autres pofts, & même à Delhy. Surate, le plus
riche entrepôt de ces contrées ., tenta leur ambition
en 1611. On étoit difpole à les y recevoir j
mais les portugais déclarèrent que, fi Ton fouf-
froit l’ètabliffement de cette nation, ils brûle-
roient toutes les villes de la côte, & fe faifiroient
de tous les bâtimens indiens j & ce n’eft qu’après
plufieurs victoires que les anglois triomphèrent de
la réfîftance du Portugal.
Les intérêts de cette cothpagnïe firent bientôt
déclarer la guerre aux hollandois. De
toutes les guerres maritimes dont l’hiftoire a
confervé le fouvenir, c ’eft la plus favante, la
plus illuftre, par la capacité des chefs &le^cou-
rage des matelots, la plus féconde en combats
opiniâtres & meurtiers. Les anglois eurent l’avantage
, & ils le durent à la grandeur de leurs
vaifleaux que l’Europe a imitée depuis.
Le prote&eur qui donna la lo i, ne fit pas pour
les Indes tout ce qu’il pouvoit. Il fe contenta d’y
affurer le commercé anglois , de faire défavouer
le maffacre d’Amboine, & de prefcrire des dé-
dommagemens pour les defcendans des malheu-
reufes viélimes de cette a&ion horrible. On ne
fit nulle mention, dans le traité, des forts que
les hollandois avoient enlevés à la nation dans :
rifle de Java , & dans plufieurs des Moluques.
A la vérité, la reftitution de rifle de Pouleron
fut ftipulée; mais les arbres à épiceries y furent
tous arrachés, avant qu’ elle repaffât fous les loix
de fes anciens maîtres. Comme fon fol lui reftoit
cependant toujours , & qu’avec le tems il pouvoit
mettre ©bftacle au monopole que lat Hollande
vouloit exercer, on la conquît de nouveau
en 1666 3 & les inflances de la France ne réuf-
firerit pas à en arracher le facrifice à la république.
Malgré ces négligences , dès que la compagnie
eut obtenu, en 16^7 , du protecteur le renouvellement
de fon privilège, & qu’elle fe vit-fo-
lidement appuyée par l’autorité publique, elle
montra une vigueur que fes malheurs paffés lui
avoient fait perdre. Son courage s’accrut avec fes
droits.
Le bonheur qu’elle avoit en Europe , la fuivit
en Afîe. L ’Arabie , la P e r fe , l’Indoftan , l’eft
de l’Inde , la Chine , tous les marchés que les
anglois avoient anciennement pratiqués, leur furent
ouverts. On les y reçut même avec plus de
franchife & de confiance , qu’ils n’en avoient
éprouvé autrefois. Les affaires y furent fort vives
, & les bénéfices très - considérables. Il ne
man.quoit a leur fortune que de pénétrer au Japon
: ils le tentèrent. Mais les japonois, inflruits
par les hollandois que le roi d’Angleterre avoit
époufé une fille du roi de Portugal, ne voulurent
pas recevoir les anglois dans leurs ports. 1
Malgré- cette contrariété , les profpçrités de la
compagnie furent.çrès-brillantes. L ’efpoirde donner
encore plus d’étendue & de folidité à fes I
affaires, la flaftoit agréablement.» lorfqu’çlie fe vit
arrctee dans fa carrière par une rivalité que fes
propres fuccès avoient fait naître.
, Des négocians , échauffés par la connoiflance
des gains qu’on faifoit dans l’Inde, réfolurent d’y
naviguer. Charles I I , qui n’étoit fur le trône
qu’un particulier voluptueux & diflipateur, leur
en vendit la permiffiori , tandis que d’ un autre
cote il tiroit des fommes confîdérables de la com-
? pagnie , pour l’autorifer à pourfuivre ceux qui
entreprenoient fur fon privilège. Une concurrence
de cette nature devoit dégénérer en brigandages.
Les anglois, devenus ennemis, couroient
les uns fur les autres avec un acharnement ,
une animofité qui les décrièrent dans les mers
d’Afie.
Les hollandois voulurent mettre à profit cette
fingulière crife. Ces républicains s’étoient trouvés
affez long-temps les feuls maîtres du commerce
des Indes. Ils en avoient vu avec chagrin: fortir
une partie de leurs mains, à la fin des troubles
civils d’Angleterre. La fupériorité de leurs forces
leur fit efpérer de la recouvrer, lorfque les
deux nations commencèrent, en 1664, la guerre
dans toutes les parties du monde : mais les hof-
tilites ne durèrent pas affez long-tems pour réa-
lifer ces vaftes efpérances. La paix leur interdisant
la force ouverte, ils fe déterminèrent à attaquer
les fouverains du pays, pour les obliger
de fermer leurs ports à leur rival. .La conduite
folle &méprifable des anglois accrut l ’audace hol-
landoife j elle alla jufqu’ à les chaffer ignominiéu-
fement de Bantam en 1680.
Une infulte auflî grave & auflî publique ranima
la^ compagnie angloife.. La paffion de rétablir fa
réputation , de fatisfaire fa vengeance, de maintenir
fes intérêts, la détermina aux plus grands
efforts. Elle arma une flotte de vingt-trois vàif-
feaux, où furent embarqués huit mille hommes
de troupes réglées. On mettoit à la voile, lorfque
les ordres du monarque fufpendirent le départ.
Charles , dont les befoins & la corruption
ne connoiffoient point de bornes, avoit efpéro
q u e , pour faire, révoquer cette défenfe, on lui
donneront un argent immenfc. N ’en pouvant obtenir
de fes fujets-, il fe détermina à en recevoir
de fes ennemis. Ilfacrifia l’honneur & le .commerce
de fa nation à 2,2$'q,ooo livres que lui firent
.compter les hollandois, que de fi grands préparatifs
avoient effrayés, L ’expédition projettée n’eut
point lieu.
La compagnie, épuifée parles frais d’ un ar-
rnement que la vénalité de la cour avoit rendu
inutile, envoya fes bâtimens aux Indes, fans les
fonds neceffaires pour former des cargaifons ■ ,
mais avec ordre à fes faéteurs de les raffembler
fur fon crédit, fi la chofe étoit poffible. La fidélité
qu’ elle avoit montrée jufqu’alors dans fes
engagemens , fit trouver 6*7 $-0,000 liv. Rien n’eft
plus extraordinaire que la manière* dont on s’y prit
pour les payer,
Jofias Child, qui de directeur de la colnpagnie ,
en étoit devenu le tyran , fit paffer, dit-on, â ;
l ’infu de fes collègues, des ordres aux Indes
pour qu’on imaginât des prétextes, quels qu’ ils
puffent être , de fruftrer les prêteurs de leur. !
créance. C ’eft à fon frère Jean Child , gouverneur
de Bombay, que' l’exécution de ce fyftême
d’iniquité fut plus particuliérement confiée. Auffi-
tôteethomme avide , inquiet & féroce, annonce
au gouverneur de Surate des prétentions plus folles
les unes que les autres. Ces demandes ayant été |
accueillies comme celles le méritoient, il fond fur
tous les vaifleaux qui appartenoient au^ fujets. de
De lhy , & de préférence furies navires expédiés
de Surate , comme les plus riches. Il ne refpeéte
pas même les bâtimens qui naviguoient munis de
fes paffe-ports, 8ril pouffe l’audace.jufqu’à s’emparer
d’une flotte chargée de vivres pour une armée
mogole. Cet horrible brigandage, qui dura
soute l’année 1688 , 'caufa dans tout l’Indoflan
des dommages ineftimables.
Aurengzeb , qui tenoit les rênes, de l ’empire
d’une main ferme , ne différa pas d’un moment
la punition d’ un fi grand outrage; Un de fes lieu-
tenans débarque, au commencement de 1689,
avec vingt mille hommes à Bombay, ifle importante
du Malabar, qu’ une princeffe de Portugal
avoit apportée en dot à Charles I I , & que ce
monarque avoit cédée à la compagnie en 1668.
A l’approche de l’ennemi, l’on abandonne le fort
de Magazan avec tant de précipitation, qu’o a y
oubliq de l’argent , des vivres , plufieurs caiffes
remplies d’armes, & quatorze pièces de gros
canon. Le général indien , enhardi par ce premier
avantage, attaque les anglois dans la plaine, les
bat & les réduit à fe renfermer tous dars la principale
forterefle, où il les invertit, & où il ef-
père bientôt les forcer de fe rendre.
Child , auffi lâche dans le danger qu’il avoit
paru audaçieux dans fes pirateries , envoie fur-
le-c.hamp des députés à la coür pour y demander
grâce. Après bien des fupplications , bien des
baffe fies , ces anglois font admis devant l'empereur
, les mains liées & la face profternée contre
terre. Aurengzeb , qui vouloit conferver une
liaifon qu'il erpyoit utile à fes états, ne fut pas
inflexible. Après avoir parlé en fouverain irrité,
en fouverain qui pouvoit & devoit peut-être fe
venger s il céda au repentir & aux foumiflîons.
L'éloignement de l'auteur des troubles, un dédommagement
convenable pour ceux de fes fujets
qu'on avoir, pillés : tels furent .les a êtes de juf-
tice auxquels le defpote, le plus abfolu qui fut
jamais, réduifit fes volontés fuprêmes. A ces conditions
fi moderees, il fut permis aux anglois de
continuer à jouir des privilèges qu’ ils avoient obtenus
dans les rades mogoles, à des époques
différentes.
Ainfi finit cette malheureufe af fairequi interrompit
le commerce de la compagnie pendant plufleurs
années s quioccafionna une dépenfe de neuf
à dix millions ; qui caufa la perte de cinq gros
vaifleaux, & d'un plus grand nombre de moindre
grandeur ; qui coûta la vie à plufieurs milliers
d excellais matelots , & qui fe termina par la
ruine du crédit & de l'honneur de la nation :
deux chofes dont la valeur eft au-deffus de tous
les calculs , & dont les deux Child auroient dû
paver la pert,e , de leur tête.
En changeant de maximes & de conduite , la
compagnie pouvoit fe flatter de fortir du précipice
affreux, où elle s’étoit jettée elle-même. Une
révolution qui lui étoit étrangère, ruina bientôt
ces douces efpérances. Jacques II fut précipité
du trône. Cet événement arma l'Europe entière.
Les fuites, de ces fànglantes divifions font affez
connues. L on^ignore peut-être que les armateurs
françois enlevèrent â la Grande-Bretagne'quatre
mille deux cents bâtimens marchands, qui furent
évalués fix cents foixante - quinze, millions de
livres, & que la plupart des vaifleaux qui reve-
floient des .Indes, fe trouvèrent compris dans’
cette fatale lifte.
. Ces déprédations furent fuivîés d'une difpofi-
tion économique , qui devoit accélérer la ruine
de la compagnie. Les réfugiés françois avoient
porté en Irlande &c en Ecoffe la. culture du lin
& du chanvre. Pour encourager cette branche
d’induftrie, on crut devoir proferire l’ ufage des
toiles des. Indes, excepté les mouffelines, &
celles qui étoient neceffaires au commerce d’A frique.
Un corps déjà épuifé pouvoit-il réfifter à
un coup fi imprévu , fi accablant ?
La paix qui devoit finir tant de malheur,, y
mit le comble. Il s eleva dans les trois royaumes
un cri général contre la compagnie. C e n'étoit
pas fa décadence qui lui fufeitoit des ennemis}
elle ne faifoit que les enhardir. Ses premiers pas
avoiént été_ contrariés. Dès i é i y , quelques politiques
avoient déclamé contre le commerce des
Indes orientales. Ils l'accufoient d'affaiblir les
forces .navales, par une grande confommation
d’hommes, & de diminuer fans dédommagement
les expéditions pour le Levant & pour la Ruffie.
Ces dameurs, quoique contredites par des hommes
éclairés , devinrent fi violentes vers l’ an 1628,
que la compagnie fe voyant expofée à l’animofit?
de la nation, s’adrefla au gouvernement. Elle le
fupplioit d'examiner la nature de fon commerce,
de le ( prohiber- s’il.étoit contraire aux intérêts
dé l'é ta t } & s’il lui étoit favorable, de Pauto-
rifer par une déclaration publique. Le tems n’a-
voit qu'affpupi cette oppofition nationale, & elle
fe renouvella plus furieufe que jamais .au temps
dont nous parlons. Ceux qui étoient moins rigides
dans leurs fpéculations., -confentoient qu',on
fit le commerce dès Indes; mais ils foutenoient
qu'il devoit être, ouvert à toute la nation.- Un
privilège exclufif leur paroiflbit un attentat mai
nifefté contre la liberté. Selon eux, les peuples