
dans ce livre, très - foigneufement compofé quant
aax faits hiftoriques & fous le rapport des fciences
phyfiques, des idées & des fyftèmes qu’ il eft permis
d’enfanter à vingt ans, mais qu’on peut défa-
vouer après quarante.
Les habitans des fept Canaries avoient peu de
rapport entr’ eux. Ne connoiffant guère la navigation
, ils ne paffbient que par accident d'une île à
l’autre 5 de forte qu’ ils ne communiquèrent jamais
avec le continent voifin. De cet ilolement étoit
réfulté entr’ eux de grandes différences dans le langage
> cependant on reconnoît une four ce commune
dans tout ce qui nous eft refté des idiomes
canariens. Beaucoup de mots y font de racine
arabique, ou dérivent de ceux des langues réputées
primitives.
Les Canariens portoient des noms divers , félon
l ’île qu’ ils habitoient j les plus remarquables furent
les Guanches, peuple de Ténériffe, parce qu’ ils
étoient beaucoup plus avancés dans la civilifation
que les autres infulaires. On peut même dire que
les Mexicains & les Péruviens, que leur or &
l ’audace de leurs vainqueurs ont rendus fi célèbres,
étoient fort inférieurs aux Guanches.
Ceux-ci paroiffoient tenir des antiques Egyptiens.
Comme e u x , ils avoient des rois avec un gou-,
vernement en partie théocratique , des hiérogîy
phes, des fêtes folennelles & la croyance d’un
dieu lupérieur préfidant à la confervation du
monde » comme eux furtout ils profeflbient le
grand refpeét pour les morts } qu’ ils embaumoient
foigneufement, & dont ils confervoientles momies
dans des cryptes, où nul autre que les prêtres du
trépas ne pouvoir pénétrer fans commettre un
facrilége.
C e font ces momies, appelées xaxo à Ténériffe,
donc on a retrouvé pîufieurs à Gomère & dans la
grande Canarie, qui donnent beaucoup d’intérêt
à ce qui nous eft parvenu de 1 hiftoire des Guanches.
Les exterminateurs de ces infortunés ne
nous en avoient guère parlé que fous le rapport
de leurs ufages, & du courage avec lequel
iis ofèrent réfifter durant près d’ un fiècle. Les
momies nous ont appris qu'ils étoient en général
de haute taille ; que leurs cheveux, liftes, fins &
unis comme Us nôtres, châtains ou même blonds,
n avoient aucun rapport avec la toifon noire &
crépue des nègres africains, mais que la cavité
humérale de l ’olécrane y demeuroit fcuvent ouverte
dans.le fqueletce, comme elle l’eft chez quelques
hommes des environs du Cap.
Béthencourt ne put rien tenter fur Canarie, ni
fur Ténériffe. Ce ne fut qu'en 148.3 » après foixante-
dix-neuf ans d’ efforts, que la première de ces îles
tomba au pouvoir des Efpagnols, commandés par
don Hédro de Véra 5 la fécondé ne fuccomba
qu’en 1497. Don Alonzo Fernandez de Lugo s’en
empara pour la cour de Caftille , quatre-vingt-quinze
ans après la première expédition de Béthencourt.
Le Mexique ne réfifta pas deux ans à Fernand-
Cortez, & le Pérou, vingt-quatre heures à Pizarre.
Les Canaries n’ ont cefle , depuis la conquête,
d’appartenir à l’Efpagne, où elles font annexées ,
avec le titre de royaume dépendant de celui de
Séville. Leur population totale é to it, en 16 78,
d’environ 10^,637 habitans} elle s’élevoit au commencement
de ce fiècle , & quand nous les vifi-
tâmes, à i$7 >7 $ 9 âmes. Mais ce nômbrè commen*
çoit à diminuer 5 la mifère, réfultat d’une mauvaife
adminiftration, des maladies & des émigrations ,
menaçoit la profpérité de ces belles îles. Près de
2,200 eccléfiaftiques & 8co religieufes n’y étoient
pas les moindres caufes de dépopulation.
Ces îles font très-fertiles , leur fol eft généralement
montueux, coupé de torrens, efcarpé &
fec j mais les vallons, arrofés par les courans qui
defcendent ,de très-hauts fommets, produifent
tout ce que le cultivateur en .veut obtenir. Les
végétaux de l’Europe y profpèrent confondus
avec ceux de la zone torride j l’on y voit mûrir
enfemble le raifin, la pomme, la banane, l’ o range,
l’olive, la figue, la cerife, le melon, la
grenade , la paftèque, la grofeille, l’ amande , l’ a-
none & même l’ ananas. Le coton & le fucre y font
cultivés avec l’ orge & le blé ; le café même rëuf-
firoit partout où l’on auroit foin de lui choifir une
expofition convenable. Si l’ archipel qui nçus occupe
eût appartenu à quelque phiftance dont le gouvernement
eût encouragé & protégé les idées agricoles
& commerciales, il fût devenu la plus riche
& la plus heureufe des régions de la terre. L’ardeur
du climat y eft tempérée par l’élévation du
fol & par des vents de mer régLéss la terre y produit
avec une forte de fureur , il ne s’agit que d’arrê- .
ter fa fougue & de lui procurer des ombrages j les
tempêtes y font à peu près inconnues, les côtes
font généralement sûres, nul écueil ne les rend à
craindre. Les eaux y font d’excellente qualité j mais
l’agriculture y languit dans l’état le plus miférable.
On y récolte d’excellent v in , des raifins fecs &
des amandes qui font, avec quelques oranges, un
peu d’eau-de-vie, de foie écrue, de figues, d’or-
leille, de baryte, de coton & du poifion falé,
pêché fur la côte d’ Afrique, les feuls objets d’exportation.
11 n’ exifte pas dans le pays une manufacture
qui dénote le moindre perfectionnement
induftriel > mais il y a un évêque, & il y eut un
tribunal de la fainte inquifition, dont les oeuvres
font éternifées dans la cathédrale de Laguna, par
des tableaux repréfentant divers auto-rda-fe.
Les Canaries font au nombre de fept, dites pria-
cipales, Fortaventure, Lanceiote, Canarie, T é nériffe,
Palme, Gomère & Fer, avec cinq plus
petites, appelées Allegranra, Clara, Roca de
l'oueft & Roca de l’eft. Ces dernières font inhabitées
& de trop peu d’étendue pour qu’ on s’ y
pût établir, quand l ’accès n'en feroit pas très-
difficile. Leur conftitutiou eft volcanique dans
l’étendue du mot. Il n’eft aucune d’elles où on
en
ne reconnoiffe au premier coup d’oeil les indices
des plus terribles commotions fouterraines.
Les laves les plus variées s’y préfentent au natu-
ralifte, des cratères y percent le fol en mille endroits
, & fi l’on y rencontre des roches primitives
, il eft facile de voir qu’elles ont été comme
foulevées de grandes profondeurs & travaillées
par le feu. Des éruptions fans nombre y ont eu
lieu , & depuis que i’archipel a été connu des Européens
, on a gardé le fouvenir de celles qui
bouleverfèrent divers villages ou alarmèrent la
population tout en fe faifant jour dans les fo-
litudes.
Le pic de Ténériffe fut fans doute long-temps
le principal foyer de telles révolutions ; c'eft par
les vomiffemens qu’ il s’eft élevé à l’immenfe
hauteur que nous lui voyons aujourd’hui. Ses
vaftes flancs font couverts de volcans fecondaires
tels que celui de Càhorra, que nous avons nous-
même vu encore fumant. Beaucoup de voyageurs
en ont efcaladé le fommet ; on peut voir, dans nos
EJfais fur les îles Fortunées, l’ hiftoire des principaux
voyages qu’on y avoit faits jufqu’en 1800.
Depuis cette époque, pîufieurs favans s’y font
encore é le vé s , entr’autres M. Cordier, l’ un de
n.os plus favans académiciens , profefleur au Mu-
féum d’hiftoire naturelle , & M. de Buch, géologue
pruflien. C e dernier, dans fa relation, donna
des détails fur la forme du fommet tellement dif-
férens de ceux qu’on difoit avoir éré recueillis par
M. Alexandre de Humboldt, qu’ une telle con-
tradiélion a accrédité le bruit répandu que c étoit
par inadvertance qu’on en trouvoit la deicription
dans'fes ouvrages!-Il eft du moins certain que don
Jofeph Pedro Lafca, gouverneur de Ténériffe
quand l’expédition Baudin s’y arrêta, peu de
temps après lé paflage de MM. Humboldt & Bon-
pland, affura, en préfence de témoins, à M. Ha-
melin, alors fécond de l'expédition, aujourd’hui
contre-amiral, que le favant pruflien n’avoitpas fait
l’ afcenfion dont les journaux français célébrèrent
la relation. Quoi qu’ il en fo it, M. de Humboldt
a reconnu depuis & publié qu’il exiftoit
quelques erreurs dans fes notes à cet égard, &
qu’en les négligeant, il falloir s’ en tenir aux def^
çriptionsde M. de de Buch.
Les perfonnes qui voudront vérifier ce qui en
e f t , gravir de nouveau fur l’un des plus hauts
fommets de l’univers, & s’élever dans les dernières
régions de l’atmofphère, pour voir autour
d’elles les fept îles Canaries, partiront de l’Oro-
tava vers la fin d’août s on peut aufli y aller de
Garachico, & même faire dans ce trajet jufqu’à
fix & fept lieues allez commodément fur des mules
. Pour fe former une julle idée du voyage au pic,
il faut lire la relatinn d’Edens, publiée dans les
Tranfattions philofophiques de Londres , & celle de
M,. de Labillardière. La première date de 1715 ,
& la fécondé de quatre-vingts ans plus tard j cependant
on trouve entr'elîes une conformité qui prouve
Géographie-phyjique. Tome F ,
la vérité de toutes deux : ce qu’en ont raconté
les autres voyageurs en eft à peu près la copie.
Après avoir paflé la région des forêts & gravi des
hauteurs couvertes de débris, où fe repofent fans
cefle les vapeurs , & où ne croiflent que des ar-
buftes, on ne tarde pas à s’élever dans une autre
région qui demeure prefque toujours dégagée des
premières. Le fommet eft formé de cendres &r de
feories, d’ un accès pénible, & l’on y trouve unvafte
cratère en cirque appelé caldera (chaudière) : ce cratère
fumeencore,maisil ne rejette plus de laves.
Les éruptions dont le pic peut être néanmoins toujours
confidéré comme le foyer principal n’ont lieu,
que latéralement & de fes bafes: on n’en cite qu’ un
petit nombre depuis la conquête. Pîufieurs paroif-
fent avoir eu fieu dans le fuel ; mais cette partie de
l’île étant abfolument inhabitée & fort âpre, le peu
de .chevriers qui la fréquentent en ont pu feuls
être témoins, & l’on n’en a pas fixé chronologiquement
le fouvenir. Mais en 1707, le volcan
ébranla la terre d’ une façon mémorable dans la
nuit du 5 mai j le fol s’entr’ouvrit à peu de dif-
tance d’ une petite ville de Garachico, port aflez
flôriflant, dont les maifons furent entièrement
détruites par un vafte courant de laves qui remplit
& encombra la baie. Après ce bouleverfement,
j Pîle cefla d’ être tourmentée, fi ce n’eft vers Gui-
mar. Sur les pentes orientales des montagnes
voifines, s’ échappa un courant embrafé qui dé-
truifit des bois de pins. Enfin, en 1798, deux ans
environ avant notre arrivée à Ténériffe, eut fieu
l’éruption de Cahorra, dont nous avons donné"
une defeription & une figure d’après un Mémoire
que nous avoit communiqué un habitant du pays ,
appelé M. Bernard Cologan.
Les autres Canaries ont aufli eu leurs éruptions.
La plus ancienne de celles dont on ait confervé le
fouvenir, eft celle du 13 novembre 1446, qui
bouleverfa une partie de l’ île de Palme. Une autre
éruption ayant eu lieu le 15 avril 1588 , cette dernière
î ’e eft l’une de celles où les fureurs volcaniques
fe foient le plus manifeftées On affure que
les anciens habitans lui donnoient un nom qui
lignifie un palmier renverfé, parce que le profil de
fes montagnes femble représenter aux deux extrémités
deux amas, l’un plus haut que l'autre,
unis par un efpace plus b as , comme le font
la cime & les racines d’un arbre abattu. Divers
profils du pays pris par l’eft ou par l’oueft, fem-
blent juftifier cette étymologie. Comme Maf-
careigne & tant d’ autres îles volcaniques, Palme
auroit eu fes deux principaux foyers ,dont un plus
élevé que, l’autre : c ’eft ce qu’exprime fort bien
une carte Ùe Lopez que nous avons fous les yeux ;
mais o ù , quoique gravées avec aflez de g o û t, les
montagnes en pain de fucre lont repréfentées à la
vieille manière. M. de Buch a récemment publié
une carte de la même île délicieufement gravée ,
mais il faut convenir que l’imitation de Lopez y
eft bien frappante, & l’ on n’y a certainement