
réclamer fes fecours. Les mapelets foht des rnalio- mérans très-fanatiques, & leurs députés repréfen-
tèrent à A yder, dans leur harangue, que dieu
& le prophète dont il étoit l'allié, ne lui avoient
donné de pouvoir que pour le mettre en état^ de
protéger les croyans , & que le crime des infidèles
nayres lui donneroitl'occafion de faire de nouvelles
conquêtes.
A yder, qui n’avoit pas attendu ce moment pour
s’inftruire des forces des nayres, & des difficultés
qui pourroient s'oppofer a la conquête du Ca-
licut j promit juftice , & protection aux ma-
pelets. 11 raffembla une armée de douze mille
hommes de fes meilleures troupes 3. dont quatre
mille étoient de cavalerie, & huit mille d infanterie
j & il dirigea fa route par Mangalor &
Cananor. Il n’avoit que douze pièces de canon,
& il fit cingler fa flotte le long de la c ô te , pour
en tirer tous les fecours qu’elle feroit en état de
lui fournir.
En arrivant à Cananor, il trouva plus de douze
mille mapelets fous les armes, mal armés, il eft
v ra i, de fufils, de lances & de fabres, mais fu-
périeurs en courage aux nayres , & animés par
le defir le plus ardent de fe venger, 8c par l’ef-
péfance de fe dédommager aux dépens de leurs
ennemis, des pertes qu’ils avoient faites. | i*
Ayder établit fon camp fur le bord de la rivière
de Cananor; il envoya à Calicut une àmbalfade
compoféedesbramineslesplus diftingués de lacour,
avec ordre de repréfenter au famorin 8c à tous
les princes nayres , l'injuftice des cruautés qu’ils
s’étoient permifes envers les mapelets, 8c de dire
qu’il étoit venu en demander juftice; mais qu'avant
d’employer la force de fes armes, il leur offroit
fa médiation , que fi on vouloit punir les principaux
coupables, 8c donner une fatisfaâion jufte
8c raifonnable aux mapelets, fon armée ne péné-
treroit pas dans le pays, 8c qu'il rendroit à
-chacun la juftice qui lui feroit due. Les princes
nayres s’étoient promis une affiftance mutuelle ;
8c fur le bruit qu’Ayder venoit contre eux au
fecours des mapelets, ils avoient raffemblé plus
de roo mille hommes. Les députés d’Ayder ayant
fini leur harangue, les nayres répondirent qu’ils
‘ étoient étonnés de la démarché d’A yd e r , avec
lequel ils n’avoient jamais rien eu de commun , 8c
que fi fes troupes faifoient autre chofe que de boire
de l’eau de la rivière de Cananor, fi elles mettoient
feulement le pied dans cette rivière, elles fe-
roient punies de leur témérité. Sur. cette réponfe,
-les ambaffadeurs d'Ayder retournèrent auprès de
leur maître, 8c l’armée des nayres s’avança, dans
la ferme réfolution d’empêcher Ayder de paffer
la rivière.
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le pays. Les députés s’emprefsèrent de traiter avec
lui pour la sûreté de leurs comptoirs 8c de leuc
commerce j ils croyoient trouver ce grand conquérant
L ’arrivée d’Ayder 8c de fon armée , à la côte
Malabare , attira dans fon camp des députés de
toutes les nations européennes qui ont des éta-
bliflemens 8c des faéloreries fur cette côte. On ne dputa point qu’il ne fit la conquête de tout
à la tête d'une nombreufe armée , 8c ils furent
étonnés de lui voir fi peu de troupes > plufieurs en
témoignèrent leur furprife aux officiers européens
de l'armée : ils la comparoient aux forces des princes
nayres qu'ils évaluoient à plus de cent vingt
mille hommes .Ces officiers leur répondirent qu’A y der
auroit pu former une armée beaucoup plus nombreufe
j que s’il n'avoit amené que douze mille
hommes, il croyoit en avoir allez pour battre
fes ennemis } leur réponfe fit peu d'impreflion
fur des députés qui n’avoient aucune notion de
l’art militaire, & encore moins de la taélique.
Ils fe hâtèrent de retourner dans leurs comptoirs»
bien perfuadés que la petite armée d’Ayder feroit
écrafée par celle des nayres qui avoient une
nombreufe artillerie dont ils avoient garni les bords
de la rivière, & qui ne ceffoient de tirailler.
Ayder qui connoiffoit parfaitement le génie de
tous les peuples de l’ind q, fe tenoit affuré de
la vi&oire, & il fondoit fon efpérance fur fa cavalerie
, corps de [troupes abfolument inconnu
aux nayres > aucune armée étrangère n’ayant pénétré
jufqu’ici fur la côte Malabare, ôn n’y avoit
vu que quelques chevaux appartenans aux chefs
des comptoirs qui les avoient achetés pour leur
plaifir plutôt que pour leur ufage ; car ce payé,
coupé de ruiffeaux,. de montagnes , de bois , 8c
fujet à des pluies continuelles pendant fept mois
de l’année, eft peu propre aux chevaux.
Pour paffer la rivière en dépit de cette nombreufe
armée & fon artillerie , Ayder fit entrer
fa flotte dans la rivière 5 fes vaifleaux la remontèrent
, autant qu’il fut poflible ; il rangea fon
infanterie en bataille fur une feule ligne, fes douze
pièces de canons en avant, & il attendit le mo-,
ment où l’eau feroit très - b affe , & il s’avança
alors au grand galop, à la tête de toute fa cavalerie
qu’il avoit tenue cachée, hors de là vue
de l’ armée des nayres $ il pénétra dans la rivière,
précédé d’une compagnie de cinquante huflards ,
refte de la cavalerie venue de Pondicheri. La rapidité
du courant étoit arrêtée par fes vaifleaux
échoués qui tiroîent à toute volée fur la terre,
& il traverfa fans peine la rivière dans une largeur
de près d’ une lieue, tantôt à gué & tantôt
à la nage. Il gagna l’autre rive, ou les nayres,
occupés des moyens d’arrêter l’infanterie qui fai-
foit mine de vouloir paffer la rivière > & effrayés
par l’apparition fubite de cette cavalerie, s’enfuirent
à toutes jambes, fans regarder derrière
eux. Ayder qui s’y attendoit, avoit ordonné de
pourfuivre les fuyards à toute bride, en fabranc
tout ceux qu’on pourroit atteindre jil avoit défendu
d e s ’amufer à faire des prifonniers, ou à butiner.
Son ordre fut exécute à la lettre, & fur un
efpace de plus de quatre lieues, parmi des chemins
divers, on ne voyoit que des membres épais
des hommes mutilés. La confirmation fut générale
dans tout le pays des nayres j les cruautés
des mapelets, qui à la fuite de la cavalerie mafia-
croient tout ce qui' avoit échappe, fans épargner
les femmes & les enfans , l’augmentèrent
encore. L’ armée d’Ayder s’avançant fous la conduite
de ces furieux , trouvoit les bourgs, les
villages, les fortereffes, les temples» & généralement
tous les lieux habités , abandonnés de- g
ferts. C e ne fut guère qu’aux environs deTelicheri
& Mahé, établiffement françois 8c anglois, qu’elle
vit les myards- réfugiés auprès de ces comptoirs.
L ’armée ne manquoit de rien 5 elle eut par-tout
des vaches, des boeu fs , des poules, du r iz , 8c
toutes les provifîons qu’on peut délirer dans un
pays fertile > les fuyards ayant tout abandonné ,
u’auroient ofé fe charger de. rien de ce:qui pouvoit
ralentir leur fuite..
Ayder fit. féjourner fon armée auprès de ces
comptoirs, & il envoya de la offrir la paix au
famorin & aux autres princes. Le famorin, qui
étoit v ieux , demeura tranquille dans fon palais,
& dit qu’il attendoit fon vainqueur, 8c fe remettait
à fa difcrétion.
Cette halte de l’armée, l’envoi de plufieurs
bramines, & fur-tout la tranquillité du famorin,
raffinèrent les cultivateurs & les arrifans, qui f p
tournèrent pour la plupart dans leurs maifons >
les mapelets qui n’en vouloient qu*aux nayres ,
les y engagèrent : les nayres fe tenoient cachés
dans les bois & fur les montagnes , d’où ils con-
tiuuoient la petite guerre. - -■ : . ....
Ayder fe mit en marche pour Calicut > il ne trouva
fiir fa. route de réfiftance que dans une pagode
fortifiée & élevée fur une montagne, où
un prince, neveu du famorin', & fou héritier pre-
fomptif,- s’étoit réfugié, 8c d’où il eut 1 adrefle
de fe fauver, quoique la place fût bien inveftie :
leé bramines en ouvrirent les portes après le départ
du prince. Ayder continua fa route pour
C alicut, où fa flotte j ’avoit devancé > il fe logea,
dans la fa&orie angloife. Il apprit que le famorin
étoit tranquille dans fon palais, fans aucune
garde, qu’ il attendoit les ordres du vainqueur,
& qu’il en efpéroit un bon traitement, parce qu’il
-s'étoit toujours oppofé à la réfolution de maffa-
crer les mapelets, & qu’il avoit prédit à fes neveux
les fuites de cet attentat. .
Ayder fe rendit fur le champ au palais du famorin
qu’il envoya prévenir de fa vifite j il trouva
ce prince qui* venoit au-devant de lui , & qui j
su moment qu’ il le v it, fe profterna à fes pieds.
Ayder s’emprefla de le relever : le famorin lui
offrit deux baflins d’o r , l’un plein de pierreries,
& l'autre de pièces d’o r , deux petits canons d'or
avec leurs affûts de même métal. Les deux princes
entrèrent au palais j Ayder eut pour le famorin
les plus grands égards, & il lui promit que,
moyennant un tribut annuel, il lui rendroit fes
i t a t s , auflitôt que tout le pays auroit mis bas
les armes , 8c qu’on auroit arrangé à l’amiable
les intérêts des mapelets. Ces deux princes fe
quittèrent enfuite, très fatisfaits l’ un de l’autre
en apparence. On fut très-étonné le lendemain
au point du jour de voir le palais du famorin en
feu j 8c quoique les fecours fuflent prompts, 8c
qu’Ayder s’y tranfportât lui-même, comme l’édifice
étoit prefque tout en bois, il fut impoflîble
de rien fauver, & le famoriâ périt au milieu des
flammes avec fa famille, 8c à ce qu’on prélume ,
beaucoup de richeffes.
Le famorin avoit fait mettre le feu à fon palais
, & il termina ainfi fa vie y des lettres qu’il
avoit reçues de fes neveux des rois de Travan-
cour & de Cochin qui lui faifoient^ les reproches
les plus amers, & l e ehargeoient. d’imprécations,
lé traitant de lâche ,. de,.traître à fa patrie &. à
fa religion qu’il abandonnoit aux mahométans,
lui infpirèrenc cet aéte de défefpoir : le bra-
mine qui lui avoit apporté ces lettres, lui avoit
fignifié qu’il ctoit chafîe de fa cafte, & tous les
nayres & les bramines avoient juré de ne plus
communiquer avec lui. La fin tragique du famorin
toucha beaucoup, Ayder j il fut fi irrite contre les
neveux de ce prince, qu’il jura publiquement de
ne point leur rendre leurs états.
Les princes de Caficut, feco.urus par les rois de
Travancour 8c de C o ch in , avoient formé une
armée affez confidérable fur la rivière de Paniani,
à douze lieues de C alicut, où ils paroiffoient devoir
faire plus de réfiftance que fur la rivière de
Cananor : ils avoient même ramaffé quelque ca-
noniers européens &r portugais métifs j mais Ayder
alla les chercher, ils n’eurent pas le courage de
l ’attendre, & ils prirent la "fuite avec leurs troupes.
Ayder paffa la rivière & emporta Paniani , la
meilleure & prefque la feule fortereffe du pays,
& pourfuivit toujours fes ennemis j il arriva aux environs
de C ochin , où , par la médiation des
hollandais il donna la paix au roi de ce nom, qui
s’engagea à lui payer tribut.
L ’exemple du roi de Çochin entraîna tous les
princes nayres, qui demandèrent la paix, rendirent
hommage à A y d e r , 8c s’ engagèrent au
même tribut} chacun d’eux promit, d’ailleurs, de
rendre juftice aux mapelets dans fon diftri&, &
Ayder leur rendit leurs domaines. Les neveux du
famorin furent les feuls princes qui ne furent
point rétablis.
Ayder, ayant mis garnifon à Calicut 8c à Paniani
, donna le gouvernement de cet état au
raja de Coilmontour, bramine & prince d’un
petit pays* dépendant de MaiJJour, qui n’eft fé-
paré de celui des nayres que par les montagnes.
Il efpéroit que ce prince refpe&able pour les nayres
, en fa qualité de bramine, feroit d’autant
plus propre à les maintenir dans la paix 8c dans
le devoir, qu’il étoit plus au fait de leurs moeurs
8c de leurs coutumes. Quelques années après, Ayder fentit que la