
refaite Te bonheur des hommes , les moeurs tranquilles
& la force de Tétât.
Il faut convenir que les armées turques ont leur
force par la valeur des janiifaires y qu’il fe trouve
quelques cadis qui aiment la juftice 5 qu'on la rend
avec une précilîon qui l'emporte communément
fur nos. formalités dilatoires & déclinatoires, &
que le fauverainya beaucoup d'argent & de riches
épargnes} mais i l ne faut pas s'en tenir à
quelques traits vagues ou pris en gros dans
l'examen du gouvernement , il faut fuivre quel
a é.té le progrès, des abus. & prévoir où ils
vont. -
Je ne parle pas ici de,s vices de l'Empire même ,
qui rendent le grajid-feigneur fi fujet à être détrôné
par une armée , trouvant fa, crainte dans
ce qui fait l'appui des autres monarques } je
traite des défauts qui tombent fur les fajets gouvernés.
L'Empire turc devient à rien} il ne faut pas
s'arrêter aux fuccès imprévus de quelques campagnes,
par l'imprudence ambitieufe de fes voi:
nns. C e t Empire s'énerve plutôt véritablement
qu’il ne fé démembre > il fê coriferve encore ex térieurement
} les jaloufies réciproques des princes
chrétiens font peut-être aujourd'hui fon. appui le
plus folide.
Les turcs ne travaillent point }'ils ne fe po-
liffent point} ils ne difciplinent point leurs armées
, tandis que nous autres chrétiens avançons,
beaucoup dans les arts-
Les turcs ne peuplent point} ils admettent
chez eux des francs, qui bientôt trop nombreux
leur feront la loi,. Leurs villes prefque ruinées
n'auront bientôt pas pierre fur pierre} l'état
en eft changé autant que les noms, ces noms
autrefois, fi doux & qui rappellent encore l'idée
de la politeffe & du goût de l'ancienne Grèce.
Les différentes claifes du peuple turc ne peuvent
fe connoitre ni s’ameuter pour les intérêts
communs, foit duj commerce, fait de la police
ou des moeurs. Quelles lo is , quels réglemens,
quel concert peuvent réfalter de fi grandes fépara-
tîons de parties ? Ainli tout y eft arbitraire &
n’a pour unique objet que l'intérêt d'un fupé-
rieur avide & barbare.
Prefque tous les arts nouveaux y font profcrits
par la religion & par la loi : on ne, veut recevoir
des chrétiens que le produit de leurs arts, mais
non l'art même 5 & ç'eft juftement la maxime
contraire qu'admettent les états bien gouvernés :
la raifan même refte dans fon enfance, dès qu'on
fe refufe la communication avec ceux qui travaillent
à la perfectionner par la philofophie.
On croit faaffement que c'eft la poligamie qui
dépeuple ïa Turquie} les chrétiens riches & libertine
ont ici une poligamie qui fait bien plus
de tort-à la propagation.
Cette autorifatiom irrégulière chez les turcs fa-
tisfait la fantailie de quelques gens trop riches,
qui* fe donnent autant de femmes qu'ils eô peuvent
entretenir} mais le bas peuple en trouve
toujours affez.
C'eft véritablement la mifère qui dépeuple le
pays : dans celui-là ,. c’eft' la ftupidité & Tindo-
lence qui fufpendent les fortunes, & qui retranchent
les familles.
La propriété des pères far leurs enf^ns engage
ailleurs à l'amour du bien pour les. avancer dans
le monde , & l'amour du bien fait defirer d'avoir
des héritiers ; iï faut pour cela que les portes ’
foient ouvertes à Tinduftrie, à l'émulation, ÔC
même à quelque ambition.
S E. C T I O N V I e.
Des rapports politiques de l’Empire ottoman > Cf
. remarques fur les prétentions Cf les vues de la
cour de Viterskourg & de Vienne.
On ne parle plus en -Europe que de la conquête
de la Turquie européenne par l'impératrice
de Ruffie..: le public , toujours credule & toujours
livré aux exagérations.,, ne voit, pas les difficulté;«
de cette entreprife. Mous, ne préfenterons ici
qu'une petite difficulté , à laquelle on ne fait point
d’attention. Quand la czarine viendroit à bout,
en quelques campagnes , de repouffer le grand-
feigneur en A fie ; quand elle pourroit contenir la
Moldavie & la Valaehie habitée par des grecs ,
comment affujettiroit-elle des mufulmans à une
domination, chrétienne ? & en ajoutant ainfi de
nouvelles provinces à fes états déjà trop étendus,
comment viendroit-elle à bout de lès gouverner ?
Il paroît que fi elle a conçu ce projet, elle7 commence
à en voir le danger } & ce fameux voyage
qu'elle a fait en Tauride, a fini'fans aucune
hoftilité..
C e n'eft pas ici le lieu d'en dire davantage.
Nous nous bornerons à d'autres détails plus inf-
truébifs.
La Ruffie après avoir obtenu de grands facri-
fices de la Porte , lors du traité de Kairiardgi,}
après avoir afluré la liberté de fa navigation de
la mer Noire à la Méditerranée , & le paffage
de fes navires devant les murs de Conftnntino-
ple , a voulu profiter de fes fuccès , & elle a
formé chaque jour de nouvelles prétentions. Elle
en a réalifé quelques-unes} elle a été mife en
poffeffion;, depuis cette époque, de la Crimée
& du Cuban ; l'un des,princes de la Géorgie eft
devenu fon tributaire. Voye% les articles C r im é e
& G é o r g ie . Mais cette multitude de facrifices
& de pertes a enfin excité le reftentiment de la
Porte, qui a déclaré la guerre à la Ruffie au
mois d'août de cette année 178:7.
Pour mettre le leéteur en état de juger-, nous
allons expofer les caufes qui ont donné lieu à
cette déclaration. On y verra les prétentions formées
d'abord ’par la Ruffie, & Ta répotffe de la
Porte : nous inférons ici le mémoire que
donna l'envoyé de "la czarine au mois de’ joil-
k t , -celui du mi-nifti-e du ^and-fèiigneur-, &
enfin les ^points que demandait-la Porte au mois
de juillet .1787.
Mémoire préfenté par M. l'envoyé de Ruffie ' d la
v fublinie Porte.
Sa majefté l'impératrice de foutes les Ruffiês,
ma fouveraine, ayant' été informée par lès dépêches
du fouffigné, que la fablime Porte n'a
rpoint fait de choix , ni pris aucune réfolution en
conféquence du mémoire préfenté par lé fauffi-
gné, corfcetirant l'affaire au pacha d’A hisk ij 'fà
majefté impériale ne pouvant regarder d’Un oeil
d'indifférence un pareil filence & les délais de la
fublime Porte far fa jufte demande , ni différer
.davantage l'obtention d’une fatisfa&ion qui lui eft
due , elle a chargé le fauffignë de notifier & de
déclarer que fi la fublime Porte n’effeétue point
le châtiment & la dépofîtion du pacha fufdit pour
fes menées & la conduite qu'il eft préfamé 'avoir
adopté en affiftant les lesgjes dans leurs ravages
& empiétemens fur les frontières du kan de la
Cartalinie, c'eft-à-dire, de Tiflis , qui eft fous
fa dépendance, fa majefté impériale fait pofi-
tivement qu'elle a le droit- d'employer fe’s farces
contre ledit pacha, perturbateur de la paix entre
les deux cours, & elle emploiera fa force & attribuera
Tobftination de la fublime Porte à fon defir.
de difcontinuer l'amitié & la bonne intelligence
avec la cour de Ruffie.
G a l a t a , le 30 niai 1786.
( L . S. ) (Signé) J a c o b de Bu lg a k o f .
Mémoire de la fublime Porte, remis au minifire de
Ruffie , en répvnfe au mémoire ci - dèjfus.
I l eft évident & connu de tout !e monde que ,
dans les traités conclus entre la fublime Porte
la cour de Ruffie, il n'exrfte ni article, ni
ciaufe quelconque relative au kan & au territoire
de Tiflis , & que le kan de Tiflis étoit originairement
dépendant de la fablime Porte , de laquelle
il recevoit l'inveftiture avec le$ marques
publiques d’honneur. Le très-eftimé miniftre de
Ruffie, notre, ami, outre le mémoire ci-devant
préfenté, a , par‘ordre de fa cour / remis à fa
conférence du lundi > 35 jour de Chàaban 1200,
(le 30 mai 1786 de N . S. ) un autre mémoire
avec fa tradu&ion , dans lequel il repréfente que
le pacha de Gilder a donné affiftance aux lesgies ,
afin de molefter 8c empiéter far le territoire du
kan de Tiflis : que fi la fablime Porte ne veut
dépofer & châtier ledit gouverneur , l'impératrice
Ôe Rlïffie emploiera la forcé contre lui} que cette
fouveraine attribuera la conduite de fJa fublime
Porte à-cét égard, à -fafi dëfir de -difcontinuer
Tarhirie & la -bOqne intelligence avec la cour de
Ruffie, & aUt-rës'e-xpteffion's pêu convenables:
démontrant par-là les intentions de cette cour -de
fe prévaloir dïi moment de fa dépofirîon dudit
v ifirp a ch a à trois queues-, pour développer &
exécuter • des vues ou defleins -particuliers , con-
’ traireS aux ftipulatibns, ainfi qu’aux droits de vôi-
fins & d’amis fineères.
Il éft clair que la cour de Ruffie a féduit
ledit kany-lequel, comme il a été dit ci-deffüs,
étoit d'ancien temps dépendant de la fublime
Porte } qu'elle a introduit des troupes dans le
territoire de Tiflis3 quelle a envoyé fecrèterrient
& publiquement des ambafladeurs & des écrits
en vue d'attirer, dans fa dépendance, les peuples
du Dagheftan & d’Afarbeigian 5 & qu'in-
quiétantain-files frontières ottomanes, elle n'a point
refpeélé le premier article des capitulations , qui
ftipule qu'aucun aéte d’animofité & qu'aucune injure
ne feront commis "à l'avenir , fecrèternent ou
publiquement, de parc ni d'autre. Il eft également
évident qu’une pareille conduite eft abfolument
contraire aux traités & à l’amitié exiftante entre
les deux cours , & que , dans une pareilJq fîtua-
tion des chofes , les inftances de m cour de Ruffie
, afin que ledit gouverneur fait dépofé & châtié
, fans prouver aucune aélion par lui commife
à fan préjudice, excèdent les bornes delà dif-
crétion & de la juftice. .
Il eft certain que la fublime Porte, ftriélement
attachée à Tes en g âge mens, procéderoit fans délai
à châtier ledit gouverneur, s'il avoit commis des
infractions aux traités 5 mais elle ne peut feulement
penfer à le dépofer fans caufe , & fans que
les torts à lui imputés par la cour de Ruffie, foient
démontrés.
A tout événement, s'il arrive que la cour de
Ruffie, abandonnant la diferétion & la juftice ,
infalte les frontières ottomanes, ou commette des
hoftilités en rompant les conventions & les traités
j la fublime Porte procédera à faire réfiftan*
ce , en fe fervant de fes forces & de fes moyens :
dans lequel cas il fera notoire & évident à toute
la terre, qü'eile n'a point donné motif quelconque
de plainte pour ce qui regarde les conventions ou
les traites , la paix ou l'amitié ., mais que la cour
de Ruffie feule a donné occafion à l'infrà&ion de
la paix.
Et enfin qu'il foit auffi connu à l'honorable
miniftre de Ruffie, notre ami, que ce mémoire
lui a été donné amicalement 8c fans détour.
1200 Ramazan 9me ( 3mc juillet 3786 ) .
La Ruffie, peu fatisfaite de cette réponfe, a
renouvelle, au mois de février 17873 les mêmes
P p p i