
les changemens que fon lit éprouve font fi lents,
que rien de ce qui fe paffe fous fes yeux ne peut
l'éclairer fur ce qui exiftoit avant le creufement
de la vallée ; mais si Ton examine ce qui fe pafle
dans celles qu’arrofe un petit ruiffeau, on re-
connoît qu'il entraîne fans cefle des débris du
terrain qu’ il parcourt. « I c i, ajoute-t-il, les reftes
» d'un ancien ordre de chofes font vifibles, &
m fans beaucoup de raifonnemens, nous pouvons
^ comparer ce qui a été autrefois avec ce qui
m eft aduellement. Il ne faut qu’ un peu d’étude
» pour remettre les chofes à leur place &r faifir
» la-nature dans fa grande opération de la diffo-
dî lution des maffes les plus dures & les plus
m folides par les influences du foleil & de l’at-
» mofphère. Nous voyons le commencement de
>* ce long voyage que font les corps graves- pour
m fe rendre des points les plus élevés de la t^rre
3> jufqu’au fond de l’Océan, & nous fommes con-
*• vaincus que fur nos continens il n’y a pas un
s* point fur lequel une rivière n’ait pu couler
3* autrefois. » 1
D’après ces effets, Playfair adopte l'opinion
que les rivières ont coupé & formé non-feulement
leur lit, mais toutes les vallées, ou plutôt
le fyftème des vallées à travers lesquelles
elles coulent. Cherchant des exemples dans
les grands maflifs; de montagnes, il fait obier-
ver que fur toute l'immenfe & inégale furface
qui s'étend des Alpes au Pont-Euxin, & 'depuis
les monts Krapacks jufqu’au mont Hémus,.il y à
une communication régulière entre chaque point
& la ligne de la plus grande dépreflion dans laquelle
coule le Danube ; que cette difpofîtion
indique que les eaux feules ont pu fe frayer
un paffage à travers les obftacles de ce laby-'
rinthe. 11 fuppofe un inftant cette communication
interrompue par une barrière de montagnes
qui empêcheroit la Theiff ou la Drave de .fe
jeter dans le Danube, « que peut-il réfulter de
» cela, dit-il, fin on que ces eaux fe ramafferont
» jufqu’à ce qu'elles foient allez élevées pour
» trouver un puits, ou fous les baies ou fur les
y» fommets des montagnes qui>les retiennent?
» Alors il fe formeroit des lacs immenfes 6c des
„ cataractes qui, en remplilfant ce qui était bas
y* & en coupant ce qui etoit trop é le v é , réta-
bliroient avec le temps la pente uniforme de
» la furface comme elle étoit auparavant ; c ’eft
„ ainfi que dans les temps paffe s , quelles qu'aient
M été les irrégularités de la furface à fa première
3> fortie de la mer, ou quelles qu’aient été celles
u que des convuîfions fubféquentes ont pro-
»3 duites, la feule aétion d’ un ruiffeau ne man-
M quera pas de créer ou de renouveler un fyff*
>3 tème de vallées qui fe communiqueront les
>, unes aux autres comme celles, que nous voyons
>» aujourd'hui. Dans toutes les circonttances,
»» l'eau retrouvera fa route pour gagner le point
*> le plus bas-, quoique partout où la furface eff
»• très-irrégulière, elle ne puifle le faire qu’après
>» avoir été renfermée dans mille lacs, ou pré-
»• cipitée en catarades, au-défi us de mille pré-
33 cipices. Partout où ces irrégularités n'ont
»* point lieu, & où un lac & une cataraête font
>3 comparativement des phénomènes rares, nous
*3 voyons une furface que l'eau feule, de tous
»3 les agens phyfiques, a pu produire; & nous
33 devons conclure que la probabilité d’une telle
33 conftitution, reftànt d’une "autre caufe, eft à
33 la probabilité , comme venant du cours de
33 l'eau, dans la proportion de l'unité au nombre
>3 infini. »
Cette théorie de la formation des vallées a été
trop bien réfutée par Deluc pour que nous ne
rapportions pas quelques-unes de fes objections.
C e naturalifte, qui montra tant de fagacué dans
l'étude de certains faits, peint à grands traits
raétion de ces torrens formés par les ^grandes
pluies ou par la fonte des neiges , entraînant aü
fond des vallées les débris de rochers accumulés
par des torrens moins impétueux, qui après les
avoir formées s’étoient détournés ne pouvant entraîner
leur malle. Mais il fait remarquer que
lorfqu’un de ces torrens fougueux, plus fort que
ceux qui 1 avoient précédé, finit par entraîner
.les monceaux de débris que ceux-ci avoient ref-
peCiés, il perd bientôt fa force, & qu’après une
courte de peu d’étendue fes eaux font impuil-
fantes à remuer des blocs de rochers d’un petit
volume. Comment donc croire que les vallées
aient été creufées par des ruiffeaux , quand les
torrens les plus impétueux ne lailfent leurs-traces
que fur de petits efpaces? '
L’opinion de Deluc eft tellement différente de
celles de Hutton & de Playfair. que rout en
admettant la deftruCtion graduelle de nos montagnes,
il prétend que leurs flancs efcarpés, que
leurs déchirures abruptées exiftoient à leur naif-
fance, mais qu’elles ont toujours tendu vers une
| dégradation qui aura cependant fon terme. Il
i examine enfuice ces grandes vallées des Alpes
comblées dè glaces 6c connues fous le nom
de glaciers ; il trouve dans leur conformation les
plus fortes objections contre l’ effet que l'on at-
; tribue aux eaux courantes. Des rangs d’obélif-
ques gigantefques forment, dit-il, le cadre étonnant
de ces vallées de glace contin uellêment en
état de dégradation. Si l’érofion & le tranfport
des matériaux avoient été la caufe des immenfes
efpaces vacans entre ces obélifques, tous les
canaux des eaux qui fortent de ces efpaces de-
vroient être nivelés par les débris. « C'eft là ,
» ajoute-t-il, l ’effet nécefiàire 6c réel des cou-
*3 rans d’eau qui charrient, des matériaux pefans,;
>3 ils en rempîiffent toutes les cavités fur leur
»» route; aucune de ces matières ne peut paf-
33 fer au-delà des cavités jufqu’à ce qu'elles
*» en .foient comblées, ni même jufqu’ à ce que
30 le lit du courant fie foit réduit à une pente
>» régulière fur laquelle il ait une égalé rapidité,
so car il en dépofe dès qu’ il eft moins rapide. *3
Nous pourrions accumuler les objeétions de
Deluc, mais nous nous bornerons à rappeler
les principales conduirons qui découlent des
obfervations qu’ il a faites en étudiant les vallées.
i° . Il faut de la rapidité dans les courans
d’eau pour qu’ ils puiffent charrier de gros frag-
mens de pierres ;
2°. Pour produire cette rapidité, il faut des
pentes fuffifantes;
3°. Des courans formés par le raffemblement
des eaux .de pluies ne peuvent avoir de 1 imp.e-
tuofité que lorsqu’ils font contenus dans des
canaux fixes ;
4e*. Ces eaux, coulant dans des canaux,.ne
peuvent entraîner d’autres débris^ du fol que
iorfque quelque caufe étrangère a leur aétion en
fait arriver fur leur cours ;
y°. Ces débris ne peuvent provenir que de la
d:gradation des flancs de la coupure au tond-
de laquelle paffe le courant ;
6°. Si dès l ’origine ou par les effets des démolitions
à l’aétion du courant, ces débris, tombant
des faces abruptes , trouvent des efpaces
libres où ils puiffent s’ accumuler, ils fe lèvent
en talus contre ces faces , & arrêtent leur démolition
partout où ils atteignent;
70. Mais fi par le manque d’efpace libre au
fond de la coupure, ces talus, en augmentant,
s’ étendent jûfqu’ au.lit du courant, & qu ainfi il
fappe leur bafe, & fe retire'par leur éboulement,
la face abrupte recommence à fe dégrader, 6c
ces opérations durent jufqu’à ce que les talus
formés hors de la portéè de leur agreffeur foient
couverts par la végétation ;
8°. C e n’ eft donc que durant le temps où les
flancs des coupures font arriver encore leurs
débris jufqu’au lit des courans gonflés, que ceux-
ci peuvent charrier des matériaux, mais mis en
mouvement fut les parties de fon lit ou il eft
contenu, & avec allez de. pente, ils font dé-
pofés d’abord dans tou tes . les cavités, & en-
fuite dans tous les efpaces^ où l’ eau pouvant
s’étendre perd de fa rapidité. Or lorfqu on ob-
ferve quelques ferions verticales de ces nouveaux
fols formés de dépôts des courans, on y
voit, par la diminution fucceflive de groffeur des
débris, de bas en haut, le travail fucceffif de ces
eaux, depuis qu’ elles coulent.
Les idées de Bourguet, de Playfair, & de
Deluc, dont nous avons eu foin de donner une,
analyfe fuffifante, partagent encore la plupart
des géologues eh plufieurs groupes qui ont adopté
ou modifié les opinions de leurs devanciers.
Effayons de notre côté une explication de la
manière dont fe font formées les^ vallées. 'Si ,
comme cela nous femble probable, ie globe terreftre
a été primitivement dans un état d incan-
defcence auquel il faut attribuer la formation
des roches antérieures aux êtres organifés y la
décompofition de ces roches par l’aélion d une
atmofpnère incomparablement plus étendue que
celle qui entoure aujourd’hui notre globe, a du
être beaucoup plus confidérable que les dégradations
que nous voyons s’ opérer fi lentement
dans les mêmes roches. En effet, Iorfque la
croûte terreftre fe fut refroidie, la condehfation
des vapeurs atmofphériques dut avoir une action
très-grande fur cette même enveloppe. Cette
a&ion, jointe à celle des écartemens, des cre-
vaffes & des fiffures que -le refroidifféraient avoir
produits fur l’écorce terreftre, durent former les
premiers ravins ; de là l’origine des vallées qui
fillonnent les montagnes appelées primitives. Il
fuffit d’ examiner ces montagnes pour reconnoî re
qu'une fi m pie fiffure dans leurs roches peut s 'élargir
graduellement à la longue par l’effet des
changemens de température, de l’abondance des
pitres, du féjour 6c de la fonte des neiges fur
les cimes les plus élevées; enfin, par l’aébon
renouvelée fans ceffe des phénomènes atmofphé-
riques. 11 eft également admis jp)j la plupart des
géologues, que des caufes déterminées par certains
phénomènes qui fe paffent au - defîbus de
l’écorce terreftre, ont produit à diverfes époques,
& même après la formation des terrains de i’édi-
ment lupérieurs, des foulèvemens qui ont changé
certains points de l’écorce du globe, en montagnes
d’une fi grande importance, que d’apres
les obfervations que M. Elie de Beaumont a récemment
faites dans ur.e partie des Alpes, tout
ce qu'il a vifité dans ce grand fyftème de montagne
paroi't avoir été formé par fotilèvement
à l'époque dont nous parlons. Nul doute que
des cataftrophes dont la violence a été telle
que les hautes cimes alpines fe font élevées
du fein de la terre, n’ aient produit dans ces
montagnes des écartemens qui fe font changés
avec le temps en immenfes vallées, & n’ aient
déterminé dans leur voifinage, c ’eft-à-dira au
point de contait de leurs roches 6z des dépôts
poftérieurs, les caufes qui ont produit le creu-
iernent de différentes vallées dans les terrains à
débris organiques les plus anciens, comme les
plus récens. Ainfi les lacs qui durent fe form r
au fommet des plateaux, qui réfültoient de ces
foulèvemens, ont dû tôt ou tard rompre les parois
qui les retenoient pour fe répandre sur des
plateaux moins élevés. Ces ruptures ont donné
naiffance aux plus hautes vallées; mais les eaux
amoncelées fur les plateaux moins élevés ont pu
fucceflivement, jufqu’ à la base des montagnes,
produire les mêmes réfultats. Ces amas d’eau,
en fe répandant en torrens, qui fe réunilïbien:
de plufieurs vallées tranfverfales dans une vallée
longitudinale, vallée qu’ils creufoient dans leur
courfe rapide, en profitant des chemins que