
tice du prince, ou les limites qu'elle s'eft de tout
temps prefcrites *»9.
« .Autant que le pouvoir du clergé eft dangereux
dans une république, autant'eft-.il convenable
dans une monarchie, fur tout dans celles qui
vont au defpotifme? Ou en feroiént l'Efpagne
& le Portugal depuis la perte de leurs loix, fans
ce pouvoir qui arjête feuila puilfance arbitraire?
Barrière toujours bonne Iorfqu'il n'y en a point
d'autre : c a r , comme le defpotifme caufe à la
nature humaine des maux effroyables, le mal qui
Je limite eft un bien»,.
« Comme la mer qui fèmblè vouloir couvrir
toute la terre, eft arrêtée par les herbes &;le$
moindres graviers qui fe trouvent fur le rivage,
ainfi les monarques , dont le pouvoir paroît fans
bornes, s'arrêtent parles plus petits obftacles,
&: Soumettent leur fierté naturelle à la. plainte &
à la prière ».
M. Law 3 par une ignorance égale de la constitution
républicaine & de la monarchique , fut
un des plus grands promoteurs du defpotifme que
l'on eut encore vu en Europe. Outre les çhan-
gemens qu’il fit fi bruCqùes , fi inufités , il voulait
ôter les rangs intermédiaires, & anéantir les
corps politiques : il diflbîvoit ( I ) la monarchie
par fes chimériques rembourfemens, & fembloit
vouloir racheter la conftitution même.
Il ne Suffit pas qu'il y ait dans une monarchie
des rangs intermédiaires ; il. faut encore un dépôt
dé loix. Ce dépôt ne peut être que dans les corps
politiques, qui annoncent les loix lorsqu'elles font
faite s , & les rappellent lorfqu'on les oublie.
L ’ignorance naturelle à la nobleffe, fon inattention
, fon mépris pour le gouvernement civil ,
exigent qu'il y ait un corps qui fafle fans cefie
Sortir Ifs loix de la pouflière où elles feroient
enfevelies. Le confeil du prince n'eft pas un dépôt
convenable. Il eft , par fa nature, le dépôt
de la volonté momentanée du prince qui exécute,
& non pas le dépôt des loix fondamentales. De
plus , le confeil du monarque change fans celle 5
51 n'eft point permanent ; il ne fauroit être nombreux
j il n'a point à un affez haut degré la confiance
du peuple 5 il n’eft donc pas en état de l'é-
cîairer dans les temps difficiles, ni de le ramener
à l'obéiffance.
Dans'les états defpotiques, où il n’y a point
de loix fondamentales , il n'y a pas non plus de
dépôt de loix. De-là vient q ue , dans ce pays,
la religion a ordinairement tant de force ; c'eft
qu’elle forme une efpèce de dépôt & de permanence
: & fi ce n'eft pas la religion, ce font les
coutumes qu'on y vénère au lieu des loix.
Que la vertu rieft point le principe du gouvernement
monarchique t
Dans les monarchies, la politique fait faire les
grandes chofes avec le moins de vertu qu'elle
peut j comme ,. dans les plus belles machines ,
l'art emploie auffî peu de mouvemens , de forces
& de roues qu'il eft poffible.
L'état fubfifte indépendamment de l'amour pour
la patrie , du defir de la vraie gloire , du renoncement
à foi même , du Sacrifice de fes plus chers
intérêts, & de;toutes ces vertus héroïques que
nous trouvons dans les anciens , & dont nous
avons feulement entendu parler.
Les loix y . tiennent la place de toutes ces vertus
: une adion qui fe fait fans bruit, y eft en
quelque façon fans conséquence.
Quoique tous les crimes foient publics^par leur
nature,.on diftingue pourtant les crimes véritablement
publics, d’avec les. crimes privés , ainfi
appeltés , parce: qu'ils ofüénfent plus un particulier
que la Société entière.
O r , dans les républiques, les crimes privés
font publics, c’eft-à-dire,, choquent plus la conftitution
de l'état que les particuliers j & , ; dans
les monarchies, les crimes publics fönt plus priv
é s , c'eft-à dire, choquent, plus les fortunes particulières
que la conftitution de l'état même.
Je Supplie qu'on ne:s'offenfe pas de ce qiie fa i
dit j je parle après toutes les hiftoires. Je fais très-
bicn qu'il n'eft pas rare qu'il y ait des princes vertueux
s mais je dis que, dans une monarchie\ il
eft très-difficile que le peuple le foit (2). :
Qu’on life ce que les hiftoriens de tous les tems
ont dit fur la rcour des monarques y qu'on fe rappelle
les convei ïations des hommes de * toii$ les
pays fur le mi férable car à Itère des cou'rtifàris : ce
ne font point, des chofes de Spéculation , mais
d'une trifte expérience.
L'ambition dans'l'oifîvëté, la baffeffe dans l'orgueil
, le defir de s'enrichir fans travail , i'aver-
fion pour la vérité , la flatterie , la trahifon , la
perfidie, l’abandon de tous fes engagémens , le
mépris des devoirs du citoyen , ’ la crainte de la
| vertu du prince , 1'efpérance de Ses foibleffeÇ , & ,
1 plus que tout cela , le ridicule, perpétuel jette fur
la vertu, forment, je crois, le caractère du plus
grand nombre des courtifans , marqué dans tous
les lieux. & dans tous les tems. Or , il eft très-
mal-aifé que la plüpart des principaux d'un état
foient mal-honnêtes gens, & que les inférieurs
foient gens de bien 5 que ceux - là foient trom(
1) Ferdinand , roi d’Arragon , fe fît grand-maître des ordres , & cela fêul altéra la conftitution.
(a) Je parle ici de la vertu politique, qui eft la yertu morale dans le Cens qu’elle fe dirige au bien général
, fort peu des vertus mojales particulières; 8c point du tout de cette vertu qui a du rapport aux vérités
révélées.
peurs, & que ceux-ci consentent à n’être que
dupes.
Que fi dans le peuple il fe trouve quelqu'auftere
honnête homme (1) , le Teftament politique du
cardinal de Richelieu infinité qu’un monarque doit
fe garder de s’en fervir (2). Tant il eft vrai que
la • vertu févere n'eft pas le reffort de ce gouvernement
! Certainement elle 11'en eft point
exclue ; mais elle n'en eft pas le reflort.
Comment on fupplée a la vertu dans le gouvernement
monarchique.
Je me hâte & je marche à grands pas , afin
qu'on ne croie pas que je faflfe une Satyre du
gouvernement monarchique. Non : s'il manque
d'un reffort, il en a un autre. L'honneur, c'eft-
à-dire , le préjugé de chaque perfonne & de chaque
condition, prend la place de la vertu politique
dont j'ai parlé, & la repréfente par-tout.
Il y peut infpirer les plus belles allions ; il
peut, joint à là force des lo ix , conduire au but
du gouvernement comme la vertu même.
Ainfi, dans les monarchies bien réglées, tout
le monde fera à-peu-près bon citoyen , & on
trouvera rarement quelqu'un qui foit homme de
bien ; c a r , pour être homme de bien ( 4 ) , il
faut avoir intention de l'ê tre , 3c aimer l'état
moins pour foi que pour lui-même.
Du principe de la monarchie.
Le gouvernement monarchique fuppofe, comme
nous avons dit, desprééminènees, des rangs, &
même une nobleffe d’origine. La nature de Y honneur
eft de demander des préférences & des diftinc-
tions j il eft donc, par la chofe même, placé dans
ce gouvernement.
. L'an^bition eft pernicieufe dans une république.
Elle a de bons effets dans la monarchie; elle donne
la vie à ce gouvernement ; & on y1 a cet avantage,
qu'elle n’y eft pas dangereufe, parce qu'elle y peut
être fans cefle réprimée.
. Vous diriez qu’il en eft comme du fyftême de
l ’univers, où il y a une force qui éloigne fans ctffe
du centre tous les corps , & une force de pefan-
t.eur qui les y ramène. L ’honneur fait mouvoir toutes
les parties -du corps politique j il les lie par fon
allion même, & il fe trouve que chacun va au
bien commun, croyant aller à fes intérêts particuliers,......
Il eft vrai que, philofophiquement parlant,
c'eft un honneur faux'qui conduit toutes les partïes
de l’état *. mais cet hônneur faux eft auffî utile
au public , que le vrai le feroit aux particuliers qui
pourroient l'avoir.
Et n'eft ce pas beaucoup d'obliger les hommes
à faire toutes les allions difficiles, & qui demandent
de la force, fans autre récompense que le bruit
de ces allions ?
De la corruption du principe de la monarchie.
ce Comme les démocraties fe perdent, dit Mon-
» tefquieu, lorfque le peuple dépouille le fénat,
9> les magïfirats & les juges de leurs fondions, les
» monarchies fe corrompent lorfqu'on ôte peuà-peu
>9 les prérogatives des corps, ou les privilèges des
»> villes. Dans le premier cas , on va au defpo-
*> tifme de tous j dans l'autre , au defpotifme d'un
99 feul ». Cette affertion eft trop générale* car
il faut diftinguer les prérogatives des corps > oné-
reufes au peuple, & les privilèges contraires a 1 in-
dullrie & au bien général. _ . ' ..
« C e qui perdit les dynafties de Tfîn & de Soiii,
9> dit un auteur chinois, c’eft qu’au lieu de fe bor-
>9 ner comme les anciens à une infpeltion gefle-
9» raie, feule digne du tbuverain, les princes vou-
» lurent gouverner tout immédiatement par eux-
93 mêmes (4) 93. L ’auteur chinois nous donne ici
la caufe de la corruption de prefque toutes les
monarchies.
La monarchie fe perd, lorfqu’un prince croit
qu’il montre plus fa puiffance, en changeant l’ordre
des chofes qu'en le fuivant, Iorfqu'il ôte les
fondions naturelles des uns5 pour les donner arbitrairement
à d’autres, & lorsqu'il eft plus amoureux
de fes fantaîfies que de fes volontés,
La monarchie fe perd , lorfque le prince rapportant
tout uniquement à lui, appelle l'état à fa capitale,
la capitale à fa cour, & la cour à fa feule
perfonne. i y
Enfin elle feperd, lorfqu'un prince méconnoit
fon autorité, fàfituation, l'amour de fes peuples,
& Iorfqu'il ne fgnt pas bien qu’ un monarque doit
fe juger en sûreté comme un defpote doit fe croire
en péril.
Le principe de la monarchie fe corrompt, . lorfque
les premières dignités font les marques de la
première feryitude, lorfqu’on ôte aux grands le
refped des peuples, & qu'on les rend de vils inf-
trumens du pouvoir arbitraire.
Il fe corrompt encore plus lorfque l'honneur
a été mis en contradidion avec les honneurs,
& que l'on peut être à la fois couvert d’infamie
(5) & de dignités.
Il fe corrompt, lorfque le prince change fa
(j) jEntendez. ceci dans le>. fens dé la note ;précédente,
fi) Il ne faut pas, ÿ eft-il dit, fe fervir des gens de bas lieu ; ils font trop auftères 8c. trop difficiles.
(3 ) Ce mot , homme de ; bien > ne s’entend ici que dans un fens politique.
m.) Compilation d’ouvrages faits fous les Ming, rapportés par le père du ïfalde.
£5) -Sous le règne de Tibère l’on éleva des ftatues, & l’on donna les ôrnemèns triomphaux aux délateurs