
la même caufe qui diminue le profit apparent ,.
augmente le premier prix. L ’étendue du marché ,
en permettant d’employer de plus gros capitaux ,
diminue le profit apparent. Mais comme elle met
dans la néceflité de fe fournir à une p’us grande
diftance, elle augmente ainfi le premier prix de
la diminution de l’un ; & de l’augmentation de
l ’autre il réfulte , la plupart du temps, qu’ils fe
contre-balancent ou à-peu-près. C ’ en: pour cela
que les^prix du pain & de la viande font à peu
de chofe près , les mêmes dans la plus grande
fn;tie du royaume, quoique les prix du bled &
du bétail foient fort différens.
Quoique les profits des capitaux du commerce
en gros & en détail , foient en général moindres
dans la capkale que dans les petites villes & les
villages , on y voit fouvent dé petits commence-
mens mener à une grande fortune ,■ ce qui n’arrive
prefque jamais dans les petits endroits. Dans
ceux-ci les bornes du marché1 font trop étroites,1
pour que le commerce puiffe s’étendre à mefure
que les capitaux s’étendent. Quoique le taux des
bénéfices d’une perfonne particulière puiffe y être
fort-haut, la fomme ou le montant de ces be'né-:
fices, & par conféquent celle de leur accu-i
mulation annuelle, .ne peut être fort grande.
Dans les grandes villes , au contraire, le commerce
peut s’étendre à mefure que les capitaux
croiffent, & le crédit d’ un homme économe &
qui fait bienHes affaires , croît encore plus vîte que
fon capital. Son commerce s’aggrandit en proportion
de l’un & de l’autre. La fomme de fes bénéfices
eft en proportion de l’ étendue de ce commerce
, & l’accumulation annuelle en proportion
de fes bénéfices. Il eft rare toutefois qu’on y faffe
des fortunes confidérables par aucune branche
d’induftrie régulière , établie & bien connue , fi
ce n’eft après une longue vie laborieufe, économe
& appliquée. Les fortunes s’y font par ce qu’on
nomme le commerce de fpéculation. Le marchand
qui fpécule, n’exerce point une branche
régulière > établie & bien connue de commerce.
Il eft marchand dè bled cette année , il fera marchand
de vin l’année prochaine, & celle d’enfuite
il fera marchand de fucré, de tabac ou de thé.
Il entre dans toutes les affaires où il prévoit un
grand bénéfice , tk il les quitte dès.qu’il prévoit
que le gain retombera au niveau des autres commerces.
Ses bénéfices & fes pertes n’ont donc
point de proportion régulière avec ceux des branches
établies & bien connues. Deux ou trois
fpécuîations heureufes peuvent enrichir un homme
entreprenant ; mais il n’en faut de même que
deux ou trois malheureufes pour le ruiner. C e
commerce eft particulier aux grandes villes j il
’demande unefagacité qu’onne peut avoir que dans
les places , où il y a le plus d’affaires & de cor-
refpondanqe.
Quoique les cinq chofes dont on vient de parler;’.,
oceafionnent de grandes inégalités dans le
falaire du travail Sc les profits des fonds, elles
men ! oceafionnent point dans le total des avantages'
& ;des défavantages, réels ou imaginaires ,
des différens emplois , tant de l’un que des autres.
La nature de ces ^chofes eft telle * que »
dans quelques-uns de ces emplois, elles tiennent
lieu d’un petit gain pécuniaire, & que dans d.autres
elles-font le contre-poids d’ un gain confide^
râble. • , ; É <
Cependant , peur que-l’égalité fubfifte dans le
total de ces avantages ou défavantages,. il faut
le concours de trois chofes, dans les endroits
même ou il règne la plus parfaiteffiberte > i ^les
applications du travail 8C des capitaux doivent etre
bien connues & établies depuis long-temps dans
le pays ou l'arrondiffement j -2°. elles doivent etr.e
dans leur état ordinaire & naturels e“ es
doivent faire la feule ou la principale occupation
de ceux qui s’y livrent.
Le leéieur trouvera le développement de ces
trois remarques dans les Recherches fur la nature
&, les Caufès de la richejfe des nations 3 tom. l »
pag. 233 de latraduélion. ; ,
La police' de l’Europe , en gênant la liberté*
occafionne d’autres inégalités bien plus importantes.
-,
Elle les occafionne fur-tout de trois , maniérés t
i° . en reftreignant la concurrence, dans certaines
profeflions , à un nombre plus petit qu’ il ne ferait
fans les entraves qu’elle met à ceux qui veulent
y entrer : 20. en l’augmentant dans d’autres
au-delà de ce qu’ elle ferait naturellement : 30. en
empêchait le travail & les fonds de circuler, librement
d’un emploi à l’ autre , & d’une place à
une autre.
i° . La police de l’Europe occafionne une inégalité
dans le total des avantages & des désavantages
des divers emplois du travail & descapi*
taux , en refferrant la concurrence dans des bor-i
nés plus étroites qu’ elles ne feraient naturellement.
Les privilèges exclufifs de corporations font le
moyen dont elle fe fert pour cet effet.
Le privilège exclufif d’un corps de métier borne
là concurrence , dans une ville où il eft établi, à
ceux qui y font agrégés. Pour acquérir le droit:
d’en être , il faut communément fervir en qualité
d’apprentif, dans une ville fous un maître.
Les ftatuts de la corporation règlent quelquefois:
le nombre d’apprentifs qu?un maître peut avoir *
& prefque toujours le nombre d’années que doit
durer Papprentiflfage. L ’intention de ces règles
eft de reftreindre la concurrence à un plus petit,
nombre qu’il n’en entrerait fans cela dans le métier.
La limitation du nombre des apprentifs Je
fait d’une manière directe; la longue durée de l’apprentiffage
le fait d’une manière plus indirecte >
mais auffi efficace ,, en augmentant les frais de
l’éducation.
Par un ftatut de fa communauté de Sheffield > .
'Un maître ne peut avoir qu’un apprentif a là fois.
A Norfolk & à Norwich ,• un maître tifferand pe
peut en avoir que deux fous peine d’une amende
de cinq liv. fterh par mois , payable au roi. Il
n’eft permis à aucun maître chapelierS nulle part
en Angleterre ni dansles coloniesangloifes/d’en
avoir davantage, fous peiné dé pareille amendé,
•moitié au profit du roi, moitié au profit du dénonciateur.
M ais, quoique ces.réglemens aient
•ÿté confirmés par une-loi publique du royaume ,
ils font diéfcés par le même efprit de corporation •
qui a fait les ftatuts de, Sheffield. Il y avoit à
peine un an que les ouvriers en-foie formoient
une communauté à Londres, lorfqu’ils défendirent ;
par un ftatut, à tous les maîtres de leur corps,
de prendre plus de deux apprentifs à la fois. Il
a fallu un aéfce du parlement pour annuller cette •
difpofition.
11 paroît qu’anciennement la durée de l’apprén-
tiffage , dans toute l’Europe, étoit de fept ans
pour la plupart des corps.de métier. On appela
i t autrefois ces communautés , des univerfités.
L ’ univerfité des forgerons, l’univerfité des tailleurs
, & c. font des expreffions qu’ on rencontre
. dans les vieilles chartes des anciennes villes. Lors
du premier établiftement des corporations, qu’ on
appelle aujourd’hui univerfités 3 le nombre d’années
d’étude qu’on exigea pour devenir maître-
ès-arts , fut emprunté de la durée de l’apprentif-
fage dans les profeflions méehaniques, dont les
corporations étoient bien antérieures. Comme il
falloit avoir travaillé fept ans fous un maître ,
pour obtenir la maîtrife & le droit d’avoir foi-
même des apprentifs , il fut réglé qu’on étudierait
fept ans fous un maître, avant de devenir maître,
profeffeur ou doéteur (mots anciennement fynô-
. nymes ) , & pour avoir des écoliers & des apprentifs
, mots également fynonimes dans l’ origine
I l i MK ' ■
L ’ aéte cinquième du règne d’Elifabeth, appelle
.communément le ftatut d'apprentiffage 3 déclare
que perfonne à l’avenir n’exercera aucun métier,
profeffion ou art méchanique , exercé alors en
-Angleterre , à moins qu’ il n’ ait fervi au moins fept
ans comme apprentifj & ce qui n’avoitété qu’un
ftatut de plufieurs corporations particulières, devint
Une loi générale & publique pour tous les
métiers pratiqués dans les villes de marché ; car
quoique les mots, du ftatut foient généraux, &
•qu’ils paroiffent comprendre tout le royaume , fon
effet a été limité1 par interprétation aux villes de
marché, parce qu’ on a jugé que pour la commodité
;des habitans de la campagne , & vu la difficulté
d’y avoir affez d’ouvriers de chaque efpèce ,
établis en Angleterre avant qu’il parut, & on ne
l’a^ jamais étendu à ceux qui s’y font 'introduits
depuis. Cette- limitation a donné lieu à divc’aés
diftindions qui, confidérées comme règles de police
il falloit qu’une feule perfonne pût exercer dans
un village plufieurs metiers différens , quoiqu’elle
n’eût pas fait fept ans d’apprentiffage dans chacun
d’eux.
; Par une interprétation-littérale des .termes de
Paéle, on en a auffi borné. l ’effet aux métiers
, font extravagantes. Par exemple , on a condamné
les carroffiers à ne faire ni par eux-mêmes
, ni par les compagnons qu’ils emploient-,
les roues de leufs carroffes. Il faut qii’ils les achètent
des’ maîtres faifeurs de roues, parce que ce
métier exiftoit'en Angleterre avant l’époque du
.ftatut d’Elifaheth. Mais un faifeur de roues, qui
n’a jamais fait d’apprentiffage chez un carroffier ,
peut faire des carroffes-par lui-même ou parles
ouvriers qu’il emploie, le métier de carroffier
n’étant point compris dans le ftatut, parte qu’il
n’exiftoit pas en Angleterre avant que la loi fût
portée. La plupart des manufadures de Birmingham,
de Manchefter & Wolveramp.ton n’ÿ font
pas comprifes par la même rai fon.
En France, la durée de l’apprentiffage varie
félon les villes & les métiers. Cinq ans font le
terme preferit à Paris pour un grand nombre ;
mais avant qu’une perfonne puiffe exercer un métier
comme maître, il faut dans la plupart qu’elle
ferve cinq ans de plus comme journalier. Durant
ce dernier terme, il eft appelle compagnon de
fon maître.
En Ecoffe, il n’ y a point de loi qui fixe uni-
verfellement la durée de l’apprentiffage. Le terme
varie félon les corporations. Quand il eft long ,
on peut en général en racheter une partie avec
de l’argent. Dans fa plupart des villes, on achète
auffi pour peu de chofe la maîtrife dans une corporation.
Les tifferands de-toile de lin & de chanvre
, qui font les principales manufadures du
pays, & les autres artifans qui travaillent pour
eu x , comme ceux qui font les rouets, les dévidoirs
, &c. peuvent y exercer leurs métiers fans
rien payer. Dans toutes les villes [àt corporations
, chacun peut vendre de la viande de boucherie
tous Les jours de la femaine où cette vente
eft permife. Trois ans font le terme ordinaire de
râpprentiffage en -Ècoffé , même pour certains
métiers qui demandent plus de connoiffances i &
. il n’y a peut-être pas de pays en Europe, où
les loix des corporations foient II peu oppref4-
i fives.
Comme la propriété qu’un homme a fur fon
travail, eft le fondement de toute autre propriété,
; elle eft âuffi la plus facrée & là plus inviolable.
Le patrimoine d’un homme pauvre eft dans la
force & l’adreffe de fes mains ; & l’empêcher
d’ufer de cette force & de cette adreffe, comme
il croit devoir le faire fans porter aucun préjudice
à fes Semblables , c’eft line violation manifefte
de cette propriété de toutes la plus facrée; c’eft
un attentat vifible à la jufte liberté de l’ouvrier
& de ceux qui voudroient l’employer. Car l’ouvrier
n’étant pas le maître alors de travailler à ce
qu’il lui plaît, les autres ne font pas les maîtres