
dant, depuis la dernière refonte de l’o r , que
cette eftimation s'éloignoît affez de la vérité ,
non en plus, mais en moins. Süppofons donc ,
félon le calcul exagéré de M. Horfèlÿ, que fo r &
I'argènt monnoyés 3 pris enfembie, fe montoient à
30 millions fterling. Si les anglois avoient fait la
guerre de 1756 avec leur monnoie, il fimdroit ,
même en fuivant ce calcul, que toute leur monnoie
fût fortie du royaume, & y fût rentrée pour
Je moins deux fois dans l’efpace de fix à fept ans.
Mais cette fuppofition fournit l'argument-le plus
décifif , pour démontrer combien il eft inutile
que le gouvernement veille à ce qüe la quantité
d'argent ne diminue pas , puifque tout l'argent
monnoyé feroit forti 8c rentré deux fois 3 en lî
peu de temps, fans que perfonne s'en doutât.
Durant cet intervalle cependant, le Canal de la
circulation n'a point paru plus viiide qu'à l'ordinaire.
L'argent ne manquoit pas à Ceux qui avoient
des chofes à donner en échange. Véritablement
lès profits du commerce étranger furent plus
grands qüe de coutume durant toute cette guerre,
& fpécialemen: lorfqu'elle tendoit à fa fin. Ces
profits extraordinaires occafïonnèrent , comme
il arrive toujours , un commerce outré. Le mal
fut général dans tous les ports d'Angleterre, &
ces folles entreprifes de commerce ne manquèrent
pas d'occafiônner à leur tour les plaintes accoutumées
fur la difette d'argent. Elle régnoit véritablement
parmi bien de gens qui n’avoient ni
moyens pour en acheter, ni crédit pour en emprunter
; & par la raifon que les débiteurs trou-
voient de la difficulté à emprunter, les créanciers
en trouvoiènt à être payés.
L'énorme dépenfe de cette guerre de 1756 a
donc été défrayée principalement, non par l'exportation
de l'or & de l'argent, mais par celle
des marchandifes angloifes d'une efpèce ou d'une
autre. Lorfque le gouvernement fe procuroit chez
un négociant une traite dans le pays étranger,
le négociant cherchoit à payer fon correfpondai.t
étranger fur lequel il avoit donné une lettre de
change à tirer, plutôt avec des marchandifes ,
qu'en envoyant de l’or & de l'argent. Si on n'a-
voit pas befoin des marchandifes de la Grande-
Bretagne dans ce pays-là, il cherchoit à les envoyer
dans quelqu'autre où il pût acheter une lettre
de change fur celui-là. Le tranfport des marchandifes
, quand elles vont à ceux qui les demandent
, eft toujours fuivid’un bénéfice confidérable ,
au lieu que celui de l'or & de l'argent n'eft presque
jamais utile. Lorfqu'on envoie cçs métaux
au dehors pour acheter des marchandifès étrangères
, le profit du marchand vient non de l'achat,
mais de la vente des retours. Mais quand on les
fait paffer chez l'étranger pour payer une dette,
il n'y a point de retour, 8c par conféquent de
bénéfice pour le négociant. Ce négociant doit
"donc employer fon efprit & ‘ fon expérien- I
c e , pour trouver le moyen de payer ce qu'il >
doit à l’étranger plutôt par le tranfport des marchandifes
, que par celui de l’or & de l'argent.
Auffi Hauteur de l’état préfent de .la nation An**
gloife indique-t-il la grande quantité de marchandifes
angloifes tranfportées , durant la guerre
de 17 ç é , fans aucun retour.
Outre la monnoie circulante, l'argenterie des
particuliers 8c les tréfors des princes , il y a dans
tous les pays qui font un grand commerce , une
allez grande quantité de lingots alternativement
importés ôc exportés pour les befoins du commerce
étranger. Ces lingots circulent parmi les
nations commerçantes, de la même manière que
la monnoie nationale circule dans chaque pays
particulier , 8c par - là ils peuvent être çonfidérés
: comme la monnoie de la grande république de
commerce. La monnoie nationale reçoit fon mouvement
8c fa direction des marchandifes qui circulent
dans l'étendue de chaque pays particulier >
la monnoie de cette république reçoit les liens
de celles,qui circulent entre les différens. peuples r
toutes deux fervent à faciliter les échanges v l'ur.e
parmi les individus de la même nation, l'autre
parmi C^ux des nations diverfes. L'Angleterre a
probablement employé une partie de cette môn-
noie de la grande république mercantile à faire
la guerre de 1756. il eft naturel de fuppofer
qu'au milieu d'une guerre générale, cette monnoie
en lingots prend un. autre mouvement &c
r une autre dire&ion que celle qu'elle fuit ordinairement
dans une paix profonde-; qu'elle doit circuler
davantage autour du fiège de la- guerre , 8c
que c ’eft là fur-tout, 8c dans les pays vpifins,
qu'on s'en fert pour la paye & les vivres des
différentes armées. Mais quelque grande quantité
de cette monnoie que la Grande-Bretagne puiffe
avoir annuellement employé de cette manière,
il faut qu'elle l'ait achetée chaque année avec des
marchandifes angloifes, ou avec quelqu'autre chofe
qu'elles avoient achété ', ce qui ramène encore
au produit annuel de la terre 8c du travail du
pay s , comme étant en dernière analyfe la ref-
fource qui a procuré aux Anplois le moyen
de pouffer la guerre. En effet, il eft naturel de
penfer qu'une fi forte dépenfe annuelle doit avoit
été défrayée par un grand produit annuel. La
dépenfe de 17 6 13 par exemple, fut de plus de
19,000,000, & il n'y a point d'accumulation qui
eût été capable d'y fuffire. M n'y a pas même
de produit annuel d'or & d’argent qui eût pu la
fupporter. Nousavons donné à l'article Espagne ,
des-évaluations fur la quantité d'or 8c d'argent
importés, tant en Efpagne qu'en Portugal 5 l'importation
entière des métaux qui fe fait annuellement
dans ces deux pays , auroit à peine
payé quatre mois des dépenfes des Anglois dans
certaines années de la guerre de 1756. Il paroît
que les marchandifes les plus propres à être tranf-
j portées au loin, pour y acquitter ou immédia-
1 tement la paye 8c les vivres d'une armée > ou mcdîatement
parle moyen de la monnoie de la grande
république commerçante , font celles que four-
niffent les manufactures les plus belles 8c les plus
perfeàionnées , dont les ouvrages contiennent
'U&e grande valeur fous un petit volume , 8c peuvent
être exportés fort loin , à peu de frais. Avec
une grande furabondance annuelle de ces fortes
de productions de l'induftrie, qu'on envoyé ordinairement
chez l'étranger , un pays eft en état
de foiitenir plufieurs années une guerre très-dif-
pendieufe, fans exporter une grande quantité d’or
8c d’argent, ou fans en avoir même beaucoup à
exporter. Il eft vfa’i qu’une partie confidérable
du furpjus annuel de fe s manufactures , fera,
dans ce cas , exportée, fans amener des retours ;
lirais lé tout ne fera pas exporté ainfi à part.
Les manufacturiers auront pour lors doubles fournitures
à faire chez l’étranger. On leur demandera'
de quoi y payer les lettres de change , pour le
payement 8c la fubfiftance de l’armée , & de
quoi acheter les retours de marchandifes qui fe
confofnmenf ordinairement' dans le pays. Ainfi
la plupart des manufactures peuvent fouvent être
très-flori(Tantes au milieu de la guerre étrangère la
plus deftruCtive, 8c tomber, au contraire, au
retour de la paix. Elles peuvent fleurir au milieu
de la ruine de leur, p a y s , 8c commencer à dé-
cheoir au retour de la profpérité. L ’état de di-
verfeS branches_des manufactures angloifes pendant
la guerre de 1756 , & celui où elles fe ;
trouvèrent quelque tems après ta p aix , montre
bien la jüfteffe de cette affertion. -
Une guerre étrangère , longue 8c coûteufe , ne
peut fe fouîenir commodément par l’exportation
du produit brut. Il faudroit trop de dépenfe pour
dn envoyer une quantité proportionnelle à la
paye & aux vivres d’une armée* D’ailleurs, il y
a peu de pays dont le produit brut excède ce
qui fuffit à la fubfiftance de fes fujets. En
faire paffer beaucoup chez l'étranger, ce feroit
ôter au peuple une partie néceffaire de fa fubfiftance.
Il n'en eft pas de même du produit manufacturé
qu'on exporte. La fubfiftance des ouvriers
des fabriques refte au dedans , 8c on n'exporte
au dehors que le furabondant de leur ouvrage.
M. Hume remarque plufieurs fois l’impuif-
fance, où étoient le$ anciens rois d’Angleterre,
de continuer long-tems fans interruption une guerre
étrangère. Les Anglois n'avoient alors, pour ac--
quitter la paye 8c les vivres de leurs armées chez
l'étranger, que le produit brut de leur fo l , dont
on ne pouvoir pas épargner une quantité confidé-r
rable fur la confommatiori intérieure, ou.que peu
de manufactures groffières,, dont le produit, ainfi
que le produit brut, coûtoit trop à transporter.
Cette impuiffance né venoit pas de ce qu'ils man-,
quoietit d'argent, mais de ce qu'ils n'avoient pas
de manufactures plus,belles 8c plus perfectionnées,:
Les achats 8c les ventes fe Faifoient alors en Angleterre
, Comme iis s’y font à piéfènt, par le moyen
de l’argent. Il y avoit entre la quantité d’argent en
circulation , 8c le nombre & ia valeur des achats
& des ventes , la même proportion qu’à préfent,
ou plutôt il y en avoit une plus grande , parce
qu'alors on ne connoiffoit pas le papier qui fait aujourd'hui
en Angleterre une fi grande partie des
fonctions de l'or 8c de l'argent. Chez les nations
qui ne connoiffent guère le commerce 8c les manufactures
, il eft rare , que le fouverain puiffe
tirer de grands fecours de fes lujets , dans les
occafions extraordinaires > & les fouverains de ces
contrées s’appliquent fouvent à amaffer un rréfor,
qu'ils regardent comme la feule reffource dans les
cas preffans. Indépendamment de cette néceffité ,
ils fe trouvent dans une fituation qui les difpofe
à l’épargne qu’il faut pour accumuler. Dans cet
état (impie, la-dépenfe d’un fouverain n'eft pas
dirigée par la vanité , qui fe plaît à la riche parure
d'une cour ; elle eft réglée par la bonté envers
fes tenanciers, 8c l’hofpitalité envers ceux de fa
fuite ; mais la bonté 8c l'hofpitalité mènent rarement
à l'extravagance, & la vanité y mène pref-
q ue toujours. Audi voyons nous que chaque ch e f,
parmi les Tartares , a un tréfor. On dit que celui
de Mazepa, chef des Cofaques dans l ’Ukraine,
le fameux allié de. Charles X I I , étoit très-ron-
fidérable. Les, rois de France , de la race Mérovingienne,
avoient tous des tréfors. Ils en faifoient
; lé partage à leurs enfans , quand ils faifoient celui,
de leurs royaumes. L.e's princes Taxons & les premiers
princes,,depuis la conquête , parodient également
avoir accumulés des tréfors. Le premier
exploit de chaque nouveau ro i, étoit communément
de s’emparer du tréfor de fon prédécefieur.
C'étoit la précaution la plus effentielle , pour s’af-
furer la fucceffion. Les fouverains des pays plus
civilifés & plus commerçans , n ont pas les mêmes
raifons pour amaflèr des tréfors , parce qu’en géné
ra l ils peuvent tirer de leurs fujets des fecours
extraordinaires’ dans les cas imprévus. D ’ailleurs
ils ne font pas difpofés de même à théfàurifer.
Ils fuivent naturellement, & peut-être néceffaire-
.ment le goût du fiècle s 8c leur dépenfe eft réglée
par la même vanité extravagante qui dirige celle
de tous les grands propriétaires dans leurs domaines.
Le vain fafte de leur cour prend de jour
en jour de nouveaux accroiffemenS * 8c ce qu'il
copte les met hors d'état d'accumuler 5 il entame
& diffipe des fonds deftinés a des dépenfes plus
.'^utiles. Tout le monde fait aujourd'hui * à quel
point cette profufion eff arrivée dans les royaumes
les plus ftoriffans. On peut appliquer à divers-
princes de l'Europe ce que Dercyllidas difoit de
là cour de Perfe. J'y ai v u , difoit-il, beaucoup
d'éclat, peu de forces, beaucoup de valets,
■ peu de loldats , beaucoup de fortunes , & une
. véritable pauvreté.,
L ’importation-de l’or 8s de l’argent n'eft pas le
principal,, encore moins le feul bénéfice qu’ une
nation tire de foii commerce étranger. Quels que