
des circonftances de localité auxquelles le ha fard
les a fournis.
On comprendra aifément que ces différences,
que ces traits natifs doivent être mieux marqués ,
plus faillans chez les peuples qui fe rapprochent
davantage de l’état de nature , que chez ceux qui
ont recueilli les avantages d’une longue civili-
fation. Les bienfaits de la fociété, les fecours
des fciences , des arts , de l’induflrie, les nombreux
échanges du commerce, tendent fans ceffe à
diminuer l’influence exercée par le climat & la
localité. On aura peine à retrouver dans un Français
logé dans un palais brillant, couvert de vê-
temens chauds & magnitiques, nourri d’ alimens
préparés avec art & fournis par tous les pays du
Monde, dans un Français qui ne fe livre ni.aux
travaux pénibles de l’agriculture, ni aux exercices
violens de la pêche, de la chaffe, de l'équitation,
un de ces Gaulois forts, robuftes, infatigables,
dont Tacite nous a confervé le portrait. Une
longue fucceflion de fiècles, une longue habitude
des jouiffances. que procure la civilifation & les
lumières, lui ont fait perdre ces traits qui dif-
tinguoient fes aïeux, en ont fait un peuple prefque
nouveau. Ce changement n eft pourtant pas tellement
complet qu’ on ne pniffe encore recoh-
noître de quels hommes il defcend & ce qui lui a
été trai'fmis par fes fauvages ancêtres.
L’ homme fournis continuellement aux influences
du fo l, de l’e a u , de l’ air, en reçoit des impref-
fions profondes qui modifient fa forme extérieure,
fes habitudes, fon caraêtère j que par un moyen
quelconque on détruife ou l ’on change ces influences,
& d’autres impreflions viendront produire
des modifications nouvelles : voilà ce que
fait naître la civilifation. Une peuplade qui vit
fur une terre inculj£, dont l’atmofphère eft chargée
conftamment de miafmes exhalés par un
vafte marais, qui vit pauvrement des alimens que
lui procurent ou la chaffe ou la pêche, fera certainement
caraélérifée par des moeurs & des traits
particuliers j mais ces traits, cts moeurs ne tarderont
pas à difparoître fi la civilifation amène chez
cette peuplade l’agriculture & fes nombreux bien-1
faits , le commerce & fes reftburces, les fciences ]
& leurs utiles applications ; fi le marais eft def- .
féché, file s champs font rendus fertiles, fi les
alimens deviennent ab on dan s , quelques généra-
;ions fuffiront pour faire naître un peuple prefque j
nouveau, des hommes dont le phyfique & le |
moral auront totalement changé.
Ces changemens fucceflifs que l’ on peut re- j
marquer parmi les hommes qui reftent dans le I
même lieu, lorfque, par un moyen,quelconque,
on parvient à changer ou à modifier'les influences !
du fo l, des eaux, de l’atmoiphère, apparoiffent
bien plus promptement lorfque des peuplades ou'
des individus changent1 de réfidence , de climat, :
& vont vivre fur un fo l, au milieu d’ une atmo- i
fphère entièrement différens de ceux qui les ont ■
vu naître. I a nature n’a pas condamné l’homme
à végéter éternellement à la même place, elle en
a fait aù contraire l’être cofmopolite par excellence,
celui qui peut le plus aifément quitter fes
anciennes habitudes & en contrarier de nouvelles.
Sans les voyages , plus de commerce , plus d’ in-
duftrie, plus de lumières, plus de civilifation, &
l’ homme eft né pour être civilifé dans toute l’acception
de ce m o t , pour jouir des avantages de la
fociété , pour exploiter à fon plus grand avantage
tous les points de notre Globe , quoi qu’en aient
pu dire quelques philofophes chagrins, qui n'ont
pas craint de foutenir que l ’état le plus heureux
étort celui de l’ ignorance, de l’ ifolement, qu’ils
ont appelé -Y état de (impie nature. Non, l’homme
n’eft pas créé pour vivre, fauvage , pour vivre
comme les brutes ; tout dans fa forme, dans fa
conftruétion, annonce un but plus é le v é , plus
noble, plus glorieux. Sa nudité qui lui rend les
vêtemens indifpenfables , fon langage qui lui
permet de communiquer toutes fes penfées à fes
femblables , l’abfence de toute arme défenfive
qui le met dans la néceflité de s’ en forger d’ arti-
fîcieljes, la forme de fes mains qui le rend apte
à tous les genres de travaux , l’ étendue de fon
intelligence enfin qui ne peut refter renfermée
dans le cercle étroit où végètent les animaux j
tout, en lui, démontre une deftination plus noble,
celle enfin à laquelle nous voyons qu’il tend fans
ceflfe à s’éleve r, malgré les vains efforts de quelques
ennemis des lumières & de quelques rêveurs
chagrins.
Ces changemens qui s’ opèrent dans l'habitude
extérieure, dans la conftitution , dans le tempérament,
& jufque dans le cara&ère de l’individu
, lorfqu’ il a changé de lieu , d’eali , d’ air &
d'alimens, n’arrivent jamais fans occafionner une
crife qui quelquefois eft mortelle. Cette crife,
véritable maladie que tous les médecins, ont pu
obferver, s ’appelle communément un tribut que
ron doit au nouveau climat ; & Iqrfqu elle s’eft
terminée d’une manière heureufe , on dit que l'individu
a payé fon tribut, & que dès-lors il eft
acclimaté i e t qui fignifie que tout en lui s’eft modifié
, & qu’il eft difpofé déformais à.fupporteF les
influences locales auxquelles il s’eft fournis.
L’homme e ft, fans contredit, de tous les êtres
vivans, celui qui peut le mieux & le plus impunément
changer de climat. Les végétaux de Ia;zône
torride ne peuvent vivre ni près des pôles ni
dans les pays tempérés. Les animaux d’un pays
chaud périffent fous un ciel froid > ceux qui font
habitués à réfifter à une température très-bafle,
languiffent & meurent bientôt lorfqu’on les transporte
dans les lieux où règne une chaleur extrême.
L ’homme feul peut vivre partout > partout il peut
s’acclimater : citoyen du Globe, il quitte les
habitudes de fon enfance & en contrarie de
nouvelles î il "change de lieu , il fe foumer à
d’autres influences & vie partout. Ce précieux
avantage qui, dans l’état aétuel des fociétés, a tant
ajouté à Ion bien-être , à fa puiffance, l ’homme
le doit à fon intelligence, à fes lumières. Forcé
par fa ftruélure, par fa conformation , de chercher
un abri contre les intempéries de l’air , la maifon
qu’ il habite , les vêtemens donr il fe v ê tit, doivent
le fouflraire, en grande partie du moins, aux
influences de la température. Ses alimens préparés
avec arr, fournis prefque tous à la coêlion ,
l ’eau qu’ il fait priver de fes propriétés mal-
faines, ou dans laquelle il mêle une liqueur fer-
mentee, ne retiennent prefque plus rien des qualités
qu’ ils dévoient au climat, & deviennent ainfi
en quelque forte, pour lui les mêmes fur tous
les points de la terre.
De ces confulérations rapides, il réfulte é v idemment
que le climat, ou tout ce qui le conf-
titue, comme l ’atmofphère, les vents, les pluies,
la température, la nature des eaux, les alimens,
la configuration du fo l, exerce une aêtion marquée
fur les êtres o r g a n i f é s& en modifie la
forme, la ftruèture & les propriétés les plus intimes
j que cette aélion confiante fe fait fentir
davantage fur les végétaux que fur les animaux,
plus fur ces derniers que fur l'homme j plus enfin
fur l’homme faùvage que fur l’homme civilifé,
mais que toujours elle a lieu, & que la facilité
avec laquelle les hommes éclairés peuvent en
combattre les effets, loin d’ê tre , comme on a
voulu le dire, un motif pour en nier l’exiftence,
eft au contraire une preuve évidente de la réalité.
Jetons maintenant un coup d’oeil rapide fur ces
influences du climat , du fo l, de l’air, des eai.x,
des alimens, & voyons fucceflivement leurs eff.ts
les plus fenfibles dans les pays chauds, tempères
ou froids , dans les lieux élevés ou bas, dans les
contrées lèches ou humides.
Pour rendre ce travail plus clair, & lui donner
autant d’exaélïtude qu’ on peut en defirer dans
des généralités , admettons trois grandes divi-
fions principales, trois-grands climats , dont les
caractères font à la fois bien diftindls & bien .
marqués. Ainfi, entre les deux tropiques, ou juf-
qu’au 30e. degré de latitude î foit boréale, foit
auftrale, fe trouveront les climats chauds, ceux
où la température eft Ja plus conftamment & la
- plus fortement élevée. Depuis le 3 i e- degré de latitude
jufque vers le 60e. des deux hémifphères
boréal & auftral, feront les climats tempérés,
tandis que plus près des pôles on ne rencontrera
plus que des climats froids. Cette divifion, aufli
exaéte que la plupart de celles établies arbitrairement
dans les oeuvres de la nature , où tout procède
par tranfition, & où l’on ne rencontre jamais
de ces lignes de démarcation invariables, que
rou es les claflifications fuppofent à l envij cette
divifion nou% montre dans la première clafte,
parmi les pays qui font prefque conftamment
expofés à l’ ardeur du fole il, la plus grande partie
de l'Afrique, d e là Nouvelle-Hollande, de l ’Amérique
méridionale, l'Arab ie, toute la partie
du fud de l’ A fie , la Nouvelle-Guinée, une grande
étendue de mers, & piufieurs île s , parmi le s quelles
on doit citer la plupart de celles de l’archipel
indien.
Dans la fécondé cl a (Te, où les faifons font marquées,
où le fol & les animaux qui le couvrent
font expo'.és à des températures variées ,.mais qui
jamais ne départent de certaines limites au-delà
defquelles exiftent un froid extrême ou une
chaleur excefllve , fe trouvent, pour l’hémifphère
boréal, prefque toute l’Europe, le vafte plateau
de la haute A fie , la grande Tartarie , le T h ib e t,
une partie de la Chine, le Japon , i’ Amérique du
Nord , depuis la N -uvelle-Orlians jufqu’à la terre
de Labrador ; pour l'hémifphère auftral, le Cap
de Bonne-Efpérance, la. terre de Diemen , la
Nouvelle-Zélande, le Chili, & les terres voifines
du détroit de Magellan.
Dans la troifième, enfin , fe rencontrent la
Suèd e ,la Nouvelle-Zemble, la Sibérie, leSpitz-
berg , le Kamtchatka, l ’ Iflande, le Groenland,
; la baie d’Hudfon, & les terres peu connues du
1 nord de l’Amérique.
i La chaleur exerce fur les corps vivans une influence
confiante & marquée. Dès qu’ un homme
ou un animal eft placé au milieu d’une atmosphère
très-chaude, on voit , prefqu’à l ’inftant
même, une tranfpiration abondante couvrir la
peau & ruiffeler à la furface du c^rps, tandis que
dans le même temps l’air chaffé des poumons
emporte encore une grande quantité d’ humi iité.
C e phénomène, qui le préfente dans tous les cas,
n’eft pas feulement un des effets de la chaleur,
mais encore un moyen employé par la nature pour
en combattre l’ influence. En e ffet, tome vapori-
fation rapide exige une grande fomme de calorique
, & ici le calorique eft enlevé au corps vivant
, qui fe débarraffe ainfi d’une partie de celui
qui lui vient de l’ extérieur. Ces tranfpirations
abondantes, inévitables & néceflaires dans tous
les climats chauds, exercent fur l'économie une
influence très-prononcée.
La peau fans ceffe. humeêlée, & traverfée par
des liquides , ne tarde pas à perdre de fon élai licite
: de là cette flaccidité des formes , ce peu de
réfiftance des tiffus, ces rides précoces que l’on
remarque dans les pays des tropiques ; de là cette
habitude des cofmétiques, & le foin que prennent
les femmes de vivre- renfermées, afin d'éviter,
non-feulement le haie , mais encore les funeftes
eff ts des tranfpirations j delà aufli ces nombreufes
maladies de la peau & cette lèpre encore fi commune
aux Sandwich, aux Marianne s , & c . 3 de là ,
enfin, les heureux effets des bains froids & des
lotions avec les acides végétaux, avec les ef-
fences aromatiques.
Les veines & les autres vaiffeaux fanguirrs ne
tardent pas à participer au relâchement du tiffu
cutané, d’ où réfuitent de les varices aux jambes,
A a 2