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R a CES HUMAINES. « O n a on feint
encore de mettre , difions-nous dans notre Ejfai
çoologique fur le genre Homme ( homo'), tant d’ importance
à n’admettre que des races dans ce
qu’on tient à nommer Y efpèce humaine, que ce
feroit peut-être ici le lieu d’examiner ce que l’on
doit entendre par les mots races & efp'eces , jufqu’à
ce jour imparfaitement définis, parce qu’ il eft peu
d’auteurs qui les aient employés de la même manière.
»» C e que nous n’avons pas fait alors, nous
allons l'entreprendre fommairement aujourd'hui,
& tout leéteur qui prendra la peine de parcourir
cette forte d’introduêlion au préfent article, fera
libre enfuite de qualifier de races ou efpèces les
divifions que nous avons propofé d’établir entré !
les hommes dont l’enfemble compofe ce qu’on de-
ligne communément fous le nom de Genre humain.
O r , le genre étant, félon la définition qu’ en donne
l’Académie , ce qui a fous foi des e fp è c e s le genre
humain feroit-il un genre s’ il n’avoit des efpèces
fous foi ? Cependant M. le baron de Fertilise affirme
dans le recueil périodique en tête duquel
brille fon nom, mais où l’ on trouve bien peu de
lignes de lu i, « que , quoi qu’on en puiffe dire, il
*» n’exifte qu’une efpèce d’ hommes. » Le journa-
lifte ajoute à cette fentence dont nous nous permettrons
d’appeler,« qu’en fuppoferplufieu'rs de-
voit naturellement fe produire dans un fiècle où
l ’on a tant abule des diftinêtions fpécifiques ,
comme aultidu mot genre. Auffi une fois les bornes
franchies, on a fait autant d'hommes qu’on a cru
apercevoir de différences notables, & comme l’anarchie
règne, quant à la valeur à accorder aux caractères
fpécifiques, le caprice ou les idées perfon-
nelles peuvent faire varier à l’ infini & le nombre
de ces efpèces & les efpèces elles-mêmes. »
M. le baron eût préféré qu'un auteur qui, dans
moins de deux ans, a boule ver fé fa propre claflifi-
cation, « fe fût borné à diviferle genre humain en
races. » On p eu t, à peu près fans conféquence ,
faire d’innombrables genres, fous-genres & efpèces
de colimaçons, défigner ces efpèces, fous-
genres & genres, par toutes les combinaifons pof-
nbles & les anagrammes imaginables des noms
grecs ou latins KoxAo? , EMais, Hélix & Cochlea.
Mais il n’ en eft pas de même lorfqu’ il s'agit de la
plus compliquée , conféquemment de la plus importante
des créatures. 11 nous femble que les
hommes ne méritent pas moins d’égards que les
efeargots, fur qui M. de Feruffac a commencé
un grand ouvrage où nous ne trouvons pas que le
mot race ait été affeCté à la moindre des cohortes
difpofées dans une multitude de belles planches
où tout le mérite doit demeurer aux peintres
ainfi qu’aux graveurs, tant qu’on n’y aura pas joint
de texte explicatif. Le mot race nous femble ab-
jeét; il s’applique, dit toujours l’Académie, aux
bêtes domeftiques, telles que chiens , chevaux ,
&c. On l’emploie, à la vérité, dans l’art héraldique,
mais il y néceflite quelque épithete, telles
que royale, bonne ou pure, pourn’être point
pris en mauvaife part. Cette fcience du blafon
qui put ennoblir des crapauds en les métamor-
pholant, félon le grave préfident Pafquier, en
fleurs de lis , ne fauroit faire qu’on dife noblement
une race de porcs, une race <tânes , une
race de dindons. Très-certainement les faintes Ecritures
entendirent flétrir la lignée des bourreaux
de Notre-Seigneur Jéfus-Chrift, quand elles appelèrent
les Juifs « une race de vipères » : & qui,
parmi les honnêtes gens qui ont le bonheur d’être
mariés, ne fe fentiroit ému d’une jufte indignation
, fi l’ on employoit, pour défigner les pen-
chans de fa femme, cette dernière locution, où
les chiens & le beau fexe fe trouvent affociés, &
que confacre au mot R ace , le Dictionnaire régulateur
du bon langage ? .
Il nous a toujours paru bien fingulier que dans
l’idée de conftater la dignité de l ’homme, on ait
impofé à fes efpèces le nom par lequel on défigne
les diverfes fortes d’ animaux les plus v ils , puisqu'ils
font ceux qui portent les ftigmates ignominieux
de l’efclavage, & dont on foigne les races
dans lès haras & dans les étables. Eft-ce donc un
point de foi qu’il faille également qualifier de race
arabe ou de racetartare, des chevaux & les cavaliers
qui les montent ? M. de Feruffac trouve-t-il
que le même inconvénient ait lieu pour le mot efpèce?
Il eft vrai qu’on dit d'ün homme dont qn
fait peu de cas , c eft une efpèce i mais on ne le dit
pas dans le fens où ce mot efpèce fut admis en hif-
toire naturelle} il fignifie dans cette fcience : l’enfemble
des individus, de compofition identique,
dont les mêmes parties conftîtutrices affervies à
des formes incapables de varier des uns aux autres,
au point de rendre ces individus mécon-
noiflables, fe perpétuent dans leurs pareils, c’eft-
à-dire, qui produifent d’autres individus ( fo i t (
par l’ aCte de la génération , foit en émettant des '
corps reproducteurs ) aftreints, d’après les lois
de la nature, à reflembler à ceux dont ils for-
tirent. Or, une Hottentote, après avoir eu affaire
à fon Hottentot, ne mettra jamais au jour un
petit ofiéologiquement conformé comme le furent
Hélène ou Paris, que nous regardons comme
les types de la beauté grecque , ni l’enfant d’un
couple lapon n’ acquerra jamais l'humeur belli-
queufe & la ftature du géant Goliath, ou de Og ,
roi de Bafan.
| Qu’ a donc le mot efpèce , employé pour diftinguer
K A C
guer l’Ethiopien du Français & de l'Allemand, ou
le Chinois au Patagon & du Caraïbe , qui puiffe
avilir les uns .ou les autres ? On l'adopte pour
défigner la totalité des hommes, on le repouffe
quand il eft queftion d’en grouper les diverfes familles
félon leurs affinités fpécifiques, & quand
il faut exprimer nettement les différences qui réparent
bien plus ce qu’on nomme vulgairement
les blancs des nègres, que les efpèces des genres
cheval & marte, par exemple, ne le font les unes
des autres.
. C ’eft ici l’ occafion de répéter avec Voltaire, fi
judicieufement plaifant: « Le blanc qui le premier
vit un nègre, fut bien étonné i mais le premier
raifonneur qui foutint que ce nègre venoit d’une
paire blanche, m’étonne bien davantage,... Nous
ne pouvons douter que la ftruCture des uns ne
foit très differente de celle des autres, puifque
le réfeau muqueux n’y eft pas le même. Je vous
l’ ai déjà d it , mais vous êtes fourds. « Au refie ,
que Voltaire ne foit pas une autorité pour l’écri- ;
vain qui vient d’apprendre à la France qu’elle
poffédoit un grand géologue de plus dans un prélat
éloquent, confidéré jufqu’à l’apparition des bulletins
de M. de Feruflac (février 1817), comme
étranger à l’ étude des fciences phyfiques, nous
n’y (aurions trouver à redire; mais que M. de
Feruffac faffe fottir d’une même fouche, qu’il
anime d’ un même fang ceux dont une moitié tait
fon unique étude de tromper , d’opprimer, de
vendre, d’égorger l’autre moitié, c ’eft où fe
révolte l’elprit autant que le coeur. A quel
degré d’inconlequence peut donc defeendre cette
pauvre humanité ! qu’elle ait produit des raifon-
neurs qui veulent, fans écouter aucune raifon ,
nous faire tous proches parens, afin que nous ne
publions échapper au caractère de Caïn. Ceux de
nos compatriotes qui font la traite des nègres,
ceux des orateurs qui argumentent en pleine tribune
pour les négriers , feront donc néceflairer
ment des fratricides pour M. de f eruffac ?
Si l'homme , par fon organifation & dans fes
fins, n’e i i , comme le dît éloquemment Bufton ,
qu'un être fragile, lié à la matière, enveloppé
par le tourbillon des êtres, pourquoi n’exifteroit-
il pas chez lui diverfes efpèces, comme il en
exifte chez les autres, merveilles de la création?
Nier cette vérité phyfique, parce qu’on lui fup-
poferoit une tendance téméraire, nous eft ui>e
preuve que nos incrédules*connoilTent peu les baies
dè la. croyance pour laquelle oh les voit montrer
un zèle fi. timoré , & nous emprunterons de
l’ un de.nos ouvrages précédens quelques lignes
qui prouvent a quel point nos idéesfur la diverfité
ües efpèces d’hommes font en harmonie avec ce
qu’enleignent les livres facrés.
C ’eft interpréter étrangement, difions-nous, le
texte d’un livre fur l ’autorité duquel divers docteurs
voient des parens dans tous les hommes,
que de regarder le Papou, le Hottentor, l’Efqui-
Géographie-Phyftque. Tome V .
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maux, &• les aïeux du faintroi David, par exemple,.,
comme confanguins. Le premier livre des Juifs ait à
la vérité, « L es D ieux créa l'homme, & il le créa
mâle & femelle, »»ce qui paroît ne fuppofer qu’ un
premier couple, fi l’ auteur facré n’ a pas entendu
établir que le premier homme fût un hermaphrodite
; mais lès Juifs & leur légiflateur qui ne connurent
d’ abord d’autre efpèce que la le u r , &
que\des ordonnances céleftes avoient exprefte-
ment réparés de toutes les autres, euffent-ils,
dans leur légitime orgueil, regardé les peuples
rouges &* noirs qui leur étoient en tout étrangers,
comme des frères? Adam étoit le père de leur
race feulement: ils n’auroient pas voulu des Chinois,
des Nègres & des Botocudos pour coufins,
s’ils en euffent jamais v u , eux qui regardoient
déjà comme abominables ces Sichimites,ces Ama-
lé cites , ces Moabices & autres Cananéens, avec
lefquels, malgré la reffemblance , ils ne vouloient
nul contaét, & qu’ ils exterminoient au nom de
leur Dieu. On voit d’ ailleurs dans tous les livres
facrés qui furent infpirés à leur ufage, auelle hor-
reur on tenoit à leur inculquer pour le moindre
mélange avec les étrangers ; & l’ union de leur
fang au fang des anges mêmes , fut l’abomination
d’où provint le déluge ; car il eft dit que « Les en-
fans des dieux voyant que les filles des hommes
étoient belles, eurent commerce avec toutes celles
qu’ ils choifirent, & il en réfulta desgéans qui
furent des gens de renom. L’ infolence de ceux-ci
provoqua la colère du créateur, lequel fe repentît
d’avoit fait l’ homme à fon image, & l’Eternel dit :
J’exterminerai de toute la terre les hommes que
j’ai créés, depuis les bêtes jusqu’aux reptiles, &
même jufqu’aux oilèaux des cîeux , car je me re-
pens de les avoir créés. »» Il noya donc,pour nos
méchancetés, tous les animaux à la furface de la
terre.
Les livres juifs n’ entendent pas établir que leur
premier homme ait été le père du genre humain,
mais feulement celui de leur efpèce privilégiée.
Ne s’ occupant abfolument que du peuple élu, ces
livres impériffables femblent l'ai fier à des hifto-
riens profanes , le foin de débrouiller le refte des
généalogies humaines. ï l ne peut conféquemment
y avoir aucune impiété à recontioître parmi nous
plufieurs efpèces, qui chacune auront eu leur
Adam & leur berceau particulier. Ces efpèces auront
fous elles des races, & ces races des variétés.
>
Nous convenons qu’il feroit confolant pour la
philanthropie, qu’ on pût faire comprendre aux
hommes, de quelqu’efpèce qu’ ils puiffent être ,
qu’ils doivent s’aimer comme les membres d’une
même famille , & ne pas s’entr’égorger ou fe vendre
les uns les autres. Mais la recherche de la vérité
n’admet pas de telles confidérations, & c’eft
une manière infuffifante de prouver l’évidence
des chofes mifes en doute , que d’ argumenter des
confolations qu’on peut tirer de leur croyance.