
<m h rendît dépouillée de tous les moyens ac* ceffoires de profpérité qui lui avoient donne tant
d’éclat. Depuis quelques années, elle avoir perdu
la plus grande partie de fon commerce interlope
aux côtes efpagnoles. La ceflron du Canada &
de la Louifiane lui ôtoit tout efpoir de rouvrir
Une communication qui n’avoit langui que par
des erreurs pafiagères. Elle ne pouvoir plus voir
arriver dans fes ports les produirions de la Grenade,
de Saint-Vincent, de la Dom.ùque» qui
étoient devenues des poffeflions britanniques. .Un
nouvel arrangement de la métropole , qui lui in-
terdifoit toute liaifon avec la Guadeloupe s ne lui
perrriettoit plus d’en rien efpérer.
Là colonie réduite à elle-même, ne devoit donc
compter que fur fes cultures. Malheureufement,
à l’époque où fes habitanS pouvoient commencer
à. s’ en occuper utilement, parut dans fon fein une
efpèce de fourmi inconnue en Amérique avant
qu’elle eût ravagé là Barbade, au point d y faire
délibérer s’ il ne convenoit pas d’abandonner une
colonie autrefois fi notifiante. On ignore fi ce fut
du continent ou de cette ifle que l’ infefte paffa
-a la Martinique. C e qui eft fur, c’eit qu’il caufa
des ravages inexprimables dans toutes les plantations
de fucre où il fe montra. Cette calamité ,
trop mollement combattue’, duroit depuis onze
ans, lorfque les colons affemblés arrêtèrent, le
9 mars 17 7! , une récompenfe de 666,000 liv.
pour celui qui trouverait un remède contre un
fléau fi deftrüétèur.
C e fecret important avoit déjà été imaginé &
mis en pratique par Un officier , nommé Def-
i/ouves, fur un des terreins le plus infeftés de
fourmis. C e t excellent cultivateur avoir obtenu
d’abondantes récoltes, en multipliant les labours,
les engrais & les farclages, en brûlant les paillés
où cet infefte fe réfugié , en replantant les cannes
à chaque récolte , & en les difpofant de manière
à faciliter la circulation de l’air. Cet exemple
a été enfin fuivi par les colons riches. Les
autres Limiteront, félon leurs moyens; & l’on
peut efpérer qu’avec te temps il ne reliera que
fe fouvenir de ce grand délallre.
Cette calamité étûit dans fa plus grande force ,
lorfque l’otttagan de 176 6 , le plus furieux de tous
ceux qui Ohtravagé ^Martinique, vint y détruire les
Vivrés, méiffonnér les récoltes, déraciner les arbres
, renverfer même les bâtimeas. La deftruc-
lion fut fi générale, qu’ à peine refta-tril quelques
habitans en état deconfoler tant de malheureux,
de foülagêr tant de mifère.
Le haut prix où , depuis quelque temps, étoit
monté le café, aidoit à fupporter tant d’in fortunes.
Cette1 production trop multipliée tomba dans
l’aviliffemettt, St il ne relia à fes cultivateurs
que le regret d’avoir confacré leurs terres à une
denrée, dont la valent ne füffifoit plus à leur
fubfifiance.
Pour comble de malheur, la métropole laiffait
manquer fa colonie des bras néeéffaires à fo»
exploitation ; depuis 1764 jufqu’en 17 7 4 , le commerce
de France n’ introduifit à la Martinique que
trois cents quarante-cinq efclaves année commune.
Les habitans étoient réduits à repeupler leurs atte-
liers du rebut des cargaifons angloifes, introduit en
fraude. > - tv n
Il falloir adoucir le fort d’ un grand etabline-
ment, fi cruellement affligé. Il n en fut pas ain-
fi. De nouvelles charges prirent dans la colonie
la place des fecours qu’elle avoit droit d attendre.
Dans les établiffemens françois du Nouveau-
Monde , & dans ceux des autres nations fans
doute , les africains fe corrompoient beaucoup :
c’eft qu’ils étoient affurés (te l’impunité. Leurs
maîtres, féduits par un intérêt aveugle, ne dé-
féroient jamais les criminels à la -juftice. Pour
faire ceffer un fi grand défordre, le code noir
régla que le prix de tout efclave qui feroit condamné
à mort, après avoir été dénoncé au ma-
giftrat pat le propriétaire , feroit payé par la colonie.
’ :
Des cailles furent auffi-tôt formées pour cet
objet utile : mais on ne tarda pas à y puiièr pour
des dépenfes étrangères à leur inllitution. Celle
de la Martinique étoit encore plus grevée que les
autres de ces injuftices , torfqu’en 1771 elle fe
vit chargée des frais que faifoit la chambre d’agriculture
de la colonie , des honoraires d’un député
que fon confeil entretient inutilement dans
■ la métropole.
Les charges augmentèrent encore. Les droits
que le gouvernement faifoit percevoir à la Martinique
étoient originairement trèsdégers, & fe
payoient en denrées. Elles furent converties, en
métaux, lorfque ces agens univerfels du commerce
fe furent multipliés dansj’ifle. Cependant
l’impofitïôn fut modérée jufqu’en .1-765. Hile fut
alors portée à 800,000 liv. Trois ans après , il
fallut là réduire : mais cette diminution, arrachée
par le malheur des circonfiances, finit, en. 1771.
Le tribut fut de nouveau réduit, en 17 78 , à la
fomme de 666,000 livres , formant un million
des ifles. Il eft payé avec une capitation fur les
blancs & fur les ttoirs, avec un droit de cinq
pour cent fur le prix du loyer des maifons, avec
le droit d’un pour cent fur toutes les marchandifes
de poids qui entrent dans la colonie , & un droit
égal fur toutes les denrées qui en fortent, à l’ex»
ception du café qui doit trois pour cent.
Détails , d1 apres lefqueh on peut calculer les cultures
, la population & le commerce actuels. Au
premier.janvier 1778 , la Martinique comptoir
douze mille blancs de tout âge & de tout fexe ,
trois mille noirs ou mulâtres libres, plus de
quatre-vingt mille efclaves, quoique fes dénom-
bremens ne montaffent qu’ à- fonçante - douze
mille.
Elle avoit pour fes troupeaux huit mille deux
cents
cents mulets ou chevaux , neuf mille fept cents
bêtes à cornes , treize mille cent porcs 3 moutons
©u chèvres.
Ses fucreries étoient au nombre de deux cents
cinquante - fept, qui occupoient dix mille trois
cents quatre-vingt-dix-fept quarrés de terre. Elle
cultivoit feize millions fix cents deux mille huit
cents foixante-dix pieds de café ; un million quatre
cents trente mille vingt pieds de cacao; un
million fix cents quarante-huit mille cinq cents
cinquante pieds de coton.
En 1775- , les navigateurs françois chargèrent
fur cent vingt-deux bâtimens, à la Martinique ,
deux cents quarante - quatre mille quatre cents
trente-huit quintaux cinquante-huit livres de fucre
terré ou brut, qui furent vendus dans la métropole
9,971,155' liv. $ f. 7 d. > quatre-vingt-feize
mille huit cents quatre-vingt-neuf quintaux foi-
xante - huit livres de café , qui furent vendus
4 i577,2.59 liv. 16 fols; onze cents quarante-fept
quintaux huit livres d'indigo , qui furent vendus
975,108 liv. ; huit mille fix cents cinquante-fix
quintaux foixante-trois -livres de cacao , qui furent
vendus 605,964 liv. 12 fols ; onze mille
douze quintaux de coton, qui furent vendus
A,7 5 3 , 100 « JB neuf cents dix-neuf cuirs , qui
furent vendus 8,271’ liv. ; v in gt-n euf quintaux
dix livres de carrer, qui furent vendus 29,1001. ;
dix-neuf cents foixante-fix quintaux trente-cinq
livres de canefice, qui furent vendus 52,980 1.
10 f l; cent vingt-cinq quintaux de bois , qui furent
vendus 3,125 1. C e fut en tout 18,975,9741.
1 f. 10 d. Mais la fomme entière n’appartenoit
pas à la colonie. Il en devoit revenir un peu plus
du quart à Sainte- Lucie & à la Guadeloupe ,
qui y avoient verfé une partie de leurs productions.
. .
Tous ceux qui , par inftinCt ou par devoir ,
s’occupent des intérêts de leur patrie, defire-
roient de voir les productions fe multiplier ^ à la
Martinique. On fa it , il eft Vrai, que l’ intérieur
de cette ifle , rempli de rochers afireux, m’ell
point propre à la culture du fucre 3 du café, du
coton ; qu’une trop grande humidité nuiroit à
ces productions ; & que j fi elles y réufliflbient,
lès frais de transport , au travers des montagnes
Sc des précipices, rendroiént inutile le fuccès
des récoltes. Mais on pourroit former, dans ce
grand efpace, d’excellentes prairies ; & le fol-
n’ attend que la faveur du gouvernement pour fournir
aux habitans ce genre de fécondité reproductive
de beftiaux, fi néceffaire à, la culture & à
la fubfiftatlce. L’ ifle a d’ autres quartiers d’ une
nature ingrate : des terreins efearpés que les tor-
rens & les pluies ont dégradés ; des terreins ma
récageux, qu’il eft difficile & peut-être impofli-
ble de deffécher ; des terreins pierreux , qui fe
refufent à tous les travaux. Cependant les obfer-
vateurs qui connoiffent le mieux la colonie, s’accordent
tous à dire que fes cultures font fufeep-
(E c o n . polit. &» diplomatique. Tome i/ j .
tibles d’augmentation , & que l’augmentation
pourroit être de près d’ un tiers. On arriveront
même, fans nouveaux défrichemens, à cette amélioration,
par une culture meilleure & plus fuivie.
Mais , pour atteindre ce but , il faudroit un
plusgrand nombre d’efclaves. C ’eft beaucoup que
les habitans aient pu jufqu’à nos jours maintenir
leurs atteliers dans l’état où ils les avoient reçus
de leurs pères. Nous ne croyons, pas qu’il foit
eîi leur pouvoir de les augmenter.
Divifion des propriétaires. A la Martinique, les
propriétaires des terres peuvent être divifés en
quatre elafles. La première poffède cent grandes
fucreries, exploitées par douze mille noirs. La
fécondé, cent cinquante , exploitées par neuf
mille noirs. La troifième, trente-fix, exploitées
par deux mille noirs. La quatrième, livrée à la
culture du c a fé , du coton, du cacao, du manioc
, peut occuper vingt mille noirs. C e que la
colonie contient de plus en efclaves de deux fexes *
employés pour le' fervice domeftiqué , pour la
pêche , pour la navigation , eft dans l ’enfance ou
dans un état de décrépitude.
La première claffe, dit-on , eft toute compofée
de gens riches. Leur culture eft pouflee aufii loin
qu’elle puifle aller, & leurs facultés la maintiendront
fans peine dans l’état floriflant où ils l’ont
portée. Les dépenfes même qu’ils font obligés de
faire pour la reproduction, font moins confidé-
rables que celles du colon moins opulent, parce
que les efclaves qui naiffent fur leurs habitations,
doivent remplacer ceux que le tems & le? travaux
détruifent.
La /econde claffe 3 qu’on peut appeller celle
des gens aifés , n’a que la moitié des cultivateurs
dont elle auroit befoin pour atteindre à la fortune
des riches propriétaires. Enflent - ils les moyens
d’acheter les efclaves qui leur manquent, ils en
féroient détournés par une funefte expérience.
Rien de fi mal entendu que de placer un grand
nombre de nègres à la fois fur une habitation.
Les maladies que le changement de climat & de
nourriture occafionne à ces malheureux-; la peine
de les.former à un travail, dont ils n’ont ni l’habitude
ni le g od t, ne peuvent que rebuter un
colon, par les foins fatigans & multipliés que
demanderoit. cette éducation des hommes pour la
culture des terres. Le propriétaire le plus aCtif
J eft celui qui peut augmenter fon attelier d’un
fixième d’efelaves tous. les ans. Ainfi la fécondé
claffe pourroit acquérir quinze cents nqirs par
an , fi le produit net de fa culture Le lui permet-
toit : mais elle ne doit pas compter fur des crédits.
Les négockns de la métropole ne paroiffens
pas difpofés à lui en accorder ; & ceux qui fai-
foient travailler leurs fonds dans la colonie , ne
les y ont pas plutôt vu oififs ou hafardés , qu’ ils
les ont portes en Europe ou à Saint - Do-
mingue.
La troifième claife, qui eû à-peu-près indigente,
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