
Sc des petits, mais.: perfonne d’opprimé ; qui
même, dans ce partage inégal, conlerve une forte
d'égalité , en ouvrant à tous le chemin des premières
places ; qui ne (ouffre aucun mal dans fa- ,
famille que ceux quelle ne peut empêcher, la
maladie 8c la mort s qui croit n'avoir rien fait.en
donnant le jour à les enfans, fi elle n’y-ajoute
le bien-être. C 'e ft 1 une puiffance aufli ancienne
que la fociété , fondée fur la nature & l'ordre ;
une puiffance fupérieure à toutes les puiflances s
une puiffance qui foumet à fes loix ceux qui commandent
en fon nom comme ceux qui obéifient.
C'eft une divinité qui n'accepte des offrandes que
pour les.répandre , qui demande plus d’attachement
que de crainte, qui fourit en faifant du
bien , 8c qui foupire en lançant la foudre.
Telle eft la patrie l’amour qu’on lui porte conduit
à la bonté des moeurs, 8c la bonté des moeurs
conduit à l’amour de la patrie : cet amour eff l’amour
des loix 8c du bonheur de l'éta t, amour
finguliérement affeété aux démocraties : c ’eft une
vertu politique, par- laquelle on renoncé à foi-
même,, en. préférant l’intérêt public au lien propre
: c'eft. nn fentiment, 8c non une fuite, de
fes connoiffances ; Te dernier homme de l'état
peut avoir ce fentiment comme le chef de la république.
Le mot de patrie étoit un des premiers mots
que les enfans bégïydient chez les grecs 8c chez
les romains : c'étoit l’ame des converfations 8c le
cri de guerre ; il embelliffoit la poëfie , il échauf-
foit tes orateurs, il préfidoit au fénat. il reten-
tiffoit au théâtre 8c dans les affemblées du peuple
, il étoit gravé fur les monumens. Cicéron
trouvoit ce mor fi tendre , qu’ il le préféroit à
tout autre , quand il parloir des intérêts de
Rome.
Chez les grecs 8c les romains , des ufages rappelaient
fans ceffe l’idée de la patrie avec.le mot j
les couronnes, les triomphes, les ftatues, les
tombeaux , les. oraifoiis funèbres étoient autant
de refforts pour le patriotifir.e. On y trouvoit aufli
des fpeâacles vraiment publics, où tous les ordres
fe délaffoient en commun ; des tribunes où
la- patrie , par la bouche de fes orateurs, conful-
toit fes enfans fur les moyens de les rendre
heureux 8c glorieux. Mais entrons dans le récit
des faits qui prouveront tout ce que nous venons
de dire.
Loifque les grecs vainquirent les perfes à Sa-
lamine, on emebdoit d’ un côté la voix d'un maître
impérieux qui chaffoit des efclaves au combat,
8c de l’autre le mot de patrie qui animoit des
hommes libres. Auffi les grecs n’avoient ils rien de
plus cher que l’amour de la patrie ; travailler pour
elle’ étoit leur gloire 8c leur bonheur. Licurgue,
S olon, Mtltiade, Thémiftocle, Ariitide préfc-
roient leur patrie à toutes les chofes du monde.
L’an■ , dans un confeil de guerre , tenu par la république
, voit là canne d’Eunbiade levée fur lui
il ne lui répond que cestfois mots : frappe/mais
écoute. Ariftide, après avoir long- tems difpofé
des forces & des finances d*Athènes , ne laifta
pas de quoi fe ' faire enterrer.
Les femmes fpartiates vouloient plaire-, quoi
qu’on en puilïe croire 5 mais elles comptoient arriver
plus finement à leur b u t, en mêlant le
zèle de la patrie avec les grâces. Va* mon fils ,
difoit l’ une , arme-toi 'pour défendre ta patrie ,
& ne reviens qu’avec ton bouclier ou fur ton bouclier
, c’eft-à-dire , vainqueur ou mort. Confole-
toi , difoit une autre mère à un de fes fils , con-
fole-toi de la jambe que tu as perdue,, tu ne
feras pas un pas qui ne te falTe fouvenir que tu
as défendu la patrie. Après la bataille de Leuc-
tres , toutes les mères de ceux qui avoient péri
en combattant fe félicitoient , tandis que les autres
pleuroient fur leurs fils qui re-venoient vaincus
; elles fe yantoient de mettre des hommes au
monde, parce que , dans le berceau même elles
leur môntroient la patrie comme leur première
mère.
Rome, qui avoit reçu des grecs l’idée qu’on devoit
fe former de la patrie 3 la grava très-profondement
dans l e coeur de fes citoyens. 11 y avoit
même ceci de particulier c^ez les romains, qu’ils
mêloient quelques fentimens religieux à l’amour
qu’ils avoient pour la patrie. Cette ville fondée
d ’après les meilleurs aufpices 3 ce Romulusleur roi
& leur dieu 5 ce capitole éternel comme la ville ,.
& la ville étemelle comme fon fondateur, avoient
fait fur les romains une impreffiofr extraordinaire.
Brutus, pour conferver fa patrie 3 fit couper la
tête à fes fils, & cette aétion ne paroîtra dénaturée
qu’aux âmes foibles. Sans la mort des deux
traîtres, la patrie, de Brutus expiroit au berceau*
Yalérius Publicola n’eut qu’ à nommer le nom de
patrie pour rendre le fénat plus populaire > M e-
nenius Agrippa, pour ramener lé peuple du mont
facré dans le fein de la république> j Véturie , car les
femmes à Rome comme à Sparte, étoient citoyennes
j Vétu rie, pour/défarmer Coriolan fon filsi
Manlius, Camilleƒ Scipion , pour vaincre les
ennemis du nom romains les deux Catons.,. pour
conferver les loix & les anciennes moeurs j C icéron
, pour effrayer Antoine & foudroyer C a tilina.
On eût dit que ce mot patrie renfermoit une
vertu fecrètte, non-feulement pour rendre yail-
lans les plus timides , félon l’expreflion dç Lucien
, mais encore pour enfanter des héros dans
tous les genres, pour opérer toutes fortes de
prodiges. Difons mieux, il y avoit dans ces âmes
grecques-& romaines, des vertus qui les rendoient
fenfibles à la valeur du mot. Je ne parle pas de
ces petites -vertus qui n'ous attirent - des louanges
à peu de ■ frais dans nos fédérés particulières »
j ’entends ces qualités ' citoyennes-, cette vigueur
de l’amè qui nous fait faire & foüffrir de grandes
chofes pour le bien public. Fabius eft raillé -,
mépri-fé , infulte' par fon collègue & par -fon armée}
n’importe, il ne change rién:'daüS fon plan»
ïl tempo ri lé encore,' & il vient à bout de vaincre
Annibal: Régulus, p'our cbnfervef un avantage
à Rome-, diffua'de J ’échange des pri fonciers, pri- '
fonnier lui-même, & il retourne à Carthage où
les fupphces l’ attendent. Trois Décius lignaient
leur confulat, en fe dévouant à une mort certaine.
Tant que nous regarderons ces généreux
citoyens comme d iHuftrcs foux , & leurs a étions
comme des* Vertus de thé'atre > le mot patrie fera
ma? connu de nous.
Jamais peut - être cm n’entendit ce beau mot:
avec plus de refpeéè, plus d’ amour 3 plus de fruit
qu'au temps de Fabricius. Chacun fait ce qu’il dit
à Pyrrhus : « gardez votre or & vos honneurs' }
» nous autres romains a nous fomrnes tous riches,
» • parce que la patrie 3 pour nous élever aux gràn-
« des places , ne nous derrftnde que du -mérite ».
Mais chacun ne fait.pas que mille autres romains'
l ’auroient dit. C e ton patriotique étoit le ton général
dans une v ille, où tous les ordres étoient
vertueux.’ Voilà pourquoi Rome parut une famille
à Cynéas , rambafladeur de Pyrrhus, & qu’il vit
dans le fénat une aftemblée de rois.
Les chofes changèrent avec' lés- moeurs. Vers
la fin de .la république , on ne connut plus le mot
patrie que'pour Je profaner. Catilina & Tes furieux
complices deft-inbieht à là mort quiconque
le prononçoit encore en romain Craft-uvs & Cé-
far né s’en fervoient que pour voiler leur ambition
; & lorfque dans la fuite ce même Céfar ,
en paifant le Rubicon , dit à fes foldats qu’ il alloit
venger les injures de la patrie , il abufoit étrangement
fes troupes. C e n’étoit pas en foupant comme
Craffus, en bâtiffant comme LucUllus , en fe
proftituant à la débauche comme Clodius-, en
pillant les provinces comme Verrès, -en formant
des projets de tyrannie comme C é far, en flattant
Céfar comme Antoine, qu’on apprenoit à aimer
la patrie.
Je fais pourtant qu’au milieu de ce défordre^,
dans le gouvernement & dans les moeurs, on vit
encore quelques,romains foupirer pour le bien de
leur patrie. Titus Labienus en eft un exemple bien
remarquable. Supérieur aux vues d’ambition les
plus féduifantes, l’ami de Céfar , le compagnon
& fouvent l’ inftrumênt de fes viétoires , il abandonna
, fans héficer , une caufe qùe la fortune
de la' patrie'3 & comment i’ auroit-elle confervé ?
On voyoit le brigand âgé uni avec l’autorité , le
manège & l ’intrigue difpofer des charges , toutes
les rich.eiïes entre les mains d’un petit nombre,
..Un luxe exceftjf infülter'à l’extrême pauvreté , le
laboureur ne regarder fon champ que comme un
prétexte à la vexation ,* chaque citoyen réduit à
làifTer le bién- général, pour ne s’occuper c[ue dii
fien'. Fous :1 es principes du' gouvernement etoient
Corrompus y toutes les loix-; plioient au gré du
fouverain. Plus de forcé dans le fénat, plus de
fureté poiir les particuliers : lés fénateurs qui au-/
roient voulu défendre la liberté publique , auraient
protégeolt} & s’immolant pour l’amour de fa pi-
trie 3 \\ efnbrafla le partf de Pompée où il avoit
tout a rifquer, & où même , en cas dé fuccès,
il ne pouVoit trouver qü’unè çôhfidéra.tion très-
ïaiediocre. Maisenfin Rome oublia fous Tibère tout amour
rifqué Ja leur. C e n’étoit qu’une tyrannie
foürde, exercée à l ’ombre des loix malheur
à qui s’en appercevoit ! rëpréfenter fes craintes,
c ’étoit les redoubler. T ib è re , endormi dans fon
ifle de Cap rée, laifToit faire à Séjan } & Séjan ,
miniftre digne d’un tel maître , fit tout ce qu’il
falloit pour étouffer chez les romains tout amour
de- leur patrie.
Rien n’ éft plus à la gloire de Trajan que d’en
avoir reffufeité les débris.' Six tyrans également
cruels, prefque tous furieux, fouvent imbécilles,
l’a voient précédé fur' le,' trône. Les règnes de
- fitus & deNerva f tirent trop'courts pour établir
l’amour de la patrie. Trajan projetta d’en
venir à bout : voyons comment il s’y prit.
H débuta par dire à Saburanus , préfet du prétoire
, en lui donnant la marque de cette dignité,,
c’ étoitune épéè : « prends ce fer pour l’employer
» à me défendre fi je gouverne bien ma patrie ,
» ou' contre moi fi je me conduis mal ». Il relu
fa les fomrnes que les nouveaux empereurs re-
cevoient des villes j il diminua confidérablement
les impôts > il vendit une partie dés maifons impériales
au profit de l’état} il fit des Iargeffes à
tous les pauvres citoyens 3 il empêcha les riches
de s’enrichir à l’excès 5 & ceux qu’ il mit en charg
e , les qtiefl uis, les préteurs , les proconfuls ns
virent-qu’un feui moyen de s’y maintenir, celui
de s’occuper du bonheur des peuples. Il ramena
l ’abondance , l’ordre & la juftice dans les provinces
& dans Rome, où fon palais étoit aufli ouvert
au public que les temples, fur-tout à ceux
qui venoient repréfenter les intérêts de la patrie.
Quand on vit le maître du monde- fe fou mettre
aux lo ix , rendre au fénat fa fplendeur & fon autorité,
ne rien faire que de concert avec lui, ne
regarder la dignité irhpériale que comme une {impie
magiftràture comptable envers Ta patrie, enfin
Je bien, préfènt prendre une confiftànce pour l’avenir,
alors on ne fe-contint plus. Les femmes
fe félicitoient d’avoir donné des enfans à la pa-
'■ trie 3 les 'jeunés’' gens ne’parloient «que de TilluT-
t f e f } les'vieilJards repr.enoient des forces pour la
fervir} !tous s’écrioient, heureufe patrie î glorieux
empereur 1 Tous , par acclamation , donnèrent au
rpèillèuT' des prirxç'és un titre qui renfermoit tous
Jès titVes père de la patrie. Mais quand de non