
l’Amou-Déria, près des puits de Bech-Dichik :
dans cet endroit, ce lit porte le nom à*Ous-Boï;
il.a ioo fagènes (éjpieds) .de largeur fur i y de profondeur.
Cette trace profonde fe reconnoît fur la
fteppe fablonneufe & unie à de s bords efearpés
prefque à pic. Ces vives font quelquefois éboulées
& tellement comblées par le fable, qu'on
arrive au fond du fleuve par une pente allez
adoucie. Son fond fe diiiingue d'une manière
frappante par la qualité de fon fo l, de la fteppe
qui tft au-deffus; car il eft tapifle de verdure &
d'arbres, & fillonné fréquemment par de petits
ruiffeaux d’eau douce. Il y croît également des
rofeau-x , et les caravanes qui vont à Khiva y
cherchent ordinairement un abri. Les Turcomans
qui s’adonnent au brigandage s’y cachent, &
«emportent leur butin au fud , eh fuivant la direction
de ce lit.
*» En allant de Krafnovodsk à Khiya, par la route
du fud, j’ai pa0e ce li t , un peu plus près de la mer,
dans un endroit où il porte le nom d‘Engundj. La
nature des rives & du fond y eft la même qu’à
l ‘Ous-Boï, & tranche d'autant plus avec la fteppe,
qui ne produit pas la moindre brouffaille j les riv.es
n ’y font cependant ni auljî hautes, ni auffi efear-
pées. Un peu plus au fud, l’Engundj, defféché,
tourne à l’eft &r , s'arrêtant à la rive gauche,
qui eft très-éltyée, il fe dirige de nouveau à
l'oueft , vis-à-vis ce bord efearpé ; la rive droite
de la rivière eft en talus, & va de n:yeau avec
la fteppe.
» Pour réunir les preuves relatives à l'ancienne
exiftence de ce fleuve, je vais rapporter encore
quelques autres témoignages. Les Khiviens & les
Turcomans côtiers affirment qu'à une époque reculée,
ledit en queftion portoit les eaux d’un grand
fleuve qui fe j=toit dans la mer Calpienne ; qu'alors
il ne fe nommoit ni Ou5-B o ï, ni Engundj, mais
Amih-Déria, parce que c’etoit la même rivière
q u i, de nos jours, arrofe l'Afîe moyenne & tombe
dans le lac Aral. Ils a [Turent également que leurs
habitations étoient fituees fur les bords de ce
fleuve ; ce qui eft prouvé par des relies encore
vifibles de canaux qui fervoient à arrofer des
terres labourables, ai.fi que par les ruines de
divers édifices.
» On fait auffi , d’après les traditions des Tur?
comans, que les bouches de ces fleuves étoient
affermées par les fouv-rains du pays, & que le
terrain y étoit très-bL-n cultivé. Quoique l’ancien
lit de i’ Oxus foit en plufieurs endroits
entièrement r.mpli de fable, on trouve néanmoins
fur fes rives des mûriers qui n’ ont jamais
pouffe dans les environs du Balkan , & qui doivent
y avoir été apportés de Khiva ou de la Boukharie,
par fes eaux.
» Je ne dois pas pjffer fous filence un point qui
3 fait naître beaucoup d'opinions diverfes. Apres
parcouru les deux tiers de la route de Kraf-
' novodsk à Khiva, fur la gauche, à peu de diftance
de l’endroit où l’on rencontre l’ancien lie de
l’Amou-Déria, on découvre une grande côte
efearpée, qui s'élève à 2io fagènes ( i$o pieds )
au-deffus ne la fteppe 5 elle eft d’ une couleur jaunâtre
& d’une hauteur uniforme; les pierres qui
s'en détachent font affez friables, & contiennent
beaucoup de mica. Les habitans dirent que c’eft
le rivage d’une ancienne mer. Son afpeét n’eft
pas contraire à cette fuppofition. C ’étoit donc
une baie de la mer Cafpienne. Cependant elle
dut exifter avant que l’Amou-Déria fe jetât dans le
golfe de Balkan. En la regaüâant de la route, avec
une lunette d’approche, on ne s’aperçoit pas que
la hauteur diminue dans fon prolongement, en
s’éloignant des puits de Bech-D ch’.k , qui font
dans le fond du lit de la rivière : à l’endro:t
où elle s'approche des bords de la rivière, fes
deux extrémités fe perdent dans le lointain fans fe
confondre avec la fteppe. »3
M. Mouravievva nous donner une idée des pays
qu’arrole le Djihoun. « Les fteppes qui entourent
la Khi vie, dit-il, font en grande partie fablon-
neufes & ftéiiles : on n'y aperçoit qu'un petit
nombre d’efpaces peu étendus où il y ait de
la verdure; ce font des îlots au milieu de cet
océan de labié. 11 ne croît fur cette plaine fablon*-
neufe que des buiflons femblables à ceux qu’on
trouve fur les îles de la baie de Balkan. C'eft
un aibriffeau défigné dans le voyage du comte
Vcinoyitch fous le nom rufïe de iidovinnik
( robinia pygm&a ). Il eft peu feuille. On l’emploie
à taire du charbon. Toutefois on préfère
pour cet ufage du bois mort, qui fe trouve en
affez grande quantité au milieu de ces brouffailles.
Les arbres dont il provient ont jufqu’à trois palmes
d’epaiffeur. Dans quelque endroits, on voit les
débris des fo êcs, des troncs vermoulus, qui
attellent les bouleverfemens qu’ a éprouvés ce
pays, & qui fervent à alimenter également &
le feu du voyageur & celui du brigand.
*> On ne tiouve pas d’eau douce dans ces
fteppes ; celle de la majeurè~ partie des citernes
ou des puits qui ont été creufés fur la route eft
plus ou moins Dumâire & falée. Ce n’eft que dans
l’ancien lit de l’Oxus qu'on rencontre des fources
d’eau douce. 1
»3 Parcourir ces fables en été eft auffi pénible
que dangere.x; il s’y élève fréquemment des
t Hirbillons de pouffière q ui, femblables à un
épais brouillard, cachent au voyag ur la vue du
loie i l , le feul guide q*ii puiflè le diriger dans
cette mer périlleufe. Parmi les brouffailles dont
j’ai parlé, croiffent çà & là des bouquets d’ une
plante dont la verdure n’a pas cette belle teinte
qui orne les belles plaines de ma patrie : elle
eft d’un jaune de feuille morte, & reffemble
aux plantes defféthées des marais ; elle a une
forme pyramidale. Les cavaliers qui parcourent
ess fteppes la recherchent, parce qu au befoin
elle peut fervir de nourriture aux chevaux. Les
endroits qui ne font pas fablonneux prélentent
à la vue une terre sèche, dure & au n gris-
b’anchâtre.
>3 La portion peu confidérable de la Khivie qui
eft cultivée peut être confidérée comme une
oafis au milieu d’ un défert. Parmi les autres
qu’ on découvre dans ces fteppes, dont l’oeil ne
peut mefurer l’étendue, on peutci'er le territoire
des Turcomans de la tribu de T é k é , au fud de
Khiva, dont nous aurons ©ccafion de parler dans la
fuite.
33 Les habitans prétendent que le pays fitué au-
delà de Khiva n’eft pas auffi ftérije, & que plus
on avance à l’ eft , plus il eft peuplé & cultivé. Les
caravanes n’y parcourent jamais un trajet de
plus de deux journées fans y rencontrer de
reau.
» Quoique fur toute ma route je n’aie pas
vu de forêts , il faut fuppofer qu’il y en a
au n ord , du côté des fteppes des Kirghis j car
on fait defeendre par l’Amou Déria de grands
trains de bois , qu’on conduit en Boukharie.
3s La furfice de la Khivie & de la fteppe qui
l’entoure, au fud-oueft, depuis les bords de
l’Amou-Déria, eft abfolument unie , à l’exception
des monts Saré-Baba, chaîne peu élev
é e , & de la côte de l ’ancienne mer que j ’ai
déjà décrite.
33 A l’eft de l’Amou-Déria & de la Khivie
s’élève la chaîne des monts Chikh • D jé r i, qui
s’étend au nord de Khiva , en longeant le lac
Aral. Sur la rive orientale du fleuve, vers le nord,
vis-à-vis la chaîne du Chikh-Djé ri, paroît dans
le lointain une montagne ifolée, nommée K o u b a ,
qui f. mble être une prolong-ition de la chaîne de
Manghichlak. Il feroit très-difficile à un étranger,
& particulièrement à un Ruffe, d’obtenir des ren-
feignemens exa&s fur les richeffes que peuvent
renfermer les montagnes du territoire de Khiva.
Les traditions des vieilLrds ont confelrvé chez les
Khiviens le fouvenir des tentarives de Pierre-le-
Grand pour chercher du fable d’or fur leur territo
ir e , & la trahifon dont leurs pères fe font
rendus coupables, envers le prince Békévitch,
auquel iL donnent fon véritable nom, celui de
Dxvlet-G.heriei il en réfulte qu'ils redoutent, d’ une
part les tentatives de notre gouvernement, & de
l’autre, la vengeance particulière du tfar blanc,
qu’ils nomment l’empereur de Ruffie.
»» Quoiqu’en leur infpirant de la confiance,, je
fuffe parvenu à diftîper leius craintes, leur profonde
ignorance s’ oppofa toujours à ce que j’ ob-
tînffe des renfeienenuns exaéts; néanmoins, on
convient généralement que la chûn- de Chikh-
Djéri contient de riches mines d'argent- & d’or;
qu'il en exille également ne cuivre , mais, moins
abondantes, & que les plus productives font celles
de plomb & de foulre. Les Khiviens ne retirent de
çes montagnes que ces deux dernières fubftances.
Ils les exploitent avec fort peu d’ intelligence.
Quant à la fuppofition que les eaux de l’ Amou-
Déria rou'oient une grande quantité d’or, elle eft
improbable 5 car ce peuple, qui eft très-avide
d’argent, ne fait pas extnire l’ or de fis mines.
Il le le procure par fon commerce avec la Ruffie
& les autres Etats qui l’entourent. S’il avoir
le fable d’or fur fon territoire, il en auroit
certainement entrepris l’exploitation , qui n’exige
qu'un lavage affez fimple. Toutefois, quelques
habitans m’ont affuré qu’on trouve de ce fable
en Boukh.rie, près du fleu ve, afîèrtion que
je fuis loin de garantir.
»> Les an:maux qui errent dans la fteppe font, le
lo u p , le renard, le chacal & quelques rongeurs :
parmi ces derniers fe trouvent celui que les Khiviens
nomment éiinghirdjy il eft de la groffeur d’un
petit chat, fes pattes de devant font courtes, fa
peau elt bariolée, bigarrée de fauve & de noir ;
il habite d .ns le fable. Les chacals, qu’on ne con-
no'it pas en Ruffie , font fi communs en A fie , qu’ il
n’ eft pas rare d’ en entendre une troupe hurler,
furtout pendant la nuit, autour d’un village.
33 Les ours ne s’aventurent pas dans les fteppes
de h Khivie ; le cerf & le djéiran, qui eft une
efpèce d antilope , y font affez communs. Les
habitans prétendent que ces animaux peuvent
refter plufieurs plufieurs mois fans boire. Cette
fuppofition peut acquérir de la vraifemblance ,
fi l'on admet qu’ils fe défaltèrent en léchant la
rofée, qui eft très-forte dans ces fteppes. Les
moutons que les Turcomans conduifent aux marchés
de Khiva, paffent dans la fteppe plufieurs
jours fans boire. Il y a probablement des caftors
& des loutres dans l’Amou-Déria.
»3 Parmi les oifeaux de proie qu’on rencontre
dans le pays, les plus remarquables font l’aigle &
l’épervier. Les habitans élèvent avec un foin particulier
ce dernier, pour lui enfeigner à en chaffer
d’autres, & n.ême les chèvres fauvages. Des corbeaux
fuivent d'une manière fingulière les caravanes
qui traverfent les fteppes j auffitôt que la
caravane quitte une halte, les corbeaux s’y éta-
bliffent à leur tour ;. ils rejoignent enfuite les
voyageurs en route; & , pendant que ceux-ci
s’arrêtent, ils voltigent à peu de diftance.
33 Sur les lacs artificiels, ou plutôt fur les réfer-
voirs creufés par les Khi viens, on trouve une grande
quantité de bécaffes que les habitans nomment
kïch-kaldak ; leur chair eft très-délicate : c’eft le
gibier qui attire principalement à la chafiè le khan.
& fes officiers.
3» Quelques canaux contiennent des fafans (efpèce
de c a rp e ) , & vraifemblablement d’autres
poiffons de l'Amou-Déria.
33 II n’ y a point, dans la Khivie, de routes entretenues
; on ne reconnoît un chemin qu’aux
traces que biffent les voyageurs ; fouvent l*
fable les efface alors, dans les endroits où il n’y