
ces .énormes avances, avoient la folle prétention
de former, dans la capitale de la France, le plan
des entreprifes qui convenoient à ce nouveau-
Monde. Paris,: qui ne connoît pas même les
provinces qu'il dédaigné & qu'il épuife 5 Paris
vouloit tout foumettre aux opérations de fes frivoles
& rapides calculateurs. De l'hotel de la
compagnie, on arrangeoit, on façonnoit, On di-
rigeoit chaque habitant de la Louifiane , avec les
gênes & les entraves qufon jugeoit bien ou mal
favorables au monopole. De légers encouragemçns,
accordés à des citoyens qu'on auroit appelles dans
la; colonie., en leur affûtant cet-te liberté que tout
homme dcfire, la propriété qu'il a droit d'attendre
de fon travail, & Ja protection que toute fo-
ciété doit à fes membres: ces encouragemens donnés
à des propriétaires guidés par les cir-conftan-
ces locales, éclairés par l'intérêt perfonnel, au-
roient produit dés effets infiniment plus grands &
plus durables, des établiffemens plus étendus,
plus folides & plus utiles que tous ceux qu’un
privilège excîufif avoit pu faire avec fes tréfors,
adminiftrés & diflribués par des agens qui ne-pou-
voient avoir , ni toutes les connoiffances néceffai-
rës à tant d'opérations différentes, ni même un
intérêt immédiat au fuccès.
Cependant le miniltère croyoit important au
bien de l'état de laiffer la Louifiane entre les mains
de la compagnie. C e corps eut befoin de tout fon
crédit pour obtenir la permiffion d’ aliéner oet-te
portion de fon privilège. On lui fit même acheter
en 1731 cette faveur par le facrifice d'une fomme
de i,4)0,ooo liv.
Tout le temps que le privilège excîufif avoit
tenu la Louifiane dans les fers il avoit exigé , félon
les diftances, cinquante, foixante , quatre-
vingt, cent pour cent de bénéfice-fur les mar-
chandifes qu'il y faifoit paffer j il avoit réglé, par
un tarif plus oppreffeur encore , Je prix des denrées
que la colonie lui liVroit. Comment un éta-
bliffement naiffant auroit-il pu faire des progrès
fous le joug d'une pareille tyrannie ? Auffi le découragement
étoit-il univerfel. Pour redonner du
reiïort & de l'énergie aux efprits, le gouverne^
ment voulut qu'une p.offeffiort , devenue vraiment
nationale , éprouvât de plus heureufes influences.
Dans cette vu e , il régla que tout ce que le commerce
de France porteroit dans cette contrée ,
que tout ce qu'il en rapporteroit, feroit exempt
pendant dix ans de tous les droits d'entrée & de
fortie. Voyons à quel degré de profpérité une
difpofitipn fi fage éleya cette région célèbre.
On donnoit alors le nom de Louifiane à une
vafte contrée, bornée au midi par la mer , au
levant par la Floride & la Caroline , au couchant
par le Nouveau-Mexique, au nord par le Canada
8t par les terres inconnues, qui fe trouvent juf-
qufà la baie de Hu'dfon. Sa longueur n'étoit pas
fixée avec précifion j mais fa largeur commune
paflois poyr être d e deux cents lieues.
En fuppofant line ligne tirée à quelques lieues de
l'embouchure du Miffil&pitout, çe , qui eft
de ce fleuve jufqu'aux lacs, fait aujourd'hui partie
des EtatsrÜms* : nous ignoro.ns fi , à 1 époque
du traité de pai-x entre l'Angleterre & les républiques
d'Amérique, l'Efpagne a téçfemé ces
terres comme dépendantes d_e h Louifiane/. &. en
effet, l'étendue de la Louifiane., telle qu'on la voit
fur les anciennes, cartes, n'étQÎt fondée que fur
la fan-taifie des géographes ou .des foifeurs de
projets. Peut-être leminift.ère britannique a^t-h ce de
la Floride orientale aux efpagnols pour. les.dédommager.'
Mais les défe-nfeurs du traité n'ont fait çette
réponfe ni à la chambre des pairs.,. ni à’cçjlçs, des
communes. ' :
Climat, fol. Le climat varie beaucoup dans qn
fi grand efpace. A la bÆt-liOp.iJiane , les brouillards
font trop communs au. printemps; durant
l'automne j l'hiver eff pluvieux , ,8? accompagne
de loin en loin de foibles .gelées ; la plupart des
jours d'été font gâtés par de viplens orages. Sur
ce valie efpace, les chaleurs ne font nulle part
telles qu'on dev.roit les attendre de fa latitude.
Les épaiffes forêts qui empêchent les,rayons du
foleil d-échauffer ce fo;l*j des rivières innombrables
qui y entretiennent une humidité habituelle j le.s
vents q u i, par une longue continuité de terres ,
arrivent du nord : toutes ces raifons expliquent aux
yeux des phyficiens ce phénomène étonnant pour
le vulgaire.
Quoique les maladies ne foient pas communes
dans la haute-Louifiane 3 elles font peut-être plus
rares dans la baffe. C e n'eft toutefois qu'une lan^
gue de terre de deux ou trois lieues, de largeur ,
remplie d'infeêtes, d'eaux ftagnantes , de matières
végétales qui croupiffent dans une athmofphère
humide & chaude, principe,confiant de la diffô-
lution des corps. Sous ce c k l , où tous .les êtres
morts fubiffent.généralement une putréfaction rapide,
l'homme jouit d'une faute plus affermie que dans
les régions que tout porteroit à croire plus faluJbres*
Antérieurement à tous les effais, on devoit
croire cette région fufceptibJe. d'une? grande fécondité.
Elle, était remplie de fruits fàuvages. Une
multitude prodigieufe d'oifeaux & de bêtes fauves
y trouvoient une fubfiftanee.abondante. Ses prair
ries , formées par la nature feule, étoient couvertes
de chevreuils & de bifons. Les arbres étoient
remarquables par leur groffeur, par leur élévation
5 & il n'y manquoit que les bois de teinture,
qui necroiffent qu'entre les tropiques. D'heu-
reufes expériences ont depuis confirmé ces augures
favorables.
Mijfijfipi, fa navigation. On n'a p,as encore découvert
la fourcedu fleuve qui coupe du nqrd.ay
fud ce pays immenfe. Les voyageurs les plus déterminés
ne l'ont guère remonté que deux cents
lieues au-deffus du faut Saint-Antoine, qui en
barre le cours par une cafcade affez haute, vers
les quarante-ftx degrés de latitude. De là jqfqy ji
la mer , c 'e ff a-dire, dans . un circuit de. fept cens
lîei?es ^ la rwivîgâtioh n'eft pas interrompue. Le
Mifliflîpi arrivé1 fans obllacie à l’Océan, après
avoir été groffi par la rivière des Illinois, par le
Miffouri, pat l'O h io , par cent rivières moins
confidéràbles.
Quand on ne confidère que la largeur & la profondeur
du Miffiflipi, on eft porté à croire que
la navigation y ell très-facile. Cependant elle eft
fente , meme en defcëndant, parce qu'il y auroit
du danger à la continuer pendant la nuit dans des
temps qbfcursj & qu’ au lieu de ces légers canots
d'écorce , qui font d'un ufage fi commode dans
le relie de 1 Amérique, il faut-employer des pi
rogues plus folides, 8è par conféquentplus lourdes
, plus difficiles à manier. Sans ces précautions,
on'feroit fans ceffe ex pôle à heurter contré les
branches.pu contre les racines des arbres entraînés
en foule par le fleuve, & fouvent arrêtés fous
l'eau Les difficultés augmentent encore, quand
il s'agit de remonter.
A" une affez grande diflance des terres, il faut,
avant que d'entrer daris le Miffiflipi, fe déb.ar-
raffer des bois flottans qui. font defeendus dé la
Louifiane, La côte eft fî plate,, qu'on l'apperçoit
à peine de deux lieues, l&| qu'il n'eft, pas facile
d’y aborder. Les embouchures du fleuve font multipliées
: elles changent d'un moment à l'autre ,
& la plupart n'ont que fort peu d'eau. Lorfque
les navires ont heureufement franchi tant d'obf-
taçles , ils naviguent affez paifiblement dix ou
douze lieues , à travers un pays noyé , où l'oeil
n’apperçoit que des joncs & quelques arbuftes.
Iis trouvent-alors fur les deux rives, des forêts
épaiffes qu’ils franchiffent en deux ou trois jours,
à moins que des calmes , allez ordinaires durant
l'é t é , n'arrêtent leur marche. Il faut en fui te fe
faire touer , ou attendre un nouveau vent pour
paffer le détroit à l'Anglais, & arriver à la Nouvelle
Orléans.. Le relie de ffa navigation, fur un
fhuve fi rapide, fi rempli de eourans, fe fait avec
des Bateailx 'à rame S<à v o ile , qui font forcés
d aller de pointe en pointe, & q u i, partis dès
l ’aurore , ont;beaucoup avancé, quand , a l’entrée
de ta nuit, ils fe trpqvent avoir fait cinq ou fix
lieues. Les européens qui y font embarqués, fe
font fuivre par terre de chaffeurs fauvages, qui
fourniffent à leur fubfiftanee, pendant un efpace j
d'environ trois mois & demi que dure la navigation,
d'une extrémité de la colonie à.l’autre.
Ces difficulté? locales font les plus grandes que
fe France .ait eu à furmpnter dans la formation
de fes établiffemens à la Louifiane.
Les anglôis fixés à l'ell ont toujours été fi occupes
de leurs cultures, qu'ils n’ont jamaisfongé
iqu a les étendre ,, qu'à les perfectionner. L ’efprit
de conquête ou de ravage ne les a pas détournés
de leurs travaux. Euffent-ils eu du penchant à la
jaloufie, les François ne fe conduifoient pas de ma-
Jueve a la provoquer.
Entreprifes des ejpagnols pour écarter âu nouveau-
Mc.xique les colonies angloifes de tAmérique jep-
tentrÏQjiQlè. Les efpagnols , pour leur malheur ,
furent plus entreprenans du cpté de l'ojiieiL L'en-
vie d'é-loigner du nouveau-Mexique un voifin act
if , leur fit former, en 1720, le.projet de pouffer
une peuplade confidérable fort au-déjà des limites
dans lefquelles ils s'ëtoient jufqu'alors renfermés.
La nombreufe caravane qui deyoit la cpmpofer ,
partit de Santa-Fé. Elle dirigea fa marche vers
les ofages , qii'on vouloit armer contre leurs en-.
Remis , les miffouris , dont on avoit réfolu d'occuper
la place. Les efpagnols s'égarèrent : ils arrivèrent
prccifément chez la nation dont ils mé-
ditoient la perte ; & fe croy ant où ils avoient voulu
fo rendre , ils expliquèrent fans détour le fujet
qui les amenoit.
Le chef des miffouris, inftrüit par cette mé-
: prifé'fihgùîièrê du danger ; que lui & les fiens
avoient couru, diflimulaTon reffentiment. Il promit
de conconrir avec joie au fuccès de I'entre-
prife qui lui étoit propbfée, & ne demanda que
quarante-huit heures pourra ffeinbler fes guerriers.
Lorrqu'ils fe virent armés, - au nombre de deux
mille, ils fondirent fur les efpagnols qu'on avoit
amùfes par des jeux, & les égorgèrent dans le
fommeil.Tout fut mafiaeré, hommes, femmes.,
enfans. L'aumônier feul échappa au carnage, &
encore ne dut-il fa confervation qu'à la fingula-
rité de fes vêtemens. Cette cataftrophe ayant
raffuré la Louifiane du côté qui paroiffoit le plus
menacé, la colonie ne pouyoit plus être troublée
que par les. naturels du pays.
Progrès de la colonie de la Louifiane entre les
mains .des franc ois , & objlacles quelle éprouve. Les
naturels du pays , quoique plus nombreux alors
que de nos jours, n'étoient pas fort redoutables.
Ces Tauvâges fe trouvoient divifés en plu-
fieurs nations , tontes trèsToibles, toutes enne-^
mies , quoique réparées par des déferts immenfes^
Quelques-unes avoient une demeure fixe. Des
feuillages entrelacés, étendus fur des pieux, for-
môient leurs habitations. Des peaüx de bêtes fauves
couvi'oient les tribus qui n'alloient pas tout-
à-fait nues. L a ch a ffe , la pêche, le maïs, quelques
fruits fourniflbient à leur nourriture. On leur
trou voit les mêmes habitudes qu’aux peuples du
Canada , mais avec moins de force & de courag
e , moins d'énergie & d'intelligence , moins de
caractère. Nous avons donné à l'article E t a t s -
U n is un état des diverfes tribus de fauvages,
qui fe trouvent dans l'enceinte ou à la portée des
nouvelles républiques américaines , & nous y renvoyons
le leôteur. Mais lorfque les françois parurent
à la L o u ifia n e cê-'péuple ne comptoit que
deux mille guerriers , & ne formoit que quelques
bourgades placées à une grande diflance
les unes -des qutres, -mais toutes rapprochées du
Miffiflipi.