
c i v i l, quand U s 'a g it de décider par celles du droit
p o litiq u e.
On verra la fond de toutes les queftions , fi
Ton ne confond point les règles qui dérivent de
la propriété de la c ité , avec celles qui nailfent
de la liberté de la cité.
Le domaine d'un état eft-il inaliénable ou ne
l ’eft-il pas ? Cette queftion doit être décidée par
la lo i politique , & non pas par la lo i civile ( i ) .
Elle ne doit pas être décidée par la lo i ç iv ile,
parce que le domaine d'un état eft fournis à la lo i
politique.
L'ordre de fuccelfion eft fondé , dans les monarchies
y fur le b e i de l'état , qui demande que
cet ordre foit fixé 3 pour éviter les malheurs qui
doivent arriver dans le defpotifme où tout eft in-
cetain 3 parce que tout y eft arbitraire.
C e n’ eft pas pour la famille régnante que l'ordre
de fuccelfion eft établi 3 mais parce qu'il eft
de l’intérêt de l’état qu'il y ait une famille régnante.
La loi qui règle la fuccelfion des particuliers
3 eft une loi civile qui a pour objet l'intérêt
des particuliers ; celle qui règle la fuccelfion
à la monarchie j eft une lo i politique qui a pour
objet le bien & la confervation de l ’état.
Il fuir de là que, lorfque la lo i politique a établi
dans un état un ordre de fuccelfion, & que
cet ordre vient à finir, il eft abfurde de réclamer
la fuccelfion en vertu de la lo i civile de quelque
peuple que ce foit. Une fociété particulière ne
fait point de lo ix pour une autre fociété. Les lo ix
civiles des romains ne font pas plus applicables
que toutes autres lo ix civiles 5 ils ne les ont point
employées eux-mêmes lorfqu'ils ont jugé les rois 3
& les maximes pour lefquelles ils ont jugé les
rois , nous font fi étrangères qu’il ne faut point
les faire revivre.
Il fuit encore de là que, lorfque la lo i politique
a fait renoncer quelque famille à la fuccef-
fion, il eft abfurde de vouloir employer les refti-
mtions tirées dé la lo i civile. Les reftitutions font
dans la lo i 3 & peuvent être bonnes contre ceux
qui vivent dans la lo i : mais elles ne font pas
bonnes pour ceux qui ont été établis pour la lo i 3
& qui vivent pouf là lo i.
Il eft ridicule de prétendre décider des droits
des royaumes, des nations & de l'univers , par les
mêmes maximes fur lefquelles on décide entre
particuliers d’un droit pour une goutière, pour
me fervir de l'exprdfiôn de Cicéron (2).
I l ne fa u t pas d é id e r p ar U s lo ix civ ile s les
ckofes qui doivent Vêtre p a t le s lo ix domeftiques.
La lo i des wifigoths vouloir que les efclaves (3)
fufient obligés de lier l'homme & la femme qu'ils
furprenoient en adultère, & de les préfenter au
r mari & au juge : loi terrible qui mettoït, entre
1 les mains de ces perfonnes viles , le foin de la
| vengeance publique, domeftique & particulière!
Cette loi ne feroit bonne que dans les ferrails
d’orient, où l'efclave qui eft chargé de la clôture
, a prévariqué fitôt qu’on prévarique. Il arrête
les criminels, moins pour les faire juger que
pour fe faire juger lui-même, & obtenir que l'on
cherche dans les circonftances de l'aâion , fi
l'on peut perdre le foupçon de fa négligence.
Mais, dans les pays où les femmes ne font
point gardées, il dit infenfé que la loi civile l'es
foumette, elles qui gouvernent la raaifon, à l'in-
quifition de leurs efclaves.
Cette inquifition pourroit être tout au plus 9
dans de certains c a s , une loi particulière domeftique,
& jamais une loi. civile.
I l ne fa u t p a s d é cid e r , par le principe dès loix
c iv ile s y le s ckofes qui appartiennent au droit des
gens.
La liberté cônfifte principalement à ne pouvoir
être forcé à faire une chofe que la lo i n’ordonne
pas , & on n'eft dans cet état que parce qu'on
eft gouverné par des lo ix civiles : nous fommes
donc libres , parce que nous vivons fous des lo ix
civiles.
Il fuit de là que les princes qui ne vivent point
entr'eux fous des loix civiles , ne font point libres
, ils font gouvernés par la force ; ils peuvent
continuellement forcer ou être forcés. De là
il fuit peut être que les traités qu’ils ont faits par
fo rc e , font aulfi obligatoires que ceux qu'ils au-
roient faits de bon gre. Quand nous , qui vivons
| fous des loix civiles , fommes contraints à faire
quelques contrats que le loi n'exige pas , nous
pouvons, à la faveur de la lo i , revenir contre
la violence 5 mais un prince, qui eft toujours
dans cet état dans lequel il force ou il eft forcé ,
ne peut pas fe plaindre d’ un traité qu'on lui a
fait faire par violence. C'eft comme s'il fe plai-
gnoit de ion état naturel : c'eft comme s’ il vou-
loit être prince à l'égard des autres princes, &
que les autres princes fulfent citoyens à fon
égard, c’ eft - à - dire , choquer la nature des
cnofes.
I l ne faut pas décider par les loix politiqwes , les
ckofes qui appartiennent au droit des gens.
Les loix politiques demandent que tout homme
foit fournis aux tribunaux criminels & civils du
pays où il eft , & à l'animadverfion du fouve-
rain.
Le droit des gens a voulu que les princes s'en-
voyalfent des ambalfadeurs î & la raifon tirée
de la nature de la chofe, n’a pas permis que ces
ambalfadeurs dépendilfent du fouverain chez qui
(1) Voyeit les articles Aliénation & Ïnaiién-abilité«
(a) Liv. I. des loix.
(3) Loi des wifigoths , liv. I ll » tit. 4,
«Ü font envoyés, ni de fes tribunaux- Ils font la
pardle du prince qui les envoie, & cette parole
Soit être libre : aucun obftacle ne doit les empêcher
d’agir : ils peuvent Couvent déplaire parce
qu’ ils parlent pour un homme indépendant .
on pourroit leur imputer des Crimes , s ils pou-
voient être punis pour des crimes : on pourroit four
fuppofer des dettes , s’ils pouvoient être arrêtes
pour dettes : un prince qui a une fierte naturelle,
parleroit par la bouche d’un homme qui auroit
tout à craindte. Il faut donc fuivre, à l’égard des
ambaffadeurs , les raifons tirées du droit des
gens j & non pas celles qui dérivent du droit
politique. Que s’ils abufent de leur être repre-
fentatif, on les fait ceffer en les renvoyant chez,
eux : on petit même les accufer devant leut maît
r e , qui devient par là leur juge ou leur complice.
I . . .
Lorfque , par quelque circonjlance 3 la lo i p o u t i que
détruit l 'é t a t, i l fa u t décider p ar Id lo i politique
q u i le conferve , qui devient quelquefois un droit des
gens. . . . . r
Quand la lo i politique , qui a établi dans l’etat
un certain ordre do» fuccelfion, devient deftruc-
trice du corps politique pour lequel elle à ete
faite, il ne faut pas douter qu’une autre l o i 'p o litique
ne puiffe changer cet ordre ; & bien loin
que cette même lo i foit oppofée à la première ,
elle y fera dans le fond entièrement conforme ,
puifqu’ elles dépendront toutes deux^ de ce principe
: le faiut du peuple eft la fuprême lo i.
Un grand état devenu acceffoire d'un autre >
s’affoiblit & même affoiblit le principal. On fait
que l’état a intérêt d’avoir fon chef chez lu i, que
les revenus publics fotent bien adminiftrés. Il eft
important que celui qui doit gouverner ne foit
point imbu de maximes étrangères î elles conviennent
moins que celles qui font déjà établies :
d’ailleurs les hommes tiennent prodigieufement à
leurs lo ix & à leurs coutumes ; elles font la félicité
de chaque nation 5 il eft rare qu'on les
change fans de grandes fecoufles & une grande
effufion de fang , comme les hiftoires de tous les
pays le font voir.
Il fuit de là que fi un grand état a pour héritier
le polfelfeur d'un grand é ta t , le premier peut
forte raifon le droit de faire renoncer. Si elle
craint qu’un certain mariage n’ ait des fuites qui
puiflent lui faire perdre fon indépendance ou la
jetter dans un partage, elle pourra fort bien rairç
renoncer les contraélans, & ceux qui naîtront
d 'eu x , à tous les droits qu’ils aurôient fur e.Ie >
& celui qui renonce, & ceux contre qui on renonce
fort bien l'exclure , parce qu'il eft utile à tous
les deux états que d'ordre de la fuccelfion foit
changé. Ainfi la lo i de Rulfie, faite au commencement
du règne d'Elifabeth, exclut très - pru-
dèmment tout héritier qui polféderoit une autre
monarchie : ainfi la lo i de Portugal rejette
tout étranger qui feroit appellé à la couronne par
le droit du fang.
Que îi une nation peut exclure, elle a à plus
, pourront d'autant moins fe plaindre, que
l'état auroit pu faire une loi pour les exclure.
I l n e fa u t pas fu iv r e les d fp o fitïon s générales
du droit c i v i l , lo r fq u il s'agit de ckofes qui.-doivent
être foum ifes a des réglés particulières tirées de leur
propre nature.
Eft-ce une bonne lo i que toutes les obligations
1 civiles , palTées dans le cours d un voyagé entre
les matelots dans un navire, foient nulles? Fran-
çois Pyrard (1). nous a dit que de fon teins elle
n'étoit pas obfervée parles portugais, mais qu elle
rétoit par les françois. Des gens qui ne font en-
femble que pour peu de temps , qui n ont aucun
befoin puifque le prince y pourvoit , qui ne peuvent
avoir qu'un objet qui eft celui de leur voyage
, qui ne font pins dans la fociete , mais citoyens
du navire, ne doivent point contracter de
ces obligations qui n ont ete introduites que pour
foutenir les charges de la fociété civile.
C'eft dans ce même efprit que la lo i d e s rho-
diens, faite pour un temps où l'on fuivoit toujours
les côtes , vouloit que ce jx qui, pendant
la tempête, reftoient dans le vaiffeau, euffent le
navire & la charge > & que ceux qui l'avoient
quitté, n'euflent rien.
I l ne fa u t p o in t décider p ar le s p réceptes de la relig
ion , lorsqu'il s 'a g it de ceux de la loi naturelle.
, .- ,
Les abyffms ont un carême de cinquante jours
très-rude , & qui les affoiblit tellement que de
long-temps ils ne peuvent agir : les turcs ( - ) ne
manquent pas de les attaquer après leur carême.
La religion devroit, en faveur de la défenfe naturelle,
mettre des bomes a,ces pratiques.
Le fabbat fut ordonné aux juifs : mais ce fut
une ftupidité à cette nation de ne point fe défendre
(3 ) , lorfque fes ennemis choifirent ce jour
pour l’attaquer.
Cambyfe, affiégeant Pelufe, mit au premier
rang un grand nombre d'animaux que les égyptiens
tenoient pour facrés : les foldats de la gar-
nifon n’ofèrent tirer. Qui ne yoit que la défenfe
naturelle eft d’ un ordre fupériéur à tous les préceptes
?' ■- -■ -r i ' y ■ _ -
I l ne fane pas régler p ar le s principes du droit 3
■ appellé canonique, le s chofes réglées par U s principes
du droit civ il.
(,) Chap. 14, part. XII. ' . . _ . - . T
(1) Recueil des ouvrages qui ont fervî à Pétablifîement de la compagnie des Indes , torn. 4 , par .
(\) Comme ils firent lorfque Pompée aftiégea le temple. Voye\ Dion , liv. XXXVIT.