourroient avoir facilement des doubles de ces aéles
contraires à nos libertés, on les auroit bien plutô
t obligés à laiffer en France leurs bulles
qu'on vérifie purement & Amplement, 8c qui
feroient plus propres à leurs vues que des aéles
dont ils font eux-mêmes les auteurs j car il efl
vraifemblable que les légats , en retournant à Ro-t.
me, n'y portent pas les arrêts du parlement,
qui contiennent les modifications de leurs bulles.
LÈSE-MAJESTÉ : c'ell le nom qu'on donne
aux attentats contre le fouverain : fi le peuple
compofe le fouverain, il faut attenter aux intérêts
de la patrie pour commettre un crime de lèfe-
majefté ; mais fi le gouvernement ell monarchique3
un attentat contre le prince ell un crime de lefe-
majefté. Le crime de lefe-majefté efl le plus grand
de tous les crimes qu’on puifïe commettre dans une
fociété : on doit le punir févérementj mais il n'efl
pas de principe dont on ait plus abufé 5 8c ce
qu'il y a 4e plus trille, on en a fait un étrange
abus, même dans les démocraties.
Nous nous bornerons à indiquer ici quelques-
uns des abus qu'on en a fait dans les monarchies
ou dans les gouvernemens defpotiques > 8c nous
établirons, à la fuite de ces faits, les principes
qui doivent guider les légiflgteurs gc les juges fur
cette matière.
Les Ioix de la Chine décident que quiconque
manque de refpeét à l'empereur, doit être puni
de mort. Comme elles ne définiflent pas ce que
c'ell que ce manquement de refpeél, tout peut
fournir un prétexte pour ôter la vie à qui l ’on
v eut, 8c extermine^ la famille que- l'on veut;.
Deux perfonnes chargées de faire la gazette
de la cour ayant mis dans quelque fa it, des cir-
conflances qui ne fe trouvèrent pas vraies, on
[ dit que, mentir dans une gazette de la cour, c'é-
toit manquer de refpeét à la cour, 8c on les fit
mourir (2). Un prince du fang ayant mis quelque
note par mégarde fur un mémorial, ligné du pinceau
rouge par l'empereur , on décida qu'il avoit
manqué de refpeél à l’empereur ; ce qui caufa contre
cette famille une des plus terribles perfécutions
dont l’hiftoire ait jamais parlé (3).
C ’ell affez que le crime de leje-majefié foit vague
, pour que le gouvernement dégénéré en
defpotifme.
C ’ell encore un violent abus de donner le nom
de crime de lefe-majefté à une aélion qui ne l’efl
pas. Une loi des empereurs romains (4) pourfui-
voit comme facrilèges ceux qui mettôient en question
le jugement du prince , & doutoient du mérite
de ceux qu'il avoit choifis pour quelque emploi
(y). C e furent bien le cabinet & les favoris"
qui établirent-ce crime. Une autre loi avoit dé^
claré que ceux qui attentent contre les miniflres-
& les officiers du prince, font criminels de lèfe-t
majefté •, comme s'ils attentoient contre le prince-
meme ( 6).< Nous devons cette loi à deux princes
(7 ) , dont la foiblefle efl célèbre dans Fhif-
toire j deux princes qui furent menés par leurs
miniflres, comme les troupeaux font conduits par
les palleursi deux princes efclaves dans le palais,
enfans dans le confeil, étrangers aux armées, qui
ne confervèrent l'empire que parce qu'ils le donnèrent
tous les jours. Quelques-uns de ces favoris
confpirèrent contre leurs empereurs. Ils firent
plus : ils confpirèrent contre l’empire, ils y appelle
r en t les barbares} 8c quand on voulut les
arrêter, l'état étoit fi foible, qu’il fallut violer
leur lo i , & s'expofer au crime de Cefi - majefté
pour les punir.
Ç ’efl pourtant fur cette loi que fe fondoit le
rapporteur de Cinq- Mars (8 ) , lorfqu’ il voulut
prouyer qu'il étoit coupable du crime de lefe-majefté
pour avoir voulu chafTer le cardinal de Ri-»
chelieu des affaires.
C e rapporteur de M. de Cinq-Mars dit : « Je
» crime qui touche la perfonne des minillres des
« princes , efl réputé par les conllitutions des em-
« pereurs, de pareil poids que celui qui touche
« leur perfonne, Un miniflre fert bien fon prince
» & fon état, on l'ôt.é à tous les deux 5 c'ell comf1)
Dupleix en la vie de Henri IV, ad anti, 1596.
( i) Le père <Ju Halde , tom 1 , pag. 43,
( 3) Lettres du père Parennin , dans les Lettres édifiantes.
(4) Gratien , Valentinien & Théodofe, C’eft la troifième au code de crim. facril,
‘ U j bacrilegii inftar eft dubitare an is dignns fit quem elegerit imperator, Ibid. Cette loi a fervi de modèle à
celle de R o g e r , dans les conftitutions de Naples , tit. 4.
(6) La lo i cinquième , au code ad leg. Jul. maj,
(7) Arcadius & Honorius.
f8)Mémoires de Montrefor., tom. 1,.
(Scon, polit, ô1 d'iÿlomatiiftie. Tom. I I f p