
vaiion du depot de la liberté publique. Les peines
■ feront d’autant plus juftes, que le fouverain con-
iervera aux particuliers une liberté plus grande,
& qu’en même tems la liberté publique demeurera
plus inviolable & plus facrée.
La première conféquence de ces principes eft
qu’il n’appartient qu’aux loix feules de décerner
la peine des crimes, 6c que le droit de faire les
loix penales ne peut rélider que dans le légifla-
teur qui repréfente la fociété unie par le contrat
focial. Il fuit delà que le magiftrat n’ étant qu’une
partie de la fociété , ne peut avec juftice, infliger
à un membre de la fociété une peine qui
n’elt pas décernée par la lo i , & Comme l’ ac-
croiflement de févérité dans une peiné quelconque
déjà décernée parla loi au-delà du terme
fixé eft la peine fixée plus une autre peine] il
réfuke qu^aucun magiftrat, même fous prétexte
de bien public, ne peut accroître la peine prononcée
contre le crime d’un citoyen.
La .deuxième conféquence eft que le fouverain
qui repréfente la 'fociété même , ne peut' que
faire la;iloi pénale- générale , à laquelle tous les
membres de la fociété font fournis 5 mais qu’il ne
lui appartient pas de juger fi un particulier a encouru
la péine portée par la loi. En effet, dans
le cas d’ un d é lit , ii y a deux partis j le fouverain
qui afiure que le contrat focial eft violé ,
6c l’accafé lui-même qui nie la réalité de cette
•violation. Il eft donc néceffatre qu’ il v ait un juge ■
entre eux deux qui décide la eonteftation j c ’eft-
à-dire ■, un magiftrat dont les jugemensfoient fans
appel, & confiftent dans une fimple affirmation :
ou négation de faits particuliers.
La troifième conféquence eft , quandd’attrocité
des peines ne feroit pas réprouvée par ces vertus
bienfaifantes , qui font l’ouvrage de la raifon
éclairée , & qui feront toujours préférer de commander
plutôt à' des hommes heureux & libres , |
qu’ à un troupeau d’ efclaves , quand elle ne feroit
pas. directement oppofée au bien de la fociétéj, !
& à l’ob jet. même auquel elle eft dirigée] qurl
eft d ’empêcher les crimes y c’eft aflez qu’elle fok 1
inutile pour devoir»être regardée comme injufte,
& comme contraire à, la nature du contrat facial.
Douceur des peines, .
La fin de l’établiflement des peines ne fau-
foit être de tourmenter un être fenfible, ni de
défaire , ( qu’on nous permette cette expreflion ;)
un crime déjà commis. Comment un corps politique
:> qui,-loin' d’agir1 par paflion,,.met,un frein
aux paffions particulières, péut-il adopter cette
cruauté inutile!» infiniment' de la "fureur &: du
fanatifrne-, ou d e d a foibleffedes tyrans,? les cris
d ’uri-'‘malheureux dans les ■ 'tourmens peuvent* ils j
rappel; er du pafte qui ne revient plus le crime
qu’il a commis» .. .
Aulli convient - on que l’objet des peines eft
d’empêcher le coupable de nuire déformais a pf
fociété , & de détourner fes concitoyens de commettre
des crimes femblables. Parmi les peines ,
on doit donc employer celles qui étant propor*
tionnées aux. crimes, feront l’impreffion la plus
efficace & ; la plus durable fur les efprits des
hommes, 6c en même tems la moins cruelle fur
le corps du criminel.
Qui ne friflbnnè d’horreur , en voyant dans
l’ hiftoire , . tant de tourmens barbares 6c inutiles
, inventés & employés froidement par des
hommes qui fe donnoient le nom de fages ? qui
ne fent frémir au dedans de lui la partie la plus
fenfible de lui-même au fpeftacîe de ces milliers
de malheureux , tantôt forcés- par le défefpoir de
fe rejetter dans l’état de nature , pour fe dérober
à des maux caufés ou tolérés par ces loix qui ont
toujours outragé le plus grand nombre, & favo-
rifé le plus petit ] tantôt accufés de crimes im-
poffibles ou fabriqués par l’ignorance & la fuperf-
tition 5 ou enfin coupables feulement d’avoir été
fidèles à leurs propres principes ? qui.peut , dts-
je ^ les voir délivrés avec appareil & avec lenteur
, par des hommes doués des mêmes fens &
des mêmes paffions ; 6c une multitude fanatique
repaifîant.fes yeux de cet horrible fpeCtacle !
L ’atrocité même dé la peine fait qu’on ofe faire
davantage pour s’y fouftraire, & qu’on commet
^plufieurs crimes pour éviter la punition due à un
feu). Les pays & les temps où les fupplices les
plus cruels, ont été mis .en ufage , font ceux où
l’ on a vu les crimes les plus atroces. Le même el-
prit de férocité qui conduifoit la main du légif-
lateur , guidoit celle de l’ aflaffin & du parricide»
Sur' le trône , il diCtoit des loix de fang à des
âmes féroces & affervies,; qui obéiftbient, tandis
qu’il animoit Je citoyen obfcur à immoler fes
tyrans,, pour-en créer de nouveaux.
A mefure ^que les fupplices deviennent plu*
cruels, les âmes fe mettent;, poür-ainfi-dire aù.
niveau de la férocité des lo ix , s’ehdurciftent} Se
la force toujours vive des caftions fait qu’ au bout
de cent ans, la roue n’ eftraye pas plus qu’aupa-
rayant la prifon.Pour qu!une piine produife fan
effet-, il fuffit que le mal qu’ elle catife. fur.pafle
le bien qui revient du crime y en faifant. mêmh
entrer dans le-calçul de, l’excès du mal fur ie: bien f
la certitude- de la • punition ;'8ç la perte ! des avantages
que le crime produiroit.: Toute févérité qui
pafte ces limites eft inutile , 6c par cônféquent
tyrannique. .uiv : .'VS n-.v;:r.:
Les hommes règlent leur conduite d’après l’action
répétée desmaux qu’ils cpnnoiffént, & non
d’après celle des maux qu’ils, ignorent. Q u on. fup-
pofe deux nations* chez-lefqtteHes, dans la pro-
greffion des peines proportionnées, àicelledes.* crimes,
hpeine la plus grande faitdans'l’une., l’ efclai-
vage perpétuel, 6c dans l’autre, la roue. Je dis
que-, dans l’une & dans l’âutré , ces deuxl peines
infpireront une égale terreur; & s’ il y «Voit une
raifon de tranfporter dans la première de ees nations
le fupplice rigoureux1 établi dans la jeeonciei
la même raifon conduiroit;auflt‘.a-acerOitre nlans
celle-ci la cruauté du fupplice efi ‘'panant ne ta
roue à des-tourmens plus lents 6c recherchés
, & 'dernier: raffinement de la fciènée* U4s
tyrans. ' ^
Deux ' autres conféquehcès funèftes'.fuivent^en^
core de la cruauté des peines contre h fin meme
de leur établiflement, qui eft de prévenir le crime.
La première eft qu’il n’e f t ‘pas aum racile
d’établir la proportion qui eft néceffairé1 entre le
crime- St la péine.- L’autre conféquence elt que
l’impunité naît de là cruauté tnerne du fùpphce.
•Je finis par une réflexion. ; Lar gŸandèuf' des
peines'-;doît''être rèlative‘à 't état aétiie-l -Si aux
circonftances données, ;où fe trouve une nation.
Il faut des impreffions plus fortes & plus fen-
fibles fur les efprits d’un péuple a peine forti de
la barbarie. Il faut un - coup tle tonnerre pour
abattre un lion, féroce , qüé l e ’Coup de fufil ne
fait qu’ irriter y mais à mefüre'que les anses-s arftol- ;
liftent dans- l’état dé I foéiete , la fenfibilité de *
châquêrindividü augmenté 3 • & fon accroiflement
■ demande qû’ori diminue là rigueur des peines , fi
l’on veut conférver lès mêmes rapports entre
l’objet & la fehfation. Ouvrage du marquis de Bec-
caria..
De là peine de mort.
-'L’*aüteur eélèbfè qui floü5:a-for-thésles réflexions
qu’on vient dêr lire ,: dit -fur -ce;'pô'irit w» Gette
profufion inutile de fdpplicés', qui n’a jamais rendu
les hommes meilleurs j.m’ à pouffé à examiner-
fi la peine de mort eft’ véritablement utile Si jufte
dans un gouvernement bien organifé. Quel peut-
être ce droit que les -hommes fe donnent, d’é -1
gorgèr leurs femblables ?dè n’e-fhcertainement pas!
celqi fur lequel font fondées la fouveraineté
lés loix. Les-lôix ne font que-la'fomffie'dés^ portions
de liberté de chaque- particulier , les plus petites
que chacun ait pu céder. Elles repréfentent- la
volonté générale, qui e'ft l’ aftemblage de toutes
les volontés particulières. Q r y qui jamais a voulu
‘ donner aux aiitrés hommes le-droit’de lui; ôter
» La peine de 'mort1 n’eft donc aûtôrifée' pat
- aucun droit ? ; Elle ne peut 'être qd’uné1 giieVrede
la -nation contre un -cito’yen', dbnt' on regarde; là
deftruétion comme utile SC uéceffaire à lâ cony
fervatiôn de là fociété- Si donC ie démontre que,
dans l’état Ordinaire de! la<fbefété^ Ia; mort d;ui)
citoyen n’ éft ni ùtilé'V ni-néceft'aire ] j’auraî gagné
la' Caufe^de l’-tomànit'éJ» •
; ^ Je' dis* datiè i’«tâé‘6'rdinairèj car laîmort d’u$
citoyén' péuyiêtre -néceftairè -en un cas i Sa -c^eft
lorfque privé dè 'fa* liberté y il a encore des re-
*1 a ri® ns 6c une püifTanceJqui peuvent troubler la
tranquillité delà natibft'y quand fon -exifteti«© peut
produire uné' révolution dans la forme du gouvernement
établi. Ce, cas riè.peut avoir lieu que
lorfqù’ une nation perd ou recouvre fa liberté ,
Ou datis-lésitemps d’anarchie y lorfquedes défor-
dreS- itjême-tiennent lieu dé loa’x. Mais pendant
■ le règne tranqiûlle de la 'légiflation-, 6c fous, une
; formé 'dé gouverinemenc approuvée par les voeux
féu’nis de ta natibn ; dans Un état défendu: contre
j fes ennemis; du . dehors , & Soutenu au - dedans
i par là force & par l’opinion , plus efficace que
la forcé même-, où 1 autorité eft toute entière
! entre les mains du fouverain î ou les richefles ne
i peuvent acheter :que des plaifirs 8e non du ppu~
| vbir il ne peut ÿ avoir aucune néceflité d’ ôtér
| la v i e i i un citoyen.-.^ * . ’ • ' : : j
;;■ !'« pe>n’eft pas l’intenfité de la petr.e qifi fait
rie plus -grand effet1 »fur l’efprrt hnmain , mais; fa
.durée j parce que notre fenfibilité eft plus faci-
! lement: 8e plus durablement affe&ée par des im-
; preftions foibles , mais ^ répétées , que par un
mouvement violent, mais paflager. »? .
| ;• C e retout : fréquent du fpeftateur fur luir
,mênie ; « fi-je commett'ois. .un crime , je fer ois rendait
toute ma: vie k :cette malheureufe condition , »
: fiait line, bien» plus, forte, impr.eftion que l’ idée de
ria mort que les. hommes voient toujours dans un
-lointain _obfeur.» ^ y 1 • -
*> La. terreur que oaufe l’ idée de la mort, a
.beau-être, forte-» elle.ne réfifter:pas à l’oubli , fi
naturel à l’homme * »même dans les- chofes les
plus eftentielles ; furtout lorfque cet oubli eft appuyé
.par les pafiîons. ;Règlé générale. Les im-
preftions violehtes furprennenr en frappant, mais
leur effet ne dure pas 1 elles font capables de
produire ces révolutions, qui font tout-a-coup
d’un homme vulgaire un’ lacedemonieri, o_u_aui
, romain mais dans un;.gpuvej'nement tranquille
iî& : libre 3 elles doivfent-être plus, fréquentes que
E & r f e s , 1 ’- • ’ j :
(; Là peine ;de mort'eft encors un mal pour
. la.fociété , par l’exemple d’atrocitéiqu’elle donne.
Si .les paffions ou la néceflité d e .la guerçe-ont
enTeigné aux hommes à répandre,1e,fang humain,
.au moins;.les loix ,ù dont : le. but eft d'infpirer.la
i.d.oucelLt :& l’humanité, ,': ne doivent !pas multi-
.Ipîiet-fcs exempleside cette barbarie, exemples
-d'autant ; plus : horribles pqjre; la mort légalê^ eft
.dbnhée avec plus, d'appareil & de formalite. »
.7.-.h- Si Lan moppofe.que.prefqiie tous les.jjecles
;i&;-toutes, les nations oiit idécemé la de
mort contre certains aimes., je réponds que cet
exemple n'a aucune force contre la vérité, à la-
quelle on ce peut oppofer de ptefcription. L'hil-
toire deshommes.*ft une,nier immenfe d'erreurs,
où l'on voit furnager çà & là & à de grandes
diftancesientre'ilfesj un-petit norahre, de,vérités
. mal connues..»iiu , Ht . ..,i; _
iM! le marquis.-de. .Beccaria développe ces principes
avec beaucoup de; fagacite &■ de profon-
1 de ut : entraîné pair la pénétration de &n efprit 8c