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près des limites qui réparent & joignent, pour-
ainfi-dire, l'Afrique, l’Afie & l’Europe, les Phéniciens
pouvoient, linon lier entr’eux les habi-
tans de la terre,, du moins être les médiateurs de
leurs échanges, & communiquer à chaque nation
les joui(lances de tous les climats. Mais l ’antiquité
, que nous avons fou vent furpafiee, quoiqu’elle
nous ait beaucoup appris, n’avoit pas d’af-
fez grands jnoyens pour un commerce univerfel.
La Phénicie borna fa marine à des galères, (on
commerce au cabotage, & fa navigation à la médi-
terranée. Modèle des peuples maritimes, on fait
moins ce qu’il a fait que ce qu’il a pu faire : on
conjecture fa population par fes colonies. On veut
qu’il ait couvert de fes elTaims les bords de la
Méditerranée, & fur-tout les côtes d’Afrique.
T y r , ouSidon , reine de la mer, enfanta C ar thage.
L’opulence de T y r lui avoit forgé des fers
& donné des tyrans.
PH IL IP P IN E S , illes de la mer de l’Inde ou
l ’Efpagne, a des établilfemens. Les Philippines &
les Marianes forment à l’Efpagne un état de 14
ou 1 5 cent mille fujets , & nous croyons devoir
«n parler avec beaucoup d’étendue.
Précis de la découverte , de la conquête G* des êta-
blijfemens qnon y -a formés.
Magellan fut le premier européen qui reconnut
les Philippines. Mécontent du Portugal fa patrie
, il étoit palfé au fervice de Charles-Quint ;
& par le détroit qui depuis porta fon nom, il
arriva en 1 y2i aux Manilles, d’o ù , après fa mort,
fes lieutenans fe rendirent aux Moluques, découvertes
dix ou onze ans auparavant par les Portugais.
C e voyage auroit eu vraifemblablement
des fuites remarquables, lî elles n’avoient été arrêtées
par la combinaison dont on va rendre
compte.
Tandis qu’au quinzième fïèele les portugais
s’ouvrirent la route des Indes orientales & fe ren-
doient les maîtres des épiceries & des manufactures
qui avoient toujours fait les délices des nations
policées, les efpagnols s’affuroient, par la
découverte de l’Amérique, plus de tréfors que
l ’imagination des hommes n’ en avoit jufqu’alors
defiré.Quoiqueles deux nations fuiviffent'Ieurs vues
d’agrandiffement dans des régions bien féparées,
îi parut poflible que l’on fe rencontrât. Leur antipathie
auroit rendu cet événement dangereux.
Pour le prévenir , le pape fixa en 1495, les prétentions
refpeétive$ , par une fuite de ce pouvoir
univerfel que les pontifes de Rome s’é-
toient arrogé depuis pîufieurs fiécles, & que
l’ ignorance de deux peuples prolongeoit encore
pour affocier le ciel à leur avarice. Il donna 3
î’Efpagne tout le pays qu-on découvriroit à I’oueft
du méridien, pris a cent lieues des Açores , &
au Portugal tout çe quil pourvoit conquérir à J’eft
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de ce méridien. L ’année fuivante, les puiffances
intéreffées convinrent d’elles - mêmes , àTo^dé-
fillas, de placer la ligne de démarcation à trois
cents foixante-dix lieues des illes du cap Verd.
C ’étoit aux yeux les plus clairs-voyans y une précaution
fuperflue. A cette époque , perfonne ne
connoiffoit alfcz la théorie dé la terre pour prévoir
que les navigateurs d’une couronne, pouffant
leurs découvertes du côté de i’oueft, & les
navigateurs de l ’autre du côté de l’e l l , arrive-
roient tôt ou tard au même terme. L ’expêditio»
de Magellan démontra cette vérité.
La cour de Lisbonne ne dilfimura pas les inquiétudes
que lui caufoit cet évènement. On la
voyoit déterminée à tout hafarder plutôt qu’ à
fouffrir qu’un rival, déjà trop favorifé parla fortune,
vint lui difputer l’empire des mers d’Afie.
Toutefois, avant de fe commettre avec le feul
peuple dont les forces maritimes fuffent alors redoutables
, elle crut devoir tenter les voies de la
conciliation. C e moyenréuflit plus facilement qu’il
n’étoit naturel de l’efpérer.
Charles-Quint, que des entreprifes trop vafte*
& trop multipliées réduifoient à des befoins fré-
quens, abandonna irrévocablement, en 15 2 9 ,
pour 350,000 ducats ou pour 2,598,750 livres ,
toutes les prétentions qu’il pouvoit avoir fur les
pays reconnus en fon nom dans l’Océan Indien j
il étendit même la ligne de la démarcation portu-
gaife jusqu’aux ifles des larrons C ’eft du moins
ce que diient lés hiftoriens portugais} caries écrL
vains caftillans veulent que leur monarque fe foit
réfervé la faculté de reprendre la difcuffton de
fes droits , & de les faire valoir fi la décifion lui
étoit favorable ; mais feulement après, avoir rem<»
bourfé l’argent qu’ il toucboit.
Le traité de Sarragoffe eut le fort ordinaire aux
conventions politiques.
Philippe II reprit, en 1560, le projet de fou-
mettre les manilles. L’Efpagne étoit trop afFoiblie
par fes conquêtes d’Amérique, pour imaginer de
fonder à l’extrémité des Indes orientales un nouvel
empire par la violence. Les voies douces de
la perfuafion entrèrent, pour la première "fois y
dans fon plan d’agrandiffement. Elle chargea quelques
millionnaires de lui acquérir des fujets 3
& ils ne trompèrent pas entièrement fon attente.
Les hommes, autrefois idolâtres ou mahomé-
tans, que la religion chrétienne fournit à l ’Efpagne.,
fur les cô te s , n’étoient pas tout-à fait
fauvages > comme ceux de l’intérieur des terres.
Us avoiem des chefs, des lo ix , desmaifons, quelques
arts imparfaits. Pîufieurs connoiflbient ou peu
de culture. La propriété des champs qu’ils avoient
femés leur fut allurée 5 & le bonheur dont ils
jouiffoient, fit defirer des poffeflions à d’autres.
Les moines, chargés d'en faire la diftribution ^
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«cfervèrent pouf eux les portions les plus étendues/
les mieux fituees. les plus fertiles de ce
fol immenfe > & le gouvernement leur ei> ht une
ceflion formelle.
• On fe promettoit beaucoup de ces arrangeo
n s , tout imparfaits qu’ils étoient, Pîufieurs
caufes fe font réunies pour en empêcher le fuc-
CCD ’abord, la plupart des mîfTionnaires élevés
dans l’ignorance & l’oifiveté des cloîtres, n ont
pas , comme il le failoit, excité au travail les indiens
qu’ils avoient fous leur dire&ion. On peut
même dire qu’ils les en ont détournés , pour les
occuper fans celle de cérémonies d’affemblees,
de folemnités religieufes. Un fyftême aufli contraire
à la faine politique, a laiffé dans le néant
les terres diftribuées aux peuples aflujettis. Celles
mêmes de leurs condu&eurs ont été peu & mal
cultivées, peut-être parce que le gouvernement
fait diftribuer tous les ans à ces religieux 525,000
livres. H . .
La conduite des efpagnols a toujours encourage
cette inaâion funette. Le penchant à 1 oifivete ,
que ces hommes avoient apporté de leur patrie,
fur encore fortifié par la permiffion que leur accorda
la cour d’envoyer tous les ans en Amérique
un vaifTeau chargé des produ&ions des ma-
nufaélures de l’ Afie. Les trefors que rapportoit^
cet immenfe bâtiment, leur fit envifager comme
honteufes & intolérables , même les occupations
les plus honnêtes & les moins pénibles. Jamais
leur mollefie ne connut d’autres reflources pour
vivre dans les délices. A u ffi, des que les malheurs
de la guerre fufpendoient pour un an ou
deux l’expédition du galion, ces conquérans tom-
boient-ils la plupart dans une mifère affreufe. Ils
devenoient mendians, voleurs, ou aüafiîns.. Et
les tribunaux étoient impuiffans contre tant de
crimes.
Les chinois s’offroient naturellement pour donner
aux art£ & à la culture l’adtivité que 1 indolence
des indiens & la fierté des efpagnols leur
refufoient. Les navigateurs de cette nation célèbre
alloient, de temps immémorial , chercher
aux Manilles les produ&ions naturelles à ces ifles.
Ils continuèrent à les fréquenter après qu’elles
eurent fubi un joug étranger. Leur nombre s’accrut
encore, lorfque les richeffes du Mexique
& du Pérou, qui y circuloient, donnèrent lieu
à des fpéculations plus vaftes. Sur leurs navires
arrivèrent bientôt un grand nombre d’ouvriers,
un plus grand de cultivateurs , trop multipliés
dans cet empire floriffant. Ces hommes laborieux ,
économes & intelligens vouloient défricher les
campagnes, établir des ^manufactures , créer tous
les genres d’induftrie, pourvu qu’on leur donnât
la propriété de quelques parties d’un immenfe
terrein qui n’avoit point de maître, pourvu que
les tributs qu’on exig,eroit d’eux füffent modérés.
C ’étoit un moyen infaillible d’ établir à l ’extrémité
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de l’Afie i fans perte d’hommes, fans facrifice
d’argent, une colonie floriffante. Le malheur des
Philippines a voulu qu’on n’ait pas allez fenti
cette vérité j & cependant le peu de bien qui
s’eft fait dans ces ifles a été principalement l’ouvragé
des chinois.
L ’Efpagne a fournis à fa domination, dans cet
Archipel, quelques parties de neuf grandes ifles>
Celle de Luçon, qui eft la plus confidérable, a
cent vingt lieues de long , fur trente & quarante
de large. Les efpagnols y abordent par une grande
baie circulaire, formée par deux caps, à deux lieues
de diftance l’ un de l’autre. Dans ce court efpace fe
trouve la petite ifle de Marivelles. Elle laiffe deux
palTages. Celui de l’eft eft le plus étroit & le plus
sûr.. _ _ . _
Au fud - eft de la baie eft Cavité. C e p o r t,
défendu par un petit fort & une garnifon de trois
cents hommes, a la forme d’ un fe r -à -che va l.
Douze vaiffeaux y font en sûreté fur un fond de
vafe. C ’eft là qu’on conftruit les bâtimens nécef-
faires pour le fervice de la colonie.
Dans la même baie, à trois lieues de Cavité
& près de l’embouchure d’un fleuve navigable,
s’élève la fameufe ville de Manille. L ’Efpagne \
qui l’enleva aux indiens en 1 5 7 1 , la jugea propre
à devenir le centre de l’état qu’on vouloit
fonder, & y'fixa le gouvernement & le commerce.
Gomez Perez de Las Marignas l’entoura de murs
en 1590, & y bâtit la citadelle de Saint-Jacques.
Elle s’eft depuis agrandie & embellie. La rivière
qui la traverfe , defcend d’ un lac qui a vingt
lieues de tour. Il eft formé par quarante ruifleaux,
fur chacun defquels eft établie une peuplade d’indiens
cultivateurs. C ’eft de là que la capitale de
l’empire reçoit fes fubfiftances. Son malheur eft
d’être fituée entre deux volcans qui fe communiquent,
& dont les foyers, toujours en a&ion ,
femblent préparer fa ruine.
Dans tout l’Archipel on ne compte, fuivantle
dénombrement de 17 52 , qu’un million trois cents
cinquante mille indiens, qui aient fubi le joug
efpagnol. b * plupart font chrétiens, & tous, depuis
feize jufqu’ à cinquante ans , paient une capitation
de deux livres quatorze fols. On les 3
partagés en vingt-deux provinces, dont la feul©
ifle de Luçon en contient douze , quoiqu’elle ne
foit pas entièrement aflujettie.
La Colonie a pour chef un gouverneur, dont
l’autorité fubordonnée au vice-roi du Mexique ,
doit durer huit ans. Il a le commandement des
armées.. Il préfide à tous les tribunaux. Il difpofe
de tous les emplois civils & militaires. Il peut
diftribuer des terres, les ériger même en fiefs.
Cette puiffance quivn’eft un peu balancée que
par l’influence du clergé, s’eft trouvée fi dange-
reufe , que pour en arrêter l’excès, on a imaginé
pîufieurs expédiens. Le plus utile a éfé celui qui
réglé qu’on pourfuivra la mémoire d un gouver-»
heur mort dans l’exefciee de fa place, & que cehtf
y h h h 2