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encore la mémoire de. toute fcience. La
métaphyfîque rejigieufe qui n’avoit pas
befoin d’étude, «Vil répandue de ce premier
centre des fciences vers toutes les
parties^ du monde..
Néanmoins après la perte dès fçiepces,
les arts utiles auxquels elles àvoient donné
naiffance fe font confervés, La. culture de
la terre devenue plus nçcefiaire à mefure
que les hommes devenoient plus nombreux,
toutes les pratiques qu’exige cette
même culture , tous les arts qui fuppofent
. la conftruâion des maifons , la texture des
étoffes, ont furvécu à la fcience & fe font
répandus de proche en proche, perfeflion-
nés fuivant tes grandes populations aux-'
quelles ils ont été tranfmis. L ’ancien empire
de la Chine s’eft élevé le premier &
prefque en même tems celui dés atlantes
en Afrique. Ceux du continent de ,1’A fie ,
celui d’Egypte , d’Ethiopie , fe font fuc-
ceffivement établis j & enfin celui de
Rome , auquel notre Europe doit Ton
exiftence civile. Ce n’eft donc que depuis
environ trente fiècles, que la puiffance de
l ’homme s’eft réunie à celle de la nature';
par fon intelligence, les animaux- ont été
-apprivoifés, fübjugués, domptés, réduits
à lui obéir à jamais ; parfes travaux, les
marais ont été defféchés -, le? fleuves contenus
, les forêts éclaircies, le? landes cultivées;
parla réflexion, les tems ont été
comptés, les elpaces mefurés, les mquve-
mens céleftes reconnus, le ciel & la terre
comparés ; par fort g.rt émané de la
fcience, les mers ont été traverfées, les
montagnes franchies, un nouveau monde
découvert. Enfin la face entière de la terre
porte "aujourd’hui l ’empreinte dejapuif-
-fance de i ’homme.
Si l ’on compare en effet la nature brute
à la nature cultivée , les petites nations
fauvages de l’Amérique avec les grands
peuples civilifés, on jugera fort aifément
du peu de valeur de ces hommes par le
peu d ’impreflîon que leurs mains ont faites
fur leur fol. Ce? nations non policées nç
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font que détruire fans édifier , ufer de tout
fans renouveller. Néanmoins la condition
la plus méprifable de l’homme n’eft pas
celle du fauvage, mais celle de ces nations
j au quart policées qui de tout tems ont été
| les yrais fléaux de la nature humaine.
Combien n’a t’on pas vu de ces déborde-
mens de barbares venant du Nord ravâger
les terres du Midi ? Il a fallu un grand
nombre de fiècles à la nature pour conf-
truire fes. grands ouvrages; combien, n’en
faudra -t-dl pa« pour quq les ; hommes
.ceflent de -s’inquiéter, ,de s’agiter & de
s’entrp-détruire 'i Quand reconnottront-ils
que la jooiflànce paifible des terres de leur
patrie fuflit à leur bonheur ?
Si l’on ftippqfe le monde en paix , il,
eft aifé de voir , combien la pqilTancè. de
l’homme pourroit influer fur celle de la
nature. Rien ne paroit plus difficile que
de réchauffer la température d’un climat}'
cependant l’homme le peut.faire & l ’a fait,
Paris & Quebec font à-peu-près , à U
même 'latitude & à la même élèviation fuf
le'globe. Paris féroît donc auffi froid' que
Quebec, lî iaFrance &. tout es-les, contrées
qui i’avoifineht étbiènt auffi .dépourvues
d’hommes , aulfi couvertes de bois, aulfi
baignées par les eaux que le font les terres
voifines du Canada ? Aflàinir , défricher
& peupler un pays, c ’eft lui rendre de la
chaleur pour piufieurs milliers d’années;
Buffon oppofe ces effets à ceux qui lui
objeâent que les Gaules & la Germanie
nourriffoient des élans, des ours & d’autres
animaux qui fe font retirés dans les pays
feptentrionaux & plus froids. Ces faits
feroient effeâivement oppofés au réfroi-
diffement de la terre que Buffon admet,
fi la France & l’Allemagne d’aujourd’hui
étoient femblabies à la Gaule & à la Germanie,
& fi l’on n ’eût pas abattu les forêts,
defféché les marais, défriché toutes
les terres trop couvertes & furchargées
des débris mêmes de leurs produâions.
Dans l’immenfe étendue des terres de la
Guyane qui ne font que de* forêts épaiffes
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*>ù le foleil peut à peine pénétrer., où les
eauxrépandues occupent de grands efpaces, ;
où il pleut continuellement pendant huit
mois de l ’année, Ton a commencé feulement
depuis un fiècle à défricher autour
de Cayenne un très-petit canton de ces |
vaftes forêts ; & déjà la différence;de température
dans cette petite étendue de ter-
rein défriché eft fi fenfible qu’ on y
éprouve trop de chaleur, meme la nuit, &
que les pluies font moins abondantes de
moins continues. Une feule forêt dé plus
ou de moins dans un pays, fuflit pour en
changer la température ; ainfi l ’homme j
peut modifier les influences du climat qu’il
habite & en fixer pour ainfî dire la
température au point qui luiconyient.
C ’eft de la différence de température que
dépend la plus ou moins grande énergie
de la nature. L ’accroiffement, le développement
& la -produélion même de tous
les êtres organifés heTont que des effets
particuliers de cette, caufe générale; ainfî
l’homme en la modifiant peut en même
tems détruire ce qui lui nuit, & faire
éclore ce qui lui convient. C ’eft ainfî
qu’il a fécondé la puiffance de la nature,
foit en attirant ou détournant les eaux,
foit en détruifant les herbes inutiles & les
végétaux nuifibles ou ‘ furperflus , foit en
fe conciliant les animaux utiles & les multipliant.
Sux'tr;ois cents efpèces d’animaux
quadrupèdes & quinze cents, efpèceS d’oi-
leaux qui peuplent la terre , l ’homme en
a choifî dix-neuf ou v ing t, & ces vingt
efpèces figurent feules plus ■ [grandement
dans, la nature & font plus de bien fur la
terre que, toutes les autres efpèces: réunies ;
élles figurent plus grandement , parce
qu’elles font dirigées par l ’homme, &
qu’il les a prodigieufement multipliées.
Elles opèrent de concert avec lui tout le
bien qu’on peut attendre d’une fage admi-
niftration de force & de puiffance pour la
culture de la terre , pour le tranfport &
le commerce de fes produélions, pour
l’augmentation des fubliftançes, un
anot, pour tous les befoins & même poux
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les' plaifirs du feul maître qui puiffe payer
leurs feryiees par fe? foins. -
Et dans ce petit nombre d’elpèces d’animaux
dont, l’homme a fait choix , celle de
la poule,ou du cochon, qui font les plus
fécondes, font les plus généralement îé-
pandues. On a trouvé la poule & le cochon
dans les parties les moins frequentees
de la terre, à Otahiti & dans les autres
ifles de tout tems inconnues. Il femble que
ces efpèces aient fuivi celle de l’homme
dans toutes fes migrations. Dans 1 Amérique
méridionale; où nul de nos animaux
n’a pu pénétrer , on a trouvé le pécari, &
la poule fauvage, qu’on doit regarder
comme efpèces •très-voilînes du cochon
& de la poule de notre continent, &
qu’on pourroit de même réduire en do-
mefticité.
L ’homme fauvage n’ayant point d’idée
de la fociété, n’a pas cherché celle des animaux
; dans toutes les terres de l’Amérique
méridionale , les fauvages n ’ont.point d’animaux
domeftiques : auffi le premier trait
de l’homme qui commence à fe ciyilifer ,
eft Tempir.e, qu’il fait prendre 'Tur les
animaux; en multipliant les efpeces utiles
d’animaux, l’homme a par leurs lecours
changé la face de la terre ; il ennoblit
en même tems la fuite entière des etres-,
en transformant le végétal en animal &
i tous deux en fa propre lubftance. C’eft:
| ainfî que des millions d’hommes exiftent
dans le même elpace qu’occupoient autrefois
deux ou trois cents fauvages, & des
milliers d’animaux où il y avoit à peine
quelques individus.
Le grain dont l’homme fait fon pain
n’ eft pas un don de la nature-, mais 1 utile
fruit de fes recherches & de fon intelli -
gence dans le premier des arts ; nulle part
fur la terre il n’a trouvé le blé fauvage, &
c’eft évidemment une herbe perfeélionnée
par fes foins ; il a fallu reconnoître & choi-
fir entre mille autres cette herbe précieufe;
il a fallu la femer, la recuillir nornbre de